↩ Accueil

Vue normale

Reçu aujourd’hui — 12 novembre 2025 L'Express

Royaume-Uni : le Premier ministre Keir Starmer sur la sellette ?

12 novembre 2025 à 20:29

Les jours de Keir Starmer à la tête du 10 Downing Street sont-ils comptés ? Selon des rumeurs circulant au Parlement britannique, des ministres voudraient faire tomber le Premier ministre dans la foulée de la présentation du budget, fin novembre. Parmi les instigateurs de la fronde on trouverait, selon des sources à Downing Street "alliées" de Keir Starmer, les ministres de la Santé Wes Streeting, de l’Intérieur Shabana Mahmood et de l’Energie Ed Miliband, lorgnant sur sa succession.

Keir Starmer n’est en poste que depuis l’été 2024, mais le Premier ministre est déjà très impopulaire, critiqué aussi bien sur sa gestion de l’immigration irrégulière que sur l’économie, qui est à la peine. D’après un sondage YouGov du 3 novembre, 73 % des Britanniques ont une opinion défavorable du chef de gouvernement. D’autant que les médias britanniques ne cessent de spéculer sur les mesures impopulaires que la ministre des Finances Rachel Reeves pourrait annoncer le 26 novembre, lors de la présentation du budget, à commencer par de nouvelles taxes.

Gouvernement "uni"

Selon les règles du parti travailliste, pour renverser Keir Starmer, il faudrait que 20 % de ses députés soutiennent la démarche, soit actuellement 80 élus. Des velléités totalement démenties par le ministre de la Santé. "Je ne vais pas demander la démission du Premier ministre. Je soutiens le Premier ministre", a affirmé Wes Streeting, 42 ans, sur la chaîne de télévision Sky News. Ces échanges avec les médias sont "totalement contre-productifs […] Je ne comprends pas comment quelqu’un peut penser que cela aide le Premier ministre", a-t-il également déclaré.

Pour sa part, le Premier ministre a assuré aux députés, lors des questions au gouvernement, être à la tête d’une "équipe unie", ce qui a déclenché les rires de l’opposition conservatrice. "Le gouvernement est en pleine guerre civile !", a raillé la cheffe de l’opposition, la conservatrice Kemi Badenoch.

Le Premier ministre s’est aussi défendu d’avoir "autorisé des attaques" contre des membres de son gouvernement. Des sources à Downing Street ont affirmé mardi soir, lors d’échanges avec plusieurs médias britanniques, que Keir Starmer se défendrait en cas de tentative pour le renverser. Le chef du gouvernement "sait qu’il est engagé dans une bataille pour la direction du parti. Quand elle arrivera, il ne démissionnera pas. Il se battra", a ainsi déclaré un de ses proches au Times.

Crise du Labour

Des propos immédiatement démentis par le Premier ministre. "Toute attaque contre un membre de mon cabinet est totalement inacceptable", a dit Keir Starmer devant les députés, apportant son soutien à Wes Streeting. "Il fait un excellent travail", a-t-il ajouté.

Alors, pourquoi autant de contre-déclarations ? "Les observateurs notent qu’en voulant allumer des contre-feux, les proches de Starmer ont surtout gratté l’allumette. Ils donnent une fâcheuse impression de fragilité. Et des députés qui n’imaginaient pas un putsch possible à court terme pourraient être tentés de basculer…" analyse Le Figaro.

Finalement, c’est un Premier ministre "sous pression" que décrit le Guardian, et qui, pour ne pas exposer les failles de son parti, a dû prendre la défense inconditionnelle de celui accusé de le trahir. Tout en étant bien embêté quant à l’avenir de ce potentiel frondeur au sein de son groupe. Mais Keir Starmer - l’un des rares à avoir gagné des élections pour le Labour ces dernières années - le sait : "une course à la direction plongerait le parti dans le chaos qui a marqué les dernières années du précédent gouvernement conservateur", analyse la BBC.

Empêtré dans une crise politique, le travailliste de 63 ans n’en est pas au bout de ses peines. Il doit encore survivre au vote du budget le 26 novembre, qui comprendra certainement des nouvelles taxes, après des hausses d’impôts cet été, trahissant l’une de ses promesses de campagne. Puis, son parti affrontera les élections locales de mai 2026, contesté par la montée de l’extrême droite de "Reform UK", en tête des intentions de vote depuis plusieurs mois.

© afp.com/-

La photo fournie par le parlement britannique montre le premier ministre Keir Starmer qui pointe du doigt Kemi Badenoch, le chef des conservateurs, principal parti d'opposition

Scandale de corruption en Ukraine : "Volodymyr Zelensky n'a pas pris les mesures nécessaires"

12 novembre 2025 à 20:00

Un ami proche du président Volodymyr Zelensky, le ministre de la Justice et un ancien vice-Premier ministre : les trois principaux protagonistes du dernier scandale de corruption qui éclabousse l’Etat ukrainien ne sont pas du menu fretin. Ils seraient impliqués dans le détournement de 100 millions de dollars dans le secteur énergétique. L’affaire, tentaculaire, tombe au pire moment pour l’Ukraine, en difficulté sur le front et à l’arrière, épuisée par le pilonnage russe des infrastructures énergétiques, qui prive la population de courant pendant des heures, parfois des journées entières.

Olena Halushka se bat depuis des années contre la corruption systémique dans son pays. Membre du conseil d’administration de l’Anticorruption Action Center (AntAC), l’une des plus grosses ONG actives dans ce combat, fondée en 2012, elle regrette le manque d’implication réelle du président Zelensky. Entretien.

L’Express : Quelle a été votre première réaction à l’annonce de cette nouvelle affaire de corruption ?

Olena Halushka : D’abord, je suis agréablement surprise que nous disposions d’institutions anticorruption capables de poursuivre les hauts responsables du gouvernement : non seulement le ministre de la Justice et ancien ministre de l’Energie Guerman Galouchtchenko, et l’ancien vice-Premier ministre Oleksiy Chernyshov, mais aussi des personnes comme Timur Mindich, allié personnel du président Zelensky, son ami et partenaire commercial de longue date, copropriétaire de leur société de production Kvartal. C’est une bonne nouvelle. N’oublions pas que nous, la société ukrainienne, avons protégé les deux institutions anticorruption menacées, en juillet dernier, par une loi visant à saper leur indépendance : le Bureau national anticorruption d’Ukraine (Nabu) et le Bureau du procureur spécialisé dans la lutte contre la corruption (Sapo). Les Ukrainiens sont descendus dans la rue avec des pancartes. Et les messages des capitales européennes étaient très clairs, de Paris, Bruxelles, Londres ou Berlin : ne touchez pas à l’indépendance de ces institutions. Cela a contribué à les sauver. Et aujourd’hui, nous voyons les résultats tangibles de leur travail. Cela étant dit, je suis évidemment très frustrée que de tels schémas de corruption continuent d’exister en Ukraine, alors que nous sommes sous le feu de l’ennemi depuis près de quatre ans. Les missiles russes tentent de détruire notre réseau électrique pour nous plonger dans le noir. Et voilà que l’une des principales entreprises énergétiques, censée protéger la production d’énergie nucléaire ukrainienne, trempe dans ce type de pratiques véreuses. Au lieu d’utiliser au mieux chaque hryvnia payée par les citoyens ukrainiens dans leurs factures d’électricité, elle se permet de s’octroyer d’horribles pots-de-vin de 10 à 15 % sur ses contrats. Pire : la société Energoatom a retardé la protection de ses installations en comptant sur des entreprises mieux-disantes en matière de pots-de-vin. C’est terrible !

Le secteur ukrainien de l’énergie nucléaire n’a pas réellement fait l’objet de réformes depuis la révolution de la dignité en 2013-2014. J’espère sincèrement que ce scandale sera le déclic pour nettoyer enfin la société Energoatom. Historiquement, les Russes ont toujours essayé de conserver leur influence sur le secteur stratégique de la production énergétique ukrainienne, et les réformes ont toujours été reportées. Le moment est venu de s’y atteler pour de bon.

Y a-t-il des liens établis avec la Russie, dans cette affaire Energoatom ?

L’enquête pointe effectivement des liens indirects avec la Russie : l’un des bureaux utilisés par cette entreprise pour ce blanchiment d’argent appartient à un ancien directeur d’Energoatom : Andrii Derkach a dirigé cette entreprise en 2006-2007. Il a été député au Parlement ukrainien sous la bannière du Parti des régions, un parti pro russe. Puis, il a fui l’Ukraine, a été sous le coup de sanctions américaines, puis déchu de sa nationalité ukrainienne. Il est aujourd’hui sénateur quelque part en Russie [NDLR : dans l’oblast d’Astrakhan, au sud-ouest de la Russie].

L’une des personnes faisant l’objet d’une enquête est un ami proche de Volodymyr Zelensky. Pensez-vous que le président veut réellement s’attaquer à ce fléau de la corruption ?

Jusqu’à présent, rien ne prouve que le président lui-même ait été impliqué dans ces affaires de corruption. Cependant, Volodymyr Zelensky a été élu en 2019 avec pour promesse phare la lutte contre la corruption. C’était la revendication du Maïdan. Son prédécesseur Petro Porochenko a échoué, et Zelensky a surfé, avec succès, sur cette frustration populaire pendant sa campagne électorale. A l’heure actuelle, il est en train de perdre ce combat. Cela a bien sûr des implications sur la confiance de la société ukrainienne envers le président, ce qui est éminemment dangereux car nous sommes confrontés à un ennemi existentiel qui veut détruire la nation ukrainienne.

Nous devons être unis et avoir confiance en notre commandant en chef. Nous ne pouvons pas être polarisés. Les prochaines actions du président Zelensky vont donc peser lourd. Il vient de demander la démission des ministres de la Justice et de l’Energie [NDLR : les deux se sont exécutés dans la foulée].

Les actions du président seront beaucoup plus éloquentes que ses paroles. Pour l’instant, il est important que les personnes corrompues soient immédiatement exclues du gouvernement. Ensuite, le Nabu et le Sapo doivent pouvoir poursuivre leur travail en toute indépendance sans intervention du bureau du procureur général, des services de sécurité ou du Bureau national des enquêtes. Cette pression doit cesser. Un détective du Nabu, Ruslan Mahamedrasulov, se trouve actuellement en détention. Or, Ruslan a joué un rôle important dans la collecte des preuves dans cette affaire. Notre organisation suit cette enquête de très près et nous considérons que le dossier contre lui est monté de toutes pièces, afin d’exercer une pression sur le Nabu.

Existe-t-il des cas avérés de corruption au sein des deux structures chargées de lutter contre la corruption ?

Il y a eu quelques problèmes mineurs et des scandales par le passé, mais ils concernaient, comme dans toute institution, quelques personnes mal intentionnées. Mais dans l’ensemble, ces institutions sont indépendantes et essaient de faire leur travail. Depuis leur création, elles ont été soumises à une pression énorme, tant sous la présidence de Porochenko que sous celle de Zelensky, ce qui signifie qu’elles font l’objet d’une surveillance très étroite.

Ce n’est pas le premier scandale de corruption sous la présidence de Zelensky. Comment l’expliquez-vous ?

Malheureusement, Zelensky et son entourage n’ont pas pris les mesures nécessaires. Bien sûr, ils sont sensibles à l’opinion publique. Ils constatent que le public est très en colère et frustré par des scandales comme celui-ci, ils réagissent au mécontentement de la société, mais malheureusement, il n’y a pas de politique proactive de tolérance zéro envers la corruption.

Avez-vous observé l’émergence de nouvelles méthodes de corruption depuis le début de l’invasion à grande échelle par la Russie ?

L’un des principaux objectifs de notre lutte contre la corruption entre 2014 et 2022 a été de divulguer autant d’informations possibles au grand public : les registres fonciers, de véhicules, les cadastres, les bénéficiaires effectifs des entités privées, les déclarations électroniques de patrimoine des fonctionnaires, etc.

Bien sûr, la loi martiale ne permet pas le même niveau de transparence. Et une grande partie des activités liées à la sécurité nationale sont dissimulées pour se protéger des intrusions de l’ennemi. Mais cela limite considérablement la capacité de la société ukrainienne à surveiller les acteurs politiques et les autorités ukrainiennes. Et cela a contribué à la mise en place de nouveaux mécanismes, car la corruption déteste la transparence.

Nous avons évoqué l’érosion de la confiance nationale à la suite de ces scandales. Quid de celle des partenaires internationaux et des bailleurs de fonds ?

Bien sûr, tout scandale de ce genre porte un sérieux coup à cette confiance. Le monde libre soutient l’Ukraine car il considère que ce pays est une petite démocratie qui se défend contre un grand État autocratique.

J’insiste toujours sur le fait que les premiers à défendre les institutions anticorruption et à exiger des réformes sont les Ukrainiens eux-mêmes. Il suffit de regarder les sondages : depuis 2014, la majorité des gens considère la lutte contre la corruption comme une priorité absolue. Avant 2022, elle était la première. Depuis 2022, elle vient en deuxième position après la guerre avec la Russie. Cet appétit de justice vient de la société ukrainienne, pas de Bruxelles ! Il est important d’expliquer à vos sociétés que nous, en tant que société ukrainienne, sommes votre meilleur allié et votre meilleure garantie pour veiller à ce que chaque dollar, chaque euro, mais aussi chaque hryvnia provenant des contribuables ukrainiens soient utilisés avec la plus grande efficacité. Il y va de notre survie.

Vous travaillez depuis des années sur les réformes anticorruption. Selon vous, quels sont les principaux obstacles structurels qui empêchent encore l’Ukraine d’avancer sur ce sujet ?

La priorité est la réforme du système judiciaire. Nous avons essayé à plusieurs reprises, mais les premières tentatives ont complètement échoué, car le système est très compliqué et les juges corrompus se protègent entre eux. Assainir les tribunaux prendra du temps. Mais le système judiciaire est la mère de tous les maux. Sans cette réforme, nous construisons des châteaux sur du sable, qui s’effondreront.

Là encore, pensez-vous qu’il y ait une volonté politique suffisante pour y parvenir ?

La société ukrainienne manifeste clairement une forte volonté et l’Union européenne dispose d’excellents outils pour traduire cette aspiration de la société ukrainienne en décisions politiques, dans le cadre du processus d’adhésion à l’UE. Je pense en particulier aux groupes de travail sur les "fondamentaux". Il existe également des critères de référence que l’Ukraine doit mettre en œuvre. Ces outils sont des incitations extrêmement efficaces.

Par ailleurs, j’espère que l’Union européenne acceptera d’accorder un prêt de réparation à l’Ukraine et là, elle a un moyen de pression sur le gouvernement ukrainien : Bruxelles doit conditionner ce prêt à des réformes. Dans ce cas, l’Union européenne sera très utile pour susciter la volonté politique au niveau national nécessaire pour mener à bien ces réformes.

© afp.com/Handout

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky assistant à une cérémonie marquant la Journée des défenseurs, une fête rendant hommage aux anciens combattants et aux membres tombés au combat des Forces armées ukrainiennes, à Kiev, le 1er octobre 2025

Ils vivent en Russie et résistent à Vladimir Poutine : leurs témoignages exceptionnels

12 novembre 2025 à 18:00

Ils s’appellent Sofia, Viktor, Lena et Pavel. Ou plutôt, nous les appellerons ainsi. Sofia travaille avec une association, bannie de Russie, qui lutte pour la mémoire des répressions soviétiques. Viktor, employé sur une base militaire, fait passer des informations à l’armée ukrainienne. Lena combat dans les rangs d’une unité de volontaires russes intégrée aux forces armées de Kiev. Pavel aide les réfugiés des régions russes touchées par la guerre, et en profite pour distiller des messages pacifistes.

Les contacter nous a pris plusieurs mois. Les conversations ont eu lieu par la messagerie cryptée Signal, plutôt que Telegram, soupçonnée d’être infiltrée par le FSB. Deux d’entre eux ont préféré garder éteinte leur caméra au moment de témoigner. Tous ont relu, avant publication, leurs interviews, pour s’assurer qu’il n’y restait aucune information risquant de les identifier formellement. Le risque qu’ils ont pris, en nous parlant, est considérable.

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine en février 2022, la répression est omniprésente en Russie. Sur les réseaux sociaux, la moindre publication critiquant "l’opération militaire spéciale" peut être signalée aux services spéciaux par un délateur anonyme et valoir des poursuites à son auteur. Entre 2022 et 2024, plus de 950 personnes (politiques, artistes, inconnus…) ont été visées par des enquêtes criminelles pour avoir protesté, d’une façon ou d’une autre, contre la guerre, selon le média en ligne russe Mediazona. Opposant de longue date, Ilya Yachine a été condamné à huit ans et demi de détention. Alexeï Gorinov, un député municipal à Moscou, à sept ans. Son crime : avoir suggéré, lors d’une session parlementaire, une minute de silence en mémoire des victimes civiles ukrainiennes. Respectivement dramaturge et metteuse en scène, Svetlana Petritchouk et Jenya Berkovitch ont écopé de six ans pour avoir écrit une pièce de théâtre jugée subversive. Parce que sa fille de 11 ans, Macha, a écrit "Non à la guerre" en classe, Alexeï Moskaliov a été emprisonné pendant deux ans et Macha placée en famille d’accueil. Et en février 2024, Alexeï Navalny, détenu depuis trois ans, est mort en prison, probablement assassiné.

En deux vagues successives, l’une au début de la guerre, l’autre durant la mobilisation, environ un million de Russes ont fui le pays. Ceux qui restent sont soumis à une propagande permanente qui voudrait faire croire que toute la Russie est unie derrière son président pour anéantir l’Ukraine et faire la guerre à l’Occident. C’est faux. Des signes – discrets - montrent le contraire. Ce sont des rubans verts, couleur du mouvement antiguerre, noués sur des bancs publics. Des juristes qui aident bénévolement les jeunes hommes à échapper au service militaire ou à la mobilisation. Des artistes qui montent dans des caves des spectacles interdits. Des fonctionnaires qui glissent, dans la programmation d’un festival de cinéma, des films au double sens pacifiste. Des historiens qui persistent à faire vivre des monuments et des cérémonies aux victimes des répressions soviétiques.

