L’Italie, meilleure élève que la France ? Le vrai bilan économique de Giorgia Meloni
Bien qu’éphémère, le mouvement a dû faire sourire au Palais Chigi, le siège de l’exécutif à Rome. Dans la foulée du vote de confiance défavorable au gouvernement Bayrou le 8 septembre, le taux d’intérêt des obligations françaises à 10 ans est brièvement passé au-dessus de son équivalent transalpin. Preuve que les investisseurs accordent autant de crédit à la signature italienne qu’à celle de l’Etat français. Le symbole d’une Italie qui, sortie des sombres heures de la crise des dettes souveraines, a redoré son blason. Quand celui de la France se ternit de jour en jour. "Les rôles se sont inversés. L’Italie bénéficie désormais d’une prime de stabilité politique après une phase de forte errance parlementaire entre 2016 et 2021. Dès lors que la majorité est claire, les politiques sont mises en œuvre de façon fluide", note Mabrouk Chetouane, directeur de la stratégie marchés internationaux chez Natixis Investment Managers. Giorgia Meloni ne peut que s’en féliciter, elle qui tient les rênes du Conseil des ministres depuis près de trois ans.
Les exploits italiens ne s’arrêtent pas là. Un PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat désormais équivalent à celui de la France. Une entrée dans le top 4 des exportateurs mondiaux. Un taux de chômage autour de 6 %, son plus bas niveau depuis 20 ans. Et surtout, une impressionnante opération d’assainissement des finances publiques, à rebours de l’enlisement français. Longtemps critiquée par Bruxelles sur son incapacité à maîtriser ses comptes, l’Italie a ramené son déficit public de 8,1 % du PIB en 2022 à 3,4 % en 2024. Une baisse spectaculaire de 85 milliards d’euros. De son côté, la France, avec un déficit de 5,6 % l’an dernier, pointe en queue de peloton de l’Union européenne. "La priorité numéro un du gouvernement Meloni est la stabilité budgétaire, avec l’engagement de respecter le nouveau cadre européen", explique l’économiste Fabrizio Pagani, associé de la banque d’investissement Vitale & Co et ancien conseiller ministériel.
La fin du "superbonus"
Cette prouesse s’explique, notamment, par une décision courageuse de la présidente du parti Fratelli d’Italia. Pour réduire les dépenses publiques, elle a revu de fond en comble le "Superbonus". Ce dispositif, créé dans le sillage de la pandémie de Covid-19 avec l’aide du plan de relance européen, permettait aux ménages italiens d’obtenir une prise en charge à 100 % des travaux de rénovation énergétique de leur logement, à laquelle s’ajoutait… une prime de 10 %. Pour la seule année 2023, les montants versés ont représenté 4 % du PIB. "Cette mesure était économiquement absurde et sans équivalent dans le monde, dénonce Tito Boeri, professeur et directeur du département d’économie à l’université Bocconi de Milan. On remboursait plus que le coût de l’ouvrage, c’était une incitation à dépenser sans raison. Il est incroyable qu’une telle idée ait vu le jour, et plus encore qu’on ne l’ait pas arrêtée. Mais une fois en place, aucun parti ne voulait s’y opposer, tant la propriété immobilière est populaire en Italie".
Côté recettes, l’absence d’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu a généré 22 milliards d’euros supplémentaires dans les caisses de l’Etat entre 2022 et 2024. "C’est une façon d’augmenter les impôts sans être impopulaire, puisque le taux ne change pas", observe Mario Pietrunti, macro-économiste chez BNP Paribas AM.
Alors que le Parti socialiste français n’entrevoit, dans son "contre-budget", un retour sous les 3 % de déficit qu’en 2032, l’Italie s’y engage… dès 2026. Jugée réaliste par les experts, cette perspective séduit les marchés. Elle rassure aussi les entreprises. "Le cadre est devenu plus prévisible pour les investisseurs et les acteurs économiques", souligne Edouard Neyrand, directeur d’Air Liquide Italie et président de la CCI France Italie.
Au-delà de cette discipline budgétaire, la politique Meloni est saluée par les patrons. Pour Luciano Di Fazio, associé du cabinet de conseil financier Emintad, la dirigeante a gagné des points dans le monde des affaires italien grâce à sa bonne relation nouée avec l’administration Trump. Le fait que le pays soit soumis aux mêmes taxes douanières que le reste de l’Europe n’entame pas ce sentiment d’être "protégé", selon lui.

