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Reçu hier — 3 décembre 2025 L'Express

Cette alléchante proposition faite par le Soudan au Kremlin, en échange de livraisons d’armes

3 décembre 2025 à 18:43

Jusqu’à 150 000 personnes décédées de la violence, de la famine ou des maladies, des dizaines de milliers de déplacés : depuis avril 2023, la guerre civile fait rage au Soudan. La Russie, de son côté, pourrait tirer un avantage considérable de cette situation macabre : le gouvernement militaire de Khartoum, mis en difficulté par le conflit avec les groupes rebelles, aurait proposé à Moscou d’établir une base navale russe en mer Rouge, en échange de la fourniture de matériel militaire.

Le Wall Street Journal indique, en effet, que les autorités auraient proposé en octobre à la Russie, d’installer une base maritime à Port-Soudan, ou sur un autre point d’ancrage en mer Rouge, pour une durée de 25 ans. Un atout pour étendre son influence militaire sur le continent africain, mais aussi sur cet axe commercial - l’une des routes les plus empruntées au monde.

Quatre navires de guerre stationnés

L’infrastructure serait en capacité d’accueillir 300 soldats russes et quatre navires en simultané, dont des bâtiments à propulsion nucléaire. Cette perspective inquiète les Etats-Unis, qui voient d’un mauvais œil l’influence croissante de Moscou et de Pékin en Afrique. "Ce serait un développement préoccupant pour les Etats-Unis, qui s’efforcent d’empêcher la Russie et la Chine de contrôler les ports africains où elles pourraient réarmer et moderniser leurs navires de guerre et, potentiellement, bloquer des voies maritimes vitales", analyse le quotidien.

Situé au milieu de la mer Rouge, Port-Soudan offrirait aux Russes une excellente base pour surveiller le trafic maritime entre l’Europe et l’Asie transitant par le canal de Suez, une route par laquelle s’effectue 12 % du commerce mondial. "Le Kremlin bénéficierait également d’un accès privilégié aux concessions minières lucratives du Soudan, troisième producteur d’or d’Afrique", relève le WSJ.

Première base en Afrique

Une proposition qui devrait mériter toutes les attentions de la Russie, qui ne dispose plus de base militaire à l’étranger. La seule qu’elle possédait, à Tartous, en Syrie, lui a filé entre les mains lors de la chute de son allié Bachar al-Assad, en 2024, conduisant le nouveau gouvernement d’Ahmed al-Charaa à suspendre l’accord entre les deux pays, jusqu’à nouvel ordre. Or, les activités navales russes sont limitées par ce manque de points de ravitaillement et de manutention. Une base en mer Rouge leur permettrait de transiter plus longtemps en Méditerranée, ou dans l’océan Indien.

La Chine, elle, détient déjà une série de ports commerciaux qu’elle a construits en Afrique, dans le cadre de sa vaste stratégie des nouvelles routes de la soie, ainsi qu’une base militaire à Djibouti. Située sur le détroit de Bab el-Mandeb, aux portes de la mer Rouge et du golfe d'Aden, elle offre une position stratégique… à une dizaine de kilomètres à peine de la base américaine de Camp Lemonnier, en Somalie.

Aussi, la proposition du gouvernement soudanais intervient alors que l’influence russe perd du terrain sur le continent africain. En une décennie, des forces paramilitaires russes, comme le groupe Wagner, étaient parvenues à gagner en importance, en jouant les hommes de main de certains Etats comme le Mali ou la République centrafricaine. Mais depuis la disparition de la tête de Wagner, Evgueni Prigojine, dans un accident d’avion après sa tentative de rébellion avortée contre Vladimir Poutine, ces milices privées ont perdu en influence politique et financière en Afrique.

Khartoum appelle à l’aide

De son côté, l’offre faite par le régime soudanais à Moscou apparaît comme un symptôme de son essoufflement face aux Forces de soutien rapide - qui ont certes été expulsées de la capitale, mais qui ont conquis en octobre la totalité du Darfour, à l’ouest du Soudan, massacrant au passage de nombreux civils. En échange, Khartoum exige en effet que Moscou lui livre des systèmes antiaériens russes de pointe et d’autres armements à des prix préférentiels.

L’idée n’est pas nouvelle : en 2017, déjà, le dictateur soudanais Omar el-Bechir avait tenté de s’assurer le parapluie russe de la même façon, mais sans parvenir à un accord avec Vladimir Poutine. Quelques mois plus tard, il était défait par un soulèvement. Néanmoins, il n’est pas sûr que l’accord aboutisse cette fois-ci. "Les conditions de sécurité ne sont toujours pas réunies du côté russe puisque la guerre civile au Soudan continue", remarque Igor Delanoë, chercheur associé à l’IRIS et spécialiste de la Russie, dans Le Figaro.

Reste à savoir également si cette alliance ne sera pas mise à mal par les Etats-Unis : dans le WSJ, un responsable soudanais explique en effet que, bien que le Soudan ait besoin d’armes, "un accord avec la Russie pourrait engendrer des problèmes avec les Etats-Unis et l'Union européenne", auquel le pays devra faire face. L’année dernière, Khartoum avait ainsi refusé le soutien de Téhéran en échange de l’établissement d’une base militaire iranienne dans son pays, de peur de s’attirer les foudres de Washington et de son allié israélien.

© AFP

Le président Vladimir Poutine et le général soudanais Abdel Fattah al-Burhan, lors d'un sommet Russie-Afrique à Sochi, en 2019.

Les croisades de la mouvance Maga : enquête sur les réseaux trumpistes en Europe

3 décembre 2025 à 17:00

"Un jour, elle sera présidente de la République". Parole d’apôtre Maga ("Make America Great Again") sur… Marion Maréchal. Nous sommes à Rome, le 4 février 2020 : la petite-fille de Jean-Marie Le Pen monte sur la scène de la National Conservatism Conference, grand-messe de l’ultradroite internationale, où sont conviés Viktor Orban et Giorgia Meloni. Escarpins et minijupe noirs, accent à couper au couteau, assurance remarquée. Dans le public, un certain Rod Dreher tweete : "Marion Maréchal prononce en ce moment même un discours formidable." Et prophétise : "Un jour, elle sera présidente de la République. Tant mieux pour la République." Le journaliste américain est un intime du futur vice-président J.D. Vance, il sera bientôt l’un des artisans de son ascension éclair. Le genre d’ami précieux pour qui rêve de conquérir le pouvoir. Bonne nouvelle pour ses disciples, Rod Dreher a pris, depuis peu, ses quartiers en Europe. L’essayiste conservateur s’est installé en 2022 à Budapest, séduit par le "modèle Orban". Directeur du projet "Network" au Danube Institute, un think tank financé par l’Etat hongrois, il s’active tous azimuts pour évangéliser le Vieux Continent. De Dubrovnik à Bruxelles, il professe dans les conférences "Mega" (pour "Make Europe Great Again") et au Parlement européen, réseaute, facilite en février 2025 la visite en Slovaquie du milliardaire Peter Thiel (ex-conseiller de Trump et sponsor de J.D. Vance), accompagne Viktor Orban à la Maison-Blanche début novembre et, à ses heures perdues, tresse des lauriers à la patronne du parti d’extrême droite allemand AfD : "Je regrette juste qu’elle soit lesbienne, car je veux un rencard avec la géniale Alice Weidel !" badine-t-il sur X, ce 13 novembre.

Mais ce n’est pas tout. Car X – plus de 580 millions d’utilisateurs actifs – est soupçonné d’avoir manipulé ses algorithmes pour favoriser les contenus publiés par l’AfD en amont du scrutin. Une étude pilotée par quatre universités américaines et européennes a fait sa propre expérience. Les chercheurs ont créé deux faux comptes X, qui ont suivi la même liste de 64 politiciens allemands, soit 7 à 9 membres de chaque parti fédéral - du 3 au 31 janvier 2025. Résultat accablant : "Les publications des membres de l’AfD apparaissaient le plus fréquemment dans le fil d’actualité "Pour vous", représentant 37,9 % des publications, alors même que ces élus n’ont publié que 15,2 % des tweets." Elon Musk n’a pas visé au hasard l’Allemagne, première puissance de l’Union européenne. "Il a tiré les leçons de l’échec de Steve Bannon en 2018, qui a tenté de créer un mouvement nationaliste européen, en vain. A l’époque, il avait notamment été rejeté par l’AfD, rappelle le politologue bulgare Ivan Krastev. Le message de Musk est clair : si vous voulez changer l’Europe, vous devez changer l’Allemagne."

Les associations chrétiennes intégristes américaines financent de plus en plus de projets en Europe.
Les associations chrétiennes intégristes américaines financent de plus en plus de projets en Europe.

Outre-Rhin, les autorités françaises redoutent une tentative similaire à l’approche de la présidentielle de 2027. "Les réseaux Maga font désormais partie des acteurs habituels de la menace, on serait étonné qu’il ne se passe rien, confie une source sécuritaire haut placée. Nous menons une opération permanente pour surveiller les activités de cette nébuleuse sur les réseaux sociaux." La France serait, au même titre que l’Allemagne, un trophée de taille. L’administration américaine y connaît ses sympathisants. A vrai dire, elle a l’embarras du choix : la "pépite" Marion Maréchal, adoubée depuis son premier discours au rendez-vous des conservateurs américains, la CPAC, en 2018, dans le Maryland ? La nouvelle venue, Sarah Knafo, élue Reconquête au Parlement européen ? Ou Jordan Bardella au Rassemblement national ? La première a les faveurs de tous - "l’une des personnes les plus impressionnantes au monde", dixit Steve Bannon – mais une surface politique moindre, sur le papier. Le dernier a perdu des points le 21 février dernier, lorsqu’il a annulé in extremis sa participation à la dernière CPAC après le salut nazi du même Bannon. "S’ils sont malins, ils misent sur plusieurs chevaux en même temps" glisse notre source. Et via plusieurs canaux… Le patron de la Heritage Foundation Kevin Roberts, a rencontré les trois clans fin mai, lors d’une visite à Paris. Au même moment, une délégation du département d’État américain a vu des hauts responsables du Rassemblement national, selon l’agence Reuters. A sa tête, Samuel D. Samson, conseiller principal auprès du Bureau pour la démocratie, les droits de l’homme et le travail. L’homme, jusqu’alors inconnu du grand public, s’est fait remarquer en publiant, le 27 mai, via une newsletter du département d’Etat, un appel à former une "alliance civilisationnelle" entre les Etats-Unis et l’Europe. Le texte, paru dans l’entre-deux tours de la présidentielle polonaise, fait écho au discours de J.D. Vance, prononcé trois mois plus tôt à Munich. Entre les lignes, le fonctionnaire dévoile une nouvelle doctrine américaine n’excluant pas le changement de régime en Europe : "Le secrétaire d’État Rubio a clairement indiqué que le département d’État agirait toujours dans l’intérêt national américain. Le recul démocratique en Europe n’affecte pas seulement les citoyens européens, mais aussi, de plus en plus, la sécurité et les liens économiques des États-Unis", écrit-il, suggérant que l’Europe doit être envisagée comme une affaire domestique.

Des émissaires trumpistes se rendent de plus en plus régulièrement pour tenter d'évangéliser le Vieux Continent.
Des émissaires trumpistes se rendent de plus en plus régulièrement pour tenter d'évangéliser le Vieux Continent.

De fait, Washington a de plus en plus d’alliés de l’autre côté de l’Atlantique. Chez les dirigeants, il y a le prototype, Orban, modèle assumé de Trump ; le polonais Nawrocki, président depuis août 2025 avec le soutien officiel de la Maison-Blanche ; l’italienne Giorgia Meloni, qui a reçu, en septembre 2024, des mains d’Elon Musk, le "Global Citizen Award" du think tank américain Atlantic Council.

Mais c’est sans doute au Parlement européen que le mouvement Maga trouve le plus de "camarades". Les dernières élections ont sérieusement grossi les rangs de l’extrême droite, dispersée dans trois groupes : les Conservateurs et réformistes européens, les Patriotes pour l’Europe et l’Europe des nations souveraines. Au total, ils forment un ensemble de 187 députés sur 720 sièges, soit le quart de l’hémicycle. Sans surprise, ce sont eux que les lobbies Maga ciblent en premier pour peser sur la fabrique de l’Europe… La branche bruxelloise de l’ONG Transparency International n’a pas tardé à s’en apercevoir, en épluchant les rencontres des élus avec des lobbyistes déclarés dans le registre européen. Sur les 47 rendez-vous listés entre octobre 2024 et mai 2025, 38 ont été organisés avec des députés apparentés à l’extrême droite.

"Agenda Europe"

Parmi les organisations recensées dans cette base de données, la Heritage Foundation, auteure du fameux "Project 2025", que Donald Trump applique quasiment à la lettre. Liée aux très influents think tanks hongrois Mathias Corvinus Collegium (MCC) et polonais Ordo Uris, elle a ses entrées à Bruxelles. Tout comme le Heartland Institute, connu pour son climatoscepticisme. Après avoir poussé Trump a quitté les accords de Paris sur le climat en 2017, il conseille aujourd’hui le parti de Nigel Farage au Royaume-Uni. Au cœur de cette constellation de lobbyistes, l’Alliance Defending Freedom (ADF) se distingue par son zèle. Ce lobby juridique chrétien est l’un des plus influents aux États-Unis, dirigé entre 2017 et 2022 par un ami personnel de Trump, Mike Harris, lequel a été directement impliqué dans l’effort pour invalider les résultats de la présidentielle de 2020. L’ADF est active en Europe depuis les années 2010 contre l’avortement et les droits des minorités sexuelles. Entre 2023 et 2024, elle a dépensé plus de 1,1 million d’euros pour ses activités européennes, le double de l’année précédente. Elle est épaulée dans ses combats par une autre organisation juridique : l’ECLJ (European Center for Law and Justice), branche européenne de l’American Center for Law and Justice, dirigée par Jay Sekulow, ancien avocat… de Donald Trump. "Ce groupe travaille systématiquement à changer la perception de ce que sont les droits humains. Il est très actif à Bruxelles et au sein du Conseil de l’Europe, qui abrite la Cour européenne des droits de l’homme", souligne Kenneth Haar, chercheur au Corporate Europe Observatory, spécialisé dans l’influence des lobbies sur les politiques publiques de l’UE.

