Une phrase sur Taïwan… et une tempête économique : la crise que le Japon n’avait pas anticipée
Repli boursier, affaiblissement du yen, flambée des taux longs... Après avoir relevé l'épreuve des urnes, Sanae Takaichi affronte désormais une double tempête - un test des marchés et une crise diplomatique avec la Chine. Première femme à prendre les rênes du pouvoir de l'Archipel, elle est surtout celle dont la rhétorique est allée le plus loin sur la question de Taïwan. Tout est parti d'une phrase lâchée devant les parlementaires, le 7 novembre. La cheffe du gouvernement affirme alors que le recours à la force contre l’île revendiquée par la Chine pourrait constituer "une menace à la survie du Japon". Le gouvernement s'empresse de relativiser ses propos, mais il est trop tard : la mèche est allumée.
Outrées par cette "provocation", les autorités chinoises ripostent, appelant leurs ressortissants à ne pas se rendre au Japon. Résultat : près de 30 % des voyages prévus d’ici décembre ont été annulés, d’après des données relayées par Bloomberg. Pour le pays du Soleil levant, qui ambitionne d’accueillir 60 millions de visiteurs en 2030, l'affaire n'est pas neutre : les Chinois comptent pour près d'un quart des arrivées et 35 % des recettes touristiques. Takahide Kiuchi, chercheur au Nomura Research Institute, a fait le calcul, une baisse des voyages depuis la Chine et Hongkong, équivalente à celle qui a eu lieu en 2012, pourrait rogner le PIB nippon de 1 800 milliards de yens, soit 0,3% du PIB nominal de 2024.
Dépendance à la Chine
Car les deux pays n’en sont pas à leur première bisbille. Il y a treize ans, le différend concernait les îles Senkaku. Il avait déjà entraîné une baisse des flux touristiques et un boycott des marques japonaises par la population chinoise. Un épisode qui a particulièrement affecté le secteur automobile nippon, rappelle Kevin Net, responsable du pôle Asie à La Financière de l’Echiquier. La Chine a pris pour habitude de faire monter la pression économique pour régler un désaccord diplomatique : en 2017, elle avait restreint les importations de produits de beauté sud-coréens, à la suite de la décision de Séoul d'installer un système de défense antimissile américain. En 2020, elle avait récidivé en imposant des droits de douane sur le vin australien, alors que Canberra demandait une enquête sur l'origine du Covid-19.
La consommation chinoise, puissant moteur de l'économie nippone, se transforme en talon d'Achille. "En moyenne, la Chine représente environ 10 % du chiffre d’affaires des sociétés japonaises, remarque Kevin Net. Un boycott pourrait avoir un impact significatif sur l'activité locale". Les marchés financiers accusent déjà le coup : la Bourse de Tokyo a dévissé de 4 % entre le 10 et le 25 novembre. En première ligne, les entreprises du secteur de la consommation, comme Ryohin Keikaku, maison mère des magasins Muji, dont la valorisation a fondu de 12 % sur la période. Ou encore le géant de la beauté Shiseido, qui a vu son cours chuter de 16 %.
Une offensive tous azimuts
Pour Tokyo, cette brouille n'intervient pas au moment le plus opportun : le PIB du pays s'est contracté au troisième trimestre et les droits de douane de Donald Trump pèsent sur les exportations. D’autant que Pékin contre-attaque sur tous les fronts : après avoir annoncé la suspension des importations de fruits de mer japonais, la diffusion de deux films nippons a été annulée dans ses salles de cinéma, selon les médias locaux.
Malgré le durcissement de ton chinois, le Japon campe sur ses positions. La lettre de Pékin adressée à l'ONU n'y change rien : la Première ministre refuse de retirer ses propos. Ce mardi 25 novembre, le Japon a même déclaré avoir déployé des avions en direction d'une île proche de Taïwan après la détection d'un drone chinois. "Sanae Takaichi affiche un positionnement plus conservateur que ses prédécesseurs sur la question chinoise, souligne Célia Colin, économiste spécialisée sur l’Asie à Rexecode. Elle prône le réarmement du Japon avec l’objectif de contenir la Chine, à la fois sur le plan militaire et commercial".
Pour renforcer ses capacités de défense et soutenir l'économie, le gouvernement a proposé un stimulus budgétaire de 135 milliards de dollars. Or ces dépenses inquiètent les investisseurs, déjà soucieux de la soutenabilité de la dette de l’Archipel. Les taux à dix ans des obligations japonaises ont bondi à 1,81 % le 20 novembre - leur niveau le plus élevé depuis 2008.
Alors que les tensions avec la Chine risquent de durer, le Japon s'efforce de conforter ses liens avec Washington. Donald Trump s'y est montré ouvert. Le président américain a récemment déclaré que les deux dirigeants allaient entretenir une "relation fantastique". Fin octobre, les deux pays se sont engagés à coopération sur les terres rares. Mais en ce début de semaine, le Républicain a tenté de jouer les médiateurs, s'entretenant tour à tour avec les dirigeants chinois et japonais par téléphone. Un exercice d'équilibriste qui n'a, pour l'instant, pas éteint les braises.

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