A Lisbonne, l'impressionnante flambée des prix de l'immobilier : "Le problème, ce n'est plus Airbnb"
A l'approche des élections municipales portugaises, organisées le 12 octobre dernier, un sujet revenait en boucle dans les discours de tous les candidats : le logement, le logement, le logement. Il faut dire que le pays est dans une situation délicate. Au deuxième trimestre 2025, Eurostat a enregistré une hausse des prix de 17,2 % en glissement annuel. Il s'agit, de loin, de la plus forte augmentation du continent (+5,4 % en moyenne), mais aussi de la plus forte hausse qu'a connue le pays depuis la crise de 2008.
Alors que Paris s'enthousiasme de la timide reprise du marché après deux années d'atonie (la France enregistre, elle, une hausse de 0,5 % en glissement annuel), Lisbonne frissonne. Lors de la précédente mandature, Filipa Roseta était l'élue à la chambre municipale en charge du Logement et de la Construction à Lisbonne. Avant de retrouver les bancs de l'école d'architecture où elle enseignait avant de prendre ses fonctions, elle a accepté de raconter les dynamiques qui rendent le marché immobilier portugais si inhospitalier... et de démonter quelques stéréotypes.
L’Express : D'après une étude publiée en octobre 2025 par la Commission européenne, le Portugal fait partie d'une minorité de pays membres où les prix de l'immobilier ont doublé depuis 2015. Les derniers chiffres font état d'une accélération alarmante de cette hausse, notamment dans la capitale, Lisbonne. Comment l'expliquer ?
Filipa Roseta : C'est un phénomène multifactoriel, évidemment, mais à Lisbonne, le problème principal, c'est l'augmentation de la population. Nous vivons dans une ville où la population diminue de manière structurelle depuis plusieurs décennies. Notre pic démographique a été atteint lors de la période postcoloniale, au début des années 1980 [NDLR : le Mozambique, l'Angola, et les archipels du Cap-Vert et Sao Tomé-et-Principe ont obtenu l'indépendance en 1975] et la population a diminué jusqu'à la pandémie de Covid-19. Mais depuis 2021, la dynamique s'est inversée et la population est passée de 545 000 à 575 000 habitants, soit une hausse de 6 % en trois ans, ce qui constitue une augmentation importante.
On cite régulièrement l'achat d'appartements destinés à la location de courte durée comme un des facteurs de la crise au Portugal. Quel est l'impact du tourisme sur la hausse des prix de l'immobilier ?
Oui, à l'échelle du pays, c'est un phénomène qu'on a observé, et d'ailleurs les gens en parlent encore beaucoup. Cependant, cela ne correspond pas à la réalité à Lisbonne aujourd'hui. Pour pouvoir louer leur habitation aux touristes, les propriétaires doivent demander une licence appelée AL pour "alojamento local" (hébergement local). Or, à Lisbonne depuis 2022, la délivrance de nouveaux permis a été gelée. Si on regarde les chiffres, leur nombre a donc plutôt eu tendance à baisser. Le problème, ce n'est donc pas Airbnb, mais la concentration d'une plus forte population dans la capitale par rapport au nombre de logements disponibles.
Une conséquence de cette pénurie de logements, c'est la formation de nouveaux bidonvilles autour des grands centres urbains...
Oui, c'est horrible. On est très loin de ce qu'on a connu dans les années 1990 où il y avait plus de 20 000 taudis à Lisbonne même. Aujourd'hui, ce n'est pas une réalité qu'on observe sur le territoire même de la ville, mais on le voit beaucoup dans les communes limitrophes. Aujourd'hui, il y aurait plus de 3 000 personnes qui vivraient dans ces conditions terribles dans l'aire métropolitaine de la capitale.
C'est un très gros problème, qui empire d'année en année et on ne peut pas continuer comme cela. La population de ces habitats indignes, ce sont souvent des familles, des gens qui travaillent, des immigrés qui sont venus pour gagner leur vie. Ils sont rémunérés au salaire minimum mais aujourd'hui, ce n'est pas suffisant pour occuper un logement où que ce soit.
Outre ces classes populaires, la pénurie de logements touche-t-elle aussi les classes moyennes ?
Ce qu'il faut comprendre, c'est que le coût du logement progresse beaucoup plus vite que les salaires, si bien que l'écart entre les traites des ménages et leur revenu disponible se réduit rapidement. Depuis trois à cinq ans, les familles doivent consacrer une partie de plus en plus importante de leur revenu disponible au logement. Résultat : les classes moyennes, elles aussi, sont progressivement évincées du marché. On a aujourd'hui des étudiants qui ne peuvent pas trouver de location et des milliers d'adultes qui n'ont pas les moyens de quitter le domicile familial.
Qu'il y ait une telle demande, ça devrait être une bonne nouvelle. C'est une preuve de dynamisme et c'est toujours bien d'avoir une ville en croissance, notamment en croissance économique. Notre ville a toujours été très accueillante et très internationale mais pour continuer à accueillir de nouveaux lisboètes, il faut qu'on agisse sur l'offre de logements. Et pour cela, il nous faut construire - et construire vite.

Justement, dans un rapport récent, la Banque mondiale souligne que dans certaines villes, les délais pour obtenir un permis de construire dépassent les dix-huit mois. Lisbonne en fait partie...
C'est quelque chose sur lequel on essaye de travailler et les choses se sont améliorées ces dernières années. Nous avons mis en place une stratégie, à la municipalité mais aussi à l'échelle du pays, pour réduire le poids de la réglementation et aujourd'hui, la plupart des permis sont octroyés dans un délai plus court. Ça, c'est pour la construction de logements privés.
Il y a un autre levier sur lequel l'Hôtel de Ville peut travailler, c'est la construction de logements qui lui appartiennent. 2 000 logements sont déjà en construction et on prévoit d'en bâtir un millier supplémentaire d'ici 2028. Pour cela, les fonds européens nous sont très utiles. Le plan de relance post-Covid-19 a été extrêmement important pour accroître notre offre de logements sociaux pour les plus démunis et de logements abordables pour la classe moyenne. Dans le cas de ces constructions, les délais pour obtenir un permis se sont nettement réduits.
Dans quels types de quartiers la ville de Lisbonne peut-elle continuer à construire ?
Un autre enjeu pour une municipalité comme la nôtre, c'est de donner envie aux gens de s'installer dans de nouvelles zones. Il y a plein d'espaces merveilleux, mais qui méritent d'être plus attrayantes. Notre rôle c'est donc d'améliorer ces quartiers pour augmenter la quantité de terrain disponible à la construction et faire sortir de nouveaux logements destinés à la classe moyenne.
Ce problème n'est pas propre à la capitale, vous savez. Dans notre pays, environ 80 % de la population vit en zone littorale, entre Lisbonne et Porto. Les 20 % restants vivent dans le reste du pays. Nous pourrions donc être un peu plus dispersés, cela allégerait certainement le fardeau des villes.

© afp.com/PATRICIA DE MELO MOREIRA