Cet activisme forcené paie. Le 22 octobre 2020, l’ECJL jubile : le tribunal constitutionnel polonais déclare inconstitutionnel l’avortement en cas de "malformation grave et irréversible" du fœtus ou de "maladie incurable ou potentiellement mortelle". Des avortements "eugéniques", juge depuis toujours l’ECJL, qui a fourni des arguments juridiques en faveur de cette décision. L’aboutissement d’un long combat, mené par une myriade d’autres organisations sœurs. "Le mouvement ‘antigenre’ a commencé à s’organiser en Europe à partir de 2013, quand le Royaume-Uni et la France ont autorisé le mariage pour tous, rappelle Neil Datta, directeur exécutif du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs. Tout à coup, ce qui passait pour une excentricité nordique est devenu ‘mainstream’ chez deux poids lourds de l’UE du monde occidental."

C’est cette année-là que les colères s’agglomèrent en un mouvement secret regroupant des lobbies ultraconservateurs américains et européens. Son nom ? "Agenda Europe". Sa stratégie est clairement énoncée lors du sommet organisé en 2014, où l’on retrouve, tout naturellement, l’Alliance Defending Freedom. Son patron, Paul Coleman, y anime une session sur "La pénétration des institutions internationales", insiste sur l’importance pour les organisations défendant "la cause" de se faire accréditer dans toutes les institutions pertinentes : Conseil des droits humains des Nations Unies, Conseil de l’Europe et à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Dans son manifeste, intitulé Restaurer l’ordre naturel : un agenda pour l’Europe, le réseau est on ne peut plus clair : il faut "faire entrer les bonnes personnes dans les bonnes institutions" et "dresser une liste des postes clés qui seront prochainement vacants." "Avec l’arrivée de Trump en 2016, on a vu cette infrastructure se consolider. Les liens transatlantiques se sont développés, grâce à des relais importants en Hongrie et en Pologne, où la droite conservatrice était déjà au pouvoir, poursuit Neil Datta. Avec Trump 2, on observe la professionnalisation de ces réseaux." Une nouvelle donne décuple leur force de frappe, aux Etats-Unis comme à l’étranger : le ralliement des géants de la tech au trumpisme.

En Europe aussi, les militants anti-avortement font dorénavant cause commune avec les détracteurs du Digital Service Act sur la lutte contre une pseudo "censure", les premiers pour des motifs idéologiques, les seconds pour protéger leur juteux business. Furieux contre ce DSA, Donald Trump a donné des consignes limpides à ses diplomates pour "abroger et/ou de modifier la DSA ou les lois européennes ou nationales connexes restreignant l’expression en ligne", selon un télégramme du 4 août signé par le secrétaire d’État américain Marco Rubio, révélé par Reuters.

Des reculs au Parlement européen

En réalité, le travail de sape avait commencé bien plus tôt. En témoigne un vote passé inaperçu le 17 juin passé. Ce mardi-là, les eurodéputés sont appelés à donner leur position sur un projet de loi visant à améliorer la capacité des pays de l’UE à lutter efficacement contre les abus sexuels sur les enfants. Proposition approuvée à une large majorité (599 voix sur 720). Mais le diable se cache dans les détails. Car soixante-deux élus ont préféré s’abstenir, dont 48 apparentés à un des trois groupes d’extrême droite du Parlement. "On aurait pu croire que ces formations, qui prétendent jour et nuit défendre la veuve et de l’orphelin, voteraient pour protéger les enfants… Mais non ! Pour eux, la liberté des plateformes numériques passe avant tout", soupire Nathalie Loiseau.

Cette fois-ci, les réfractaires n’ont pas obtenu gain de cause, puisque le Parlement s’est massivement prononcé pour cette réglementation. Dans bien d’autres cas, l’Europe a plié. Sous la pression de l’administration américaine et de ses relais, quantité de projets de lois ont été sabordés ou simplement ajournés. A commencer par le DSA, adopté dans la douleur, beaucoup plus permissif, in fine, que sa version initiale. Son application fait maintenant trembler les chancelleries et n’a, à ce jour, pas donné grand résultat. Sur l’intelligence artificielle, les 27 se voulaient pionniers pour donner un cadre à l’usage de cette technologie émergente. Las ! L’adoption de cet arsenal a été reportée d’au moins un an.

Quant à la directive européenne sur le devoir de vigilance, censée contraindre les grandes entreprises commerçant avec l’UE à prévenir les violations de droits humains et les dommages environnementaux, elle a été votée le 13 novembre dernier… mais vidée de sa substance. Le think tank trumpiste Heartland Institute l’avait qualifiée en mars de "plus grande menace pour la souveraineté américaine depuis la chute de l’Union soviétique." Le voilà rassuré : le Parlement européen a considérablement réduit le périmètre de cette directive : seules les sociétés de plus de 5 000 salariés, avec un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d’euros seront finalement concernées. Victoire ultime pour ces défenseurs de "l’America First", le président français Emmanuel Macron et son homologue allemand se sont prononcés pour la suppression pure et simple de cette directive en vertu d’une "simplification" face, notamment, à la concurrence chinoise.

Là est le combat final, pour la mouvance Maga : convaincre, au-delà des frontières de l’extrême droite. Rompre les derniers maillons du "cordon sanitaire". Mission accomplie au Parlement européen, où la droite traditionnelle du PPE vote aujourd’hui sans complexe avec les trois groupes assis à sa droite. Que dire de cette lettre ouverte, signée par neuf chefs d’Etats et de gouvernements de l’UE – y compris la sociale-démocrate danoise Mette Frederiksen - le 23 mai dernier, appelant à remettre en cause la Convention européenne des droits de l’homme, accusée de freiner leur politique migratoire ? Qu’elle a fait des heureux, de Washington à Moscou, en passant par Budapest. "Il est certain que les Etats-Unis, l’Europe et la Russie atteindront un haut degré de compréhension mutuelle et de coopération", nous assurait en mars dernier le mage du Kremlin, Vladislav Sourkov. "C’est une question de survie de la grande civilisation nordique" concluait l’inventeur du poutinisme. Les ponts sont déjà jetés. Reste quelques places fortes à conquérir. Prochaine étape : Paris 2027.

© Marion Maréchal/Youtube

L’essayiste conservateur américain Rod Dreher lors une conférence intitulée "Rebâtir l'Europe dans les pas de Saint Benoît" avec Marion Maréchal et Laurence Trochu au Parlement européen de Strasbourg le 12 mars 2025

Algérie : le journaliste français Christophe Gleizes condamné en appel à 7 ans de prison

3 décembre 2025 à 16:36

Un effondrement pour les proches du reporter Christophe Gleizes. Un mois après la libération par Alger de l’intellectuel franco-algérien Boualem Sansal, on aurait pu espérer une issue similaire pour son homologue, le journaliste français, arrêté le 28 mai 2024, alors qu’il préparait un reportage sportif. Mais il n’en est rien : ce mercredi 3 décembre, la Cour d’appel de Tizi-Ouzou a confirmé la condamnation à 7 ans de prison du journaliste Christophe Gleizes, 36 ans, emprisonné depuis juin pour "apologie du terrorisme".

"La cour confirme le jugement rendu en première instance", a en effet déclaré le président de la juridiction à l’issue de ce nouveau procès - une annonce qui a suscité la consternation dans la salle. Ses proches, interrogés par l’AFP, se sont dits "effondrés". "Je suis sous le choc. Dans tous les scénarios envisagés, je ne me suis jamais imaginé celui de la confirmation du verdict. Tous les signaux étaient positifs sur un apaisement des relations" entre les deux pays, a ajouté Sylvie Godard, la mère du reporter.

"Apologie du terrorisme"

Le journaliste avait pourtant exhorté, mercredi 3 décembre, à la "clémence" la Cour d’appel de Tizi-Ouzou, juste avant que le parquet ne réclame un alourdissement à dix ans de sa première condamnation pour "apologie du terrorisme".

A la barre, l’accusé de 36 ans, condamné à sept ans de prison en première instance, a demandé "pardon", reconnaissant avoir fait "beaucoup d’erreurs journalistiques malgré (ses) bonnes intentions", selon un journaliste de l’AFP présent dans la salle où se trouvaient aussi la compagne et les parents du reporter. Christophe Gleizes a notamment reconnu qu’il aurait dû demander un visa de journaliste et pas de touriste avant de partir en reportage en Algérie.

Peu après son témoignage, le représentant du parquet a requis une peine de dix ans à son encontre. "L’accusé n’est pas venu en Algérie pour accomplir un travail journalistique mais (pour commettre) un acte hostile", a affirmé le magistrat qui n’a pas été identifié.

Collaborateur des magazines français So Foot et Society, Christophe Gleizes s’était rendu en Algérie en mai 2024 pour un article sur le club de football le plus titré du pays, la Jeunesse Sportive de Kabylie (JSK), basé à Tizi-Ouzou, à 100 kilomètres à l’est d’Alger.

Seul journaliste français détenu à l’étranger, il avait été arrêté le 28 mai 2024 à Tizi-Ouzou et placé sous contrôle judiciaire jusqu’à son premier procès, pour "être entré dans le pays avec un visa touristique, pour apologie du terrorisme et possession de publications dans un but de propagande nuisant à l’intérêt national", selon l’ONG Reporters sans frontières (RSF).

Le tribunal lui a demandé mercredi s’il savait que le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) avait été classé en mai 2021 comme terroriste par les autorités algériennes quand il avait rencontré son président, Ferhat Mehenni, à Paris en octobre de la même année. "Je n’étais pas au courant et j’ai honte de le dire. Cela porte atteinte à mes compétences. J’avais complètement raté cette info", a-t-il répondu.

Christophe Gleizes a assuré s’être "profondément remis en question" : "Ces erreurs m’ont permis de réfléchir", a-t-il dit, assurant n’avoir "aucune rancœur" à l’encontre de l’Algérie. Des sanglots dans la voix, il a ajouté n’avoir "qu’une seule douleur, celle d’être coupé de (sa) famille", demandant à pouvoir "la retrouver".

Victime collatérale du conflit entre Paris et Alger, son avocat français, Emmanuel Daoud, espérait "une issue favorable", à la faveur d’un "apaisement des relations" entre les deux pays. La France, de son côté, a mercredi dit "regretter vivement" la décision de la justice algérienne.

La brouille entre l’Algérie et la France avait été déclenchée par le soutien total apporté en juillet 2024 par Paris au plan d’autonomie marocain pour le territoire disputé du Sahara occidental, puis s’était envenimée après l’arrestation en novembre suivant de Boualem Sansal, un critique notoire du pouvoir algérien.

"Un journaliste n’est pas un activiste"

De nombreux médias français ainsi que RSF et des syndicats de journalistes avaient appelé la semaine passée dans une tribune à une remise en liberté de Christophe Gleizes, qui n’a selon eux "commis aucun crime". Il "n’a rien à faire en prison, il n’est coupable que d’avoir exercé son métier de journaliste sportif et d’aimer le football algérien", a déclaré fin octobre Thibaut Bruttin, directeur général de RSF.

"Nous devons expliquer aux magistrats d’appel qu’un journaliste ne fait pas de politique", "n’est pas un idéologue", "pas un activiste", a souligné Me Daoud avant l’audience. Il a fait part de sa surprise, disant "avoir rarement vu un dossier aussi vide qui se terminait par une condamnation aussi sévère". Le journaliste a désormais huit jours pour se pourvoir en Cassation, selon le président de la Cour.

© AFP

Le journaliste français Christophe Gleizes a été condamné lundi 30 juin à sept ans de prison par la justice algérienne.

Terres rares : l'Europe accélère pour tenter de réduire sa dépendance à la Chine

3 décembre 2025 à 16:22

L'Union européenne va aider à financer et à accélérer le développement des projets de production de terres rares et autres matières premières critiques pour réduire sa dépendance à la Chine, dont la mainmise sur ces matériaux essentiels à l'économie génère de fortes tensions. "Aujourd'hui, l'Europe apporte sa réponse à la nouvelle situation géopolitique mondiale", et elle "acte son indépendance sur les matières premières critiques", a souligné le vice-président de la Commission Stéphane Séjourné, en présentant mercredi ces mesures à la presse.

L'UE débloque près de 3 milliards d'euros

La Commission européenne va notamment débloquer près de 3 milliards d'euros pour financer des projets stratégiques dans l'extraction, le raffinage et le recyclage de ces minerais et métaux indispensables à de nombreux secteurs, sur le Vieux Continent et dans des pays partenaires. Elle mobilisera pour ce faire des fonds issus de programmes européens et de la Banque européenne d'investissement.

Elle va en outre créer début 2026 un Centre européen des matières premières critiques. "Il aura trois principales missions : 'monitorer' et évaluer les besoins, acheter en commun pour le compte des États membres et stocker et livrer en fonction des besoins des entreprises", a expliqué Stéphane Séjourné.

Autre action concrète, Bruxelles veut restreindre en début d'année prochaine les exportations des rebuts et déchets d'aimants permanents (qui sont fabriqués à partir de terres rares et servent à de nombreux usages industriels), pour favoriser leur recyclage en Europe. L'UE prévoit aussi des restrictions plus ciblées aux exportations de déchets d'aluminium et pourrait faire de même pour le cuivre.

Les terres rares sont des éléments métalliques devenus essentiels pour des pans entiers de l'économie, en particulier l'industrie automobile, les énergies renouvelables, le numérique ou la défense. Ils servent à la fabrication d'aimants puissants, de catalyseurs ou de composants électroniques. La Chine, qui concentre la majorité des réserves mondiales de terres rares, domine non seulement l'extraction des minerais, mais a développé en plus un quasi-monopole sur le raffinage. Elle exerce une mainmise similaire sur certains métaux stratégiques, comme le gallium utilisé dans les semi-conducteurs.

L'UE prise en étau entre la Chine et les Etats-Unis

L'Europe s'était dotée il y a deux ans d'une loi qui visait à sécuriser ses approvisionnements en matières premières "critiques". L'UE se retrouve en effet prise en étau entre la Chine, qui a multiplié cette année les mesures de restriction à ses exportations de terres rares, et les Etats-Unis de Donald Trump, qui négocient des accords bilatéraux tous azimuts pour sécuriser leurs propres approvisionnements.