Combien sont-ils ? Difficile à dire. "Les sondages établissent qu’il y a entre 12 et 15 % de radicaux anti-Poutine et antiguerre, et autant de faucons à l’autre bout du spectre. Le reste, c’est le 'marais'", estime Alexeï Venediktov. Rédacteur en chef de la radio Echo de Moscou, l’un des tout premiers médias indépendants de la Russie post-soviétique, Venediktov a longtemps fait office de trait d’union entre l’opposition et les cercles du pouvoir, avec lesquels il garde des contacts privilégiés. Depuis avril 2022, il est classé "agent de l’étranger". Echo de Moscou a cessé d’émettre, mais Venediktov n’a pas quitté la Russie. "Si l’on demande aux Russes s’ils sont pour que Poutine signe un cessez-le-feu sans conditions, 75 % disent oui, poursuit-il. Mais si on leur demande si le Donbass doit être russe, ils sont aussi 75 % à approuver." Sa conclusion : "Il y a en Russie une majorité fluide, qui soutient la politique de Poutine, quelle qu’elle soit."

Alors à quoi bon résister, dans une société majoritairement résignée ? Face à cette question, nos interlocuteurs, sans s’être concertés, sont peu ou prou unanimes. Ils agissent parce qu’il le faut, parce que quelqu’un doit bien s’y mettre et qu’ils ont l’impression que le sort les a désignés. Leur horizon est le même : un effondrement du régime de Poutine, un retrait militaire d’Ukraine. Et ensuite, une Russie démocratique, libérée du poids de son passé par un douloureux, mais nécessaire, examen de conscience historique. La verront-ils advenir ? Aucun d’entre eux ne semble y croire. Leur but est plus modeste : garder vivante l’idée d’une Russie meilleure.

Alors qu’en Russie, les opposants à la guerre, souvent confrontés à l’hostilité de leurs proches, en sont réduits à garder le silence et à rester isolés, ce genre d’action "peut donner de l’espoir, formule Alexeï Venediktov. Ces gens doivent savoir qu’ils ne sont pas seuls, que beaucoup pensent comme eux. On ne peut pas laisser le peuple seul face à la propagande qui les empoisonne. On ne peut pas les guérir maintenant, mais on peut au moins enrayer la progression du poison. Et après la guerre, il faudra soigner les âmes."

Viktor, espion dans une base militaire

Pas de caméra, pas d’appel depuis son domicile mais depuis une chambre d’hôtel anonyme, au gré d’un déplacement… Viktor a les codes et les réflexes de la clandestinité. A l’été 2022, révulsé par les tueries de Boutcha, ce jeune homme, employé sur une base militaire russe, s’est mis à la disposition de la légion "Liberté de la Russie", une unité formée de volontaires russes anti-Poutine engagés dans les forces armées ukrainiennes. Pour des raisons de sécurité, il ne donnera pas d’informations précises sur ses "actes de guerre", mais il nous confie son histoire. Et ses espoirs.

"Je vis dans une ville russe, près de la frontière avec l’Ukraine, où se trouve un aérodrome militaire. C’est là que je travaille. La guerre, je l’ai vue arriver avant tout le monde. Je voyais que l’on préparait les bombardiers, mais je n’y ai pas cru. Dans les premières semaines de combat, je n’ai pas du tout pensé aux Ukrainiens. Je suis russe, je suis patriote, je me disais qu’au fond, on était là-bas pour les aider… En avril 2022, j’ai découvert les photos de Boutcha. En voyant ces corps, cette photo de Zelensky en larmes, j’ai réalisé que je m’étais trompé. Et je ne suis pas le seul dans ce cas. On n’entend pas la voix de ceux qui ne sont pas d’accord, ceux qui sont contre les décisions du pouvoir. On s’imagine que la population russe est entièrement pour la guerre, mais ce n’est pas vrai, il y a beaucoup de gens qui pensent par eux-mêmes, des gens qui connaissent la vérité sur Boutcha et le reste. Seulement, ils sont terrifiés de parler, et si quelqu’un ose le faire, ça ne dure jamais très longtemps.

Après le 24 février, l’Etat a tout de suite resserré les boulons. J’étais au travail à cette époque-là, on ne nous a pas laissés rentrer chez nous pendant trois semaines. Ça grouillait d’agents du FSB. C’était terrifiant.

Je sais ce que je risque. Parler avec vous, c'est l'article 275 du Code pénal. Quinze ans de camp

J’ai d’abord cherché à foutre le camp. Je ne voulais plus vivre en Russie. Puis j’ai entendu parler de la légion 'Liberté de la Russie'. J’ai alors compris que je ne pouvais pas me contenter de ne pas être complice, que je devais me battre maintenant, pour ne pas me sentir étranger dans mon propre pays pour le restant de mes jours, pour que mes enfants n’aient pas à s’enfuir plus tard. Et j’ai décidé de rejoindre la lutte armée. J’ai pris le risque de contacter la légion. Pour moi, c’était la possibilité de partir, d’être entraîné, d’avoir une arme et de me battre avec des camarades. Il n’y avait que des avantages… à part le risque d’être tué, mais quand on travaille dans un aéroport militaire en Russie, ce risque existe aussi.

Mais César [NDLR : nom de guerre de Maximilian Andronnikov, chef de la légion "Liberté de la Russie"] m’a convaincu que je serais plus utile ici. Alors je suis resté. Je fais passer des informations à la légion. Parfois, je transmets un message, un colis… Oui, c’est risqué. Mais d’un autre côté, faire l’espion clandestin, ça me semblait moins dangereux que de sortir dans les rues pour crier que Poutine est un fils de p***. Avant l’invasion, on pouvait parler de politique dans sa cuisine ou au café. Depuis, tout a changé.

Aujourd’hui, tout le monde a peur de parler. Moi aussi, d’ailleurs. Je ne sais pas qui, parmi mes proches, soutient la démocratie, et qui a décidé que tout cela ne le regarde pas. Et je ne peux rien leur dire de mon activité, c’est la règle n°1 du partisan. Il ne faut jamais parler de ce que l’on fait, et surtout pas à ses amis ou à sa famille. Déjà, parce que si on m’arrête, tous ceux qui étaient au courant seront considérés comme des complices. Je ne voudrais pas que mes parents, mes amis, viennent me tenir compagnie en prison. Ensuite, parce que je ne peux pas savoir ce qu’il y a dans la tête de mon interlocuteur.

C’est comme dans un film, on est toujours au bord de la catastrophe. Pendant la première année, j’ai cru que ça me rendrait fou, j’ai pensé à prendre des médicaments. Puis j’ai adopté deux méthodes qui m’aident et font que je me sens bien aujourd’hui. D’abord, j’ai trouvé dans la légion des gens à qui parler. Nous discutons souvent. Et pour être honnête, c’est souvent moi qui me plains, et les autres qui m’écoutent. Partager mes difficultés, ça m’aide. Et puis, l’autre méthode, c’est que… la peur, l’angoisse, c’est épuisant. Au bout d’un moment, c’est comme si l’organisme décidait qu’il en avait assez d’avoir peur, on devient insensible et on fait juste son travail. Je sais que l’on peut m’arrêter demain et je sais ce que je risque. Tout le monde connaît l’article 275 du Code pénal. Haute trahison. Et je peux vous dire ça : parler avec vous, c’est l’article 275. Avoir demandé à rejoindre la légion, c’est 275. Et ne parlons même pas des informations que je fais passer ! Même si je me trouve un bon avocat, c’est quinze ans de camp à régime sévère. Et plus probablement vingt ou vingt-cinq. Je n’ai pas besoin d’en savoir plus. Pour quelqu’un qui, comme moi, a moins de 30 ans, c’est toute ma vie.

Mais de toute façon, les gens ne survivent pas jusqu’à la fin de leur sentence. Navalny a survécu combien ? Trois, quatre ans ? [NDLR : trente-sept mois] Je sais que si je suis arrêté, je ne sortirai jamais de prison. Vous connaissez les conditions de détention. On voit des vidéos dans lesquelles des détenus sont violés avec des manches à balai. Et pas juste le bout. C’est 30, 50 centimètres dans l’intestin, tous les organes sont détruits. Il y a même une vidéo dans laquelle des gardiens castrent un détenu. C’est horrifiant, mais c’est comme ça en Russie. Et je me bats pour que ça ne soit plus comme ça.

Il y a trois ans, on avait l’impression que la dynamique était bonne, qu’on y était presque et que le régime allait s’effondrer. Quand il y a eu la révolte de Prigojine [NDLR, l'ancien chef du groupe paramilitaire Wagner], qu’il a marché sur Moscou… Je détestais ce type, mais j’ai croisé les doigts, pas tant pour qu’il gagne, mais pour que Poutine perde. Ça n’a pas eu lieu. Et maintenant, je me dis que la victoire ne sera pas pour tout de suite. Un jour, j’ai lu cette phrase : 'Les idées les plus importantes, ce sont celles qui bénéficieront à nos petits-enfants.' Je ne sais pas comment finira cette guerre, mais je sais que je dois y participer.

Pour moi, la victoire, ce serait rétablir l’équilibre territorial, tel qu’il a été défini à l’effondrement de l’URSS. Et pas seulement en Ukraine, mais aussi en Géorgie, en Tchétchénie… Je souhaite le pire à Poutine, mais il existe aussi un "Poutine collectif" - son entourage, les services de sécurité, tous ceux qui soutiennent l’autoritarisme… Mais croyez-moi, les empires finissent toujours par tomber. Je crois en la lutte armée. La victoire, pour moi, c’est prendre le Kremlin, y hisser notre drapeau, puis réfléchir à la façon de dénazifier notre propre société. Que nous arrêtions de mépriser les Biélorusses, les Ukrainiens, les Kazakhs, les juifs… Que la Russie apprenne à respecter les autres peuples, les autres pays. Ça, ça serait la victoire. J’y crois, parce que j’ai déjà vu des résultats concrets de mon travail. Ce qui viendra après, c’est le peuple russe qui en décidera.

Aujourd’hui, beaucoup de mes amis ont quitté le pays, mais d’autres… Je ne dirais pas qu’ils sont de mauvaises personnes, ce sont juste des gens qui ont pris un mauvais tournant, qui ont cru à ce paternalisme, à la propagande, au mythe du leader fort, au fait que la population civile ukrainienne est constituée de fascistes bandéristes néonazis [NDLR : en référence à Stepan Bandera, un nationaliste ukrainien qui collabora avec l'Allemagne nazie] …

Ces gens-là ne se taisent pas, ils se réjouissent de tout ce qui se passe. Pour eux, tuer des gens, piller une maison, c’est une preuve de courage. Je les connais depuis l’enfance, et c’est un dilemme pour moi. Je tiens à ces gens, nous sommes du même sang, nous avons les mêmes souvenirs. Mais je n’imagine pas d’autre façon d’agir. Je ne vois pas de scénario réaliste dans lequel je discuterais avec eux et où, au lieu de m’agresser, ils essaieraient de me comprendre. C’est une impasse. Et si le seul moyen de sortir de cette impasse, c’est qu’ils meurent ou qu’ils soient blessés, ce que je n’espère pas… eh bien, ce sera très dommage, mais ce sera comme ça."

Lena, combattante aux côtés des Ukrainiens

De longs cheveux blonds traversés d’une mèche teinte en violet, les traits creusés. "Zirka", son nom de guerre, signifie "étoile" en ukrainien. Mais elle est bel et bien russe, engagée comme aide-soignante dans la légion "Liberté de la Russie", une unité formée de volontaires russes qui combat aux côtés des forces de Kiev. Parfaitement francophone, elle vivait à Paris quand la guerre a éclaté. Deux ans plus tard, après un long cheminement personnel et un recrutement exigeant, la voilà sur le front.

"J’ai fait mes études supérieures à Paris et j’y suis devenue brodeuse d’art. Je travaillais pour des maisons de haute couture et je voulais créer mon propre atelier. Souvent, je travaillais avec des collègues ukrainiens. Le matin du 24 février, j’ai vu les nouvelles, les messages des amis, de la famille éloignée en Ukraine, qui m’écrivaient 'C’est la guerre, on est bombardés'. Je n’y croyais pas. Qui va attaquer un pays moderne, européen, pour rien du tout ?

Je ne tire pas sur des Russes, mais sur des voleurs, des violeurs, des assassins

Mais le pire, c’était la réaction des Russes. Le rejet massif de la réalité, du fait que la Russie était en train d’attaquer l’Ukraine, tous ces gens qui disaient 'C’est faux, ce sont des vidéos truquées' ou qui disaient que les Ukrainiens étaient responsables de tout ce qui se passait. C’était dingue. Pour moi, c’était même plus choquant que de voir les villes ukrainiennes bombardées. Et cette vague de fascisme russe, de 'ruscisme', a commencé, du jour au lendemain, à engloutir la plupart de mes connaissances. J’étais bouleversée. Je parlais de la guerre à tout le monde, tout le temps. A l’époque, on croyait que c’était possible d’expliquer la situation aux Russes, qu’ils allaient se soulever et arrêter Poutine. Quand j’y repense, je trouve ça drôle et triste en même temps. J’ai montré sur les réseaux sociaux mon passeport russe, j’ai dit que j’avais visité l’Ukraine, que je n’avais jamais eu de problème, que les russophones ukrainiens n’étaient pas opprimés ou malheureux. Parmi toutes mes connaissances, une personne m’a écrit pour me soutenir. Une seule, sur les milliers de followers que j’avais. Par contre, j’ai reçu beaucoup d’insultes.

Très vite, j’ai eu envie de partir combattre en Ukraine. Je suis une personne qui préfère agir qu’attendre. J’ai zéro patience, je m’épanouis dans l’action. Mais en même temps, j’avais 38 ans. Je suis une femme, pas très sportive. Je n’avais aucune expérience militaire. Je pensais que je serais complètement inutile. Je me disais : il leur faut des tireurs, des électriciens, des médecins… mais pas moi, avec mon fil et mes aiguilles. Une collègue ukrainienne, qui habitait à Kiev, m’a alors confié ses enfants à Paris, une fille de 15 ans et deux petits de 6 et 8 ans, pendant que son mari était au front. Ça m’a apaisée, je me sentais utile. Et puis la guerre s’est installée et les gens, à Kiev, ont appris à vivre avec.

Les enfants sont rentrés chez eux. De nouveau, j’ai eu envie de partir. J’ai rédigé une liste recensant tout ce que je pouvais faire d’utile et, en février 2023, j’ai écrit à l’armée ukrainienne. Ils m’ont répondu qu’ils n’étaient pas intéressés par mon passeport russe, mais ils m’ont parlé de la légion "Liberté de la Russie". C’était en concordance avec ce que je veux, une Russie paisible, une Russie où les gens vivent bien, parce que les gens qui vivent bien n’attaquent pas d’autres pays. J’avais peur de ne pas être acceptée, alors j’ai décidé de me préparer.

J’ai pris six mois pour m’entraîner, j’ai appris les premiers secours avec les sapeurs-pompiers français, je suis partie aux Etats-Unis, j’ai appris à piloter des drones et, finalement, j’ai envoyé ma candidature. Six mois plus tard, j’ai rejoint la légion, en tant qu'aide-soignante militaire. C’est un processus très long pour éviter que la légion ne se fasse infiltrer par des agents du FSB. Nous sommes désignés comme une organisation terroriste en Russie. On nous considère comme des traîtres. Mais c’est notre pays qui nous a trahis.

Ça ne me dérange pas de tirer sur des Russes [NDLR : sur le front ukrainien, les aide-soignants peuvent être armés]. Ce n’est pas une question de nationalité, c’est une question de choix individuel. Si quelqu’un tire sur votre enfant, vous allez lui tirer dessus. Les voleurs, les tueurs, les malfaiteurs, on les met en prison. C’est la même chose. Je ne tire pas sur des compatriotes, mais sur des voleurs, des assassins de gens sans défense, des violeurs d’enfants. Je discute souvent avec des prisonniers russes. Ils disent toujours 'on n’avait pas le choix'. Mais on a toujours le choix. Ils pouvaient s’enfuir du bus qui les emmenait à la caserne, personne ne les aurait rattrapés. Ils pouvaient partir à l’étranger, ils pouvaient refuser de servir, ils pouvaient choisir d’aller en prison. Ils sont restés dans leur bus comme des moutons, c’est leur choix. Et puis il y a l’argent. Les militaires russes sont très bien payés, ils sont très nombreux à n’être là que pour ça.

Les raids de la légion sur le territoire russe en 2023, ça donnait de l’espoir. L’espoir, il faut l’alimenter régulièrement, sinon on le perd. Quand je suis partie rejoindre la légion, c’était le moment où la motivation baissait, la victoire s’éloignait. Je me suis dit 'c’est le moment d’y aller, le moment le plus difficile'. Il faut des nouvelles personnes pour remplacer les pertes. C’était horrible pour ma mère. Moi, je me disais 'on verra'. De toute façon, après avoir gagné en Ukraine, il faudra gagner en Russie. La victoire de l’Ukraine sera un grand pas vers la libération de la Russie. Il faut la libérer de ce gouvernement fasciste. Chaque année de guerre enfonce la Russie dans un abîme de détresse économique et culturelle. Le dernier espoir que l’on a eu, c’est la contre-offensive de l’été 2023, qui a complètement échoué.

Aujourd’hui, on continue à se battre parce qu’il faut continuer. Mais quand on me demande quand ça finira, je réponds 'jamais'. Cette guerre ne finira jamais. Ou alors il faut des sanctions, que le monde entier s’oppose à la Russie. Le régime ne s’effondrera pas tout seul. Ou peut-être qu’il y aura un miracle : il va quand même crever un jour, ce Poutine ! Mais une révolte de l’intérieur, il n’y en aura que si son armée est vaincue. Les gens sont terrifiés, là-bas. Tous ceux qui avaient du courage sont en prison, morts ou partis à l’étranger.

Moi, je combattrai jusqu’à ce que je sois tuée. C’est tout à fait possible, je l’envisage assez calmement. Mourir un jour, ça fait partie de notre métier. Donc, ça se passera comme ça, sauf si un jour je sens que j’ai donné assez longtemps de ma vie à cette cause et qu’il est temps de passer à autre chose. J’ai décidé de servir au moins trois ans. Evidemment, le rêve, ce serait la victoire. J’en ai les larmes aux yeux rien que d’y penser. Que les soldats russes partent d’Ukraine, d’abord. Et ensuite, avoir la certitude que la Russie n’attaquera plus jamais personne. Plus de Poutine, la Russie reconnaît ses crimes, paie des réparations, démolit le mausolée de Lénine et construit à la place une stèle à la mémoire de tous ceux qui ont été tués, pour que la Russie se souvienne toujours de ce qu’elle a fait."

