Narcos, pétrole et parfum de guerre froide : Donald Trump - Nicolas Maduro, la bataille des Caraïbes
A 62 ans, dont douze au pouvoir, Nicolas Maduro traverse une mauvaise passe. Crise de la soixantaine ? Grosse fatigue ? Insomnies ? Bien pire : depuis un an, le dirigeant vénézuélien fait face à une de ces accumulations de mauvaises nouvelles qui faisait dire à Jacques Chirac : "Les emmerdes, ça vole toujours en escadrilles". Tout commence à l’été 2024 lorsque l’opposition, pour une fois unie sous la houlette de María Corina Machado, fait la démonstration que son candidat a remporté l’élection présidentielle. Avant la proclamation officielle du résultat à l’échelle nationale par le gouvernement, ses très nombreux partisans recueillent et documentent les résultats de chaque bureau de vote du pays, puis les rendent publics. Contre l’évidence, et contre l’avis de la communauté internationale, Maduro se déclare vainqueur. Selon le décompte – crédible – de l’opposition, il a au contraire perdu par 30 % des suffrages contre 67 % à son adversaire Edmundo Gonzalez qui remplace "Maria Corina", celle-ci ayant été empêchée par Maduro de se présenter, sous un motif fallacieux.
Quelques semaines plus tard, nouvelle tuile : Donald Trump, qui, durant son premier mandat, avait lancé une politique de "pression maximum" contre Caracas, est réélu a la Maison-Blanche. Il nomme Marco Rubio, qui est d’origine cubaine, au ministère des Affaires étrangères et au poste-clé de Conseiller à la sécurité nationale. Pas de chance, celui qui est le premier Latino de l’histoire à occuper cette fonction s’intéresse de près au Venezuela ! Plaque tournante du trafic de drogue, le pays pétrolier est désormais considéré par Washington comme un narco-Etat qui menace la sécurité nationale des Etats-Unis.
Une récompense pour la capture de Maduro
Quelques mois passent et la pression s’accentue. Washington ajoute le cartel des Soleils - en référence à l’astre figurant sur les épaulettes des généraux -, une organisation criminelle liée à des membres du gouvernement vénézuélien et des hauts gradés, à la liste du Département d’Etat des organisations terroristes, où figurent aussi le Hezbollah, Al-Qaïda, des cartels mexicains ou Boko Haram (Nigeria). Enfin en août, la justice américaine double, jusqu’à 50 millions de dollars, la récompense promise à quiconque permettra l’arrestation de Nicolas Maduro, tenu pour le grand chef mafieux au sommet de l’Etat.
"Nicolas Maduro et sa femme Cilla Flores, sont terrifiés à l’idée d’être assassinés", témoigne un consultant occidental (désireux de rester anonyme) qui les a rencontrés plusieurs fois ces dernières années. Selon lui, le couple dort habituellement en sous-sol dans des lieux bunkerisés. La semaine dernière, leur inquiétude a dû augmenter d’un cran : Donald Trump a laissé fuiter l’information selon laquelle il autorisait la CIA à mener des actions clandestines au Venezuela… En outre, depuis un mois, une impressionnante flotte américaine est déployée dans la mer des Caraïbes : un porte-avions, un sous-marin, un croiseur, un porte-hélicoptères, cinq destroyers, etc. Ce n’est pas tout. 10 000 soldats sont sur le pied de guerre sur l’île de Porto Rico, à 500 kilomètres au nord de Caracas.
"Après ses déclarations de début d’année sur la reprise de contrôle du canal de Panama, un parfum de guerre froide plane incontestablement sur la région, estime le spécialiste de l’Amérique latine Gaspard Estrada en évoquant ce qui constitue la plus importante présence navale américaine dans les Caraïbes depuis 1965. Depuis deux mois, le Pentagone multiplie en effet les démonstrations de force au large du Venezuela. Dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic, l’US Navy a détruit et coulé au moins cinq hors-bords vénézuéliens transportant, selon elle, de la cocaïne, tuant 27 personnes. Pas vraiment légal mais, face à des mafieux, Trump, on le sait, ne s’encombre guère d’états d’âme.
Enfin, le 15 octobre, une escadrille de l’US Air Force – semblable à celle qui a bombardé l’Iran en juin – s’est envolée vers le Venezuela : après avoir décollé de Louisiane, trois bombardiers B-52 ont volé pendant deux heures près des eaux territoriales du pays latino. Les forteresses volantes étaient escortées par des chasseurs F-18, des F-35 et des avions ravitailleurs. A l’évidence, l’on assiste à une guerre psychologique. Car, persuadé que le pays de Simon Bolivar peut tomber comme un fruit mûr, Trump n’a nulle intention d’envahir le Venezuela, façon Débarquement de Normandie.
"La popularité de 'Maria Corina' dont le prix Nobel de la paix a renforcé la stature morale, mais aussi l’appui international et les fractures à l’intérieur du régime sont autant d’éléments qui laissent à penser que le règne de Nicolas Maduro touche à sa fin", veut croire Carlos Blanco, un ex-dirigeant de gauche qui conseille María Corina Machado. Mais depuis Washington, Virginia Contreras, une ex-diplomate nommée par Hugo Chavez aujourd’hui en délicatesse avec Maduro est désillusionnée : "La situation se dégrade depuis très longtemps sans que rien ne change. Régulièrement, on croit à la fin du régime, puis les espoirs s’effondrent."