Le Commissaire européen chargé du Commerce Maros Sefcovic a également présenté une mise à jour de la doctrine de l'UE en matière de "sécurité économique", avec là aussi des mesures visant à galvaniser l'autonomie de l'Europe. "Autour du monde, les échanges commerciaux servent d'armes, les chaînes d'approvisionnement sont sous pression" et "les dépendances économiques se transforment en pression politique, et cela affecte tous les jours nos entreprises et leur compétitivité", a-t-il estimé.

La doctrine existante, qui était la première du genre, est pourtant toute récente : elle date de 2023 et visait à l'époque à tirer les leçons de la pandémie de Covid-19 puis de la guerre en Ukraine, deux crises qui ont illustré l'extrême fragilité des chaînes d'approvisionnement européennes. Or, les tensions géopolitiques et commerciales, comme le bras de fer sur les droits de douane avec les Etats-Unis de Donald Trump, ont poussé Bruxelles à remettre l'ouvrage sur le métier.

La doctrine actualisée prévoit d'assouplir et de moderniser l'utilisation des principaux outils déjà à la disposition de Bruxelles : contrôle des investissements directs étrangers, restrictions à l'exportation de certains biens, diversification des pays fournisseurs, et à les compléter si nécessaire. "Nous allons faire un usage plus stratégique et assumé de nos outils existants, nous en développerons d'autres si besoin, et nous allons améliorer notre collecte de renseignements économiques", a souligné Maros Sefcovic.

© afp.com/STR

Chargement de terres rares dans le port de Lianyungang, le 5 septembre 2010 dans l'est de la Chine

François Chimits : "Face à la déferlante de produits chinois, la réponse de l'UE n'est pas à la hauteur"

3 décembre 2025 à 16:06

Pour sa quatrième visite d’Etat en Chine depuis 2017, du 3 au 5 décembre, Emmanuel Macron, qui était accompagné en 2023 par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, sera bien seul face à Xi Jinping. Le programme est pourtant ambitieux : le président français compte mettre l’accent sur la réduction des déséquilibres économiques entre l’Europe et la Chine, tout en essayant d’inciter cette dernière à exercer son influence sur la Russie, afin d’avancer vers un accord de paix durable en Ukraine.

Il y a urgence. Les discussions avec Vladimir Poutine s’enlisent et, sur le plan commercial, le déficit de l’Europe par rapport à la Chine ne cesse de se creuser : il a atteint 304,5 milliards d’euros en 2024 (après 291 milliards en 2023), et 310 milliards sur douze mois glissants à fin octobre. Le déficit français à l’égard de la Chine est lui, resté stable en 2024, à 47 milliards. Dans un mouvement inverse de celui des dernières décennies, Emmanuel Macron cherchera aussi à attirer des investissements chinois sur des secteurs de pointe afin de bénéficier de transferts technologiques.

La tâche s’annonce toutefois rude pour le chef de l’Etat français, tant le rapport de force est à l’avantage de Pékin, face à une Europe désunie, analyse François Chimits, responsable des projets Europe à l’Institut Montaigne. Entretien.

L'Express : Le déficit commercial de l'Europe par rapport à la Chine ne cesse de s'accroître. Comment l’expliquez-vous ?

François Chimits : On observe un redoutable effet ciseau, avec d'un côté une érosion dans le temps long de la compétitivité industrielle européenne - due principalement au choc énergétique lié à la guerre en Ukraine -, et de l’autre, une dynamique ahurissante, côté chinois, de gains de compétitivité.

Une partie de ce phénomène tient à la montée en puissance d’une Chine déjà à la pointe du développement technologique et industriel dans certains secteurs (comme l'industrie verte, le digital ou des segments de la chimie). S'ajoute à cela le soutient étatique massif à ses industries stratégiques, ce qui recouvre un nombre très important de secteurs en Chine. La concurrence est donc complètement faussée pour un certain nombre d'acteurs européens.

Comment analysez-vous la déferlante d’exportations chinoises ?

La montée en gamme est spectaculaire dans un certain nombre de secteurs technologiques et industriels, au point qu’un second choc chinois est maintenant évoqué. La Chine se démarque par l’intensité de l’effort mis sur la recherche et les investissements. En réalité, après les années de Covid, on voit actuellement se matérialiser les effets du virage techno-industriel opéré par Xi Jinping autour de 2016-2017. Le numéro un chinois en a fait la priorité absolue de l’Etat-parti, délaissant celui de doper la consommation en améliorant le pouvoir d’achat des classes moyennes. Cela a conduit à une réorientation claire des flux de capitaux vers ces acteurs, qui ont compris que la compétitivité ne devait pas être uniquement fondée sur le prix, mais contribuer à la poursuite d'un objectif d'indépendance technologique dans des secteurs critiques.

Ces énormes quantités de production industrielle ne pouvant pas être absorbées par le marché intérieur, cette dynamique s’est logiquement traduite par un accroissement des exportations, devenues essentielles à certains secteurs, et le principal, si ce n’est le seul, moteur de l’économie chinoise ces trois dernières années. Et ce, d’autant que la concurrence féroce sur les secteurs prioritaires réduit considérablement les taux de marge en Chine. En réalité, pour rentabiliser les investissements fortement encouragés par les politiques étatiques de Pékin, les acteurs chinois sont presque condamnés à aller chercher des profits sur les marchés extérieurs.

Inversement, les produits européens ont du mal à pénétrer en Chine…

Le marché chinois, sur lequel l’Europe avait fondé sa stratégie ces deux dernières décennies, n’a absolument pas tenu ses promesses. Pensez qu’il représente désormais pour les Européens un marché à l’export plus faible que celui de la Suisse !

Cette atonie s'explique d'une part, par l'ambition chinoise de remplacer les technologies étrangères ; et d'autre part, par cette réorientation politique vers le soutien à sa production domestique, qui grève la consommation des ménages en Chine.

Le déficit commercial avec la Chine n'est-il pas voué à se creuser, ce pays étant de plus en plus compétitif et cherchant à être de plus en plus autonome sur les industries stratégiques ?

Oui, en l’état absolument. Mais la non-soutenabilité du modèle chinois peut toutefois ralentir cette tendance. L’absence de consommation en interne et la faiblesse des prix ne permettent en effet pas de rentabiliser les investissements effectués dans certains secteurs.

Il va falloir que la Chine soit augmente ses prix assez substantiellement, en diminuant la concurrence domestique, soit accroisse sa demande domestique, notamment en instaurant un système de protection sociale pour les classes moyennes qui fait pour l'instant cruellement défaut. L'autre variable, c'est la réponse européenne.

Quelles sont les répercussions de cette vague de produits chinois sur la France ?

La France est relativement moins touchée que d’autres pays, mais pour des mauvaises raisons. Etant le pays le plus désindustrialisé du G20, nous sommes, en toute logique, moins exposés à ce second choc chinois. Nous avions subi de plein fouet le premier, dans les années 2000-2010, qui avait principalement fragilisé les secteurs du textile et des industries lourdes (construction, logistique, infrastructures…), où la France , de par l’histoire de son développement plutôt étatique, occupait des positions fortes.

Le problème, toutefois, c'est que ce second choc chinois vient percuter nos ambitions de renouveau industriel. Les quelques pôles de réindustrialisation qui ont émergé ces dernières années et sont donc encore jeunes, sont particulièrement exposés... Je pense au secteur des batteries électriques, à l’acier et à l’aluminium verts, à quelques entreprises de chimie… Et bien sûr à l’automobile : la concurrence chinoise n'encourage pas les constructeurs à développer leurs capacités de production en France.

L'Europe fait-elle ce qu’il faut pour se protéger contre la concurrence chinoise ? Elle a augmenté l’an dernier les droits de douane sur les véhicules électriques, mais est-ce suffisant ?

"Non, même si elle fait beaucoup plus que par le passé. La salve de mesures de défense commerciale prises l’an dernier a certes été sans précédent : l’UE a ouvert 26 enquêtes pour concurrence déloyale à l’encontre d’acteurs chinois. Mais notre réponse a beau s’accélérer, elle n’arrive pas à tenir le rythme face à une concurrence et des surcapacités chinoises d’une ampleur phénoménale.

La Chine concentre environ 35% de la valeur ajoutée industrielle mondiale, et autant des exportations manufacturières. Nous n’avons jamais connu, dans l’époque moderne, une telle concentration. Donc, quand cet acteur connaît des déséquilibres importants et qu’au même moment, le marché américain se ferme, l'Europe devient inévitablement le récipiendaire d'une quantité astronomique de produits.

Face à cette déferlante, notre manque de coordination à 27 et nos lourdeurs administratives ne nous permettent pas d’apporter une réponse d’ampleur équivalente. A fortiori quand certains de nos acteurs industriels ont fait le pari de la production en Chine, ce qui complexifie la réponse politique…

Et il ne s’agit pas tant de naïveté que d’une difficulté à nous mettre d’accord à 27 : entre Etats, mais aussi entre nos différentes industries. Par exemple, si vous mettez des barrières douanières sur l’acier chinois, vous allez contenter le secteur de l’acier européen, mais d’autres secteurs en aval se plaindront de devoir payer un acier européen plus cher que leurs concurrents internationaux ayant eux accès à l’acier chinois… Maintenant, répliquez cela pour 27 Etats aux bases industrielles assez divergentes, et vous comprendrez mieux la difficulté à opposer un vrai front cohérent…

Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, avait posé comme priorité en 2023 le "derisking" (la réduction des risques) par rapport à la Chine. En clair, limiter la dépendance à certains composants critiques. Cet objectif semble loin d’être atteint…

Effectivement, notre dépendance à certains bien critiques ne cesse de s’accroître, avec encore des illustrations récentes concernant les terres rares ou les semi-conducteurs.

Pourtant, à partir de 2017-2019, les décideurs européens, notamment à l’initiative de la France, ont pris conscience que notre dépendance à la Chine pour certains produits critiques nous mettait en situation de vulnérabilité et posait de graves problèmes de souveraineté. D’où l’ambition, largement portée par la Commission, de bâtir une stratégie pour répondre à ce défi.

Le problème, c’est que la Commission a été freinée par les Etats. Pour changer le statu quo, il faut se coordonner à 27 pour prendre des mesures et en supporter les conséquences, face à un acteur chinois qui ne se prive pas d’exercer une coercition économique dès qu’on contrevient à ses intérêts.

On l’a vu lorsque l’UE a décidé de taxer les véhicules électriques chinois, pourtant dans le respect des règles internationales : la Chine a pris des mesures de rétorsion politiques pour essayer de mettre à mal l’unité européenne. Le coup de semonce tiré par Pékin en octobre, avec cette décision - désormais suspendue pour un an – de contrôler les exportations de tous les produits contenant des terres rares, a par exemple aussi tempéré les ardeurs européennes.

En fin de compte, les Européens continuent d’achopper sur la même question : quel niveau de pression et de rétorsion chinoises est-on prêt à supporter ensemble pour mener à bien nos ambitions de derisking ? Et la réalité, c’est que depuis les premières déclarations sur le sujet, la situation s’est dégradée.

Autre motif de frustration pour les Européens, les investissements chinois ne sont pas toujours à la hauteur de leurs attentes…

Sous Xi Jinping, toute décision en Chine est redevenue politique. Les Chinois surveillent et contrôlent étroitement leurs investissements à l’étranger. On l’a vu en Europe, les investissements chinois dans les batteries et des véhicules électriques, ont été réorientés vers des pays plutôt conciliants à l’égard de la Chine. Inversement, ceux qui étaient destinés à des pays favorables à des mesures de protection contre la Chine ont été nettement moins dynamiques.

Face à cela, on observe effectivement beaucoup de frustration côté européen... Et certains acteurs – Etats ou entreprises - cherchent à se montrer conciliants pour décrocher des investissements chinois.

Lors de son déplacement en Chine, du 3 au 5 décembre, Emmanuel Macron compte aborder la question des déséquilibres commerciaux. A-t-il les moyens de peser ?

Pour tenir le rapport de force dans les négociations avec la Chine, il faut agir à l'échelon européen. Or, on peut se demander dans quelle mesure Emmanuel Macron se rend en Chine avec un soutien et une ligne claire des Européens sur le sujet. Les visites à venir du chancelier allemand Friedrich Merz et du Premier ministre espagnol Pedro Sanchez au premier trimestre 2026 font craindre des Européens en ordre dispersé, qui viennent chacun essayer d'obtenir pour leur pays un moindre mal. Or c’est exactement ce que recherche la Chine, qui préfère des relations bilatérales, où le déséquilibre des masses en jeu se fait le plus ressentir.

Cela étant dit, on peut espérer du président français qu'il contribue à porter le message que sans action de rééquilibrage très fort de la part des autorités chinoises, le marché européen va continuer à se fermer.

Que peut-il obtenir ?

La question se pose. A fortiori quand il semblerait que les intentions de la France pour sa présidence du G7, l’an prochain, soient d’organiser une discussion collective sur les grands déséquilibres économiques mondiaux incluant les pays émergents, en vue de faire émerger de nouvelles règles. Cet agenda-là, qui rend la Chine nécessaire dans la présidence française du G7, risque d'atténuer l’éventuelle volonté de fermeté d’Emmanuel Macron.

L’ouverture du marché chinois, qui était la demande traditionnelle, l’est de moins en moins, tant la concurrence domestique y est forte. Emmanuel Macron y va pour essayer d’obtenir à la fois un réajustement de la politique domestique vers la consommation et des investissements stratégiques. En clair, moins de subventions de la part de l’Etat chinois à ses acteurs, plus de consommation en Chine, et plus d'investissements substantiels dans certains secteurs en Europe. Ces secteurs sont ceux où l’apport chinois paraît nécessaire à une forme de rattrapage, et ne correspondent pas aux secteurs où Pékin aimerait voir se raffermir les coopérations, souvent plus sensibles pour nos enjeux de sécurité nationale.

Dans ce rapport de force, les Européens doivent impérativement rendre plus crédible l’érection de nouvelles barrières aux frontières du marché unique si rien ne change, et cela malgré une résilience incertaine aux éventuelles rétorsions chinoises. Pas simple.

© AFP

Le président français Emmanuel Macron serre la main du président chinois Xi Jinping lors d'une réunion bilatérale en marge du sommet du G20 à Rio de Janeiro, au Brésil, le 19 novembre 2024.