Sofia, opposante clandestine à Vladimir Poutine

Elle a préféré ne pas allumer sa caméra, mais on devine son sourire quand elle parle de l’association consacrée à la mémoire des répressions soviétiques et à la défense des droits de l’homme qu’elle a rejointe en 2021. Peu de temps après, celle-ci était interdite en Russie et forcée à la clandestinité.

"J’ai grandi à l’époque des grandes manifestations contre Poutine [NDLR : entre les élections législatives contestées de 2011 et l’arrestation d’Alexeï Navalny en 2021]. Pour quelqu’un comme moi, c’était difficile de ne pas devenir activiste !

Si tout le monde s'en va, qui va agir ici ?

Et puis il y a eu le 24 février 2022. Je m’étais réveillée très tôt, à 6 heures. J’étais sortie dans la rue fumer une cigarette, et c’est la concierge qui me l’a dit : 'Ça y est, c’est la guerre.' Là, j’ai pleuré pendant deux heures, puis je suis allée manifester. J’ai collé des affiches antiguerre dans la ville, j’en ai mis une sur le tableau d’affichage de mon immeuble. Elle a tenu quatre jours. On l’a remis. Et comme ça 5-6 fois de suite. J’ai pensé à quitter le pays, puis je me suis dit : 'C'est important de continuer de protester depuis la Russie. Si tout le monde s’en va, qui va agir ici ?'

J’organise des envois de lettres aux prisonniers politiques, je cherche des personnes prêtes à travailler avec nous, et je fais de l’activisme mémoriel. Cela consiste à afficher la mémoire dans la rue : des projets comme 'Dernière adresse' [NDLR : des plaques apposées sur la dernière adresse connue des personnes déportées pendant les répressions staliniennes] ou 'Retour des noms' [des lectures publiques des noms des personnes fusillées]. C’est, aussi, porter des fleurs à la Pierre des Solovki [NDLR : un monument aux victimes des répressions, situé en face du quartier général du FSB, ex-KGB], restaurer un monument ou écrire des slogans à la craie dans la rue, coller des affiches… Bref, c’est concevoir la mémoire comme une résistance. Quand les autorités font retirer les plaques 'Dernière adresse' dans les villes de Russie et qu’ensuite, on les remet en place… ça dit quelque chose de la société civile.

Le passé est lié au présent, surtout de nos jours. Des répressions ont eu lieu dans le passé, elles existent toujours – certes, sous des formes différentes, nous ne vivons pas sous la Grande terreur, mais il y a un lien. Aujourd’hui, l’Etat voudrait que le passé soit invisible, que l’on oublie les millions de personnes qui ont été tuées. Ils voudraient dire que nous sommes le camp du bien, que ce qui se passe en Ukraine n’est pas une guerre, mais une opération militaire spéciale, tout comme les répressions n’étaient pas des répressions, mais juste des procès avec quelques excès… Mais ce passé ne s’en ira pas. On ne peut pas s’en détourner. C’est celui de mon pays, qui a fait des choses affreuses et continue d’en faire. Si l’on ne s’en souvient pas, on ne peut pas avancer. Les crimes de l’Etat n’ont pas de prescription. C’est à ça que sert l’activisme mémoriel.

"Non à la guerre"

Bien sûr, parfois j’ai peur. Je ne fais rien d’illégal, mais c’est tout de même compliqué [NDLR : plusieurs Russes ont été condamnés à des peines de prison pour avoir diffusé des messages antiguerres]. Qu’est-ce qu’on peut y faire ? Parce que j’ai peur, je devrais rester à ne rien faire ? Je ne veux pas. Je ne peux pas. Bien sûr, il y a un risque de se faire arrêter. C’est complètement aléatoire, ça peut tomber demain sur moi ou sur quelqu’un d’autre.

J’ai vécu toute ma vie sous Poutine. Je ne me suis jamais fait d’illusions sur la fragilité du régime. Mais je crois que la valeur de cette résistance est dans sa constance. On ne peut pas se permettre de baisser les bras, de dire 'bon, on a essayé, ça n’a pas marché, tant pis, on laisse tomber'. Notre Etat tue tous les jours. Et s’il est peu probable qu’il s’effondre bientôt, il vaut mieux faire quelque chose que ne rien faire du tout. La protestation peut prendre beaucoup de formes, et chacune d’elles est importante, car elles composent un tableau d’ensemble. Je ne sais pas si ce que je fais servira un jour à quelque chose. Je ne peux qu’espérer et continuer. Dans ma famille, tout le monde sait ce que je fais. Ils ne soutiennent pas la guerre, mais ils ne sont pas non plus opposants. Ils se mettent en retrait, ne veulent rien faire. Dès qu’on en discute, on finit toujours par se disputer. Mais j’ai de la chance : j’ai des amis, un copain, tous sont dans le même bateau que moi. Sans ça, ce serait beaucoup plus difficile.

Je ne sais pas ce qui devrait se passer pour que j’arrête. Même si le régime s’effondrait demain, il resterait beaucoup à faire. Déjà, il faut bien comprendre qu’il ne peut pas y avoir de happy end. C’est déjà trop tard, il y a eu trop de morts et de destruction pour qu’un jour on puisse se dire 'tout ça s’est bien fini'.

Je n’ai que 24 ans, mais je sens que j’ai une part de responsabilité dans tout ça. Ce sera un processus très long pour que la Russie reconnaisse les crimes d’Etat et les crimes de guerre, et que tous les coupables jugés. J’espère qu’un jour, nous le mènerons à bien."

Pavel, le militant qui aide les réfugiés russes au nom de la paix

Le 6 août 2024, prenant les Russes par surprise, l’armée ukrainienne perce leurs maigres défenses et déferle sur les régions de Koursk et Belgorod, occupant plusieurs villes et jetant sur les routes des milliers de fuyards. Pour la première fois depuis le début du conflit, le territoire national russe est occupé. Les administrations locales s’avèrent incapables d’aider les réfugiés - comme le Kremlin. Ce sont des bénévoles locaux qui prennent le relais. Pour certains d’entre eux, c’est l’occasion de faire passer, dans les colis de nourriture, des messages antiguerre. Parmi eux, Pavel.

"J’ai toujours été actif en politique. Avant la guerre, j’avais un projet sur la mémoire des victimes des répressions. Je tenais aussi des blogs d’actualité et de politique. Quand l’invasion a commencé, j’ai réalisé que je devais faire absolument tout mon possible pour expliquer la réalité aux gens. Le 6 août 2024, je suis allé, avec quelques camarades, au point d’accueil qui avait été désigné pour les réfugiés. Il y avait des centaines de personnes, totalement démunies, les autorités locales étaient absentes. J’ai contacté des activistes de Moscou, nous avons trouvé un entrepôt, organisé des collectes et des livraisons… Nous avons aussi aidé des personnes à se reloger, d’autres à s’installer ailleurs. C’est en aidant les gens que l’on peut faire de la politique. S’il n’y a que Russie unie [NDLR : le parti de Vladimir Poutine] qui les aide, ils ne vont même pas se poser de questions. Nous, nous leur disons : 'Nous vous aidons parce que nous sommes pour la paix'. Ils voient qu’il existe une alternative à cette guerre qui vient de détruire leurs maisons.

Aujourd’hui, en Russie, on ne peut plus participer à la vie politique, mais on peut développer une société civile. Pourquoi l’ancien gouverneur de Koursk a-t-il perdu son poste ? Parce que les habitants, qui avaient perdu leurs maisons, leurs proches, leur vie d’avant, sont sortis manifester. Le pouvoir a dû réagir. C’est la force de la société civile. Maintenant, nous devons la faire évoluer, comme d’autres l’ont fait avant nous. C’est une course de relais. Si on ne le fait pas, personne le fera, et tout s’arrêtera. Bien sûr, il ne faut pas attendre de résultats immédiats, c’est un processus, il n’est jamais achevé, mais il donne des résultats, même dans une société aussi monolithique que la Russie. De fait, de plus en plus de gens voudraient la paix.

Si j’avais voulu quitter le pays après le début de l’invasion, j’aurais pu le faire. Certains de mes proches l’ont fait. Si l’on place sa sécurité et son confort personnel au premier plan, on peut toujours partir. Mais j’ai d’autres objectifs. Imaginez que vous voyez une petite fille qui va mourir si elle ne reçoit pas ses médicaments, que ferez-vous ? On peut rester bien au chaud ou les aider. J’ai choisi d’aider, ce qui m’amène à travailler avec des opposants. Car personne, à part eux, ne le fait. Il y a des 'agents de l’étranger' parmi nous, et alors ? [NDLR : La loi russe exige que quiconque reçoit un "soutien" ou est sous "l’influence" de l’extérieur de la Russie doit s’enregistrer comme "agent de l’étranger"].

C'est en aidant les gens que l'on peut faire de la politique

Si l’on ne pense qu’aux risques, on peut tout arrêter. Je ne fais rien d’incroyable, ce n’est que du bénévolat. S’il m’arrive de me décourager, je pense à ceux dont la situation est pire que la mienne. Des gens ont souffert, des gens sont morts, des gens se sont fait tirer dans le dos dans le centre-ville de Moscou. Si ça ne t’arrive pas, tu as déjà plus de chance qu’eux. Moi, je continuerai quoi qu’il arrive, je ne peux pas m’arrêter. Il faut continuer de distribuer de l’aide humanitaire, il faut que les réfugiés puissent rentrer chez eux, qu’ils soient indemnisés et, surtout, qu’ils comprennent une chose : pour que cette situation ne se reproduise plus jamais, ils doivent être des citoyens actifs, connaître leurs droits, savoir les défendre et exiger qu’on les respecte.

Même si tout s’effondre, il ne faut jamais renoncer à ses droits. Et même si tout semble sombre, il y a une raison objective d’espérer. En URSS, tout paraissait perdu jusqu’à ce que le régime s’effondre. Et puis, regardez l’autre camp, ceux qui soutiennent la guerre, les hauts fonctionnaires d’Etat. Vous voyez bien qu’ils ne vont pas mieux que nous. Comment peut-on faire une carrière de haut fonctionnaire et finir par se tirer une balle dans la tête dans sa voiture de luxe ? [NDLR : en juillet dernier, Roman Starovoït, ministre des Transports et ancien gouverneur de la région de Koursk, a été retrouvé mort, probablement suicidé, dans la banlieue de Moscou].

Le changement finit toujours par arriver, sinon nous vivrions toujours dans des cavernes… Notre objectif est d’y préparer la société, pour qu’elle soit capable, quand le moment viendra, de prendre son avenir en main. Rappelez-moi dans vingt ans et vous verrez, nous y serons. Je vous le garantis à 100 % !"

© AFP

Une femme portant un masque arborant le logo de l'organisation russe de défense des droits humains Memorial, photographiée devant le tribunal municipal de Moscou le 23 novembre 2021 (Photo d'illustration)

Boualem Sansal : derrière la grâce de l'Algérie, la main de l'Allemagne

12 novembre 2025 à 17:31

C’est la fin d’une année d’enfermement pour Boualem Sansal, l’écrivain franco-algérien actuellement emprisonné en Algérie. Mercredi 12 novembre, Alger a fait savoir que le président Abdelmadjid Tebboune avait accordé la grâce à Boualem Sansal pour des raisons de santé. L’écrivain va être transféré en Allemagne pour des soins médicaux - le résultat d’efforts diplomatiques coordonnés entre Paris et Berlin.

Cette demande de grâce, formulée par le président allemand Frank-Walter Steinmeier, "a retenu [l']attention [du président Tebboune] en raison de sa nature et de ses motifs humanitaires", a ajouté la présidence algérienne, en précisant que "l’Etat allemand prendra en charge le transfert et le traitement" de l’écrivain de 81 ans, souffrant d’un cancer de la prostate.

S’exprimant à l’Assemblée, le premier ministre français Sébastien Lecornu a exprimé son "soulagement à l’annonce des autorités algériennes, d’avoir gracié Boualem Sansal", condamné à cinq ans de prison. Figure critique du régime, il était accusé par l’Algérie d'"atteinte à l’unité nationale". En cause, des propos tenus dans le média d’extrême droite français Frontières en octobre 2024, où il estimait que sous la colonisation française, l’Algérie avait hérité de régions appartenant précédemment, selon lui, au Maroc.

Brouille entre la France et l’Algérie

Son incarcération, le 16 novembre 2024 en Algérie, avait envenimé les tensions diplomatiques entre Paris et Alger, déclenchées par la reconnaissance par la France d’un plan d’autonomie "sous souveraineté marocaine" pour le Sahara occidental. Ce territoire, considéré comme "non autonome" par les Nations unies, est l’objet d’un conflit depuis 50 ans entre le Maroc et les indépendantistes du Polisario, soutenus par Alger.

La France, dont les relations avec son ex-colonie sont au plus bas, réclamait depuis sa libération, en vain. L’Allemagne et l’Italie étaient, quant à elles, considérées comme des médiatrices qui travaillaient en coulisses en faveur de l’écrivain, de concert avec Paris. C’est finalement Berlin qui a eu gain de cause. Un reflet "des bonnes relations [entre l’Allemagne et l’Algérie]" et d’une "relation personnelle de longue date" entre Frank-Walter Steinmeier et Abdelmadjid Tebboune, a-t-elle rappelé dans sa requête. Ce dernier a été soigné en Allemagne lors de séjours d’un total de trois mois, après avoir contracté le Covid entre fin 2020 et début 2021.

Un acteur neutre

Dans une longue interview accordée en septembre dernier, le président algérien avait également évoqué la possibilité de se rendre en Allemagne d’ici le début de l’année 2026 - une rencontre "qui ne saurait être assombrie par le cas Boualem Sansal", analysent nos confrères du Figaro. De même que la visite envisagée par le pape Léon XIV en Algérie, à laquelle la présidence travaille.

Finalement, le dossier devenait de plus en plus compromettant pour Alger, qui s’exposait au risque que ce dissident politique ne décède dans ses prisons, en raison de son état de santé. L’intervention d’un pays tiers, avec une position plus neutre, s’est révélée salutaire dans un conflit dans lequel sont embourbés Paris et Alger - sans parvenir à faire un pas l’un vers l’autre, en raison de la pression médiatique autour du dossier. "Pour Abdelmadjid Tebboune, cette voie diplomatique n’est plus le résultat d’un bras de fer avec Paris, mais d’une médiation venue de Berlin. Autrement dit, le chef de l’Etat n’a pas cédé à la pression française", note Le Figaro.

Un geste qui pourrait permettre de réchauffer les relations entre Paris et Alger. Lundi, Nicolas Lerner, le patron de la DGSE a affirmé sur France Inter avoir "des signaux qui viennent de la partie algérienne sur la volonté de la reprise du dialogue". Une visite du ministre de l’Intérieur Laurent Nuñez pourrait avoir lieu en Algérie d’ici la fin de l’année.

Tradition humanitaire

Pour sa part, ce n’est pas la première fois que Berlin réussit ce genre de coup humanitaire. L’Allemagne a une longue tradition d’accueil de dissidents, despotes et dirigeants malades dans son hôpital de la Charité, l’un des plus réputés d’Europe. Il y a cinq ans, il avait accueilli l’opposant russe Alexeï Navalny, victime d’un empoisonnement. Et avant lui, l’ancienne Première ministre ukrainienne Ioulia Timochenko y avait été soignée pour des douleurs dorsales.

En juillet 2018, le pays avait aussi reçu la poétesse chinoise Liu Xia, veuve du Prix Nobel de la paix Liu Xiaobo, et placée sous résidence surveillée à Pékin. Et plus, trois opposants russes, Kara-Mourza, Ilia Iachine et Andreï Pivovarov, l’été dernier, dans le cadre d’un échange de prisonniers entre Moscou et l’Occident.

© afp.com/Joël SAGET

L'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, le 8 septembre 2015 à Paris

"Il savait à propos des filles" : de nouveaux emails relient Donald Trump à l’affaire Epstein

12 novembre 2025 à 16:32

Des emails, attribués au délinquant sexuel Jeffrey Epstein, mort en prison la même année, et rendus publics mercredi 12 novembre par des parlementaires démocrates, montrent que Donald Trump était au courant des crimes sexuels du financier new-yorkais.

"Trump a dit qu’il voulait que je renonce" à la carte de membre de Mar-a-Lago, la résidence de Floride du président américain, affirme Jeffrey Epstein dans un email de 2019, qui précise n’en avoir jamais été membre. Il ajoute : "Bien sûr, il savait à propos des filles, comme il a demandé à Ghislaine d’arrêter".

Ghislaine Maxwell, complice et ancienne compagne de Jeffrey Epstein, purge actuellement une peine de 20 ans de prison pour exploitation sexuelle. Le financier new-yorkais avait lui été retrouvé mort en 2019 dans sa cellule, d’un suicide selon les autorités, avant son procès pour crimes sexuels. Le président américain a toujours démenti avoir connaissance du comportement criminel de celui avec qui il fut proche de nombreuses années avant de se brouiller dans les années 2000, affirmant que leur dispute avait eu lieu des années avant que ces crimes n’éclatent au grand jour.

Donald Trump "a passé plusieurs heures" avec une victime du financier

Dans un autre email, publié sur X par les membres démocrates d’une influente commission à la Chambre des représentants, Jeffrey Epstein affirme que Donald Trump "a passé plusieurs heures" avec une victime du financier au domicile de ce dernier. Ces emails, obtenus par le biais des légataires de Jeffrey Epstein, "soulèvent de graves questions sur Donald Trump et ce qu’il connaissait des crimes horribles d’Epstein", affirment les élus démocrates.

L’affaire Epstein enflamme les Etats-Unis depuis que le gouvernement de Donald Trump a annoncé début juillet n’avoir découvert aucun élément nouveau justifiant la publication de documents supplémentaires dans ce dossier.

Une lettre de Donald Trump aux tonalités lubriques

Sa mort par suicide a alimenté d’innombrables théories du complot, selon lesquelles il aurait été assassiné pour l’empêcher d’impliquer des personnalités de premier plan. Après avoir promis à ses partisans pendant sa campagne présidentielle des révélations fracassantes, Donald Trump tente aujourd’hui d’éteindre la polémique, qu’il a qualifiée à plusieurs reprises de "canular" monté par l’opposition démocrate.

Figure comme Jeffrey Epstein de la jet-set new-yorkaise des années 1990-2000, Donald Trump a été proche du financier jusqu’au milieu des années 2000. Une lettre attribuée au milliardaire républicain à l’attention de Jeffrey Epstein pour son anniversaire en 2003 avait été rendue publique début septembre par les mêmes parlementaires démocrates.