Il rêve d'un changement de régime à Caracas
La vraie question est : que veut Trump ? Pendant qu’il est accaparé par ses "deals" au Moyen Orient et les tractations avec Vladimir Poutine au sujet de l’Ukraine, il laisse la bride sur le cou du secrétaire d’Etat Marco Rubio. A la manœuvre, celui-ci rêve d’un changement de régime à Caracas. Il sait que par ricochet, cela fragiliserait les deux autres dictatures rouge-brunes de la région, Cuba et le Nicaragua. Reste à savoir comment faire tomber le "bolivarien" Maduro. L’assassiner au moyen de frappes ciblées ? Par sûr que l’idée, mise en œuvre contre le Hamas et le Hezbollah, soit géniale. "Cela ne résoudrait rien, reprend notre connaisseur occidental du pouvoir vénézuélien. Maduro serait aussitôt remplacé par pire que lui, par exemple Diosdado Cabello, le ministre de la Sécurité et de la Justice, ou Vladimir Padrino, le ministre de la Défense, tous deux recherchés par la justice américaine." Autre scénario envisagé, se débarrasser d’abord de l’entourage de Maduro, puis négocier avec ce dernier. Pour Marco Rubio, l’élimination de Diosdado Cabello aurait en tout cas un goût de revanche : en 2017, selon le Miami Herald, cet impitoyable pilier du régime projetait en effet de faire assassiner le sénateur de Floride (Rubio) par des tueurs mexicains.
Obtenir le consentement de Maduro pour qu’il soit exfiltré vers, par exemple, Moscou, le Qatar ou Istanbul (en échange de la vie sauve) serait une autre option. "C’est plus facile à dire qu’à faire car le Vénézuélien est lui-même prisonnier de forces qui le dépassent, explique encore notre témoin. Sa sécurité personnelle est, en effet, assurée par des soldats cubains et des mercenaires russes de l’ex-groupe Wagner." Or ni La Havane ni Moscou n’ont intérêt à céder quoi que ce soit à Washington. Le fait est que depuis un quart de siècle, les Cubains et les Russes – mais aussi les Chinois et les Iraniens – ont tous avancé leurs pions au Venezuela… et ils ne comptent pas les retirer. Pour Donald Trump, à l’inverse, la chute de Maduro et le retour de la démocratie à Caracas seraient une victoire politique majeure, sachant que les électorats cubano-américain et américano-vénézuélien pèsent lourd, non seulement en Floride mais aussi à Washington – au Sénat et à la Chambre des représentants.
Du pétrole lourd
Derrière tous ces calculs se cache un autre enjeu : l’or noir. Autrefois surnommé "Venezuela saoudite", le pays pétrolier abrite toujours d’extraordinaires réserves de pétrole lourd. Cependant, un quart de siècle d’incompétence, de corruption et de clientélisme a ruiné le pays. A peine arrivé au pouvoir en 1999, Hugo Chavez s’est mis en tête de chasser les compagnies pétrolières occidentales, notamment américaines, et d’utiliser l’entreprise nationale Petroleos de Venezuela (PDVSA) comme sa cassette personnelle pour financer sa "révolution" et arroser ses amis, à commencer par Fidel Castro. "Officiellement, il s’agissait de remplacer les 'impérialistes' américains par des Russes, des Chinois et des Iraniens", raconte Humberto Calderón Berti, ancien patron de PDVSA, ex-président de l’OPEP et aujourd’hui conseiller de María Corina Machado. "Le problème, c’est que nous n’avons aucune affinité, ni culture ou langue en commun, avec ces trois peuples. Finalement, les Russes n’ont pas exploité le pétrole, les Chinois se sont focalisés sur nos minerais, et les Iraniens ont participé au narcotrafic afin, notamment, de financer le Hezbollah."
Résultat ? La production a plongé, passant de 3,7 millions à 800 000 barils par jour, dès les années 2010. Parallèlement, le nombre d’employés est passé de 40 000 à 100 000, tous supporters de feu Chavez. A l’inverse, ce dernier a un jour licencié d’un seul coup (en direct à la télévision !) 20 000 cadres, ingénieurs et ouvriers qui dénonçaient ce clientélisme. Sans personnel compétent et sans investissements, la compagnie PDVSA, autrefois une fierté nationale, a périclité. Les puits et raffineries ont été abandonnés, pillés et… revendus en pièces détachées à des ferrailleurs ! Si elle arrive un jour au pouvoir, María Corina Machado promet de faire revenir des investisseurs étrangers, dont Total, en s’appuyant sur des privatisations. Dans ce pays qui possède d’immenses réserves inexploitées, il y a matière à un bon "deal" avec Trump. Lequel n’entend pas laisser les Chinois prendre racine dans cet eldorado pétrolier en puissance.
© AFP