Un bilan à nuancer
Pour autant, ce bilan flatteur mérite d’être nuancé. D’abord, parce que ces bonnes performances économiques ne sont pas toutes imputables à Giorgia Meloni. En matière de travail, notamment. "Même si le taux d’emploi féminin - en particulier dans le Sud - reste faible, le taux d’emploi global atteint un record : plus de 24 millions d’Italiens travaillent", constate Fabrizio Pagani. Une conséquence directe du Jobs Act de 2014, voté sous le gouvernement de centre gauche de Matteo Renzi. "Cette réforme a introduit davantage de flexibilité sur le marché du travail en instaurant des contrats à protection croissante [NDLR : les droits du salarié augmentent avec son ancienneté] et en simplifiant les règles d’embauche et de licenciement", ajoute cet ancien directeur de cabinet du ministre de l’économie de l’époque.
Ensuite, les hirondelles de l’emploi et du sérieux budgétaire ne font pas le printemps romain. En dépit de la résorption du déficit, la dette publique culminait encore à 135,3 % du PIB en 2024. "Ce ratio trop élevé constitue toujours le principal facteur de fragilité de l’Italie face aux risques financiers", juge Giorgio Di Giorgio, professeur de politique monétaire à l’université Luiss de Rome. Certes, cet endettement se stabilise, mais c’est en grande partie grâce au rebond d’activité post-Covid et au pic inflationniste.
Une fois passée cette reprise conjoncturelle, la croissance économique a d’ailleurs repris un rythme de sénateur. "Depuis le dernier trimestre 2022, le PIB italien n’a augmenté que de 1,4 %, presque deux fois moins qu’en France", chiffre Charles-Henri Colombier, économiste chez Rexecode. Pour cette année, BNP Paribas estime sa progression à 0,7 %, loin de la moyenne attendue en zone euro (+ 1,3 %).
Un plan de relance massif après la pandémie
Après la pandémie, le pays s’était pourtant taillé la part du lion du plan de relance et de résilience : près de 200 milliards d’euros répartis entre subventions et prêts de l’Union européenne. Problème : alors que ce programme arrive à échéance en juin 2026, les deux tiers de ce montant dormaient encore dans les coffres en juillet dernier. "Nous avons cru possible d’absorber un tel volume d’investissements publics en si peu de temps, mais c’était irréaliste, soupire Tito Boeri, de la Bocconi. A mon sens, le "Superbonus" lui-même est né de cette illusion : comme on pensait disposer de tout l’argent européen, on s’est cru libres d’essayer tout et n’importe quoi". Les résultats de cette prodigalité ne sont guère probants. Marcello Messori, économiste à l’Institut universitaire européen de Florence, parle même d’une "occasion manquée" : "Les ressources de l’UE n’ont pas été utilisées de manière optimale. Il est probable qu’une partie des projets ne sera pas achevée dans l’année à venir. L’Italie n’a donc pas profité de cette opportunité pour résoudre ses problèmes structurels. Un défi qui dépasse d’ailleurs ses frontières et concerne plusieurs économies européennes".
A plus longue échéance, la croissance de la botte reste surtout plombée par sa démographie. Son taux de natalité - le nombre de naissances d’une année rapportée à la population - est le plus faible d’Europe. La jeunesse diplômée, découragée par le niveau des salaires, va voir ailleurs si l’herbe est plus verte : en une décennie, 470 000 Italiens de 18 à 34 ans ont quitté le pays. Face à la pénurie de main-d’œuvre, Giorgia Meloni a dû amender son discours sur l’immigration légale. En 2024, son gouvernement a maintenu un dispositif fiscal visant à attirer aussi bien les travailleurs qualifiés étrangers que les Italiens expatriés. Dans un autre registre, la présidente du Conseil poursuit son opération séduction auprès des grandes fortunes. Depuis la suppression d’un régime dérogatoire en Grande-Bretagne, les riches britanniques ont commencé à migrer de Londres vers Milan. Un "dumping fiscal", avait fustigé François Bayrou lorsqu’il était encore aux affaires. En réponse, son homologue lui avait opposé les deux facteurs d’attractivité de l’Italie : crédibilité et stabilité. Des cartes que la France ne compte manifestement plus dans son jeu.
© Ludovic MARIN / AFP