Traque automatisée
Après avoir examiné des documents provenant d’archives publiques étasuniennes, Amnesty International s’inquiète de l’utilisation de deux logiciels de Babel Street et de Palantir par le gouvernement étasunien pour surveiller les étrangers, notamment concernant leurs propos en défense de la Palestine.
Le gouvernement étasunien utilise maintenant deux logiciels, Babel X et Immigration OS pour surveiller les propos des étrangers et les traquer, selon Amnesty International. L’ONG a analysé des documents provenant d’archives publiques du Département de la sécurité intérieure étasunien et des documents d’évaluation des achats et de la politique de confidentialité « précédemment divulgué ».
Ces deux outils de surveillance automatisés assistés par intelligence artificielle, selon l’enquête de l’ONG, « peuvent réaliser des reconnaissances de schémas et automatiser l’analyse des données grâce à des algorithmes ». Ils « rassemblent des données provenant de diverses sources publiques et privées, dont plusieurs bases de données gouvernementales », explique Amnesty.
Selon l’étude de documents du Département américain de la Sécurité intérieure (DHS), du Service des douanes et de la protection des frontières (CBP) et du Service de contrôle de l’immigration et des douanes (ICE) qu’elle a récoltés (documents d’achats, de leur évaluation, contrats, réponses en vertu de la loi sur la liberté de l’information aux précédentes demandes d’autres organisations…), l’ONG explique que « le gouvernement américain s’en sert pour tracer les personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile ». Elle ajoute que « le risque est au final élevé qu’ils soient utilisés dans le cadre du programme « Catch and Revoke » (« Attraper et révoquer ») », ce système voulu par le Secrétaire d’État des États-Unis, Marco Rubio pour traquer les étudiants étrangers qui porteraient des propos étiquetés comme « pro-hamas » en vue de révoquer leurs visas.
Les deux logiciels auraient « des capacités automatisées qui permettent un suivi, une surveillance et une évaluation de masse constants, souvent dans le but de cibler les citoyens non américains ».
Immigration OS, l’outil d’assistance à l’expulsion de Palantir
Immigration OS est un logiciel vendu au gouvernement étasunien par l’entreprise de Peter Thiel, Palantir. Le Service de contrôle de l’immigration et des douanes (ICE) a signé un contrat de 30 millions de dollars avec elle en avril pour suivre ce qu’elle appelle les « auto-expulsions » et « identifier les cas d’expulsions prioritaires, en particulier en cas de visa expiré », explique l’ONG.
Le logiciel serait en fait une nouvelle version d’un système de l’ICE appelé « système intégré de gestion des dossiers » (ICM), utilisé par l’ICE depuis 2014 et déjà développé par Palantir.
Citant un document de l’administration, Amnesty explique que l’ICM permet de « créer un dossier électronique qui organise et relie tous les dossiers et documents associés à une enquête particulière [en lien avec l’immigration], afin qu’ils soient facilement accessibles depuis un emplacement unique. Il permet également au personnel de relier les dossiers à plusieurs enquêtes afin d’établir des liens entre les affaires et donne accès à un large éventail de données personnelles provenant des agences et des forces de l’ordre américaines ».
Immigration OS doit, selon les documents ajouter une « gestion de l’immigration de bout en bout, de l’identification au renvoi, en mettant l’accent sur l’efficacité de l’expulsion ». Le logiciel est censé aussi rationaliser « la sélection et l’arrestation des individus en fonction des priorités de l’ICE, en se concentrant sur les organisations criminelles transnationales, les criminels violents et les visas expirés ». Enfin, il surveille donc en temps réel les « auto-expulsions » et doit contribuer « à guider les politiques et l’allocation des ressources » en s’intégrant aux systèmes d’établissement des priorités de l’ICE.
L’ONG met en avant « qu’Immigration OS automatise un processus déjà très faillible et n’ayant pas de comptes à rendre, qui a des antécédents en matière de non-respect de la procédure régulière et des droits humains, ce qui le rend encore plus opaque et le renforce ».
Amnesty confirme ici les informations sorties en avril dernier par 404 Media. Nos confrères révélaient un message du CTO de Palantir, Akash Jain, sur le Slack interne de l’entreprise. Celui-ci affirmait : « Au cours des dernières semaines, nous avons testé en prototype un nouvel ensemble d’intégrations de données et de flux de travail avec l’ICE », ajoutant : « L’accent mis par le nouveau gouvernement sur l’exploitation des données pour piloter les opérations de maintien de l’ordre accélère ces initiatives ».
Babel X, utilisé pour surveiller les réseaux sociaux des étrangers
Côté Service des douanes et de la protection des frontières (CBP) étasunien, c’est sur Babel X qu’on se repose. Et ce, depuis 2019 selon Amnesty. Babel Street, l’entreprise qui le développe est prestataire de plusieurs agences américaines et utilise les données récoltées par des data brokers.
Le logiciel de Babel Street stocke des données comme le nom, l’adresse e-mail ou le numéro de téléphone, mais aussi les adresses IP, l’historique professionnel des personnes ainsi que les identifiants uniques générés par les agences de publicité sur Internet.
« Babel X permet une surveillance étendue de divers groupes, comme les citoyens américains et non américains, ainsi que les résidents permanents, mais est spécifiquement assigné à la surveillance des réfugiés et demandeurs d’asile, comme le révèle l’analyse du seuil de confidentialité du CBP pour Babel X », explique l’ONG. Elle ajoute qu’ « en automatisant à la fois le signalement et l’extraction de quantités massives de données, de manière permanente, sur les individus signalés, Babel X risque de les rendre suspects par défaut et de les exposer au risque de révocation de visa, de détention et d’expulsion ».
Amnesty International explique aussi que « les technologies probabilistes employées pour tirer des déductions sur les intentions des individus présentent d’importantes marges d’erreur et s’avèrent souvent discriminatoires et biaisées ; elles peuvent conduire à présenter à tort des contenus propalestiniens comme antisémites ».