Proche-Orient : ce que l'on sait des discussions pour réduire la tension entre le Liban et Israël

3 décembre 2025 à 15:58

Des responsables civils libanais et israélien participent mercredi 3 décembre à une réunion du mécanisme de surveillance du cessez-le-feu dans le sud du Liban, premières discussions directes depuis plus de 40 ans entre les deux pays toujours en état de guerre. Cette réunion intervient alors qu'Israël menace d'une escalade au Liban, où il continue de viser le Hezbollah malgré le cessez-le-feu en cours depuis un an, accusant la formation pro-iranienne de se réarmer.

Des civils au comité de surveillance du cessez-le-feu

Israël a annoncé mercredi l'envoi d'un émissaire pour une rencontre avec des responsables au Liban, présentant cela comme une "première tentative pour établir une base de relations et de coopération économique" entre les deux pays ennemis depuis des décennies. La présidence libanaise a pour sa part annoncé mercredi avoir nommé un ancien diplomate à la tête de la délégation libanaise aux réunions du mécanisme et indiqué qu'Israël avait fait de même.

Le comité de surveillance du cessez-le-feu est réuni mercredi au siège des forces de l'ONU à Naqoura, localité libanaise frontalière d'Israël, a indiqué à l'AFP une source proche des participants. Elle a précisé que les délégations du Liban et d'Israël y sont dirigées par des civils, et que l'émissaire américaine pour le Proche-Orient Morgan Ortagus participe à la réunion.

Des militaires représentaient jusqu'à présent le Liban et Israël aux réunions de cet organisme dirigé par les Etats-Unis et qui comprend également la France et l'ONU. La délégation libanaise évitait tout contact direct avec la partie israélienne, selon une source diplomatique qui a requis l'anonymat.

Le désarmement du Hezbollah est "crucial"

La rencontre intervient au lendemain de réunions de Mme Ortagus avec des responsables israéliens, dont le ministre des Affaires étrangères, Gideon Saar, qui a affirmé sur X que "le désarmement du Hezbollah est crucial pour l'avenir du Liban et la sécurité d'Israël". L'émissaire américaine est par la suite attendue au Liban.

En novembre, l'émissaire américain Tom Barrack avait estimé que des négociations directes entre le Liban et Israël pourraient être la clé pour réduire la tension. Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou "a chargé le directeur par intérim du Conseil de sécurité nationale d'envoyer un représentant de sa part à une réunion avec des responsables gouvernementaux et économiques au Liban", a indiqué un communiqué de son bureau sans plus de précisions.

Peu auparavant, la porte-parole de la présidence libanaise, Najat Charafeddine, a avait annoncé dans un communiqué à la télévision que "le président Joseph Aoun a décidé de charger l'ancien ambassadeur Simon Karam de présider la délégation libanaise aux réunions du mécanisme". Elle a précisé que cette décision avait été prise "suite à la demande des Etats-Unis (...) et après avoir été informés qu'Israël acceptait de joindre un membre non militaire à sa délégation".

Le président libanais s'était déclaré prêt à des négociations avec Israël, brisant un tabou entre les deux pays toujours en état de guerre. En 1983, après l’invasion israélienne du Liban, les deux pays avaient mené des contacts directs qui avaient abouti à la signature d’un accord prévoyant l’établissement de relations entre eux, mais il n'a jamais été ratifié.

"Une escalade semble inévitable"

Depuis plusieurs semaines, la presse israélienne multiplie les articles sur la possible imminence d'une nouvelle campagne militaire israélienne contre le Hezbollah au Liban. Selon la radio-télévision publique israélienne, "Israël se prépare à une escalade majeure au Liban à la lumière du renforcement militaire en cours du Hezbollah", a affirmé la radio-télévision publique israélienne mercredi.

"Washington tente d'apaiser les tensions, mais des responsables israéliens affirment qu'une escalade semble inévitable", a-t-elle ajouté. Il n'y aura "pas de calme" au Liban sans sécurité pour Israël, avait déclaré le ministre de la Défense israélien Israël Katz le 26 novembre. "Nous ne permettrons aucune menace contre les habitants du nord (d'Israël), et une pression maximale continuera à être exercée et même s'intensifiera", avait-il dit devant le Parlement israélien, avançant pour preuve "l'élimination" le 23 novembre à Beyrouth du chef militaire du Hezbollah, Haitham Ali Tabatabai. Le chef du Hezbollah, Naïm Qassem, a déclaré le 28 novembre que son mouvement se réservait "le droit de répondre" en temps voulu à cet assassinat.

© afp.com/Jalaa MAREY

Poste de surveillance de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), sur la frontière avec Israël le 16 novembre 2025

Guerre en Ukraine : un instructeur militaire britannique soupçonné d’espionner pour la Russie

3 décembre 2025 à 13:48

Les autorités ukrainiennes ont arrêté à Kiev Ross David Cutmore, un ancien militaire britannique de 40 ans originaire de Dunfermline, soupçonné d’avoir espionné pour la Russie. Selon les procureurs ukrainiens, il aurait aussi été recruté par le FSB, les services de sécurité russes, pour "mener des assassinats ciblés sur le territoire de l’Ukraine" entre 2024 et 2025. Si l’information a été révélée par le journal britannique The Times le 2 décembre, l’arrestation a eu lieu fin octobre devant sa résidence à Kiev. Arrivé début 2024 dans la ville de Mykolaïv dans le sud de l’Ukraine comme instructeur militaire, après avoir servi auparavant au Moyen-Orient avec l’armée britannique, Ross David Cutmore avait ensuite rejoint une unité de gardes-frontières.

D’après des sources sécuritaires citées par The Times, l’homme serait le suspect principal de l’enquête ukrainienne. Le FSB l’aurait repéré après la publication "d’annonces offrant ses services" dans des groupes en ligne prorusses. Selon The Independant, c’est fin septembre 2024 qu’il quitte ses activités d’instructeur dans l’armée ukrainienne, et déménage à Odessa pour établir un contact avec un agent russe. Il aurait par la suite été approché par des agents du renseignement russe, selon The Times, qui lui auraient offert 6 000 dollars en échange d’informations sensibles sur les positions de militaires ukrainiens autour de la ville.

Espionnage et préparation d’explosifs

Auprès du Guardian, le bureau du procureur de Kiev précise qu'"en mai 2025, Ross David Cutmore a transmis les coordonnées des emplacements d’unités ukrainiennes, des photographies de leur site d’entraînement et des informations sur du personnel militaire pouvant être utilisées pour identifier ce dernier". D’après les autorités, "en outre, l’analyse de sa correspondance a confirmé qu’il avait effectué d’autres tâches au bénéfice des services spéciaux russes". Le SBU, l’agence de renseignement ukrainienne, affirme que les contacts russes du Britannique lui auraient également envoyé des instructions pour fabriquer un engin explosif improvisé ainsi que les coordonnées d’une cache où il a récupéré un pistolet et deux chargeurs.

"Le service de contre-espionnage a démasqué à l’avance le collaborateur ennemi, documenté ses crimes et l’a arrêté à son lieu de résidence temporaire dans la capitale ukrainienne" s’est félicité le SBU. Celui-ci indique que "l’enquête se poursuit afin d’établir toutes les circonstances du crime et sa qualification supplémentaire. L’auteur est en détention. Il risque jusqu’à 12 ans de prison, avec confiscation de ses biens."

Impliqué dans trois meurtres sur gage ?

Mais l’ancien soldat britannique pourrait avoir déjà frappé. D’après les médias ukrainiens, Ross David Cutmore est en effet soupçonné d’avoir fourni des armes destinées à tuer les militants ukrainiens Demyan Hanul et Iryna Farion, ainsi que le député Andriy Parubiy, tous assassinés par des tueurs à gages. Des informations auxquelles le père de l’inculpé a réagi auprès de The Independant cette semaine : "Cela a été un choc pour moi. Je suis simplement sans voix", a-t-il affirmé.

Depuis l’invasion totale de 2022, l’Ukraine a accueilli des milliers de combattants étrangers, dont de nombreux vétérans, répondant à l’appel de Volodymyr Zelensky. Le Times note que Ross David Cutmore figurait en août dernier parmi les donateurs d’un projet de mémorial dédié aux étrangers morts au combat en Ukraine. Le Foreign Office britannique a réagi en déclarant : "Nous apportons une assistance consulaire à un Britannique détenu en Ukraine. Nous restons en contact étroit avec les autorités ukrainiennes".

© Anadolu via AFP

Des soldats ukrainiens s'entraînent dans le Donetsk, le 10 août 2023. (Photo d'illustration)

Soupçons de fraude : pourquoi l’ex-cheffe de la diplomatie de l’UE Federica Mogherini a été inculpée

3 décembre 2025 à 11:02

L’ex-cheffe de la diplomatie de l’Union européenne, Federica Mogherini, a été inculpée ce mercredi 3 décembre en Belgique, au cœur d’un scandale de corruption. Elle est inculpée pour usage frauduleux de fonds européens, dans le cadre d’une enquête sur l’attribution par l’UE d’un contrat de formation de futurs diplomates au Collège d’Europe, une école de Bruges qu’elle dirige actuellement. Ce contrat représenterait quelque 654 000 euros, selon une source européenne de l’AFP.

Selon le parquet européen, qui supervise les investigations, deux autres suspects ont été interpellés mardi à Bruxelles, comme elle : un haut responsable de la Commission européenne, Stefano Sannino, ainsi que le directeur adjoint du Collège d’Europe. Tous deux ont également été inculpés après une journée d’interrogatoire par la police belge. Les trois suspects ont été remis en liberté sous conditions dans la nuit, a précisé à l’AFP une porte-parole du parquet européen, qui ajoute que "ces accusations concernent des faits de fraude et de corruption dans le cadre de marchés publics, de conflit d’intérêts et de violation du secret professionnel".

Des contrats de formation attribués au Collège d’Europe

Le Collège d’Europe à Bruges est un établissement réputé qui forme de nombreux fonctionnaires européens, et Federica Mogherini en est la rectrice depuis septembre 2020. La responsable italienne de 52 ans dirige également depuis août 2022 l’Académie diplomatique de l’UE, le programme qui se retrouve au cœur de l’enquête du parquet européen.

L’enquête porte sur des soupçons de favoritisme et de concurrence déloyale dans l’attribution en 2021-2022 à cet établissement, par le service diplomatique de l’UE (EEAS) — dont Federica Mogherini fut la cheffe de 2014 à 2019 — d’un programme de formation pour futurs diplomates. Les enquêteurs cherchent à déterminer si l’appel d’offres pour ce contrat a été faussé et si le Collège d’Europe a été averti à l’avance des critères de sélection nécessaires pour le décrocher.

Levée de l’immunité par le parquet européen

Une série de perquisitions a été menée mardi par la police belge au siège de l’EEAS à Bruxelles, dans plusieurs bâtiments du Collège d’Europe à Bruges, ainsi qu’aux domiciles des suspects, conduisant à ces trois interpellations. Avant cette opération, le parquet européen avait réclamé la levée de l’immunité dont bénéficiaient plusieurs suspects, ce qui lui a été accordé, a souligné le parquet européen, sans citer de noms ni de fonctions.

Officiellement institué en 2021, le parquet européen est un organe indépendant de l’UE chargé de lutter contre la fraude aux fonds de l’Union et toute autre infraction portant atteinte à ses intérêts financiers (corruption, blanchiment de capitaux, fraude transfrontalière à la TVA). Cette instance supranationale est compétente pour enquêter, poursuivre et traduire en justice les auteurs de telles infractions, un pouvoir inédit que ne possédait pas notamment l’Office européen de lutte antifraude (Olaf). L’enquête a été confiée par le parquet à un juge d’instruction d’Ypres, en Flandre-Occidentale, la province belge où se situe Bruges.

© afp.com/JOHN THYS

Federica Mogherini a été cheffe de la diplomatie de l'UE de 2014 à 2019.

Narcotrafic : l’étonnante grâce accordée par Donald Trump à l’ex-président du Honduras

3 décembre 2025 à 10:10

Il avait été condamné à 45 ans de prison ferme pour trafic de drogue aux Etats-Unis… et a finalement été gracié par Donald Trump lundi 1er décembre. À la surprise générale, l’ex-président du Honduras Juan Orlando Hernandez est sorti de sa prison de Virginie-Occidentale alors que son pays traverse des élections tendues. "Après presque quatre années de douleur, d’attente et d’épreuves difficiles, mon mari est à nouveau un homme libre, en vertu de la grâce présidentielle", a annoncé son épouse mardi.

L’homme était pourtant accusé d’être responsable d’avoir inondé les Etats-Unis de drogue lorsqu’il était au pouvoir, jugé coupable d’avoir aidé à expédier des centaines de tonnes de cocaïne sur le sol américain. Cette libération tranche donc avec la rhétorique antidrogue qui constitue l’un des fers de lance de Donald Trump. Le président s’est justifié de son choix lors d’un échange avec la presse mardi : "C’était une horrible chasse aux sorcières orchestrée par Biden. Beaucoup de gens au Honduras m’ont demandé de le faire. Et je l’ai fait". "S’il y a des trafiquants de drogue dans votre pays […], on n’envoie pas forcément le président en prison pour 45 ans" a ajouté Donald Trump, qui a fait de la lutte contre le narcotrafic son leitmotiv dans ses relations avec l’Amérique latine.

Le Honduras, dont Juan Orlando Hernandez a été le chef d’Etat de 2014 à 2022, est l’un des pays les plus violents de la région, du fait principalement des gangs qui contrôlent le trafic de drogue et le crime organisé. Le procès fédéral de l’ancien président à New York avait mis en lumière la manière dont il aurait "maintenu le Honduras comme un bastion du commerce mondial de la drogue", rappelle le New York Times, et "orchestré une vaste conspiration en matière de trafic qui, selon les procureurs, a permis aux cartels de récolter des millions de dollars". Selon les procureurs américains, sous "JOH", le Honduras était devenu un "narco-État", une "super autoroute" par laquelle passait une grande partie du trafic de drogue de la Colombie vers les États-Unis. Durant son procès, l’ex-président s’était vanté de "bourrer de drogue le nez des gringos".