La lettre aux tonalités lubriques, montre une esquisse de buste féminin avec des déclarations attribuées à tour de rôle à Jeffrey Epstein et à Donald Trump. La signature du futur président américain figure au pied de la note, à la place du pubis de la femme dessinée. La Maison-Blanche avait démenti que Donald Trump en ait été l’auteur.

© afp.com/SAUL LOEB

Le président américain Donald Trump lors d'une rencontre avec le Premier ministre australien Anthony Albanese à la Maison Blanche, le 20 octobre 2025 à Washington

"Un cheval de Troie du Kremlin" : ce voyage en Russie qui embarrasse l’extrême droite allemande

12 novembre 2025 à 13:46

L’extrême droite allemande se serait certainement bien passée de la publication de ses projets de voyage en Russie, alors même qu’elle est accusée par ses adversaires politiques d’espionnage au profit du Kremlin. Le 5 novembre dernier, pendant que le parlement allemand discutait des menaces que font peser les liens entre l’AfD (Alternative für Deutschland) et la Russie sur la sécurité de l’Allemagne, la presse allemande révélait l’intention de plusieurs élus de se rendre à Sotchi, ville de la mer Noire.

Le déplacement en question alimente désormais les fortes critiques de la part de toute la classe politique… et fait grincer des dents jusque dans les hautes sphères du parti d’extrême droite, puisque sa dirigeante, Alice Weidel, a désavoué les plans de ses députés.

Une rencontre prévue avec Dmitri Medvedev

Selon les préparatifs ébruités, au moins deux députés AfD devaient aller en Russie en marge d’une conférence des pays des Brics à partir du 13 novembre prochain. Ils avaient même prévu d’y rencontrer l’ancien président russe Dmitri Medvedev, connu pour tenir des discours particulièrement virulents à l’égard de l’Occident. L’entrevue n’a finalement pas été validée par le groupe parlementaire, révèle Die Zeit. Reste que la faction "soutient" le voyage "sur le principe" et est même allée jusqu’à le financer, avance l’hebdomadaire.

D’après des propos rapportés par la chaîne allemande ARD, le parti souhaitait avant tout "intensifier les contacts avec la Russie" en parallèle des relations avec les Etats-Unis. Pour l’un des deux députés, Steffen Kotré, les "intérêts allemands" seraient en jeu, notamment en ce qui concerne l’approvisionnement en énergie. Il est connu pour ses liens étroits avec la Russie, tout comme son collègue Rainer Rothfuß, l’autre élu concerné par le voyage. Ce dernier avait déjà rencontré Dmitri Medvedev l’année passée en Russie. Il avait profité de son voyage pour publier une vidéo controversée sur les réseaux sociaux où il se montrait en peignoir dans un sauna, s’extasiant devant un pays "vraiment fantastique".

"Encore ? Vous êtes sérieux ?"

Bien que visiblement validé en interne par le parti, le projet n’est pas du tout au goût de sa dirigeante. "Encore ? Vous êtes sérieux ?", aurait réagi Alice Weidel lorsqu’elle a été informée du voyage, rapporte l’ARD. "Pour être tout à fait claire, je ne comprends pas ce qu’on est censé faire là-bas", a-t-elle ensuite déclaré lors d’un point presse au Bundestag, critiquant une décision du groupe de travail sur les affaires étrangères. Avant d’annoncer : "Monsieur Rothfuß va rester ici". Il pourrait même être interdit de voyage par sa faction. L’AfD devrait prochainement réexaminer ses procédures d’autorisation des voyages de ses représentants à l’étranger, a affirmé Alice Weidel : "Nous ne pouvons pas continuer ainsi".

La désapprobation de la cheffe de file de l’AfD intervient alors que son parti est sous le feu des critiques pour ses liens avec la Russie de Vladimir Poutine. En octobre dernier, le parti a été accusé d’utiliser son droit parlementaire à poser des questions dans le but d’espionner l’Allemagne pour la Russie. Et ce, alors qu’il rattrape dans plusieurs sondages la CDU du chancelier Friedrich Merz. Concrètement, les élus AfD poseraient des questions "problématiques" dans les hémicycles fédéral et régional pour obtenir des informations sensibles. La Russie reste, malgré ses dénégations, accusée d’être à l’origine d’une campagne de désinformation et de sabotages en Allemagne et plus largement en Europe.

Un "cheval de Troie" au service de Moscou

Le 5 novembre dernier, les députés allemands ont donc consacré un débat à la question, à l’initiative des chrétiens-démocrates de la CDU et des sociaux-démocrates du SPD, membres de la coalition gouvernementale. Au cours des débats, divers élus ont accusé l’AfD d’être un "cheval de Troie au service des intérêts du Kremlin", posant une menace pour la sécurité et la démocratie allemandes.

Les parlementaires ont en outre accusé l’extrême droite d’abriter une "cellule dormante pro russe", alors que les questions parlementaires de l’AfD ciblent précisément les livraisons d’armes vers l’Ukraine, les centrales électriques, la production de drones ou encore les bases de la Bundeswehr. L’AfD, elle, a dénoncé une "manœuvre électorale". "Si c’était vrai, vous nous auriez emprisonnés depuis longtemps", a rétorqué le vice-président de la fraction parlementaire, Markus Frohnmaier.

En attendant, le voyage en Russie aura bien lieu, mais avec des règles strictes, raconte l’ARD : pas de publications sur les réseaux sociaux, ni de photos avec les politiques russes, ni d’interview avec les chaînes de télévision locales.

© afp.com/Lilith von Borstel

Alice Weidel, dirigeante de la formation d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) au Bundestag, a critiqué la décision de son parti d'approuver le voyage en Russie de deux députés.

Donald Trump a écrit au président israélien pour lui demander de gracier Benyamin Netanyahou

12 novembre 2025 à 12:35

Reçu à Paris pour la première fois depuis la reconnaissance de l’Etat palestinien par la France, Mahmoud Abbas a réaffirmé mardi 11 novembre aux côtés d’Emmanuel Macron sa volonté de tenir des élections à Gaza, "un an après le passage à la deuxième phase du cessez-le-feu" avec Israël. Les deux dirigeants ont également annoncé la création d’un "comité conjoint" franco-palestinien qui doit élaborer une Constitution pour l’Etat palestinien. Le président français a par ailleurs adressé plusieurs avertissements à Israël, prévenant que les projets d’annexion "partielle ou totale" de la Cisjordanie, y compris "de facto" par la colonisation, "constituent une ligne rouge".

Les infos à retenir

⇒ Donald Trump a écrit au président israélien pour lui demander de gracier Benyamin Netanyahou

⇒ Israël annonce l’ouverture permanente d’un point de passage de l’aide vers Gaza

⇒ Israël : le négociateur sur Gaza démissionne de son poste de ministre

Donald Trump a écrit au président israélien pour lui demander de gracier Benyamin Netanyahou

Le président américain Donald Trump a écrit à son homologue israélien, Isaac Herzog, pour lui demander d’accorder une grâce au Premier ministre Benyamin Netanyahou, poursuivi dans son pays pour corruption, a indiqué ce mercredi 12 novembre le bureau de la présidence.

Isaac Herzog a reçu "ce matin" une lettre "du président américain Donald Trump, l’invitant à envisager d’accorder une grâce" à Benyamin Netanyahou, détaille un communiqué du bureau présidentiel, qui précise que "toute personne souhaitant obtenir une grâce présidentielle doit présenter une demande officielle".

Benyamin Netanyahou est poursuivi dans son pays pour corruption et est régulièrement entendu dans le cadre d’au moins trois procédures judiciaires. Lors d’un discours au Parlement israélien le 13 octobre, Donald Trump avait déjà suggéré qu’une grâce lui soit accordée. "Monsieur le Président Herzog, écoutez le Président Trump", a écrit sur X le ministre d'extrême droite Itamar Ben Gvir, tout en accusant la justice israélienne d'être biaisée à l'égard de Benyamin Netanyahou.

Israël annonce l’ouverture permanente d’un point de passage de l’aide vers Gaza

Les autorités israéliennes ont annoncé mercredi l’ouverture permanente du point de passage de Zikim, au nord de la bande de Gaza, pour permettre l’entrée d’aide humanitaire internationale dans le territoire palestinien, ravagé par plus de deux ans de guerre. "Le point de passage de Zikim a été ouvert […] pour l’entrée de camions d’aide humanitaire" qui "sera acheminée par l'ONU et des organisations internationales après […] des inspections de sécurité approfondies", a écrit sur X le Cogat, l’organisme du ministère de la Défense israélien supervisant les activités civiles dans les Territoires palestiniens.

Interrogé par l’AFP, un porte-parole du Cogat a précisé que le passage de Zikim serait désormais ouvert "de manière permanente", comme celui de Kerem Shalom, au sud du territoire, par lequel la majeure partie de l’aide a été acheminée depuis le début de la guerre en octobre 2023.

Le poste de Zikim, situé à proximité de zones où la situation humanitaire est particulièrement critique en raison des opérations militaires qui y ont été conduites, avait auparavant été ouvert de manière ponctuelle, notamment pour acheminer l’aide du Programme alimentaire mondial (PAM). Il était fermé depuis le 12 septembre.

Israël : le négociateur sur Gaza démissionne de son poste de ministre

Le ministre israélien des Affaires stratégiques, Ron Dermer, qui est aussi le principal négociateur dans les pourparlers de trêve à Gaza, a annoncé sa démission de ses fonctions ministérielles, après le retour de la plupart des otages retenus dans le territoire palestinien.

Ron Dermer, proche conseiller du Premier ministre Benyamin Netanyahou, a participé aux négociations de plusieurs mois ayant abouti à la trêve dans la bande de Gaza, en vigueur depuis le 10 octobre. Il n’a pas indiqué dans sa lettre de démission s’il continuerait à piloter les pourparlers qui se poursuivent en vue d’une deuxième phase de l’accord de cessez-le-feu.

Benyamin Netanyahou a remercié Ron Dermer, qui détenait son portefeuille ministériel depuis 2022, pour sa "contribution exceptionnelle", l’assurant sur X qu’il a "encore beaucoup à apporter à l’avenir". Agé de 54 ans et né à Miami Beach, Ron Dermer avait été nommé en février par Benyamin Netanyahou pour diriger les pourparlers de trêve. Sa désignation avait suscité de vives critiques, en raison de son absence d’expérience militaire, et de sa maîtrise jugée limitée par certains de la langue et culture israéliennes.

Israël dit avoir arrêté des colons impliqués dans des violences en Cisjordanie

La police et l’armée israéliennes ont annoncé mardi que les forces de sécurité avaient arrêté plusieurs colons israéliens à la suite d’affrontements violents près de Tulkarem, en Cisjordanie occupée, au cours desquels des Palestiniens ont été blessés et des biens détruits.

L’armée a indiqué avoir envoyé des troupes après que "des civils israéliens masqués […] ont attaqué des Palestiniens et incendié des biens dans la région". Elle a ajouté que les forces de sécurité avaient dispersé les affrontements avec des moyens anti-émeutes et "appréhendé" plusieurs de ces "civils israéliens". Quatre Palestiniens blessés ont été évacués pour recevoir des soins, d’après la même source.

Hussein Hammadi, le maire du village de Beit Lid, a raconté à l’AFP qu’environ 200 colons israéliens étaient descendus des collines vers le village avant de se scinder en deux groupes, l’un ayant "attaqué" une communauté bédouine, l’autre s’étant dirigé vers une usine laitière. Le premier "a mis le feu à des véhicules, des enclos […], des maisons, et a tenté de voler des moutons avant de se diriger vers un autre campement bédouin", selon lui. Le second a "incendié cinq camions de l’entreprise et saccagé les installations".

© AFP

Donald Trump et Benyamin Netanyahou à la Knesset, le Parlement israélien, le 13 octobre 2025.

Ukraine : une nouvelle affaire de corruption secoue jusqu’au sommet de l’Etat

12 novembre 2025 à 11:06

C’est l’un des plus importants scandales de corruption au sein du pouvoir ukrainien depuis le début de l’invasion russe en février 2022. Le ministre de la Justice et ex-ministre de l’Énergie ukrainien Guerman Galouchtchenko a été suspendu mercredi 12 novembre, a annoncé la Première ministre ukrainienne, deux jours après que les instances anticorruption ukrainiennes ont annoncé avoir démantelé un système de corruption portant sur 100 millions de dollars de fonds détournés.

Ce système aurait été orchestré par un proche du président, Timour Minditch, copropriétaire de la société de production audiovisuelle Kvartal 95, fondée par Volodymyr Zelensky, qui était un humoriste vedette avant de se lancer en politique. "Timour Minditch exerçait un contrôle sur l’accumulation, la distribution et la légalisation de fonds d’origine criminelle dans le secteur énergétique ukrainien", a déclaré mardi un procureur du Parquet spécialisé anticorruption (SAPO), devant la justice. Le suspect a profité de ses "relations privilégiées avec le président ukrainien" pour ses activités criminelles, a-t-il ajouté.

Le domicile du ministre de la Justice perquisitionné

Guerman Galouchtchenko, ministre de l’Energie pendant quatre ans, a lui été accusé par le SAPO d’avoir perçu des "avantages personnels" de Timour Minditch en échange de son contrôle sur les flux financiers du secteur énergétique. "Il a été décidé de suspendre Guerman Galouchtchenko de ses fonctions de ministre de la Justice", a donc annoncé la Première ministre ukrainienne Ioulia Svyrydenko sur les réseaux sociaux. Une vice-ministre de la Justice, Lioudmyla Sougak, assurera l’intérim, a-t-elle poursuivi. Guerman Galouchtchenko a réagi peu après en annonçant être "d’accord" avec sa suspension. C’est "un scénario civilisé et correct. Je me défendrai devant le tribunal", a écrit le ministre sur les réseaux sociaux.

Selon des médias ukrainiens la veille, le domicile du ministre a été perquisitionné, comme celui de Timour Minditch. D’après Oleksander Abakoumov, chef de l’équipe d’enquête de l’Agence nationale anticorruption (NABU), Timour Minditch avait quitté le pays peu avant.

Cinq personnes ont été interpellées et sept inculpées dans cette affaire. "Le travail accompli a permis d’obtenir des milliers d’heures d’enregistrements audio, qui constituent des preuves des activités d’une organisation criminelle de haut niveau opérant dans les secteurs de l’énergie et de la défense", avait expliqué lundi le NABU dans un communiqué.

L’opération "Midas", menée après 15 mois d’enquête en collaboration avec le SAPO, a abouti à "70 perquisitions" mettant au jour un système criminel qui extorquait des fonds à des sous-traitants de l’entreprise publique du nucléaire Energoatom. Celle-ci a confirmé avoir fait l’objet d’une perquisition et a dit coopérer à l’enquête, sans commenter les accusations de corruption.

Corruption endémique

Le gouvernement ukrainien a limogé mardi le conseil de surveillance d’Energoatom, considéré comme un élément central du système de corruption selon les enquêteurs. Cette décision, conjuguée à un audit d’urgence mené par l’Etat, a été qualifiée par la Première ministre Ioulia Svyrydenko de "premières mesures pour la relance d’Energoatom".

Ces accusations de détournement de fonds dans le secteur énergétique, qui subit par ailleurs des attaques incessantes de la Russie entraînant des coupures massives d’électricité, suscitent l’indignation de la population. Après les perquisitions de lundi, le président Zelensky avait déclaré que toutes les actions contre la corruption étaient "absolument nécessaires", encourageant les responsables à coopérer avec les organismes anticorruption. Mardi en fin de soirée, il n’avait pas encore commenté les accusations portées à l’encontre de Timour Minditch.

L’Ukraine souffre, comme la Russie et d’autres pays de l’ex-URSS, d’une corruption endémique et son éradication est l’une des principales conditions d’adhésion du pays à l’Union européenne. Cet été, Volodymyr Zelensky avait essuyé de vives critiques de son opinion publique et de Bruxelles quand il a tenté de placer le NABU et le SAPO, deux organismes indépendants du pouvoir, sous le contrôle du gouvernement.

© afp.com/JOE KLAMAR

Le ministre ukrainien de l'Énergie Guerman Galouchtchenko le 12 décembre 2024 à Vienne en Autriche

Face aux défis géopolitiques, l’Union européenne veut créer sa propre unité de renseignement

12 novembre 2025 à 10:49

Guerre hybride menée par la Russie, désengagement des Etats-Unis, menace terroriste… Les nombreux défis qui pèsent sur le Vieux Continent poussent l’Union européenne à renforcer sa sécurité. C’est dans cette optique que la Commission européenne a posé les bases d’une unité de renseignement sous la coupe de sa présidente Ursula von der Leyen.

Selon des informations du Financial Times confirmées mardi 11 novembre par deux porte-parole de la Commission, l’institution "étudie" la création d’une "cellule" de renseignement au sein du secrétariat général, le service central de l’institution. Son rôle serait de rassembler les informations collectées par les Etats membres. L’idée "en est encore à un stade précoce", a concédé la Commission face aux journalistes. L’institution a justifié ses plans par les défis géopolitiques et économiques auxquels l’UE fait face, sans entrer dans le détail : "Le monde change et nous devons garder cela à l’esprit", a rappelé l’un des porte-parole.

Luttes de pouvoir internes

Concrètement, cette "petite" unité devra compléter et coordonner le travail de plusieurs structures existantes. Elle viendrait d’abord appuyer les missions de la direction de la sécurité de la Commission européenne, qui veille à la sécurité des bâtiments, des salariés et du réseau informatique de l’institution.

La cellule de renseignement devra surtout travailler en collaboration étroite avec le Service européen pour l’action extérieure (SEAE). Ce dernier gère les relations diplomatiques de l’UE et mène la politique de sécurité de Bruxelles. Et c’est là que le bât blesse pour plusieurs diplomates européens. Selon le Financial Times, certains salariés du SEAE estiment que la création d’une cellule au sein de la Commission ferait doublon avec leur travail, voire le menacerait. Surtout, en coulisses, les fonctionnaires européens craignent que ce projet ne cristallise les luttes de pouvoir internes, notamment entre la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et la cheffe de la diplomatie Kaja Kallas, à la tête du SEAE.

L’opposition attendue des Vingt-Sept

Pour la Commission, il s’agit surtout de renforcer les moyens de l’UE dans le domaine du renseignement et de la sécurité, rapporte l’Agence de presse allemande (Dpa). Après tout, le renseignement repose sur des échanges de connaissances, et la Commission dispose de beaucoup d’informations pertinentes, argumente celle-ci.

