Les gouvernements européens ont relancé le projet de règlement dit « Contrôle des conversations » . Lors d'une session à huis clos du Conseil de l'Union européenne, les États membres ont approuvé un nouveau mandat de négociation pour un règlement visant à lutter contre l'exploitation sexuelle des enfants. Ce texte, conçu comme un outil de protection de l'enfance, soulève toutefois des inquiétudes quant à l'étendue de la surveillance des communications privées en ligne. L'aspect le plus controversé réside dans la manière dont le projet de loi est remis sur la table. Bien que le texte n'impose plus explicitement l'analyse de tous les messages, un mécanisme a été introduit, que les critiques qualifient de pression indirecte. Les services en ligne seront récompensés ou pénalisés selon qu'ils choisissent ou non d'analyser « volontairement » le contenu. Les entreprises qui refusent risquent d'être traitées moins favorablement sur le plan réglementaire et financier. L'ancien député européen Patrick Breyer, figure emblématique du mouvement pour la liberté numérique, a déclaré que la décision du Conseil ouvre la voie à une infrastructure de surveillance de masse permanente. Selon lui, ce projet transfère la responsabilité de la surveillance des communications aux fournisseurs de technologies eux-mêmes. Il en résulte un système où les services de sécurité publique deviennent un outil au service des entreprises privées, et où l'équilibre entre sécurité et vie privée est rompu. Breyer a également souligné que la proposition inclut des solutions de vérification d'âge qui lèvent l'anonymat des utilisateurs. Cette approche transforme l'utilisation quotidienne d'Internet en un processus de vérification d'identité, que l'utilisateur soit ou non concerné par la lutte contre la fraude.
La nouvelle proposition, négociée sous l'égide du Danemark, rétablit de fait les fondements du règlement précédent, suspendu il y a plusieurs mois en raison de l'opposition du public. Les États membres souhaitent que les fournisseurs de services réalisent des évaluations des risques liés aux contenus pédopornographiques et mettent en œuvre des mesures d'atténuation approuvées par les autorités de contrôle. En pratique, cette approche pourrait engendrer des pressions en faveur de l'installation d'outils d'analyse capables de traiter les communications chiffrées et non chiffrées. L'eurodéputée tchèque Markéta Gregorová a qualifié la position du Conseil de décevante, ajoutant qu'elle envisageait un balayage massif des conversations privées. Dans de nombreux pays, les responsables politiques et les citoyens s'y opposent. Aux Pays-Bas, les parlementaires ont contraint leur gouvernement à voter contre le projet de loi. Ils soulignent que l'association de la vérification de l'âge et du dépistage volontaire constitue un piège pour les entreprises réticentes à mettre en œuvre des formes de surveillance intrusives. La Pologne et la République tchèque ont voté de même, tandis que l'Italie s'est abstenue. L'ancien eurodéputé néerlandais Rob Roos a dénoncé les agissements de l'UE, les qualifiant de menés en catimini. Il a souligné que la poursuite des travaux sur cette réglementation pourrait conduire l'Europe vers un autoritarisme numérique. Des entrepreneurs et développeurs de technologies de renom, tels que Daniel Vávra et David Heinemeier Hansson, ont également exprimé leur opposition. La société de protection de la vie privée Mullvad a estimé que la proposition constituait une menace directe pour la confidentialité des communications en ligne.
Le nouveau mandat contient des éléments qui, selon les experts, pourraient changer le fonctionnement d'Internet en Europe. Le premier risque est la normalisation de l'analyse massive de contenu. La prolongation de la réglementation temporaire permet aux fournisseurs d'analyser les messages des utilisateurs sans mandat. En Allemagne, les forces de l'ordre signalent que la moitié des alertes générées par ces systèmes sont infondées et concernent des informations légales. Or, les résultats de ces algorithmes sont transmis aux bases de données des forces de l'ordre, et Breyer souligne que celles-ci contiennent des dizaines de milliers de conversations totalement privées. La seconde menace réside dans la généralisation de la vérification de l'âge, qui supprime l'anonymat. Selon sa mise en œuvre, elle peut exiger la fourniture de données sensibles ou des analyses biométriques pour utiliser des services aussi basiques que la messagerie électronique, la messagerie instantanée ou les réseaux sociaux. Les experts soulignent que ces technologies n'offrent pas de garanties de sécurité absolues et peuvent engendrer des discriminations. Le troisième problème est l'isolement numérique des jeunes. Selon le projet, les personnes de moins de 17 ans pourraient être exclues de nombreuses plateformes si elles ne satisfont pas à un seuil de vérification élevé. Breyer a qualifié cette idée d'incompatible avec les principes fondamentaux de l'éducation, soulignant qu'elle empêche les jeunes d'acquérir les compétences nécessaires à une utilisation responsable et sécurisée d'Internet.
Les pays européens restent divisés. Malgré l'opposition de plusieurs gouvernements et la pression croissante des organisations de la société civile, le projet de loi sera désormais soumis à des négociations avec le Parlement européen. Les deux institutions devraient parvenir à un accord définitif d'ici avril 2026. Breyer a averti que la proposition présentée ne semble être qu'un compromis. Selon lui, la réglementation n'élimine pas la surveillance de masse, mais la transfère plutôt aux entreprises privées. Il a déclaré que l'Europe pourrait se retrouver dans un avenir où l'envoi d'un message nécessiterait une pièce d'identité et où des algorithmes gérés par des sociétés externes décideraient quelles photos sont suspectes. Il a conclu en affirmant qu'il ne s'agit pas d'une victoire pour la vie privée, mais d'un scénario menant à une crise grave. (
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