Une lettre flatteuse qui change tout

En dépit de cette condamnation historique et de l’absence totale de preuves pour appuyer les affirmations de Donald Trump, selon qui l’ancien président a été victime d’un complot politique, un élément semble avoir débloqué la situation de Juan Orlando Hernandez. Comme l’écrit le journal espagnol El Pais,"une lettre pleine d’éloges adressée à Donald Trump semble être la clé qui a ouvert la porte de sa prison". "Comme vous, président Trump, j’ai subi des persécutions politiques", écrit Hernandez dans ce courrier de quatre pages, publié par le média américain Axios. L’ex-chef d’Etat y affirme qu’il n’y a pas de preuves suffisantes contre lui et accuse l’administration Biden-Harris de l’avoir emprisonné "pour des motifs politiques". Il soutient que sa condamnation est "injuste" et basée sur "des témoignages de trafiquants violents et de menteurs professionnels".

Dans sa missive, Juan Orlando Hernandez fait surtout appel à l’ego du président américain. "Je trouve de la force en vous, Monsieur, dans votre résilience qui vous a permis de revenir à cette grande fonction malgré la persécution et les poursuites auxquelles vous avez fait face — parce que vous vouliez rendre sa grandeur à votre pays. Ce que vous avez accompli est sans précédent et véritablement historique […] Votre résilience face à une persécution politique incessante m’a profondément inspiré".

La Maison-Blanche assure que Trump n’a pas lu ce message flatteur avant d’annoncer la grâce. Dans un éditorial, le Wall Street Journal met toutefois en garde contre les implications d’une telle décision : "Quelle étrange tournure des événements. Peut-être que Donald Trump pense jouer aux échecs géopolitiques, mais il a une longue histoire de forte sensibilité à la flatterie, et sa grâce non expliquée sape l’État de droit et les procureurs qui ont fait condamner M. Hernandez".

L’ambition sud-américaine de Donald Trump

Plus largement, la volonté de Donald Trump de s’immiscer dans la présidentielle au Honduras pourrait aussi avoir été bénéfique à l’ancien président sud-américain. Le milliardaire républicain, qui multiplie les faits d’ingérence dans les affaires intérieures de pays alliés ou non, a pesé de tout son poids ces dernières semaines pour faire élire le candidat du Parti national (PN) de l'ex-dirigeant, l’homme d’affaires Nasry Asfura, 67 ans. "Cela ne peut pas être permis, surtout maintenant que, avec la victoire électorale de 'Tito' Asfura, le Honduras se dirige vers un grand succès politique et financier", a ajouté Donald Trump concernant l’emprisonnement de Juan Orlando Hernandez. Cette grâce intervient alors que le pays retient son souffle pour savoir qui a gagné la présidentielle de dimanche.

Le président américain juge que l’Amérique latine fait partie de la sphère d’influence américaine et a adopté une posture interventionniste dans la région, invoquant notamment la lutte contre le narcotrafic contre les pays dirigés par la gauche, à commencer par le Venezuela. Il n’hésite pas à conditionner l’aide américaine à la bonne volonté des gouvernements, à ses affinités avec leurs dirigeants voire aux résultats des consultations électorales. Mais il exerce aussi une forte pression militaire. Les Etats-Unis ont déployé leur plus grand porte-avions ainsi qu’une flottille de navires de guerre et d’avions de chasse dans les Caraïbes, dans le cadre d’opérations antidrogue visant particulièrement le Venezuela, ennemi de Washington.

© afp.com/Orlando SIERRA

Juan Orlando Hernandez avait été extradé aux Etats-Unis pour être jugé pour trafic de drogue en avril 2022.

Ukraine, commerce… Ces nombreux dossiers au menu de la visite d’Emmanuel Macron en Chine

3 décembre 2025 à 08:41

C’est sa quatrième visite d’État en Chine : Emmanuel Macron entame ce mercredi 3 décembre un voyage de trois jours à Pékin afin de défendre les intérêts français et européens, de l’Ukraine aux échanges commerciaux, sur fond de contentieux croissants avec le géant asiatique.

Le président français, attendu vers 17h00 locales (10h00 heure française) dans la capitale chinoise, entrera dans le vif du sujet jeudi avec son homologue Xi Jinping, après une séquence privée, la visite des jardins de Qianlong à la Cité interdite, à son arrivée. Les deux dirigeants se retrouveront aussi vendredi à Chengdu, dans la province du Sichuan (centre), berceau des pandas géants devenus des ambassadeurs de la Chine à travers le monde, pour une rencontre plus informelle.

Emmanuel Macron est accompagné de son épouse Brigitte, de six ministres (Affaires étrangères, Economie, Agriculture, Environnement, Enseignement supérieur, Culture) et 35 patrons de grands groupes (Airbus, EDF, Danone..) ou d’entreprises plus familiales, du luxe à l’agroalimentaire.

"Nous voulons, et ce sera l’objet de la conversation stratégique avec le président Xi Jinping, que l’Europe soit respectée comme un grand partenaire de la Chine", a insisté l’Elysée à la veille de la visite.

Guerre en Ukraine

Sujet prioritaire, la guerre en Ukraine et par ricochet la sécurité du Vieux continent, alors que les discussions s’intensifient pour tenter de mettre fin aux hostilités. Emmanuel Macron va appeler une nouvelle fois Xi Jinping à "peser" sur la Russie, partenaire stratégique de la Chine, pour la "convaincre" d’accepter un cessez-le-feu.

Si elle appelle régulièrement à des pourparlers de paix, la Chine n’a toutefois jamais condamné Moscou pour l’invasion de l’Ukraine et revendique une neutralité dans ce dossier. Elle est aussi accusée par les Occidentaux de soutenir l’effort de guerre de la Russie en lui livrant notamment des composants pour son industrie de défense.

"Nous comptons sur la Chine, membre permanent comme nous, du Conseil de sécurité (..) pour peser sur la Russie, pour que la Russie et Vladimir Poutine, en particulier, puissent enfin se résoudre à un cessez-le-feu", a déclaré lundi le chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot, alors que les négociations s’intensifient vers une sortie de crise. "La Chine peut exercer un rôle essentiel pour amener la Russie de Vladimir Poutine à prendre la bonne décision", a-t-il insisté sur la radio France Culture.

Déficit commercial

Autre enjeu clé de la visite, le déficit commercial abyssal entre la France et la Chine, qui a doublé en dix ans pour atteindre 47 milliards d’euros en 2024. La Chine compense des "surcapacités" de production par une hausse de ses exportations, ce qui emporte un certain nombre de "risques géopolitiques", de la "fermeture de marchés" à la "récession", a averti mardi un conseiller du président Macron.

Dans ce contexte, Paris souhaite que les entreprises chinoises investissent plus en France et partagent les innovations qu’elles maîtrisent dans les "mobilités durables, les batteries ou le photovoltaïque". Le géant français du combustible nucléaire Orano s’est ainsi associé au chinois XTC New Energy pour la production de matériaux critiques à Dunkerque, dans le nord de la France. De la même manière, une filiale du chinois Envision fabrique des batteries de voitures électriques pour le groupe Renault à Douai (nord).

La Chine est aussi accusée de "concurrence déloyale" vis-à-vis de l’Europe en subventionnant massivement son industrie. La France se retrouve ainsi dans le viseur de Pékin, avec une série d’enquêtes visant ses exportations (cognac, produits laitiers, viande porcine etc..) et des surtaxes potentielles à la clé, pour avoir soutenu une hausse des droits de douane européens sur les voitures électriques en provenance de Chine. "Ces questions-là feront l’objet de discussions au plus haut niveau" durant la visite, promet la présidence française, jugeant ces enquêtes "inacceptables".

Shein et droits humains

Le sujet des terres rares sera aussi "certainement abordé" par les deux présidents, ajoute-t-elle alors que la Chine, qui domine la production mondiale en la matière, encadre sévèrement ses exportations. Les terres rares sont des métaux et minerais essentiels pour des pans entiers de l’économie, en particulier l’industrie automobile, les énergies renouvelables ou la défense.

A l’inverse, le géant du e-commerce chinois Shein est dans le collimateur de la France - et de l’UE - après la vente de produits illégaux dont des poupées pédopornographiques. Paris réclame la suspension pour trois mois minimum du site en France.

Signe toutefois que la relation économique reste fluide, plusieurs accords seront signés durant la visite, relève l’Élysée qui rappelle, sans plus de précisions, la "profondeur des échanges en matière aéronautique, énergétique ou agroalimentaire".

Emmanuel Macron abordera aussi la question des droits humains en Chine, assure la présidence. "Toutes les questions seront traitées dans le cadre du dialogue entre les deux présidents", promet-on à Paris. L’organisation International Campaign for Tibet (ICT) l’exhorte à "demander la libération immédiate et inconditionnelle" de Zhang Yadi, une défenseuse des droits des Tibétains arrêtée en Chine en juillet et qui risque jusqu’à 15 ans de prison pour "incitation au séparatisme".

© afp.com/Ludovic MARIN

Le président Emmanuel Macron accueille son homologue chinois Xi Jinping (d) à l'Elysée, le 6 mai 2024 à Paris

Cette victoire des républicains dans le Tennessee n’a pas de quoi rassurer Donald Trump

3 décembre 2025 à 07:58

C’est ce qui s’appelle une victoire en demi-teinte. Les républicains ont remporté mardi 2 décembre une législative partielle dans le Tennessee, mais avec une marge bien plus faible que celle obtenue par Donald Trump dans cette circonscription en 2024, envoyant de nouveaux signaux d’alarme pour la majorité présidentielle à moins d’un an des élections de mi-mandat.

Selon les projections du New York Times, CNN et NBC, le républicain Matt Van Epps l’a emporté avec environ 53 %, soit autour de huit points d’écart sur sa rivale démocrate Aftyn Behn. Soit bien moins que les 22 points d’avance récoltés par Donald Trump à la dernière présidentielle dans ce fief conservateur.

"Félicitations à Matt Van Epps pour sa GRANDE victoire au Congrès dans le grand Etat du Tennessee", a rapidement salué Donald Trump sur son réseau Truth Social, usant de majuscules à son habitude. "Encore une grande soirée pour le Parti républicain !!!", a insisté le président américain, dénonçant encore une fois l’opposition de "gauche radicale", alors que les démocrates ont récemment remporté plusieurs scrutins, suscitant des inquiétudes dans les rangs du camp présidentiel.

Ce scrutin était destiné à remplacer un élu républicain démissionnaire dans une circonscription de plus de 800 000 habitants, qui traverse le Tennessee du nord au sud en passant par une partie de la capitale, Nashville.

"A trois personnes de perdre la majorité"

Matt Van Epps partait globalement favori. Mais dans un sondage d’Emerson College paru la semaine dernière, le républicain était crédité de seulement 48 % d’intentions de vote contre 46 % pour sa rivale démocrate. De quoi donner l’espoir à l’opposition de faire basculer cette circonscription historiquement ancrée à droite, et de grignoter un peu plus l’écart au Congrès, où les républicains ne disposent que d’une étroite marge de manœuvre.

"Nous sommes littéralement à trois personnes de perdre la majorité" à la Chambre des représentants, avait déclaré lundi Tim Burchett, élu républicain du Tennessee. "Vous pouvez avoir une épidémie de mauvaise grippe qui touche le Congrès, et nous perdons la majorité. C’est dire l’importance de cette élection".

Après l’avoir longtemps considéré comme gagné d’avance, les pontes du Parti républicain ont décidé finalement de tourner leur attention vers ce scrutin, avec notamment la participation du chef républicain de la Chambre, Mike Johnson, à plusieurs événements de campagne sur place.

Donald Trump lui-même a tenté de faire pencher la balance en faveur de Matt Van Epps, ancien officier dans l’armée de 42 ans. Sur Truth Social, il avait notamment accusé la candidate démocrate de 36 ans d’être une femme qui "vous prendra vos armes, qui veut des frontières ouvertes, du transgenre pour tous, des hommes dans les sports féminins", mais aussi qui déteste "le christianisme et la country", alors que le Tennessee est la capitale mondiale de ce genre musical. "VOTEZ, VOTEZ, VOTEZ POUR MATT VAN EPPS", avait-il écrit dans une nouvelle publication mardi matin.

Un échec pour Donald Trump

En réponse à ces attaques, Aftyn Behn, ancienne travailleuse sociale, avait reproché au président d’être "incapable d’avoir un plan pour faire face aux coûts croissants de la santé et pour s’assurer que les travailleurs du Tennessee puissent se payer des soins, leurs courses, leurs factures".

Car si le nom du locataire de la Maison-Blanche n’était pas sur les bulletins de vote, cette législative partielle semblait faire figure de référendum sur son début de second mandat, et en particulier sur sa gestion de l’économie. Après des défaites cuisantes pour les républicains lors d’élections début novembre à travers le pays, l’absence d’une large victoire de Matt Van Epps représente un échec pour le président.

Dans son sondage de la semaine dernière, Emerson College souligne que 49 % des interrogés dans la circonscription ont une opinion défavorable du travail de Donald Trump, contre 47 % d’opinions favorables. Un chiffre qui représente "un retournement marquant" par rapport à la présidentielle l’an dernier, a estimé Spencer Kimball, directeur exécutif de l’institut de sondage d’Emerson College.

© afp.com/Brett Carlsen

Le candidat républicain Matt Van Epps le 1er décembre 2025, à Franklin, dans le Tennessee, aux Etats-Unis

Immigration : ce fossé qui sépare le PS des socialistes danois

3 décembre 2025 à 07:45

Juillet 2025, le Danemark prend la présidence du Conseil de l’Union européenne, et Mette Frederiksen perturbe les eurodéputés. Tantôt la gauche applaudit quand la Première ministre danoise défend corps et âme le Pacte Vert face aux coups de canif venus de la droite. Et tantôt la gauche "regarde ses pompes" – confidence d’un socialiste français. Car la sociale-démocrate appelle aussi à "renforcer les frontières extérieures, réduire l'afflux de migrants vers l'Europe et contribuer à stabiliser les pays voisins de l'UE en rendant le processus de retour plus facile et plus efficace". "Les citoyens ont le droit de se sentir en sécurité dans leur propre pays!", insiste-t-elle.

Dans les couloirs strasbourgeois, François-Xavier Bellamy, patron européen Les Républicains, est tout sourire. "Si on avait des socialistes comme ça chez nous…" Et un collègue Rassemblement national, encore ému, de lui répondre : "On serait à 3 % !" Les deux hommes continueront ainsi à se désoler ou se rassurer, c’est selon.