Le projet pourrait surtout rencontrer l’opposition des Etats membres, dont le renseignement est chasse gardée. La Commission européenne s’attend même à ce qu’ils s’opposent au projet, révèle le Financial Times : le renseignement a toujours été un sujet sensible et certains pays qui disposent de moyens importants, comme la France, sont réticents à partager leurs informations. L’émergence de gouvernements proches de la Russie, comme la Hongrie de Viktor Orban, accentue leurs réserves. Mais les inquiétudes autour d’une diminution de l’aide américaine en termes d’espionnage devraient pousser les Etats membres à communiquer davantage.

© afp.com/Nicolas TUCAT

La Commission européenne a posé les bases d'une unité de renseignement sous la coupe de sa présidente Ursula von der Leyen.

L'arrivée d'un porte-avions américain au large fait monter la pression sur le Venezuela

12 novembre 2025 à 08:41

Un porte-avions américain est arrivé mardi 11 novembre au large de l’Amérique latine, marquant une montée en puissance considérable des moyens militaires mobilisés par Washington dans la région et accentuant les tensions avec le Venezuela qui a annoncé en réponse un déploiement "massif".

L’arrivée du Gerald R. Ford, le plus grand porte-avions du monde, pour renforcer ce que Washington assure être une opération anti-drogue, coïncide avec des exercices militaires vénézuéliens de défense et intervient alors que la Russie, alliée de Caracas, a condamné les frappes aériennes américaines contre les embarcations de narcotrafiquants présumés.

"Le groupe aéronaval Gerald R. Ford […] est entré le 11 novembre dans la zone" de Southcom, le commandement américain pour l’Amérique latine et les Caraïbes, a annoncé ce dernier dans un communiqué. Ce déploiement, annoncé par Washington le 24 octobre, a pour but de "soutenir l’ordre du président (Donald Trump) de démanteler les organisations criminelles transnationales et de contrer le narcoterrorisme", ajoute Southcom.

Le porte-avions, le plus avancé de l’armée américaine, transporte entre autres quatre escadrilles d’avions de combat et est accompagné notamment de trois destroyers lance-missiles.

Donald Trump maintient le flou sur ses objectifs

Depuis août, Washington maintient dans les Caraïbes une importante présence militaire avec notamment une demi-douzaine de navires de guerre, officiellement pour lutter contre le trafic de drogue à destination des Etats-Unis. Le Venezuela accuse Washington de prendre prétexte du narcotrafic "pour imposer un changement de régime" à Caracas et s’emparer de son pétrole.

Donald Trump, qui a autorisé des opérations clandestines de la CIA au Venezuela, a donné des indications contradictoires sur sa stratégie, évoquant par moments des frappes sur le sol vénézuélien et des jours comptés pour Nicolas Maduro, mais écartant aussi l’idée d’une guerre.

"Si nous devions, en tant que République, en tant que peuple, aller à la lutte armée pour défendre l’héritage sacré des libérateurs et des libératrices, nous serions prêts à gagner", a réagi le président vénézuélien. Ce dernier a promulgué une loi créant des "Commandos de défense intégrale", assurant lundi que cette structure avait "la force et le pouvoir" de faire face aux États-Unis.

Parallèlement aux déclarations du Pentagone, l’armée vénézuélienne a annoncé un déploiement "massif" dans tout le pays, contre "l’impérialisme" américain. Le ministre de la Défense Vladimir Padrino Lopez a évoqué des "moyens terrestres, aériens, navals, fluviaux et de missiles, systèmes d’armes, unités militaires, milice bolivarienne", dans un communiqué. Selon lui, quelque 200 000 soldats ont participé à l’exercice, bien qu’aucun mouvement militaire n’ait été observé dans des villes comme Caracas. Le gouvernement a annoncé à maintes reprises des manœuvres militaires dans le pays. Elles sont fortement médiatisées par le pouvoir sans être toujours visibles sur le terrain.

La Colombie suspend les échanges de renseignements avec les Etats-Unis

Ces dernières semaines, les États-Unis ont mené une vingtaine de frappes aériennes dans les Caraïbes et le Pacifique contre des embarcations qu’ils accusent - sans présenter de preuves - de transporter de la drogue, faisant au total 76 victimes. Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Volker Türk, a exhorté lundi Washington à enquêter sur la légalité de ses frappes, évoquant de "solides indices" selon lesquels elles constituent des exécutions extrajudiciaires.

Et mardi, le ministre russe des Affaires étrangères a qualifié ces opérations d'"inacceptables". "C’est ainsi, en général, qu’agissent les pays […] qui se considèrent au-dessus des lois", a lancé Sergueï Lavrov lors d’une rencontre avec des médias russes, retransmise sur les chaînes d’État. Nicolas Maduro, fidèle allié de Vladimir Poutine, avait annoncé en mai un nouveau rapprochement entre Moscou et Caracas avec la signature d’un traité de coopération.

Le déploiement militaire américain dans les Caraïbes a généré des inquiétudes du Brésil de Lula, mais aussi de la Colombie de Gustavo Petro qui a indiqué mardi suspendre les échanges de renseignements de Bogota avec Washington "tant que les attaques par missile contre des bateaux se (poursuivraient)".

Même le Royaume-Uni, pourtant proche allié des États-Unis, a renoncé il y a plus d’un mois à partager ses renseignements avec Washington concernant les navires soupçonnés de trafic de drogue dans les Caraïbes, ne souhaitant pas être complice des frappes américaines, a affirmé mardi la chaîne de télévision américaine CNN, citant des sources proches du dossier. Contacté par l’AFP, Downing Street a indiqué ne pas souhaiter commenter sur les questions de sécurité ou de renseignement.

© afp.com/Jonathan KLEIN

Le USS Gerald R. Ford, le plus grand porte-avions du monde, aperçu en mer du Nord lors d'un exercice de l'OTAN le 24 septembre 2025.

Palestine : ce qu’il faut retenir de la rencontre entre Emmanuel Macron et Mahmoud Abbas

12 novembre 2025 à 07:16

Emmanuel Macron a reçu mardi 11 novembre Mahmoud Abbas à Paris pour la première fois depuis la reconnaissance de l’Etat palestinien par la France. Celui qui est désormais désigné comme "président de l’Etat de Palestine" dans les documents officiels français a réaffirmé à cette occasion sa volonté de tenir des élections d’ici environ un an.

"Nous renouvelons notre engagement ici devant vous quant aux réformes" de l’Autorité palestinienne, a déclaré Mahmoud Abbas à l’issue de sa rencontre avec le président français au Palais de l’Elysée.

Celles-ci passent par "l’organisation d’élections présidentielle et législatives", a assuré le dirigeant palestinien, Emmanuel Macron précisant qu’elles auraient lieu "un an après le passage à la deuxième phase du cessez-le-feu" à Gaza, celle qui comprend le désarmement du Hamas.

Israël et le Hamas se trouvent encore dans la première phase de l’accord de cessez-le-feu conclu le 9 octobre sous l’égide du président américain Donald Trump, celle qui doit voir le retour en Israël des dépouilles de tous les otages morts après la libération de ceux qui étaient en vie.

"La priorité va à l’organisation d'(une) élection présidentielle et d’élections générales libres, transparentes et démocratiques dans l’ensemble des territoires palestiniens, y compris à Jérusalem-Est", a dit de son côté Emmanuel Macron qui, comme son homologue palestinien, s’exprimait devant la presse.

Un "comité conjoint" pour rédiger la Constitution de l’Etat de Palestine

Les deux dirigeants ont également annoncé la création d’un "comité conjoint" franco-palestinien qui doit élaborer une Constitution pour l’Etat palestinien que la France a reconnu au moins de septembre lors de l’Assemblée générale de l'ONU à New York.

Le président français a par ailleurs adressé plusieurs avertissements à Israël. Les projets d’annexion "partielle ou totale" de la Cisjordanie par Israël, y compris "de facto" par la colonisation, "constituent une ligne rouge à laquelle nous réagirons fortement avec nos partenaires européens s’ils sont mis en œuvre", a-t-il mis en garde.

Sur le plan financier, "Israël doit de toute urgence transférer les revenus douaniers dus à la Palestine et rétablir les correspondances bancaires entre institutions israéliennes et palestiniennes", a-t-il déclaré. "Nul ne peut comprendre une politique qui fragilise le seul partenaire à même de coopérer au plan sécuritaire et de s’ériger contre l’explosion de violence qui résulterait immanquablement de son effondrement", a ajouté Emmanuel Macron.

Engagements palestiniens envers Israël

Le président palestinien a également réitéré son engagement à retirer les discours de haine anti-Israël contenus dans les manuels scolaires utilisés dans les écoles palestiniennes et à mettre fin concrètement à la pratique consistant à payer les prisonniers ayant commis des violences en Israël.

Dans un communiqué, l’ambassade d’Israël en France s’est insurgée contre l’accueil réservé au président palestinien. Elle a estimé que l’Autorité palestinienne avait eu de "nombreuses occasions de promouvoir la paix et a choisi de rejeter toutes les opportunités offertes par Israël et les Etats-Unis pour mettre fin au conflit".

Sur le plan bilatéral, Mahmoud Abbas a promis une extradition rapide d’un Palestinien, Hicham Harb, arrêté en septembre en Cisjordanie et soupçonné d’avoir supervisé le commando de l’attentat antisémite de la rue des Rosiers qui avait fait six morts à Paris en 1982. "Les procédures juridiques relatives à l’extradition sont arrivées à leur phase finale. Il ne reste que quelques détails techniques, qui sont pris en charge par les autorités compétentes des deux pays", a-t-il déclaré au Figaro quelques heures avant sa rencontre avec Emmanuel Macron.

© Ludovic MARIN / AFP

Emmanuel Macron reçoit le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, à l'Elysée le 11 novembre 2025.
Reçu hier — 11 novembre 2025 L'Express

Boualem Sansal gracié par l'Algérie : nos révélations sur un an de tractations secrètes

[Mise à jour : L'Algérie a accepté, ce mercredi 12 novembre, une demande de l'Allemagne de gracier et transférer Boualem Sansal, dans ce pays pour qu'il puisse y être soigné, a indiqué un communiqué de la présidence algérienne.]

L’espoir, cette petite lueur qui ne demande qu’un mot favorable pour rayonner. Depuis quelques jours, parmi les amis fidèles de Boualem Sansal, dans ces discussions d’antichambre où l’origine de l’information se fait plus incertaine à mesure qu’elle se propage, on voulait croire le romancier prochainement relâché. "Est-ce qu’il va être libéré le 16 ?", c’est-à-dire un an pile après son interpellation en Algérie, "je ne sais pas, je l’espère", glisse l’écrivain Kamel Daoud sur Radio Classique, ce mercredi 5 novembre. La veille, un message précieux, de ceux auxquels on se raccroche ; un émissaire élyséen a prévenu le jury Goncourt, sur le point d’arborer un badge "Je suis Boualem Sansal", lors de la remise du prix au restaurant Drouant : des discussions fructueuses ont lieu.

Chacun a lu, comme on déchiffrait jadis la Pravda pour s’enquérir des disgrâces au Kremlin, les mots nouvellement agréables de la presse algérienne aux ordres vers le gouvernement français. Sébastien Lecornu porte "l’apaisement", Laurent Nunez le "pragmatisme", dixit le quotidien L’Express, le 6 novembre. Même le vote, à l’Assemblée nationale, d’une résolution visant à dénoncer les accords franco-algériens de 1968 érode à peine l’enthousiasme des éditorialistes autorisés.

Le message de félicitations, le lendemain, comme tous les ans, d’Emmanuel Macron à son homologue, Abdelmadjid Tebboune, commémoration des débuts de la guerre d’indépendance contre la France, s’analyse comme l'ouverture "d’un nouveau chapitre", prémices "d’un prochain rapprochement" avec Alger. Le président algérien, que des sources diplomatiques disent accro à CNews, branché tous les jours sur les débats souvent virulents contre l’Algérie de L’Heure des pros, l’émission de Pascal Praud, se ferait cette fois magnanime.

Déjà, le ministre de l’Intérieur a été invité à Alger, un voyage qu’il prépare pour fin novembre ou début décembre. Certains ont imaginé qu'il puisse ramener l’écrivain de 81 ans, de plus en plus mal en point. Ultime signe positif de décisions imminentes, le président allemand Frank-Walter Steinmeier, a réclamé officiellement, ce 10 novembre, le transfert de l'homme de lettres dans son pays. Une requête relayée par l'agence Algérie Presse Service, soumise au pouvoir. Et ce mercredi 12 novembre, le soulagement définitif, la nouvelle attendue depuis si longtemps, l'annonce officielle de la grâce par la présidence algérienne, puis du transfert en Allemagne.

L’histoire n’a jamais été racontée pleinement, mais depuis ce samedi 16 novembre 2024, quand Boualem Sansal a cessé de répondre aux SMS de ses amis pour devenir l’otage d’Alger, le romancier atteint d’un cancer a été "presque libéré" plusieurs fois.

Dans les coulisses de ces douze derniers mois de tractations secrètes, les Algériens louvoient, proclament des casus belli et semblent souvent jouer avec les nerfs de leurs interlocuteurs ; les Français actionnent tous les canaux, DGSE, DGSI, pays étrangers, mais rien n’y a longtemps fait. Ils s’écharpent surtout sur la posture à adopter. Au bout du casse-tête, l’Elysée et le quai d’Orsay ont opté pour une stratégie inconfortable : ne surtout pas braquer l’Algérie. Une patience finalement payante.

16 novembre, le rapt

Ce vendredi 15 octobre, Boualem Sansal dîne au café Lapérouse, place de la Concorde à Paris, avec Xavier Driencourt, ex-ambassadeur de France en Algérie, devenu une des bêtes noires du régime. Il s’apprête à repartir, le lendemain, pour sa maison de Boumerdès, une station balnéaire à 45 kilomètres d’Alger. Il doit y passer quelques jours, avant probablement d’espacer ses voyages, puisqu’il doit s’installer avec son épouse en France, lui qui vient d’obtenir sa naturalisation.

Pour l’heure, il a pu faire l’aller-retour facilement à au moins trois reprises depuis le 3 octobre 2024, lorsqu’il a livré cet entretien passé inaperçu au média d’extrême droite Frontières. "La France a rattaché tout l’Est du Maroc à l’Algérie", pendant la colonisation, y déclare l’auteur de 2084. Personne ne l’a relevée en France, mais la déclaration est bien parvenue jusqu’aux oreilles susceptibles d’Abdelmadjid Tebboune, le président algérien, lui-même natif de la wilaya de Naâma, une région frontalière du Maroc, un temps revendiquée par Rabat.

Ne t’inquiète pas, ils me prennent pour un vieux fou

Boualem Sansal

Ses amis s’inquiètent davantage de la fureur d’Alger contre ses romanciers critiques du pouvoir. Le soir même du 15 novembre, la télévision algérienne diffuse un sujet entièrement dirigé contre Kamel Daoud et son roman Houris, lauréat du prix Goncourt. Ce récit au cœur de la décennie noire algérienne est interdit au salon international du livre d’Alger, depuis le 6 novembre. L’acrimonie du régime semble décuplée par le choix d’Emmanuel Macron, le 27 juillet, de reconnaître la marocanité du Sahara occidental. Abdelmadjid Tebboune a vécu comme une humiliation la visite pompeuse du président français à Rabat, du 28 au 30 octobre.

"Ne t’inquiète pas, ils me prennent pour un vieux fou", plaisante encore Boualem Sansal auprès de l’universitaire Arnaud Benedetti, quelques heures avant son départ. Comme d’habitude, l’écrivain doit envoyer des SMS à ses amis lorsqu’il est bien arrivé. Il ne pourra jamais les transmettre. La rumeur a voulu que l’initiative soit celle d’un douanier zélé, mais c’est bien la DGSI, réplique algérienne du service de renseignement français, qui l’intercepte à l’aéroport d’Alger. L’ambassade de France est laissée sans réponse jusqu’au mardi 19 novembre, quand une source algéroise confirme ce qui était redouté : Boualem Sansal a été embastillé.

La justification parvient via Algérie Presse Service, l’agence d’Etat dévouée à la présidence. Le 22 novembre, un communiqué venimeux conspue "la France macronito-sioniste", et Boualem Sansal, "pantin utile" et "révisionniste" de l’extrême droite française. Abdelmadjid Tebboune tient son otage.

30 janvier, la zizanie

A la manière de Tullius Détritus, le stratège romain envoyé au village gaulois dans un album mythique d’Astérix, l’emprisonnement de Boualem Sansal sème la zizanie dans la société française, en rouvrant des plaies pas suffisamment cicatrisées. Le 25 novembre 2024, le professeur d’histoire-géographie Nedjib Sidi Moussa, invité de C Politique sur France 5, veut "rétablir les faits", au nom "du malaise de beaucoup de gens qui connaissent l’Algérie". Boualem Sansal "alimente un discours d’extrême droite fait d’hostilité à l’égard des immigrés et des musulmans", dit-il, en citant l’entretien à Frontières.

Au gouvernement, Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur, hausse le ton, tempête contre les obligations de quitter le territoire français (OQTF) ignorées par Alger, comme dans le cas de l’influenceur Doualemn, refoulé à l’aéroport algérien le 9 janvier. En décembre, il a directement proposé à Emmanuel Macron de faire de Boualem Sansal un ambassadeur à la francophonie, mais le président n’a pas donné suite, soucieux de ne pas provoquer frontalement l’Algérie.

Abdelmadjid Tebboune joue de ces passions. Dans un entretien à L’Opinion, le 30 janvier, il oppose les sages aux extrémistes, livre sa liste noire des officiels infréquentables. "Tout ce qui est Retailleau est douteux", cingle-t-il. Concernant Boualem Sansal, il le dépeint en instrument d’un complot de la droite anti-algérienne : "C’est une affaire scabreuse visant à mobiliser contre l’Algérie. Boualem Sansal est allé dîner chez Xavier Driencourt, juste avant son départ à Alger. Ce dernier est lui-même proche de Bruno Retailleau". Comprendre : il faut écarter Retailleau et Driencourt pour commencer à négocier.

12 avril, l’espoir déçu

"Boualem, c’était presque fait." En petit comité, ce 2 avril 2025, le Premier ministre François Bayrou se désole. Le président Tebboune avait donné son accord pour une grâce de Boualem Sansal… à condition qu’il ne fasse pas appel de sa condamnation du 27 mars, à cinq ans de prison, pour atteinte à l’unité nationale algérienne. Las, l’écrivain n’a pas eu la consigne de son avocat, qui n’a jamais pu pénétrer sur le territoire algérien, et il a bien demandé à être rejugé.

Cinq mois après son arrestation, son état de santé s’est dégradé. Soigné pour son cancer de la prostate, l’auteur du Village de l’Allemand alterne les séjours à l’hôpital Mustapha-Pacha d’Alger et les retours en cellule, à la prison de Koléa. A Paris, le sort de l’otage et les tensions diplomatiques s’entremêlent. François Bayrou a lancé un ultimatum, le 26 février : si l’Algérie continue son obstruction aux OQTF, les accords de 1968 seront dénoncés sous "six semaines".

La menace semble cette fois produire quelque effet. Anne-Claire Legendre, la conseillère d’Emmanuel Macron chargée de l’Afrique du Nord, se rend trois fois à Alger au premier trimestre, la dernière avec Emmanuel Bonne, le conseiller diplomatique en chef du président. Les échanges menés avec Abdelmadjid Tebboune aboutissent au communiqué conjoint des deux chefs d’Etat, le 31 mars. Il y est question de "reprise sans délai de la coopération sécuritaire", mais aussi du romancier. "Le Président de la République a réitéré sa confiance dans la clairvoyance du président Tebboune et appelé à un geste de clémence et d’humanité à l’égard de M. Boualem Sansal, à raison de l’âge et de l’état de santé de l’écrivain", est-il écrit, dans ce texte où chaque mot est pesé.

Le 6 avril, Jean-Noël Barrot, le ministre des Affaires étrangères, négocie avec Abdelmadjid Tebboune à Alger ; l’appel de Sansal n’empêche pas sa libération pour raisons de santé. Mais le 11 avril, des policiers de la DGSI interpellent un agent du consulat algérien de Créteil. Cette fois, Bruno Retailleau n’y est pour rien : la décision émane d’un juge d’instruction, chargé de l’enquête sur le kidnapping de l’influenceur Amir DZ, une des têtes de Turc de Tebboune, le 29 avril 2024. Selon nos informations, l’agent consulaire est non seulement soupçonné d’avoir participé au rapt, mais aussi de projeter, en ce mois d’avril 2025… une nouvelle action violente contre le blogueur. Furieux, le ministère des Affaires étrangères algérien fustige "l’inconsistance de l’argumentaire vermoulu et farfelu invoqué par les services de sécurité du ministère de l’Intérieur français" qui interviendrait "à des fins de torpillage du processus de relance des relations bilatérales". Le 14 avril, douze fonctionnaires français sont expulsés d’Algérie. Boualem Sansal reste en prison.

29 juin, l’autre otage

Le 29 juin, la France découvre éberluée l’existence d’un deuxième Français otage de l’Algérie. Christophe Gleizes, journaliste sportif pour So Foot, vient d’être condamné à sept ans de prison pour apologie du terrorisme, comme le mentionne Reporters sans frontières dans un communiqué. Même Bruno Retailleau apprend ainsi les faits, connus depuis plus d’un an à l’Elysée et au quai d’Orsay. Pendant treize mois, son entourage s’est efforcé de ne pas solliciter les médias, sur les conseils du ministère des Affaires étrangères, afin de ne pas politiser l’affaire. Sans succès.

Le 15 mai 2024, Christophe Gleizes atterrit en Algérie. Il veut raconter l’histoire de la Jeunesse sportive de Kabylie (JSK), club de football légendaire de Tizi Ouzou, à la fibre indépendantiste et contestataire. Quelques jours après son arrivée, le journaliste pense rejoindre un de ses contacts lié à la JSK. Il est en réalité attendu par des policiers. Le 28 mai, au commissariat de Tizi Ouzou, les policiers lui confisquent son matériel et son passeport avant de le relâcher.

Gleizes se rend à l’ambassade de France à Alger, où il dort quelques jours. Les diplomates se montrent optimistes : le dossier est pour le moins léger, le reporter a utilisé un visa touristique au lieu de se présenter comme journaliste, il devrait être expulsé du territoire, ni plus, ni moins.

Sauf que le 9 juin, ses parents apprennent qu’il est placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le territoire algérien. Les autorités ont fouillé son téléphone et son ordinateur. Ils ont trouvé les contacts de deux dirigeants du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), une organisation classée terroriste par Alger en 2021. Réfugiés en France, ils faisaient partie des interlocuteurs "que Christophe avait interrogés pour comprendre le contexte dans lequel évolue la JSK, explique Javier Prieto Santos, rédacteur en chef de So Foot. Il n’y avait aucune intention politique derrière".

Dès lors, le quai d’Orsay suggère fermement le silence. Même Reporters sans frontières, à contre-emploi, se range activement à cette stratégie de l’effacement. Jusqu’à quand ? Le procès en appel doit avoir lieu le 3 décembre et d’ici là, les diplomates français conseillent à tous… la plus grande réserve.

16 septembre, le clash

Les soutiens de Boualem Sansal se déchirent. Jordan Bardella en est la cause, ou le prétexte. Le 9 septembre, le groupe Les Patriotes au Parlement européen, présidé par l’élu du Rassemblement national, propose le Franco-Algérien au prix Sakharov, créé pour honorer les défenseurs des libertés. "Boualem Sansal, par la voix de son épouse, a fait savoir qu’il considérait comme irrecevable cette démarche insidieusement partisane", réplique Antoine Gallimard, le 15 septembre. Surtout, l’éditeur ajoute que "s’il advenait que cette "candidature" forcée était retenue, ce prix Sakharov serait refusé par les représentants de l’écrivain en France".

Boualem était membre du comité éditorial de Frontières, vous croyez vraiment qu’être proposé par le Rassemblement national allait le déranger ?

L’ex-ministre Noëlle Lenoir, présidente du comité de soutien, rétorque, le lendemain, que "nul ne peut aujourd’hui se prévaloir de parler au nom de Boualem Sansal". Certains membres du comité accusent Gallimard de vouloir grimer Sansal en romancier politiquement correct, ce qu’il n’était pas : "Boualem était membre du comité éditorial de Frontières, vous croyez vraiment qu’être proposé par le Rassemblement national allait le déranger ?"

Entre Gallimard et le comité de soutien, les tensions couvaient depuis des mois. La maison d’édition, précautionneuse, a cherché à ne jamais politiser l’affaire, à l’unisson du Quai d’Orsay. L’avocat qu’elle a choisi, François Zimeray, récusé depuis en raison de sa judéité, est un ex-ambassadeur, resté très lié à son ministère. Quant au comité de soutien, fondé par Arnaud Benedetti, il se veut une "avant-garde", un commando volontiers vindicatif contre le régime algérien. Relégué au second plan d’une soirée de soutien à Sansal à l’Institut du monde arabe, le 19 février, Benedetti s’entoure de Noëlle Lenoir et de Xavier Driencourt, marqués plus à droite.

Lorsqu’Arnaud Benedetti négocie avec Anne Hidalgo pour que Boualem Sansal puisse être nommé citoyen d’honneur de la ville de Paris, au printemps 2025, François Zimeray prévient que la démarche pourrait hérisser l’Algérie. Contacté, l'avocat nous a transmis le message suivant : "Il y a le risque du silence et aussi celui de la parole. Je suis parvenu à la conclusion que, pour ce qui me concerne, seule la retenue peut donner sa chance à une issue humanitaire".

Et quand Jean-Christophe Rufin échoue à faire élire Boualem Sansal à l’Académie française, le comité suspecte Gallimard, éditeur de nombreux immortels, de ne pas le soutenir. La maison d'édition s'est en revanche démenée pour obtenir à son auteur le prix Del-Duca, doté de 200 000 euros, ou le Renaudot de poche pour Vivre : le compte à rebours, ce 4 novembre. Comme elle multiplie, depuis un an, les conférences sur l'oeuvre littéraire du Franco-Algérien. "Ce qui nous importe est uniquement l'intérêt de Boualem. Depuis un an, Gallimard encourage toutes les manifestations littéraires en son honneur, en évitant les actions inconséquentes qui pourraient lui nuire", nous déclare Karina Hocine, la secrétaire générale de Gallimard.

A l'Académie française, de toute façon, nul ne peut être élu sans candidature, a fait savoir Amin Maalouf, le secrétaire perpétuel. En 1960, pourtant, Henry de Montherlant avait été dispensé de campagne. Quant à la limite d’âge de 75 ans, invoquée par l’Académie des sciences morales et politiques, elle a été écartée par l’Académie française en 2021, afin d’accueillir Mario Vargas Llosa, 85 ans, prix Nobel de littérature. "Il y en a, en 1940, ils auraient été brillants", plaisante ironiquement Arnaud Benedetti en privé, au sujet de l'embarras général dans le monde des lettres.

21 octobre, Boualem destitué

Il a été l’homme le plus craint d’Algérie, probablement responsable de la mort de milliers d’hommes ; il apparaîtrait presque, aujourd’hui, comme le meilleur espoir de la France à Alger. Le 15 septembre, Abdelmadjid Tebboune nomme un nouveau gouvernement. Au poste de ministre de la Santé, il choisit Mohamed Seddik Aït Messaoudène, cardiologue à l’hôpital Mustapha-Pacha. Il s’agit surtout du gendre du général Mohamed Médiène, dit Toufik, 84 ans, tout-puissant directeur du renseignement algérien de 1990 à 2015. Le 29 mai, déjà, le général Hassan, très proche de Toufik, a été nommé directeur de la DGSI, après cinq ans passés… en prison, comme de nombreux gradés, victimes de purges.

Cette décision montre un affaiblissement du président

Une source diplomatique française

Le retour en grâce des réseaux Toufik ne peut qu’être accueilli positivement en France, où il a laissé l’excellent souvenir d’un allié contre le terrorisme. Le 21 octobre, le président Tebboune a par ailleurs retiré la moitié de ses attributions à son directeur de cabinet Boualem Boualem, réputé francophobe. "Cette décision montre un affaiblissement du président", analyse une source diplomatique française. Comme si, confronté à des revers internationaux à répétition, le dernier à l'ONU, le 31 octobre, avec ce vote en faveur de la souveraineté marocaine au Sahara occidental, Tebboune commençait à lâcher du lest.

1er novembre, l’adversaire commun

Dimanche 5 octobre, jour de remaniement. Emmanuel Macron appelle Bruno Retailleau. La nomination de Bruno Le Maire s’apprête à faire exploser le gouvernement mais le président n’en parle pas à son ministre de l’Intérieur. Il évoque en revanche… l’Algérie. "On va piloter les visas ensemble, en conseil de défense", propose le chef de l’Etat à propos des visas étudiants, en hausse de 13 %, s’est félicité le quai d’Orsay, quelques jours plus tôt.

Un énième va-et-vient diplomatique, comme l’été en a été témoin. L’Elysée a d’abord cru mordicus à la grâce de Boualem Sansal le 5 juillet 2025, jour de l’indépendance algérienne. Le scénario était ficelé, rapportent deux officiels français : l’écrivain français devait être transféré en Allemagne, là où Abdelmadjid Tebboune entretient les meilleures relations depuis qu’il s’y est fait soigner du Covid, en 2020.

Au préalable, l’entourage présidentiel a demandé aux uns et aux autres de se faire discrets. A Bruno Retailleau, mais aussi à Charles Rodwell et Mathieu Lefèvre, deux députés macronistes auteurs d’un rapport explosif sur les avantages algériens liés aux accords de 1968. Reçus en juin à l’Elysée, il leur a été suggéré de reporter la publication de leur document à la rentrée. Mêmes pressions envers Eric Ciotti (Union des droites), lequel devait présenter, le 26 juin à l’Assemblée nationale, une résolution pour dénoncer ces accords de 1968. Mais, le jour venu, le député renonce à son texte, à la surprise générale. "C’est une décision qu’Eric Ciotti a prise après avoir été fortement enjoint par le quai d’Orsay, qui estimait qu’il ne fallait pas jeter de l’huile sur le feu", relate le député Charles Alloncle, membre de son groupe.

Puis, le 6 août, devant l’absence de grâce, Emmanuel Macron durcit sa position. Un peu. Dans une lettre à François Bayrou, il acte la fin de l’exemption de visas pour les dignitaires algériens. Mais il a refusé une partie de l’arsenal que lui proposait son ministre de l’Intérieur : gel des avoirs, signalements à la justice sur des biens mal acquis et expulsions ciblées de proches de certains officiels. Au point d’en ulcérer jusqu’à Nicolas Sarkozy. En septembre, l’ex-président reçoit dans ses bureaux Chems-Eddine Hafiz, le recteur de la Grande mosquée de Paris, et lui propose d’intercéder en sa faveur afin… qu’il se rende en Algérie, pour négocier directement la libération de Boualem Sansal avec Abdelmadjid Tebboune. "Il a plus intérêt à me faire plaisir qu’à Macron", ajoute-t-il, selon l'un de ses interlocuteurs à qui il a confié ce projet. Sa condamnation ruine ce plan.

On n’obtient rien en braquant les Algériens

Emmanuel Macron à Pascal Bruckner

Depuis la sortie de Bruno Retailleau du gouvernement, de toute façon, la fermeté n’est plus autant mise en avant. "On n’obtient rien en braquant les Algériens", a expliqué en substance Emmanuel Macron à l’écrivain Pascal Bruckner, lors d’un dîner réunissant des personnalités à l’Elysée, le 11 septembre, avant son discours sur la Palestine à la tribune de l'ONU. Mi-octobre, lors d’une réunion sur le rapport Rodwell au palais présidentiel, son conseiller Emmanuel Bonne a moqué "ceux qui paniquent pour mille étudiants supplémentaires". "Ceux qui font croire aux Français que le bras de fer et la méthode brutale sont la seule solution, la seule issue, se trompent. Ça ne marche pas", explicite Laurent Nunez, successeur de Bruno Retailleau, le 1er novembre, auprès du Parisien.

"Le gouvernement tente de nouer une nouvelle alliance avec l’Algérie contre Retailleau", révèle une source diplomatique française. L’exécutif français avance l’idée d’un pacte gagnant-gagnant : en libérant Boualem Sansal sur la base d’un adoucissement français, le régime algérien décrédibiliserait les positions radicales de la droite, tout en se libérant d’un prisonnier encombrant. Ce mercredi 12 novembre, le président Tebboune tope. Le genre d’accord dont on s’égosillera chez Pascal Praud.

© J. Saget / AFP – M. Wissmann / Shutterstock – L’Express

Depuis un an, le romancier Boualem Sansal, atteint d’un cancer, a été "presque libéré" plusieurs fois.

En Italie aussi, on pense à taxer les plus riches

11 novembre 2025 à 17:12

Il n’y a pas qu’en France que la gauche réclame une taxation sur les grandes fortunes. En plein débat budgétaire, les Italiens se posent, eux aussi, la question d’une contribution spéciale demandée aux hauts patrimoines. La mesure est portée par la CGIL, le premier syndicat transalpin, représenté par Maurizio Landini. A la clé : 26 milliards d’euros par an, de quoi renflouer les caisses de l’Etat et éviter un budget marqué par le sceau de l’austérité. Mais la proposition n’est pas du goût de tout le monde, la Première ministre italienne Giorgia Meloni y étant farouchement opposée.

Cette "contribution solidaire" concernerait les "1 % les plus riches", ceux qui possèdent "plus de 2 millions d’euros", au profit des "99 % restants" détaille Maurizio Landini, cité par le Corriere della Sera. La CGIL prône une taxation d’1,3 %. En tout, ce sont 500 000 contribuables qui seraient concernés, pour un gain de 26 milliards d’euros par an pour les recettes de l’Etat.

C’est un peu plus que ce que rapporterait, en France, la taxe proposée par l’économiste Gabriel Zucman, rejetée par l'Assemblée le 31 octobre dernier, et qui consistait à faire payer les patrimoines au-delà de 100 millions d’euros, à hauteur de 2 % de leur fortune. Selon ces calculs, 1 800 personnes auraient été concernées par cette mesure, qui aurait rapportée 20 milliards d’euros par an.

"Justice fiscale"

"Ce sont des ressources essentielles pour financer et investir dans la santé, l’éducation, les soins de longue durée, le logement, les politiques sociales et les transports publics", assure le représentant syndical. "La justice fiscale est le levier décisif pour soutenir un programme économique et social radicalement différent du programme d’austérité rigide et de réarmement actuellement mis en œuvre", peut-on lire dans un autre article du même quotidien.

D’autant que le système d’imposition en Italie est particulièrement inégalitaire, révèle une étude de la Banque Centrale Européenne. "Le système fiscal italien est parmi les plus régressifs, avec des taux plus faibles concentrés sur les 7 % les plus riches. Les revenus du capital sont ainsi moins imposés que les revenus du travail ; ceux qui font déjà partie de ce groupe restreint voient leur patrimoine croître plus rapidement que les autres, sans pour autant payer plus d’impôts", détaille le Corriere. Les 0,1 % des contribuables les plus aisés sont soumis, dans les faits, à un taux d’imposition de 32 % inférieur à celui appliqué aux revenus compris entre 28 000 et 50 000 euros.

Sur la base de ce constat, cette même étude de la BCE (portée par Matteo Dalle Luche, Demetrio Guzzardi, Elisa Palagi, Andrea Roventini et Alessandro Santoro) recommande une taxation des 0,1 % les plus riches, jusqu’à 60 %, pour réduire les inégalités et accroître les recettes publiques. "L’instauration d’un impôt progressif sur la fortune, appliqué aux 7 % les plus riches […] représenterait environ 30 milliards d’euros" par an. Plus que le budget actuellement à l’étude par le gouvernement, qui exigera, selon les mots du ministre de l’Economie Giancarlo Giorgetti, des "sacrifices pour tous".

Giorgia Meloni opposée

Si la proposition d’introduire plus de justice fiscale au système italien rencontre le soutien d’économistes reconnus, la question ne se pose même pas, pour le gouvernement italien, actuellement en négociations avec les partenaires sociaux. Giorgia Meloni a affirmé qu’avec elle "au gouvernement, il n’y aura jamais de taxe sur le patrimoine", alors que la gauche ressort "cette solution de façon cyclique".

Une position qui lui vaut d’être taxée de servir les plus riches. D’autant que selon l’Institut national italien de la statistique (Istat), "la baisse d’impôt sur le revenu prévue dans le budget profiterait principalement aux familles les plus aisées", a indiqué son président, Francesco Maria Chelli, lors d’une audition devant les commissions des finances du Sénat et de la Chambre des députés, rapporte la chaîne Sky Tg24.