"Ils passent de l’État-providence à la préférence nationale"

"Je ne veux pas faire baisser l’extrême droite en reprenant ses arguments", dit le patron du PS Olivier Faure. Si Mette Frederiksen est parfois érigée en exemple, ça n’est certainement pas de son fait. Quand il était ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau a, lui, accueilli à Beauvau son homologue d’alors Kaare Dybvad, pour vanter les "résultats remarquables" de ce partenaire. De son côté, Jordan Bardella a pèleriné vers Copenhague, encourageant la France à "aller vers un tel modèle, en ayant le courage de rompre avec le politiquement correct et l’impuissance d’Etat". Bref, la moitié de la classe politique de l’Hexagone a les yeux de Chimène pour cette gauche si… pragmatique ! Une façon pour ses droitiers contempteurs de grimer les socialistes français en "naïfs". Car le PS s’étrangle en observant la politique menée par ses pairs danois. "Ils passent quand même de l’État-providence à la préférence nationale…", souffle Boris Vallaud, président du groupe parlementaire socialiste.

"Ici, le débat sur le coût social de l’immigration est moins central qu’au Danemark où l’État-providence est un marqueur identitaire, analyse Catherine Wihtol de Wenden, spécialiste des questions de migrations. En France, il tourne autour de la sécurité et de l’insécurité culturelle, de l’islam…" Si le modèle danois, celui d’un pays de 6 millions d’habitants à la seule frontière et dépourvu d’histoire coloniale, est difficilement exportable, la gauche tricolore contribue à creuser le fossé avec les inquiétudes de l’électorat.

Inaudibles

Selon l’enquête "Fractures Françaises" pour Le Monde, la délinquance et l’immigration arrivent en deuxième place des préoccupations des Français. 65 % des interrogés estiment qu’il y a "trop d’étrangers en France". Il n’a jamais eu lieu, mais Olivier Faure avait accepté de débattre de "l’identité nationale", une idée lancée depuis Matignon par François Bayrou. L’essentiel de la gauche est tombé sur le premier secrétaire du PS, l’accusant de légitimer les mots de l’adversaire. Dommageable, car la question migratoire fait aussi clivage à gauche : selon cette même étude plus d’un quart des sympathisants LFI et EELV croient au surnombre d’étrangers, plus d’un tiers de ceux du PS. Dans ce débat fourre-tout, il aurait été l’occasion pour les roses - qui ferraillent à l’époque pour que les médias s’en fassent l’écho - de mettre en lumière leurs propositions en matière d’immigration, adoptées en 2023.

Mais quand les gauches scandinaves, britanniques ou allemandes évoluent vers plus de fermeté, les Français s’y refusent toujours. "Notre position demeure convenue alors que nous aurions intérêt à reprendre l’offensive sur ce sujet", admet Luc Broussy, président du conseil national du PS. "Depuis toujours, le PS fait en sorte que cette question sorte du débat public puisqu’il considère qu’il n’y a que des coups à prendre. Ce qui les a conduits à la fin des années 1980 à rechercher un consensus autour de "l’intégration", résume le politiste Pierre-Nicolas Baudot, spécialiste du PS et de "la politisation de la question immigrée". Pour le reste, ils ont promu un antiracisme "moral" sans toutefois produire de programme d’ampleur sur ce sujet". "Au’Français-immigrés même patron, même combat', les socialistes ont ainsi substitué un soutien aux’racisés', pour reprendre le vocabulaire d’Olivier Faure, un objectif qui ne peut aider ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre, à avoir conscience de leur commune situation", observe Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

Une partie de la gauche intellectuelle - certains contributeurs à la Fondation Jean-Jaurès - incite les sociaux-démocrates français au tour de vis migratoire. Dans une note pour le think tank, Bassem Asseh et Daniel Szeftel appellent la gauche à accepter la "définition d’orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration par le Parlement", façon "Mitterrand 1981", histoire de renouer avec "l’héritage historique" du PS. Dans un autre rapport de la même fondation, intitulé "La troisième gauche", Danois, Suédois et Britanniques deviennent des exemples à suivre pour reconquérir les classes populaires. Mais au Parti socialiste un ange est passé, deux fois. Les murs de la "vieille maison" ont en revanche tremblé à la lecture d’un récent éditorial du journal Le Monde. "Si la gauche veut regagner les classes populaires, elle ne peut plus faire l’impasse sur l’immigration", enjoignait le quotidien. Sans être entendu.

© afp.com/Thibaud MORITZ

Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, à l'Assemblée nationale, Paris, le 31 octobre 2025

Ukraine : les récents "succès de l'armée russe" ont influencé les pourparlers, affirme le Kremlin

3 décembre 2025 à 11:48

Les intenses discussions diplomatiques menées depuis plusieurs jours n’ont toujours pas permis de trouver de compromis sur la question qui pourrait résoudre ou enliser définitivement le conflit en Ukraine : celle de l’avenir des territoires occupés par la Russie, qui représentent 19 % du pays. Le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio salue tout de même "des progrès", tandis que le Kremlin s’est félicité d'"une discussion constructive" après une rencontre à Moscou entre Vladimir Poutine et l’émissaire de Donald Trump, Steve Witkoff. Est-ce vraiment un bon signe pour l’Ukraine ? Pendant ce temps, Emmanuel Macron est arrivé à Pékin ce 3 décembre, où il compte bien faire des négociations pour la paix en Ukraine l’une des priorités de ses requêtes à la Chine.

Les infos à retenir :

⇒ La Russie se dit prête à rencontrer des responsables américains "autant que nécessaire"

⇒ Les récents "succès de l'armée russe" ont influencé les pourparlers sur l'Ukraine, dit le Kremlin

⇒ La Commission européenne présente son plan pour financer l'Ukraine

Une "paix juste" en Ukraine est peu probable, estime le président de Finlande

Tout accord visant à mettre fin aux combats en Ukraine a peu de chances de remplir les conditions nécessaires à une paix juste, a jugé mercredi le président de Finlande.

Les pays européens oeuvrent actuellement pour préserver l'indépendance, la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine, a assuré Alexander Stubb dans un entretien à la chaîne de télévision finlandaise MTV3. "Mais en réalité, la paix peut soit être bonne, soit mauvaise, soit une forme de compromis", a-t-il dit. "La réalité, c'est que nous, les Finlandais, devons aussi nous préparer pour le moment où la paix sera rétablie, et que toutes les conditions d'une paix juste dont nous avons tant parlé au cours des quatre dernières années ont peu de chances d'être réunies".

Le président n'a pas précisé ce qu'une paix injuste signifierait pour la Finlande, qui partage une frontière de 1.340 kilomètres avec la Russie. Le pays nordique a fermé sa frontière avec son voisin en décembre 2023, conséquence d'une montée des tensions entre les deux pays après l'invasion de l'Ukraine.

La Commission européenne présente son plan pour financer l'Ukraine

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a présenté mercredi à Bruxelles le plan de l'UE pour financer l'Ukraine sur deux ans, et la "mettre en position de force" dans les négociations avec la Russie. Cette proposition prévoit deux options visant à couvrir une partie des besoins de financement de l'Ukraine pour 2026 et 2027, estimés à 137 milliards d'euros : un emprunt ou une utilisation des avoirs gelés russes en Europe, dont l'essentiel se trouve en Belgique.

"Aujourd'hui, nous proposons de couvrir les deux tiers des besoins de financement de l'Ukraine pour les deux prochaines années. Cela représente 90 milliards d'euros", a indiqué Ursula von der Leyen devant la presse. Le dernier tiers devra être assuré par "les partenaires internationaux", comme la Grande-Bretagne, le Canada ou le Japon, a-t-elle ajouté.

"Nous devons augmenter les coûts de la guerre pour l'agression de Poutine, et la proposition d'aujourd'hui nous donne les moyens de le faire", a-t-elle assuré. "Et puisque la pression est le seul langage auquel le Kremlin répond, nous pouvons également l'intensifier", a-t-elle encore affirmé.

La décision de recourir à un emprunt européen, qui nécessite l’unanimité des Etats membres, se heurte aux réticences de certains d'entre eux et à l'opposition radicale de la Hongrie. La Commission n'a pas caché qu'elle privilégiait dans ces conditions le recours aux avoirs russes gelés, mais doit encore convaincre la Belgique.

Les récents "succès de l'armée russe" ont influencé les pourparlers sur l'Ukraine, dit le Kremlin

Les succès rencontrés par l'armée russe ces dernières semaines sur le front "ont influencé" les pourparlers sur l'Ukraine, a affirmé mercredi le Kremlin, au lendemain de la rencontre à Moscou entre Vladimir Poutine et l'émissaire américain Steve Witkoff.

"Nos soldats russes, par leurs exploits militaires, ont contribué à rendre les évaluations des moyens de règlement pacifique de la part des partenaires étrangers plus adéquates", a ajouté le conseiller diplomatique du président russe, Iouri Ouchakov.

La Russie se dit prête à rencontrer des responsables américains "autant que nécessaire"

Le Kremlin a affirmé ce mercredi être prêt à rencontrer "autant que nécessaire" des responsables américains pour trouver une issue au conflit en Ukraine, après la réunion à Moscou entre le président Vladimir Poutine et l’émissaire américain Steve Witkoff. "Nous apprécions la volonté politique du président Trump de continuer à chercher des solutions […] Nous sommes tous prêts à nous rencontrer autant que nécessaire pour parvenir à un règlement pacifique", a déclaré à la presse le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, lors de son point presse quotidien auquel participait l’AFP.

Vladimir Poutine et Steve Witkoff ont discuté près de cinq heures hier au Kremlin du plan de paix américain, récemment ajusté après des consultations avec Kiev. Sur la question des territoires occupés par la Russie en Ukraine, qui représentent environ 19 % du pays, "aucune solution de compromis n’a encore été choisie", même si "certaines propositions américaines peuvent être discutées", a précisé à l’issue de cette rencontre le conseiller diplomatique du Kremlin, Iouri Ouchakov. Il a toutefois salué une discussion constructive et la volonté des deux parties de poursuivre leurs efforts.

Pourparlers sur l’Ukraine : le négociateur de Kiev va s’entretenir à Bruxelles avec les Européens

Le négociateur de Kiev dans les pourparlers pour mettre fin à la guerre en Ukraine, Roustem Oumerov, va rencontrer les Européens mercredi à Bruxelles au lendemain de la réunion à Moscou entre les émissaires américains et Vladimir Poutine, a indiqué le dirigeant ukrainien Volodymyr Zelensky. Après Bruxelles, ce négociateur et le chef d’état-major des forces armées ukrainiennes, Andriï Gnatov, "commenceront les préparatifs d’une réunion avec les envoyés du président Trump aux Etats-Unis", a-t-il dit sur X.

Interdiction du gaz russe : l’UE "se condamne" à "accélérer" sa perte de puissance, dit Moscou

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a salué ce mercredi une "nouvelle ère" d’indépendance énergétique vis-à-vis de Moscou, après qu’un accord a été trouvé entre eurodéputés et Etats européens pour interdire toutes les importations de gaz russe dans l’UE à l’automne 2027. Il s’agit d’un compromis entre le Parlement européen, qui souhaitait une interdiction plus rapide, et les Etats membres qui voulaient prendre un peu plus de temps.

Pour les gazoducs, l’interdiction des contrats de long terme, les plus sensibles car ils courent parfois sur des dizaines d’années, entrera en vigueur le 30 septembre 2027, sous réserve que les stocks soient suffisants, et s’appliquera au plus tard le 1er novembre 2027. Pour le gaz naturel liquéfié, le GNL, l’interdiction des contrats longs s’appliquera dès le 1er janvier 2027, conformément aux annonces de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen pour sanctionner la Russie.

L’exécutif européen a opté pour une proposition législative plutôt que des sanctions, car elle peut être adoptée à la majorité qualifiée des Etats membres. Le but est d’éviter un veto de la Hongrie et de la Slovaquie, considérées comme proches de Moscou et fermement opposées à ces mesures.

"L’Europe se condamne à des sources d’énergie plus coûteuses, ce qui inévitablement entraînera des conséquences pour l’économie européenne et une diminution de sa compétitivité", a réagi ce matin le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. "Cela ne fera qu’accélérer le processus amorcé ces dernières années de perte par l’économie européenne de son potentiel de leadership", a-t-il encore jugé.

Des pays de l’Otan promettent plus d’un milliard d’aide militaire à l’Ukraine

Plusieurs pays de l’Otan ont annoncé mercredi plus d’un milliard d’aide militaire supplémentaire à l’Ukraine, et appelé Moscou à cesser ses menaces ainsi qu’à ouvrir des négociations sérieuses avec Kiev.

Les ministres des Affaires étrangères de l’Otan ont commencé une réunion à Bruxelles au lendemain de nouveaux pourparlers entre la Russie et les Etats-Unis à Moscou, mais en l’absence du chef de la diplomatie américaine Marco Rubio. "Les pourparlers de paix sont en cours, c’est une bonne chose, mais en même temps, nous devons nous assurer que, pendant qu’ils se déroulent, et sans savoir quand ils prendront fin, l’Ukraine soit dans la position la plus forte possible pour continuer le combat", a affirmé mercredi le secrétaire général de l’Otan Mark Rutte.

Plusieurs ministres ont souligné l’absence de volonté de paix du Kremlin à l’issue de ces discussions à Moscou. "Le président Poutine devrait cesser les fanfaronnades et les effusions de sang et être prêt à venir à la table des négociations pour soutenir une paix juste et durable pour l’Ukraine", a jugé la cheffe de la diplomatie britannique Yvette Cooper, alors que le dirigeant russe a affirmé mardi que son pays était prêt à une guerre contre l’Europe si celle-ci décidait de la déclencher.

La proposition de l’UE sur les avoirs russes ne répond pas aux inquiétudes de la Belgique

La proposition de la Commission européenne, qui veut utiliser les avoirs russes pour financer un prêt à l’Ukraine, "ne répond pas aux inquiétudes" de la Belgique et reste "la pire des options", a affirmé ce mercredi le chef de la diplomatie belge Maxime Prévot. "Nous avons un sentiment de frustration de ne pas avoir été écoutés", a déclaré le ministre des Affaires étrangères à son arrivée à une réunion de l’Otan.