"En classant les familles selon leur revenu et en les divisant en cinq groupes, on constate que plus de 85 % des bénéfices vont revenir aux familles appartenant aux quintiles les plus riches", détaille Francesco Maria Chelli. Une logique à rebours de celle de ces adversaires politiques.

© afp.com/Dimitar DILKOFF

Une banderole géante "Tax the Rich" (taxez les riches) déployée par des militants d'Attac depuis le haut de la façade du futur hôtel Vuitton sur les Champs-Elysées, à Paris, le 24 février 2024

Mahmoud Abbas promet une extradition rapide du suspect de l'attentat de la rue des Rosiers

11 novembre 2025 à 16:58

Le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a promis mardi 11 novembre une extradition rapide d'un Palestinien, Hicham Harb, arrêté en septembre en Cisjordanie et soupçonné d'avoir supervisé le commando de l'attentat antisémite rue des Rosiers qui avait fait six morts en 1982 à Paris.

"Les procédures juridiques relatives à l'extradition sont arrivées à leur phase finale. Il ne reste que quelques détails techniques, qui sont pris en charge par les autorités compétentes des deux pays", a déclaré le dirigeant palestinien dans une interview au Figaro, publiée quelques heures avant une rencontre avec le président Emmanuel Macron à Paris.

Le suspect arrêté le 19 septembre

Mahmoud Abbas a réaffirmé que l'Autorité palestinienne était disposée à "extrader l'individu recherché, la reconnaissance de l'Etat de Palestine par la France ayant créé un cadre approprié pour cette demande française".

L'arrestation de Hicham Harb avait été annoncée le 19 septembre, quelques jours avant la formalisation par la France de sa reconnaissance de l'Etat de Palestine lors de l'Assemblée générale de l'ONU. Le suspect âgé de 70 ans, visé par un mandat d'arrêt international émis il y a dix ans, est l'un des six hommes renvoyés fin juillet devant la cour d'assises spéciale de Paris pour cette attaque perpétrée dans le restaurant Jo Goldenberg et dans le quartier alentour.

L'Elysée a précisé lundi qu'"il n'y a pas de problème juridique" pour cette extradition mais "une question de faisabilité" et ajouté que Paris continuait à travailler avec l'Autorité palestinienne pour qu'elle puisse avoir lieu.

Mahmoud Abbas se dit prêt à tenir des élections

Dans cet entretien au Figaro, le président palestinien réitère par ailleurs plusieurs des engagements qu'il a pris ces derniers mois dans le cadre des efforts internationaux pour restaurer la paix à Gaza et consolider le fragile cessez-le-feu entre Israël et le Hamas intervenu le 9 octobre sous l'égide du président américain Donald Trump.

Mahmoud Abbas réaffirme ainsi que "le Hamas n'aura aucun rôle de gouvernement à Gaza". Il ajoute que les forces palestiniennes sont prêtes à s'y déployer en coordination avec une force multinationale prévue par le plan de paix américain. Il assure également être prêt à tenir "des élections générales, présidentielle et législatives dans l'année qui suivra la fin de la guerre", sans confirmer explicitement qu'elles se tiendraient en 2026.

© Ludovic MARIN / AFP

Emmanuel Macron reçoit le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, à l'Elysée le 11 novembre 2025.

Ahmed al-Charaa à la Maison-Blanche : un tournant dans les relations entre la Syrie et les Etats-Unis

11 novembre 2025 à 13:50

Le moment aurait été "autrefois impensable" pour son pays, la Syrie, et représente "une nouvelle étape improbable dans le parcours personnel de l’ancien militant" Ahmed al-Charaa, écrit le Washington Post, à propos de la rencontre entre le président syrien et Donald Trump, à la Maison-Blanche, lundi 10 novembre. Une entrevue historique (jamais depuis l’indépendance de la Syrie en 1946, un président n’avait été reçu dans le bureau Ovale), qui marque un tournant dans les relations syro-américaines.

La réunion "n’a pas bénéficié du traitement de faveur habituellement réservé aux dirigeants étrangers", note le New York Times : pas de poignée de main sur le perron de la Maison-Blanche, ni de conférence de presse devant les journalistes. Et ce, probablement en raison du passé polémique d’Ahmed al-Charaa, autrefois connu sous le nom "d’al-Joulani", ancien commandant d’Al-Qaïda en Irak et en Syrie, passé par les geôles américaines, avant de fonder plus tard Hayat Tahrir al-Cham (HTC), le mouvement qui a défait Bachar al-Assad, fin 2024.

Mais le soutien de Donald Trump à Ahmed al-Charaa n’en est pas moins important, les Etats-Unis ayant tout intérêt à rétablir la stabilité en Syrie, pays considéré comme stratégique dans la région. La rencontre a été l’occasion de confirmer plusieurs annonces : l’intégration de Damas à la coalition internationale contre l’Etat islamique (dans lequel a combattu al-Joulani jusqu’en 2013), la suspension des sanctions américaines contre la Syrie et un possible accord de normalisation avec Israël. S’adressant aux journalistes dans le bureau Ovale, Donald Trump a déclaré qu’il souhaitait voir la Syrie devenir "un pays très prospère", ajoutant : "Je pense que ce dirigeant en est capable", rapporte le journal saoudien Al Arabiya.

Tournant dans les relations syro-américaines

La présidence syrienne a affirmé dans un communiqué que les discussions avaient porté sur les relations bilatérales entre Washington et Damas et les façons de les développer. Donald Trump a en effet prolongé la suspension du Caesar Act, une série de sanctions qu’il a lui-même imposé à l’ex-gouvernement syrien en 2020, avant de le geler après sa rencontre avec al-Charaa, en Arabie saoudite, en mai dernier. Une mesure cruciale pour la Syrie, qui tente de se reconstruire après près de quinze ans de guerre civile - un effort estimé à 216 milliards de dollars par la Banque mondiale. Le réchauffement de ses relations avec les Etats-Unis lui permettrait également de se rapprocher des financements des pétromonarchies du Golfe.

Le gouvernement d’Ahmed al-Charaa, de son côté, a officiellement intégré la coalition internationale contre l’Etat islamique, ce à quoi les Etats-Unis "ont tout intérêt, afin de permettre le retrait des troupes américaines encore stationnées en Syrie", analyse le Washington Post. Les efforts du gouvernement américain pour stabiliser la situation politique en interne ne s’arrêtent pas là : en mars, un accord a été signé pour intégrer les Forces Démocratiques Syriennes - groupe de résistance kurde qui a combattu l’Etat islamique avec le soutien des Etats-Unis - aux forces du gouvernement de Damas.

Mais surtout, le principal chantier de l’administration Trump pourrait se trouver dans l’élaboration d’un accord entre la Syrie et Israël. Ce dernier a envahi le sud du pays et y a établi des bases militaires au moment de la chute de Bachar al-Assad, prétextant des motifs sécuritaires. Reste à savoir quels en seraient les contours : "al-Charaa a déclaré qu’il privilégiait un accord qui restitue les territoires syriens saisis depuis décembre, mais pas le type d’accord de normalisation plus large avec Israël que l’administration Trump a incité d’autres gouvernements régionaux à signer", explique le Washington Post.

De djihadiste à invité de la Maison-Blanche

L’enjeu géopolitique est de taille dans la région. Suffisamment pour effacer le parcours de l’ancien dirigeant djihadiste, dont le mandat de capture par les Etats-Unis s’élevait autrefois à 10 millions de dollars. "Les gens disent qu’il a un passé rude […] Nous avons tous eu un passé difficile et, franchement, si vous n’aviez pas eu un passé difficile, vous n’auriez aucune chance", a défendu Donald Trump.

Vendredi, le département d’Etat a également déclaré le retrait du nom d’al-Charaa et de son ministre de l’Intérieur, Anas Khattab, de la liste internationale des personnes considérées comme terroristes, "en reconnaissance des progrès accomplis par les dirigeants syriens après le départ de Bachar al-Assad". Mais le règne d’Ahmed al-Charaa à la tête de la Syrie est loin d’être tout rose, marqué par des massacres de membres de la minorité alaouite par des factions armées soutenant son gouvernement ; ainsi que par des violences entre de combattants bédouins sur des Druzes. Le dirigeant syrien par intérim est également critiqué pour avoir concentré le pouvoir entre ses mains et celles d’un cercle restreint de fidèles.

© AFP

Le président Ahmed al-Charaa reçu à la Maison-Blanche par Donald Trump, le 10 novembre 2025.

Shutdown : le Sénat américain approuve la fin de la paralysie budgétaire, la Chambre doit encore se prononcer

11 novembre 2025 à 11:37

Le Sénat américain a adopté tard lundi 10 novembre un texte qui, une fois approuvé par la Chambre des représentants, lèverait la paralysie budgétaire après plus de 40 jours de "shutdown", mais qui est source de dissensions dans le camp démocrate.

La proposition de loi adoptée à 60 voix pour et 40 contre étend le budget actuel jusque fin janvier. Le texte doit désormais être débattu et adopté à partir de mercredi à la Chambre des représentants, avant d'atterrir sur le bureau de Donald Trump pour une promulgation qui mettrait officiellement fin à la paralysie d'une partie de l'Etat fédéral.

"Nourrissez tout le monde. Payez nos militaires, nos fonctionnaires et la police du Capitole. Mettez fin au chaos dans les aéroports. Le pays avant le parti", a clamé lundi sur X le sénateur démocrate John Fetterman, qui a voté en faveur de la mesure républicaine. Le chef de la majorité républicaine au Sénat, John Thune, a écrit sur le même réseau social être heureux de soutenir "la voie vers la fin de ce 'shutdown' inutile, d'une manière responsable qui permette de payer rapidement les fonctionnaires et de rouvrir le gouvernement fédéral".

Plus d'un million de fonctionnaires non payés

Avant le vote, le président américain s'était réjoui d'avoir obtenu suffisamment de voix démocrates au Sénat pour sortir de l'impasse. "C'est dommage qu'il ait été fermé, mais on va rouvrir notre pays très rapidement", a déclaré Donald Trump devant la presse à la Maison-Blanche.

Le chef républicain de la Chambre des représentants, Mike Johnson, avait aussi exprimé son optimisme lundi concernant une sortie de la paralysie "cette semaine". "Notre long cauchemar national touche enfin à sa fin", a-t-il dit lors d'une conférence de presse.

Depuis le 1er octobre et le début du blocage, plus d'un million de fonctionnaires ne sont pas payés, le versement de certaines aides est fortement perturbé, tout comme le trafic aérien, avec maintenant des centaines d'annulations de vols chaque jour. Au coeur du différend entre républicains et démocrates depuis plus de 40 jours : la question des coûts de santé.

Le parti de Donald Trump, majoritaire au Congrès, proposait une simple extension du budget actuel, tandis que l'opposition réclamait une extension de subventions pour le programme d'assurance santé "Obamacare", à destination principalement des ménages à bas revenus. Ces subventions doivent expirer à la fin de l'année, et les coûts de l'assurance santé devraient ainsi plus que doubler en 2026 pour 24 millions d'Américains qui utilisent "Obamacare", selon KFF, un cercle de réflexion spécialisé sur les questions de santé.

En raison des règles en vigueur au Sénat, plusieurs voix démocrates étaient nécessaires pour adopter un budget même si les républicains y sont majoritaires. Au total, huit démocrates ont finalement voté pour un nouveau texte. "Des semaines de négociations avec les républicains ont montré clairement qu'ils ne discuteraient pas des questions de santé" pour mettre fin à la paralysie, a assuré dans un communiqué l'une d'entre eux, la sénatrice démocrate Jeanne Shaheen. "Attendre plus longtemps ne fera que prolonger les souffrances que les Américains ressentent à cause du 'shutdown'", a-t-elle ajouté.

Chuck Schumer, le premier visé

Connus pour la plupart comme centristes, ces huit élus de l'opposition ont obtenu l'annulation du licenciement de milliers de fonctionnaires fédéraux par l'administration Trump depuis le début de la paralysie. Ils sont en revanche repartis les mains presque vides sur les questions de santé, n'arrachant pas une extension des subventions dans le texte final, mais seulement une promesse du chef républicain du Sénat quant à la tenue d'un vote prochain sur cette question. Une promesse creuse, ont dénoncé de nombreux élus démocrates, car le chef de la Chambre, Mike Johnson, a lui refusé de s'engager à prévoir un même vote à la chambre basse.

De nombreux élus et sympathisants démocrates appellent désormais à ce que des têtes tombent. Le premier visé : Chuck Schumer, chef de la minorité au Sénat. S'il a voté non dimanche soir, il est soupçonné par de nombreux élus et sympathisants démocrates d'avoir poussé en coulisses pour que ces élus modérés parviennent à un accord avec les républicains.

© Andrew Harnik / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Le chef de la majorité au Sénat américain, John Thune, s’adresse aux journalistes devant la salle du Sénat, le 10 novembre 2025, au Capitole, à Washington.

Moscou dit avoir déjoué un complot ukraino-britannique visant à détourner un avion de chasse

11 novembre 2025 à 10:41

La Russie a dénoncé mardi 11 novembre une "provocation" orchestrée par l'Ukraine et son allié britannique qui visait, selon elle, à détourner un avion de chasse russe MiG-31 équipé d'un missile hypersonique Kinjal. Moscou, qui a lancé une offensive à grande échelle contre l'Ukraine en février 2022, accuse régulièrement Kiev et ses alliés européens de s'en prendre à ses intérêts sur son sol, le plus souvent sans fournir de preuves.

Trois millions de dollars en échange

Mardi matin, le Service fédéral russe de sécurité (FSB) a dit avoir mis "fin à l'opération des Services de renseignement du ministère ukrainien de la Défense et de ses tuteurs britanniques visant à détourner vers l'étranger un avion de chasse MiG-31 des forces armées russes, porteur du missile hypersonique Kinjal". Le FSB accuse ainsi les services de renseignement ukrainiens d'avoir tenté de recruter des pilotes pour cette opération en leur proposant trois millions de dollars.

Selon le FSB, l'avion aurait dû ensuite être acheminé vers la base aérienne militaire de l'Otan de Constanta, en Roumanie, située sur les bords de la mer Noire, à 400 km à vol d'oiseau de la péninsule de Crimée, annexée par Moscou en 2014. Là-bas, l'appareil aurait pu être "abattu" par les systèmes de défense antiaérienne, a encore expliqué le FSB. "Ces projets ukrainiens et britanniques d'organiser une provocation d'ampleur ont été déjoués", grâce à l'un des pilotes de l'avion qui a prévenu les forces de l'ordre, selon la même source.

Les forces russes continuent d'avancer dans l'est de l'Ukraine

Dans une vidéo du FSB diffusée par la télévision russe, cette personne, dont le visage est dissimulé, affirme s'être vu proposer, par mail, par le renseignement ukrainien de "tuer" le commandant de l'avion avant de détourner l'appareil, en échange de trois millions de dollars et de l'obtention de "la nationalité d'un pays occidental", sans préciser lequel.

En "riposte à cette provocation", les forces russes ont effectué une frappe au moyen de missiles Kinjal contre un centre de renseignement électronique de l'armée ukrainienne à Brovary, dans la région de Kiev, et une base aérienne de Starokostiantyniv dans la région de Khmelnitsk, selon le FSB cité par l'agence de presse officielle TASS.

Cette annonce intervient alors que la Russie, dont les forces sont mieux équipées et plus nombreuses, continue d'avancer dans l'est de l'Ukraine et notamment dans la région de Donetsk où se concentre l'essentiel des combats. Les efforts diplomatiques engagés par le président américain, Donald Trump, pour mettre fin au conflit le plus sanglant en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale sont au point mort.

© afp.com/-

Des avions d'interception supersoniques MiG-31 transportant des missiles hypersoniques "Kinjal" survolant la Place Rouge le 9 mai 2018

Terres rares : la bataille est lancée dans le fond des océans

11 novembre 2025 à 06:00

Vous avez forcément suivi la guerre commerciale que le président des Etats-Unis mène à de très nombreux pays et entreprises, de quoi selon lui renforcer l’économie américaine. Et dans le viseur de Donald Trump, il y a évidemment la Chine.

En guise de riposte, Pékin a trouvé une arme fatale : les terres rares. Aujourd’hui indispensables dans la fabrication de beaucoup de produits technologiques, allant des batteries de voitures électriques et des téléphones, aux équipements militaires, les Chinois en sont le principal fournisseur. Ils représentent près de 70 % de la production mondiale et plus de 90 % du raffinage.

La Chine menace donc de couper le robinet à destination des Etats-Unis, dans l’espoir de voir les droits de douane imposés par Trump se réduire.

Le président américain est donc à la recherche de nouveaux approvisionnements. Il est prêt à creuser n’importe où, et notamment dans le fond des océans.

RETROUVEZ TOUS LES EPISODES DE LA LOUPE

Écoutez cet épisode et abonnez-vous à La Loupe sur Apple Podcasts, Spotify, Deezer, Google Podcasts, Podcast Addict et Amazon Music.

Inscrivez-vous à notre newsletter.

Cet épisode a été écrit et présenté par Charlotte Baris et réalisé par Jules Krot.

Crédit : TV5 Monde, La Maison Blanche, France 24

Musique et habillage : Emmanuel Herschon/Studio Torrent

Logo : Jérémy Cambour

Comment écouter un podcast ? Suivez le guide.

Pour aller plus loin :

Javier Blas (Bloomberg) : "Si les terres rares étaient si stratégiques, on n’en mettrait pas dans les aspirateurs"

"Donald Trump pense que c’est open bar" : les manœuvres des Etats-Unis pour exploiter les fonds marins

Comment Donald Trump casse le thermomètre mondial du climat

© AFP

Donald Trump, le 9 février 2025.
Reçu avant avant-hier L'Express

COP30 : la taxe carbone aux frontières européennes, ce mécanisme qui irrite la Chine et l’Inde

10 novembre 2025 à 19:05

C'est un mécanisme environnemental européen qui pourrait obstruer les négociations à la COP30. La taxe carbone aux frontières de l'Union européenne s'invite dans les discussions à Belém, au Brésil, qui ont commencé ce 10 novembre. Cette taxe vise à imposer aux importations un prix du carbone similaire à celui en vigueur en Europe, où les entreprises paient, en quelque sorte, pour polluer. En clair, les produits importés polluants ne sauraient être plus chers que ceux européens. Parmi les secteurs concernés : l'acier, l'aluminium, le ciment, les engrais, l'électricité et l'hydrogène - dont la Chine et l’Inde sont de grands producteurs.