La Commission européenne doit préciser mercredi comment elle entend financer un prêt de réparation de 140 milliards d’euros à Kiev, en s’appuyant sur les avoirs de l’Etat russe gelés en Europe.

Washington fait état de "quelques progrès" dans les discussions

Le chef de la diplomatie américaine Marco Rubio a fait état de "quelques progrès" dans les négociations avec la Russie pour tenter de trouver un accord mettant fin à la guerre en Ukraine, lors d’un entretien diffusé mardi. "Ce que nous avons essayé de faire, et je pense que nous avons fait quelques progrès, est de déterminer ce qui pourrait convenir aux Ukrainiens et leur donner des garanties de sécurité pour l’avenir", a-t-il déclaré sur la chaîne Fox News.

Après leur entretien avec les Russes à Moscou, Steve Witkoff et Jared Kushner pourraient rencontrer mercredi en Europe une délégation de Kiev, selon une source ukrainienne à l’AFP.

L’Ukraine au menu d’une visite d’Emmanuel Macron en Chine

Le président français entame ce mercredi sa quatrième visite d’État en Chine afin de défendre les intérêts français et européens. Sujet prioritaire, l’Ukraine sera abordée, et par ricochet la sécurité du Vieux continent, alors que les discussions s’intensifient pour tenter de mettre fin aux hostilités avec la Russie. Emmanuel Macron va appeler une nouvelle fois Xi Jinping à "peser" sur la Russie, partenaire stratégique de la Chine, pour la "convaincre" d’accepter un cessez-le-feu. Si elle appelle régulièrement à des pourparlers de paix, la Chine n’a toutefois jamais condamné Moscou pour l’invasion de l’Ukraine et revendique une neutralité dans ce dossier.

© AFP

Sur cette photo diffusée par l'agence russe Sputnik, Vladimir Poutine, accompagné de Kirill Dmitriev et Iouri Ouchakov, rencontre l'envoyé spécial américain Steve Witkoff et le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, au Kremlin à Moscou, le 2 décembre 2025.

Nigel Farage, l’agent russe et la "Poutine-Trump connection"

3 décembre 2025 à 05:45

Lorsque la police antiterroriste l’a arrêté à l’aéroport de Manchester, en septembre 2021, Nathan Gill s’apprêtait à embarquer dans un avion pour Moscou. Il avait tout d’un homme sans histoire et sans reproche, bon père de famille gallois et électeur du parti conservateur dévoué à Dieu, à sa femme et à leurs cinq enfants. Ancien évêque resté membre actif de l’église des mormons, il avait eu une révélation, un soir de 2005, en voyant apparaître à la télévision l’homme politique qui serait désormais son nouvel objet d’adoration : Nigel Farage, le nationaliste britannique d’extrême droite, alors député du parti europhobe Ukip au Parlement européen puis leader victorieux du référendum sur le Brexit, repérable à ses pintes de bière et à son bagou populiste.

Elu député Ukip en 2014, Nathan Gill avait accompagné Farage quand il fonda le parti Reform UK, avatar du Ukip, et dirigé sa branche galloise (Reform UK Wales). L’une de ses ex-collègues de parti, Alexandra Philips, l’a décrit ainsi au Times : "Il n’était pas le plus grand esprit politique de sa génération. Je pense que lorsque les Russes veulent former quelqu’un, ils savent cibler la bonne personne." Nationaliste, trumpiste, antieuropéen et, cerise sur le gâteau, un peu fade : quelle proie plus parfaite pour les agents des services secrets russes ? Gill vient d’être condamné à dix ans et demi de prison au Royaume-Uni pour avoir accepté de l’argent en échange de déclarations publiques pro russes sur l’Ukraine.

Encombrante amitié

L’histoire n’est ni anecdotique, ni anodine. D’abord parce que Nigel Farage a cessé d’être un bouffon anglais en costume bariolé pour devenir un prétendant crédible au poste de Premier ministre : les sondages donnent à Reform UK une avance d’une douzaine de points sur le Labour au pouvoir, et d’une quinzaine de points sur les conservateurs. Ensuite parce que Farage, tel Trump vis-à-vis de son encombrant Epstein, peine à se distancier de ce Gill qu’il connaîtrait soi-disant à peine, alors que des photos et des camarades de parti témoignent de la grande proximité des deux hommes.

Enfin, parce que les demandes pressantes d’enquête interne sur les interférences entre Reform UK et la Russie pourraient s’étendre au-delà du Royaume-Uni, tant Nathan Gill apparaît comme un cas exemplaire de la guerre hybride menée par Vladimir Poutine dans toute l’Europe : pénétration dans les territoires de l’Otan par des avions, des navires ou des drones, cyberattaques, sabotages, désinformation, ingérences électorales, soutiens aux partis d’extrême droite eurosceptiques, infiltrations au plus haut niveau… jusqu’aux Etats-Unis, où l’enregistrement de la conversation entre Youri Ouchakov, conseiller diplomatique de Poutine, et Steve Witkoff, promoteur particulier de Trump, bidouillant leur insensé "plan de paix" en Ukraine, est la preuve de plus, accablante, d’une Amérique passée au service de la Russie contre les intérêts de ses alliés de l’Otan.

Obsession antieuropéenne

Une "Poutine-Trump connection" a pris corps en Europe et elle a sa logique. Le Brexit de 2016, encouragé par Poutine comme par Trump, a facilité l’élection du président américain la même année, inspiré par les mêmes bases nationalistes, identitaires et populistes. Nigel Farage est un proche de Donald Trump qui l’a associé à sa campagne, a déclaré qu'il espérait l'avoir comme ambassadeur du Royaume-Uni et l’a reçu à la Maison-Blanche. C’est à Farage, et non au Premier ministre Keir Starmer, que le vice-président américain J.D. Vance a rendu visite lors de vacances en Angleterre. C’est le même Farage qui, comme Marine Le Pen, a clamé son admiration pour Poutine et repris la propagande d’une pauvre Russie victime de l’agression de ses voisins. Et qui a pour compagne officielle la Française Laure Ferrari, ex-cadre du parti Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan, liée à l’ex stratège de Trump Steve Bannon.

Telle est la diplomatie trumpo-poutinienne : une vaste filière politique connectée par une obsession antieuropéenne et par une complaisance parfois collaborationniste envers la Russie. On connaît bien en France cette musique prorusse sifflotée à droite comme à gauche sous un gentil déguisement pacifiste, et qui étend la détestation de l’UE à celle de l’Otan. Le Royaume-Uni, lui, se démarquait jusqu’ici par la lucidité unanime des deux principaux partis du Parlement, travailliste et conservateur, sur le danger de l’expansionnisme russe en Europe. 75 % de son opinion publique soutient l’aide à l’Ukraine. Mais avec le parti de Farage en pleine ascension, même les Britanniques sont atteints. Poutine est arrivé dans la bergerie.

© afp.com/CARLOS JASSO

Le dirigeant de Reform UK, Nigel Farage, s'exprime lors d'une conférence de presse, à Londres, le 26 novembre 2025.
Reçu avant avant-hier L'Express

La visite de Viktor Orbán à Moscou jette un froid sur les relations entre la Hongrie et la Pologne

2 décembre 2025 à 20:02

C’est une annonce qui a le mérite d’être claire. Alors que le président polonais Karol Nawrocki devait rencontrer son homologue polonais, Viktor Orbán, le 4 décembre prochain, le premier a purement et simplement annulé. En cause : le voyage du dirigeant hongrois à Moscou, a justifié le chef du bureau international du président polonais.

Viktor Orbán et Vladimir Poutine ont en effet tenu des pourparlers au Kremlin vendredi dernier au sujet du sort des raffineries russes sanctionnées. Un voyage qui a coïncidé avec les efforts de Washington pour obtenir un accord de paix entre la Russie et l’Ukraine. "Le geste de Nawrocki marque un nouveau tournant : l’amitié millénaire s’enfonce dans des profondeurs sans précédent", commente le journal en ligne Valasz Online depuis Budapest. Une décision "sensible pour le pouvoir hongrois, car Nawrocki est un conservateur qui avait été félicité par Orban après sa victoire à la présidentielle", et "plusieurs experts le présentaient comme celui capable de renouer les relations politiques [entre les deux pays]", souligne le site.

"Pas confiance dans les accords de paix"

Mais, "Viktor Orbán a rencontré Vladimir Poutine à plusieurs reprises depuis 2022 et ses opinions pro-russes sont bien connues, alors qu’est-ce qui est différent cette fois-ci ?", s’interroge le média polonais TVP World. Viktor Orbán, un proche allié du président américain Donald Trump, est largement considéré comme le leader le plus favorable au Kremlin de l’Union européenne. Il a longtemps essayé de se faire passer pour un négociateur potentiel pour mettre fin à la guerre de la Russie en Ukraine, bien que ses "missions de paix" autoproclamées aient bouleversé les alliés de l’UE. Après une rencontre de plusieurs heures avec le président Vladimir Poutine au Kremlin, il a annoncé son intention de continuer les importations d’hydrocarbures russes, dont dépend la Hongrie, défiant à nouveau l’Union européenne sur ce sujet.

Paradoxalement, le président Nawrocki, qui "prône constamment la recherche de moyens réels de mettre fin à la guerre en Ukraine a décidé de limiter le programme de sa visite en Hongrie exclusivement au sommet des présidents", a déclaré Marcin Przydacz, son principal conseiller pour les affaires étrangères, dans un post sur le réseau social X. "Karol Nawrocki n’a pas une once de confiance dans les accords que Vladimir Poutine signerait, parce que la Russie de Poutine n’honore pas les accords", avait déjà déclaré Marcin Przydacz la semaine dernière, rappelle l’agence de presse Bloomberg.

Désillusions et embarras

"Ce qui a changé, c’est le choc qui est arrivé sous la forme du plan de paix Witkoff-Dmitriev. Une fois qu’il a commencé à circuler fin novembre, il a sapé le fondement de la position de politique étrangère de Nawrocki", poursuit le média polonais TVP World. Le président polonais croyait que la garantie de sécurité américaine était ferme. A Washington au cours de l’été, il avait obtenu une assurance personnelle de Donald Trump que les niveaux de troupes américaines en Pologne ne seraient pas réduits, rappelle le média. "Avec cette promesse en main, le président polonais s’est senti suffisamment protégé pour poursuivre une ligne ouvertement anti-UE, souvent anti-allemande, et construire son identité politique autour de la proximité avec Trump", souligne la chaîne. Mais, le plan de paix en 28 points de Steve Witkoff et Kirill Dmitriev a supprimé ce réconfort, avec notamment les concessions territoriales de l’Ukraine.

A Kiev, le changement de programme du président polonais a en tout cas été salué comme "une très bonne décision" par le ministre des Affaires étrangères ukrainien, Andrii Sybiga. Il a applaudi "un fort sens de la solidarité" et un "engagement en faveur de l’unité et de la sécurité de l’Europe à un moment critique", dans un post dimanche soir sur X.

© afp.com/SAUL LOEB

Le Premier ministre hongrois Viktor Orban le 7 novembre 2025, à Washington, aux Etats-Unis

La Turquie s'inquiète des attaques contre des bateaux en mer Noire revendiquées par l'Ukraine

2 décembre 2025 à 19:04

Une nouvelle attaque contre un cargo en mer Noire a été signalée ce mardi 2 décembre par la Turquie, à 80 milles nautiques de ses côtes. Le MildVolga 2, naviguant sous pavillon russe selon le site Marine Traffic, "a signalé avoir été attaqué [...] alors qu'il faisait route de la Russie vers la Géorgie avec une cargaison d'huile de tournesol", a indiqué la Direction des Affaires maritimes (DGM) sur X, précisant que "les 13 membres d'équipage sont sains et saufs" et que le navire n'avait pas demandé d'assistance.

"Le MildVolga-2 fait actuellement route vers le port turc de Sinop par ses propres moyens", a-t-elle ajouté.

Deux attaques revendiquées par l'Ukraine

Ce nouvel incident survient après deux attaques de drones revendiquées par l'Ukraine dans la zone économique turque, vendredi et samedi, qui ont visé des pétroliers de la "flotte fantôme" russe, sous sanctions occidentales, qui continue d'exporter du pétrole russe. Une "escalade inquiétante" selon le président turc Recep Tayyip Erdogan qui estime que "le conflit entre la Russie et l'Ukraine a(vait) clairement atteint une dimension où il menace la sécurité de la navigation en mer Noire".

"Nous ne pouvons en aucun cas accepter ces attaques qui menacent la sécurité de navigation, l'environnement et la vie dans notre zone économique exclusive", a souligné le chef de l'Etat, dont le pays occupe la rive sud de la mer Noire.

Les deux pétroliers naviguant sous pavillon gambien, le Kairos et le Virat, tous deux sous sanctions occidentales donc, se dirigeaient vers le port russe de Novossiïrsk, quand ils ont été touchées, vendredi soir puis de nouveau samedi matin pour le Virat.

"Nous adressons les avertissements nécessaires à toutes les parties concernées. Nous suivons également de près l'évolution de la situation en vue de mettre fin au conflit et nous nous tenons prêts à apporter notre contribution à chaque occasion", a-t-il ajouté alors que les négociations se poursuivent entre Kiev et Moscou autour d'un plan proposé par les Etats-Unis.

© afp.com/STRINGER

Deux attaques de drones revendiquées par l'Ukraine dans la zone économique turque, vendredi et samedi, ont visé des pétroliers de la "flotte fantôme" russe. (Illustration)

Russie : ces étranges explosions de pétroliers au large du Sénégal

2 décembre 2025 à 18:15

C’est un événement d’un genre inédit qui s’est produit dans la nuit de jeudi à vendredi dernier (du 27 au 28 novembre) près du port de Dakar, au Sénégal. Vers 23h45, "quatre explosions externes" ont été détectées sur le Mersin, un pétrolier qui mouille depuis deux mois à 19 kilomètres des côtes sénégalaises.

Sur les réseaux sociaux, des vidéos ont montré un affaissement du bateau dans l’eau. Et son armateur turc, Besiktas Shipping, a évoqué ce lundi 1er décembre dans un communiqué de presse, "une entrée d’eau dans la salle des machines", indiquant que les 22 membres d’équipage ont été évacués et mis en sécurité.