Pour ces deux pays asiatiques, la taxe carbone, si elle devenait pleinement opérationnelle en 2026 comme prévu, représenterait un lourd manque à gagner. Selon le rapport "Réponse du Sud global à un régime commercial en mutation à l'ère du changement climatique", cité par Lepetitjournal.com, l’Inde pourrait perdre jusqu'à 0,5 % de son PIB avec cette taxe. Quant à la Chine, Le Monde évoquait en avril 2024 l'importance de sa "déferlante d'acier", dont l’UE dépend fortement notamment pour construire les infrastructures d’énergie renouvelable.

Hausse de la taxe carbone

La taxe carbone repose sur un principe : les importateurs - souvent des grandes sociétés de trading - doivent déclarer les émissions de CO2 liées à la production à l'étranger. Si celles-ci dépassent les standards européens, ils doivent acheter un "certificat d'émission" au prix du CO2 dans l'UE. Or, ce tarif ne cesse d’augmenter : actuellement autour de 70 euros la tonne, il "devrait atteindre plus de 100 euros d'ici 2030", expliquait à l’AFP ce lundi Pierre Leturcq, de l'Institute for European Environmental Policy. Une hausse qui pourrait "quasiment doubler le prix de la tonne d'acier", poursuit-il.

D’où les réactions offusquées des géants chinois et indiens, qui exigent, avec la Bolivie, d'inscrire les "mesures commerciales unilatérales" à l'ordre du jour de la conférence de l'ONU sur le climat (COP30) pour négocier sur cette taxe carbone.

A qui la responsabilité environnementale ?

En creux, le bras de fer se joue - et se rejoue - entre les pays dits du Sud et les pays dits du Nord. L’Europe souhaite avant tout "éviter le phénomène des fuites de carbone", selon Pierre Leturcq, c'est-à-dire empêcher que des entreprises polluantes délocalisent leur production vers des pays où les réglementations climatiques sont moins strictes. Elle présente le mécanisme comme un outil "vertueux", incitant le reste du monde à renforcer ses exigences environnementales.

En face, les pays concernés y voient une barrière commerciale déguisée. Cet instrument a été "mal compris" et "mal interprété" par les partenaires commerciaux de l'UE, estime Elisa Giannelli, du think tank environnemental E3G. Car "personne n'a vraiment pris la peine de leur expliquer de quoi il s'agit".

Les pays en développement, dont la Chine et l’Inde, répliquent aussi que la taxe carbone viole le principe de l'Accord de Paris de "responsabilités communes mais différenciées." Selon cette idée, les premiers pays industrialisés ont plus contribué au réchauffement climatique. Ils ne sauraient ainsi imposer les mêmes mesures de redressement et de réparation qu’ils s’imposent à eux-mêmes. Autant de tensions ​​qui pourraient, selon Pierre Leturcq, parasiter les "discussions de fond" de la COP30 sur le financement de la lutte contre le changement climatique et les efforts d'atténuation, qui nécessitent des centaines de milliards d'euros.

La place ambivalente de la Chine et l’Inde

Tout ceci relève d'un faux procès, selon l'eurodéputé centriste Pascal Canfin. Le CBAM "concerne essentiellement les échanges avec les pays industrialisés, les Etats-Unis, le Canada, la Chine, plus la Russie et l'Ukraine pour les fertilisants. C'est un non-sujet pour les pays en développement", juge l'élu, qui a porté le texte au Parlement européen.

L’Inde, elle, adopte une position plus ambivalente. Alors que des tensions commerciales montent entre la Chine et l’UE, New Delhi souhaite concurrencer son voisin, deuxième puissance économique mondiale, et devenir un partenaire privilégié de l’Europe. L’Inde pourrait demander, selon le pureplayer Euractiv, un traitement différencié afin d'être exonérée de la taxe carbone.

Un médiocre gain pour l’UE ?

Au-delà des arguments des uns et des autres, cette taxe ne devrait rapporter qu'environ 1,4 milliard par an à l'UE à partir de 2028. Son impact sur les émissions de carbone ne pourrait n’être qu’"assez minime", toujours selon Pierre Leturcq.

Certains spécialistes recommandent donc à l'Union européenne d'utiliser une partie de ces fonds pour soutenir des initiatives de décarbonation en dehors de l'Europe - un geste qui permettrait aussi d'apaiser les tensions avec les pays du Sud. Une idée d’autant plus pertinente que, selon Le Monde, le MACF devrait être étendu à tous les secteurs présentant un risque de fuite de carbone d’ici 2030. Les eurodéputés souhaitent, par exemple, taxer certains plastiques ou produits chimiques.

© afp.com/Mauro PIMENTEL

Une personne passe devant une affiche de la COP 30, à Belem au Brésil, le 5 novembre 2025

Tensions avec le Cambodge : la Thaïlande suspend l’accord de paix "historique" de Donald Trump

10 novembre 2025 à 17:14

C'était l'une des "six guerres" auxquelles Donald Trump se vante régulièrement d'avoir mis fin - un chiffre gonflé et éloigné de la réalité. La Thaïlande a annoncé, lundi 10 novembre, la suspension de son cessez-le-feu avec le Cambodge, cosigné fin octobre par le président américain. L'annonce intervient après l'explosion d'une mine terrestre près de la frontière, ayant blessé deux soldats thaïlandais.

Le porte-parole du gouvernement thaïlandais, Siripong Angkasakulkiat, a déclaré que Bangkok cessera le "suivi de la déclaration conjointe", signé en Malaisie fin octobre par les Premiers ministres cambodgien Hun Manet et thaïlandais Anutin Charnvirakul, en compagnie du président américain Donald Trump et du Premier ministre malaisien Anwar Ibrahim.

L'accord visait à mettre un terme aux hostilités entre les deux pays, qui se sont affrontés à leur frontière durant cinq jours en juillet lors de combats menés par leurs troupes au sol, leur artillerie et leur aviation. Ils ont fait au moins 43 morts et provoqué l'évacuation de plus de 300 000 civils, avant qu'une trêve ne soit accordée sous la pression des Etats-Unis, cet été. Le texte signé fin octobre prévoyait notamment la libération de 18 prisonniers cambodgiens détenus en Thaïlande depuis plusieurs mois. Les deux parties avaient également accepté de retirer les armes lourdes et de déminer les zones frontalières.

Deux soldats blessés

Mais l'explosion d'une mine dans la province de Sisaket, dans l'est du pays, vient remettre en cause la paix entre les deux pays. Lors de l'explosion, un soldat a été grièvement blessé à la jambe, tandis qu'un autre souffre de douleurs thoraciques, a affirmé l'armée thaïlandaise dans un communiqué. "Nous pensions que la menace pour la sécurité s'était atténuée, mais elle n'a en réalité pas diminué", a estimé le Premier ministre thaïlandais Anutin Charnvirakul lors d'une conférence de presse.

De son côté, le ministère cambodgien de la Défense a promis lundi dans un communiqué un "engagement indéfectible" pour la paix. Les autorités de Phnom Penh n'ont en revanche pas commenté dans l'immédiat l'explosion de la mine.

Désaccord frontalier

Les deux pays voisins d'Asie du Sud-Est ont un différend ancien portant sur le tracé de certaines parties de leur frontière, longue de 800 kilomètres. Les combats de juillet avaient été déclenchés par des affirmations de la Thaïlande selon lesquelles le Cambodge avait posé des mines ayant blessé ses soldats.

Depuis la trêve de fin juillet, les deux pays s'accusent mutuellement de violations du cessez-le-feu et les analystes estiment qu'un pacte de paix global réglant le différend territorial au coeur du conflit reste difficile à atteindre. Les deux royaumes ont traversé cet été l'épisode le plus sanglant de leurs relations depuis celui de 2008 à 2011, qui avait causé la mort de 28 personnes.

© AFP

L'accord signé entre le Cambodge et la Thaïlande lors du sommet de l'Asean, le 26 octobre dernier, avait été qualifié "d'historique" par Donald Trump.

"Sergueï Lavrov travaille activement", le Kremlin dément la disgrâce du chef de la diplomatie russe

10 novembre 2025 à 15:25

Non, Sergueï Lavrov n’a pas été mis à l’écart, et il continue de "travailler activement". Lundi 10 novembre, le Kremlin a démenti les rumeurs d’une disgrâce du chef de la diplomatie russe, après l’échec de l’organisation du sommet Trump-Poutine à Budapest. Sergueï Lavrov n’était en effet pas parvenu à se mettre d’accord avec son homologue américain Marco Rubio sur les modalités de la rencontre, reportée sine die. Depuis, ses apparitions publiques se font extrêmement rares. Mais Moscou l’assure : "tout va bien" avec Sergueï Lavrov, et "lorsqu’il y aura des événements publics" il réapparaîtra. En parallèle, la Russie continue son avancée en Ukraine. Le ministère russe de la Défense a annoncé lundi dans un communiqué s’être emparé des villages de Nove et Slodkie, dans la région de Zaporijjia, dans le sud, ainsi que de Gnativka, dans la région de Donetsk (est). Pour le Kremlin, la perspective que l’Ukraine gagne la guerre "est illusoire".

Les infos à retenir

⇒ Le Kremlin dément les rumeurs d’une disgrâce de Sergueï Lavrov

⇒ Moscou revendique la prise de trois villages dans le sud et l’est de l’Ukraine

⇒ Une opération anti-corruption a été lancée dans le secteur énergétique ukrainien

Le Kremlin dément la mise à l’écart de Sergueï Lavrov

"Tout va bien" avec Sergueï Lavrov, qui "continue de travailler activement". Lundi, le Kremlin a démenti, par la voix de son porte-parole, Dmitri Peskov, les rumeurs quant à une mise à l’écart du chef de la diplomatie russe. Alors que ses apparitions se font de plus en plus rares, des rumeurs ont émergé sur une éventuelle disgrâce de Sergueï Lavrov, après son échec à se mettre d’accord avec les Américains sur les modalités d’organisation du sommet Trump-Poutine, qui aurait dû se tenir à Budapest.

Ces derniers jours, seules des adresses écrites ou des interviews vidéo du chef de la diplomatie russe ont été publiées, et aucune annonce n’a été faite sur son agenda public. Mais le Kremlin l’a assuré lundi : "Lorsqu’il y aura des événements publics, vous allez voir le ministre", a indiqué Dmitri Peskov.

Une victoire de l’Ukraine est "illusoire" dit le Kremlin

La Russie, dont les forces sont mieux équipées et plus nombreuses, continue d’avancer dans l’est de l’Ukraine et notamment dans la région de Donetsk où se concentre l’essentiel des combats. Le ministère russe de la Défense a annoncé lundi dans un communiqué s’être emparé des villages de Nove et Slodkie, dans la région de Zaporijjia, dans le sud, ainsi que de Gnativka, dans la région de Donetsk (est).

"Les Européens croient que l’Ukraine peut gagner la guerre et défendre ses intérêts par des moyens militaires" mais cette perspective est "illusoire", a déclaré lundi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. "La situation sur le front indique le contraire", a-t-il affirmé, ajoutant que la fin du conflit ne sera possible que "lorsque la Russie aura atteint tous les objectifs qu’elle s’était fixés au départ".

Moscou réclame que l’Ukraine renonce à rejoindre l’Otan et cède à la Russie les régions de Donetsk et de Lougansk, qui forment le Donbass dans l’est, celles de Kherson et de Zaporijjia dans le sud, en plus de la Crimée annexée en 2014. Des conditions inacceptables pour les dirigeants ukrainiens et leurs alliés occidentaux. Fin octobre, l’armée russe contrôlait totalement ou partiellement près de 20 % du territoire ukrainien.

Opération anti-corruption "à grande échelle" dans le secteur énergétique ukrainien

Les instances ukrainiennes de lutte contre la corruption ont annoncé lundi avoir lancé une "opération à grande échelle" ayant permis de mettre au jour des cas de corruption dans le secteur énergétique du pays, lourdement endommagé par de récentes frappes russes.

Selon l’Agence nationale anticorruption (le NABU), "un vaste système de corruption visant à influencer des entreprises stratégiques du secteur public" aurait été mis en place, notamment au sein de l’opérateur nucléaire ukrainien Energoatom.

"Quinze mois de travail et 1 000 heures d’enregistrements audios. Les activités d’une organisation criminelle de haut niveau ont été documentées", a affirmé l’agence, qui a accompagné son communiqué de photos montrant des sacs remplis de billets de banque en euros et en dollars, mais sans fournir davantage de détails sur l’opération.

Cette annonce intervient après plusieurs mois de tensions entre ces agences et le gouvernement, sur fond de débats autour des efforts de Kiev en matière de lutte contre la corruption.

© afp.com/Alexander Zemlianichenko

Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, le 21 août à Moscou

En Pologne, l’opposant russe était en fait un espion de Moscou

10 novembre 2025 à 13:33

Il avait été associé à plusieurs mouvements d’opposition russes, notamment la célèbre Fondation anticorruption d’Alexeï Navalny, décédé en prison en 2024. L’exilé russe Igor Rogov, qui avait quitté son pays natal en 2021, a finalement admis avoir collaboré avec les services secrets de Moscou depuis la Pologne.

Selon le Guardian, qui a eu accès à des documents d’accusation, Igor Rogov a reconnu avoir travaillé comme agent infiltré pour le FSB (les services secrets russes) et lui avoir transmis des informations sur les autres opposants russes présents en Pologne. L’homme avait initialement été arrêté en juillet 2024 avec sa femme Irina par les autorités polonaises, le couple étant suspecté d’avoir participé à l’envoi et la réception d’un colis contenant des explosifs.

Téléphone jetable et clé USB cryptée

Irina et Igor, qui avaient obtenu un visa polonais en 2022 à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, auraient pu se fondre dans le lot de personnes arrêtées au cours des deux dernières années dans le cadre d’enquêtes de sabotage. Il s’agit bien souvent d’Ukrainiens, Polonais ou Biélorusses recrutés sur Telegram pour des missions ponctuelles. Mais l’enquête polonaise montre des liens plus étroits et durables entre le couple et le FSB. Igor et sa femme ont ainsi été inculpés début octobre pour les faits liés au colis piégé mais également pour avoir fourni au FSB des informations sur des opposants russes résidant en Pologne ainsi que sur les individus et les institutions qui leur portent assistance, rapporte l’agence Reuters.

Selon les documents consultés par le Guardian, Igor Rogov avait été approché par le FSB "il y a plusieurs années", lorsqu’il était encore en Russie, afin d’infiltrer la branche locale d’un mouvement d’opposition. Il avait alors des contacts réguliers avec les services de renseignement via un téléphone jetable et percevait de l’argent en échange de ses informations. Un communiqué du parquet polonais rapporte ainsi qu’il a collaboré avec le FSB "contre la République de Pologne" entre février et août 2022. Son épouse Irina, qui savait que son mari travaillait pour le FSB, avait ensuite "entrepris les démarches" pour transférer vers la Russie des informations contenues sur une clé USB cryptée cachée dans un colis. Le parquet polonais ne précise pas si la femme avait effectivement réussi à transférer cette clé USB au FSB.

Chantage depuis la Russie

D’après les informations du média polonais Wirtualna Polska confirmées par le Guardian, l’acte d’accusation indique qu’Igor a été victime de chantage de la part du FSB. Les services secrets l’auraient menacé d’enrôler son père dans l’armée russe s’il ne transmettait pas les informations recueillies en Pologne.

L’opposant factice est désormais accusé d’espionnage "susceptible de nuire à la République de Pologne", selon le parquet polonais, et plus précisément d’avoir mis en danger "la vie ou la santé de nombreuses personnes", précise Wirtualna Polska. La première audition du couple devrait se tenir le 8 décembre.

© AFP

Igor Rogov avait été recruté par le FSB, les services secrets russes, pour infiltrer les mouvements d'opposition en Russie.

Donald Trump élu président des Etats-Unis : un come-back historique

10 novembre 2025 à 12:26
Contre toute attente, le milliardaire imprévisible et outrancier new-yorkais Donald Trump, 70 ans, a remporté l'élection présidentielle de 2016 aux Etats-Unis, face à la démocrate Hillary Clinton. Investi président le 20 janvier 2017, il a succédé à Barack Obama. Promettant à l'Amérique ordre et sécurité, il fait de la lutte contre l'immigration la priorité de son administration à la Maison Blanche, symbolisée par son projet de mur à la frontière avec le Mexique. Après une campagne iconoclaste souvent en opposition à la ligne de son propre parti, le magnat de l'immobilier multiplie les bravades à l'international, notamment evers la Corée du Nord, la Chine et l'Iran.

© AFP

Donald Trump s'exprime lors d'une soirée électorale au centre de congrès de West Palm Beach, en Floride, au début du 6 novembre 2024.

Boualem Sansal : l’appel du président allemand à Abdelmadjid Tebboune

10 novembre 2025 à 12:20

Le président allemand a exhorté lundi 10 novembre son homologue algérien à gracier l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, emprisonné depuis un an en Algérie et au cœur d’une grave crise diplomatique entre Alger et Paris.

Appelant son homologue Abdelmadjid Tebboune à un "geste humanitaire", Frank-Walter Steinmeier propose aussi que Boualem Sansal soit transféré en Allemagne pour "y bénéficier de soins médicaux […] compte tenu de son âge avancé […] et de son état de santé fragile".

"Un tel geste serait l’expression d’une attitude humanitaire et d’une vision politique à long terme. Il refléterait ma relation personnelle de longue date avec le président Tebboune et les bonnes relations entre nos deux pays", a estimé le président allemand, dans un communiqué.

Condamné à cinq ans de prison

Arrêté à Alger le 16 novembre 2024, le romancier et essayiste franco-algérien Boualem Sansal a été condamné en appel en juillet à cinq ans de réclusion pour avoir notamment déclaré que l’Algérie avait hérité sous la colonisation française de territoires appartenant jusque-là au Maroc.

Jeudi, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, avait souligné que la France menait un "dialogue exigeant" avec Alger pour obtenir la libération de Boualem Sansal.

L’affaire s’inscrit dans un contexte d’hostilité entre Paris et Alger, qui sont empêtrés depuis plus d’un an dans une crise diplomatique sans précédent qui s’est traduite par des expulsions de fonctionnaires de part et d’autre, le rappel des ambassadeurs des deux pays et des restrictions sur les porteurs de visas diplomatiques.

© afp.com/Joël SAGET

L'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, le 8 septembre 2015 à Paris
❌