Une attaque de l’Ukraine pas écartée

L’armateur Besiktas Shipping a par ailleurs déclaré qu’il soutenait les enquêtes sur la cause des explosions et qu’il travaillait avec les assureurs et les autorités sénégalaises pour gérer les conséquences de l’incident, notamment les éventuelles pollutions que cela pourrait entraîner alors que le navire contient près de 39 000 tonnes de carburant. La société d’analyse des expéditions de matières premières Kpler affirme que le navire transportait du gazole et qu’il a été en contact avec plusieurs ports russes à plusieurs reprises cette année.

Selon le correspondant du Monde au Sénégal, l’enquête préliminaire, dirigée par l’autorité de sécurité maritime du Sénégal (Hasmar), n’exclue aucune piste, y compris celle d’une attaque ukrainienne. "Il est prématuré de confirmer ou d’infirmer un scénario précis avant la conclusion de ce travail d’expertise", explique-t-elle auprès du quotidien. "Si l’explosion externe est confirmée, analyse un expert maritime en hydrocarbures ayant requis l’anonymat, la possibilité d’un accident est nulle. Ces petronavires possèdent une double coque qui mesure entre deux et trois mètres avec des ballasts vides qui ne peuvent pas exploser. La proximité des côtes et la position statique du navire pendant deux mois, en ont fait une cible de choix", ajoute le même expert auprès du journal.

Troisième incident en trois jours

L’incident est le troisième en trois jours impliquant des navires contenant du pétrole russe, rapporte de son côté l’agence Bloomberg. De quoi alimenter la thèse d’une attaque russe sur les côtes sénégalaises. Samedi, l’Ukraine a revendiqué l’attaque de deux pétroliers en mer Noire au large de la Turquie, disant avoir frappé avec des drones navals des navires de la flotte fantôme russe. Depuis qu’elle est ciblée par des sanctions internationales après son invasion de l’Ukraine en 2022, la Russie utilise des centaines de pétroliers, dont beaucoup naviguent sous différents drapeaux de commodité, pour expédier son pétrole aux clients malgré tout.

La veille, le 30 décembre, la chaîne américaine CNN affirmait que des drones sous-marins ukrainiens ont touché deux pétroliers appartenant à la "flotte fantôme" russe en mer Noire, le Virat et le Kairos, selon le témoignage d’un responsable des services de sécurité ukrainiens (SBU). Plus précisément, la source indique que les explosions sur les deux pétroliers, battant pavillon gambien mais lié à la Russie, ont été engagées par des drones maritimes Sea Baby.

Les attaques du Virat et du Kairos, deux pétroliers battant pavillon gambien, ont eu lieu à l’intérieur d’une zone économique spéciale (ZES) de la mer Noire, et non dans les eaux territoriales turques, a indiqué samedi le ministre turc des Transports, Abdulkadir Uraloglu. Selon le site spécialisé Vesselfinder, le Kairos date de 2002 et le Virat de 2018. Les deux bâtiments sont visés par des sanctions européennes et du Commonwealth, mais aussi des Etats-Unis pour le Virat.

© Getty Images/iStockphoto

179 pétroliers pleins de la flotte fantôme russe ont quitté les ports russes en novembre 2023

Danemark : les recettes de Mette Frederiksen, la Première ministre de gauche qui dit stop à l'immigration

2 décembre 2025 à 17:00

Mieux que La Petite Sirène ou La Reine des neiges, deux contes du Danois H.C. Andersen, voici la saga d’un petit royaume où l’économie se porte bien, où les habitants ont le sourire et où un optimisme général plane dans l’air. Bienvenue au Danemark (6 millions d’âmes) dont l’enquête planétaire World Happiness Report 2025 confirme année après année que ses habitants sont les gens "les plus heureux du monde", juste après les Finlandais. Ce bonheur général, il se mesure à la mine épanouie des enfants qui courent dans les allées de Legoland (parc thématique dédié aux Lego) comme aux éclats de rire sur les terrasses de café du port de Copenhague. Dans les entreprises règne aussi une forme de bien-être : patrons, syndicats et employés y entretiennent un dialogue social constructif fondé sur l’écoute et le respect mutuel. Résultat, là-bas, tout le monde est d’accord pour reporter l’âge de départ à la retraite de 67 à 68 ans d’ici à 2030 et jusqu’à 70 ans à partir de 2040.

C’est à peine croyable, mais même l’ambiance des maisons de retraite est sympa ! Dans ce pays où les seniors sont rois, les équivalents de nos Ehpad sont parmi les plus agréables à vivre au monde. Voici donc un pays en bonne santé qui, en outre, affiche des statistiques insolentes : + 3,5 % de croissance l’année dernière, chômage stable à 6 % et endettement public minimal à 30,5 % (contre 114 % en France). Cerise sur le gâteau, l’excédent budgétaire de l’Etat permet de financer à peu près n’importe quel nouveau projet.

Si tout va si bien, c’est donc qu’il n’y a aucune raison de s’intéresser au Danemark… Ne dit-on pas que les gens heureux n’ont pas d’histoire ? Sauf que depuis peu, ce pays en forme d’index pointé vers le nord de l’Europe se trouve au carrefour de l’actualité mondiale. En janvier, le président Donald Trump a déclaré que l’acquisition du Groenland (un territoire autonome danois) était une nécessité absolue. Parallèlement, la menace russe va en augmentant : Vladimir Poutine mène une guerre hybride incessante contre le Lilliput danois – et contre l’ensemble des pays scandinaves et baltes. Début octobre, plusieurs drones ont été repérés dans le ciel danois, obligeant le gouvernement à fermer six aéroports pendant plusieurs heures durant un sommet de chefs d’Etat de l’Union européenne.

Sur le Vieux Continent, le pays suscite, là encore, un intérêt inédit. Ce n’est pas tellement que Copenhague assume jusqu’au 31 décembre prochain la présidence tournante du Conseil de l’UE. C’est plutôt que le royaume est dirigé depuis six ans par une Première ministre qui détonne. Elue par la gauche, la sociale-démocrate Mette Frederiksen, 48 ans, mène une politique anti-immigration applaudie par la droite. Hyperrestrictive, elle vise particulièrement les demandeurs d’asile venus du "Menapt"', selon l’acronyme qui désigne, en anglais, le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord, le Pakistan et la Turquie (Middle East, North Africa, Pakistan, Turkey). Autrement dit : des pays majoritairement musulmans.

Et cela, au nom de la préservation du sacro-saint "modèle scandinave" qu’une majorité des Danois juge incompatible avec une immigration de masse. Le raisonnement est le suivant : pour fonctionner, l’Etat-providence doit reposer sur la solidarité collective – un peu comme une mutuelle – où non seulement tout le monde contribue au financement du système mais où, de plus, tout le monde adhère aux mêmes valeurs. Parmi celles-ci : l’égalité homme-femme, le respect des droits des homosexuels et la totale liberté d’expression qui fut, ne l’oublions pas, à l’origine de la crise des caricatures de Mahomet, née au Danemark en 2005 et suivie de menaces de mort contre des dessinateurs, d’attaques contre des ambassades danoises au Moyen-Orient et de deux attentats par fusillade à Copenhague en 2015 (un mois après le massacre de Charlie Hebdo en France).

Nous sommes passés d’une situation où il fallait protéger les minorités à une situation où nous devons protéger la majorité

Mette Frederiksen

Ceci explique pourquoi, depuis deux décennies, les gouvernements de droite comme de gauche renforcent continuellement les critères d’entrée dans le pays, au point de décourager les demandes d’asile. Les statuts de réfugié et les permis de séjour sont délivrés au compte-gouttes (avec des critères encore plus durs pour les représentants religieux). Et le regroupement familial repose sur des règles strictes : les deux membres du couple doivent avoir au moins 24 ans (ceci, afin de lutter contre les mariages arrangés avec des femmes trop jeunes) ; les intéressés doivent fournir un caution d’environ 7 000 euros ; ils doivent prouver l’existence de revenus réguliers depuis des années et disposer d’un logement avec un nombre de mètres carrés minimal par habitant. Quant aux naturalisations, elles reposent sur des tests de langue, sur l’adhésion aux "valeurs danoises" et sur "l’épreuve de la poignée de main", qui vise à éliminer les musulmans conservateurs : le demandeur doit serrer la main d’un officier municipal du sexe opposé. Enfin, le fait d’avoir commis une infraction ou avoir reçu une amende de plus de 400 euros entraîne l’inéligibilité à la naturalisation.

"Je ne crois pas que les gens fuient leur pays pour le plaisir et ceux qui sont persécutés doivent être protégés, expliquait, très cash, la Première ministre, Mette Frederiksen, au magazine Der Spiegel, en mai dernier. Mais je suis convaincue que nous ne pouvons pas accueillir et protéger tout le monde. L’Allemagne a fait une grosse erreur en 2015 [NDLR : en accueillant 1 million de migrants]. Les conséquences sont tellement énormes que nous ne pouvons tout simplement pas continuer comme avant. Nous sommes passés d’une situation où il fallait protéger les minorités à une situation où nous devons protéger la majorité", dit la dirigeante qui a hérité du surnom de Dame de fer. Et de conclure : "Les gens doivent se sentir en sécurité lorsqu’ils prennent un bus de nuit, lorsqu’ils vont au travail au petit matin ou à l’école."

Avec ce genre de discours – auquel peu de Danois trouvent à redire – la présidente du Parti social-démocrate est non seulement parvenue à se hisser au sommet du pouvoir, mais aussi à y rester. Elue une première fois en 2019 avec 26 % des suffrages, elle a été réélue en 2022 avec 27,5 % des voix. Miraculeusement, elle a dans le même temps marginalisé l’extrême droite qui arbitrait la vie politique depuis deux décennies jusqu’à devenir la deuxième force du pays. En 2015, le Parti du peuple danois (Dansk Folkeparti, DFP) atteignait 21 %. Quatre ans plus tard, lors de la victoire de Frederiksen, il dégringolait à 9 % et en 2022, à moins de 3 % !

Avec Malte, la Lituanie et l’Espagne, le Danemark est aujourd’hui un des rares pays de l’UE à être gouvernés par la gauche. Rien d’étonnant dès lors, si la réussite de Frederiksen fait école. En Suède, le Parti social-démocrate (actuellement dans l’opposition) vient de faire son aggiornamento sur les questions d’immigration dans l’espoir de remporter les législatives dans un an. Et au Royaume-Uni, le gouvernement du travailliste de Keir Starmer a, lui aussi, durci sa politique d’immigration en annonçant l’allongement du délai d’obtention d’une résidence permanente et la suppression de l’aide au logement et des allocations sociales pour les demandeurs d’asile qui refusent un travail ou enfreignent la loi.

Mais qui est vraiment Mette Frederiksen, ovni politique sorti tout droit de la série télévisée Borgen ? Pour le savoir, il faut remonter à son adolescence, passée à Aalborg, ce bastion social-démocrate du nord du Jutland où sa famille vote à gauche depuis cinq générations. "Malgré son jeune âge, la quadragénaire a déjà plus de trois décennies d’expérience derrière elle", observe Thomas Larsen, auteur de Mette Frederiksen. Un portrait politique (2019, non traduit) qui la dépeint en animal politique doué et redoutable. A l’âge de 15 ans, Mette rejoint la Jeunesse sociale-démocrate sous les encouragements de son père, typographe, et de sa mère, enseignante. Là, elle se fait remarquer par son caractère et ses engagements.

La fibre écolo, elle refuse par exemple d’utiliser des cosmétiques testés sur des animaux, milite pour la défense des baleines et se passionne pour Nelson Mandela et son parti, l’ANC. A 18 ans, elle part seule au Kenya pendant un an. Titulaire d’un bachelor en sciences sociales, elle obtient ensuite un master en études africaines à l’université de Copenhague. A 24 ans, la voici déjà députée avant de devenir ministre de l’Emploi à 34 ans en 2011 puis de la Justice en 2014. L’année suivante, elle prend la tête du parti La Sociale démocratie. Et devient quatre ans plus tard la plus jeune Première ministre de l’histoire danoise à 41 ans – et la deuxième femme à occuper ce poste, après une autre sociale-démocrate, Helle Thorning-Schmidt (2011-2015).

"D’une ambition dévorante et dotée d’un instinct politique incontestable, elle se définit aussi par une souplesse idéologique qui lui permet d’opérer des virages à 180 degrés sur de nombreux sujets", dépeint le journaliste Bent Winther, coauteur de la biographie politique Mette F. (2019, non-traduit). "D’abord très à gauche, elle a viré au vert, puis elle a participé en tant que ministre à une coalition de centre gauche avant de diriger, depuis 2022, un gouvernement de coalition avec la droite. Tout cela en devenant de plus en plus conservatrice sur l’immigration." Autrefois eurosceptique, cette proche de Volodymyr Zelensky est aujourd’hui une fervente européenne et l’un des soutiens à l’Ukraine les plus déterminés. "Il faut reconnaître qu’à chaque fois qu’elle change d’avis, elle trouve les bons arguments pour convaincre", remarque Bent Winther, à propos de celle qui a soudé le parti derrière elle.

Cette proche de Volodymyr Zelensky est passée d'eurosceptique à fervente européenne.
Cette proche de Volodymyr Zelensky est passée d'eurosceptique à fervente européenne.

Mette Frederiksen serait-elle, tout simplement, une adepte des retournements de veste ? "Les choses sont plus compliquées que cela", plaide le biographe Thomas Larsen, qui suit sa trajectoire depuis trois décennies. Dans un pays qui compte une quinzaine de partis politiques, les alliances et les compromis font en effet partie du jeu. "Mais surtout, elle s’est montrée visionnaire en repositionnant idéologiquement la social-démocratie qui, à ses yeux, avait été poussée trop à gauche sur les questions d’immigration par ses alliés de la gauche radicale", décrypte Thomas Larsen. Voilà dix ans, lorsqu’elle prend les commandes du parti, elle annonce la rupture avec la gauche de la gauche afin de mieux reconquérir le pouvoir. Victorieuse dans les urnes, elle tient parole : pendant trois ans, les sociaux-démocrates gouvernent seuls. Ce n’est pas tout. Frederiksen reprend aussi à son compte la politique anti-immigration de ses prédécesseurs de droite, en annonçant, pendant la campagne, qu’elle ne reviendrait pas dessus.

"Elle est partie du principe que si les partis traditionnels se déconnectaient des préoccupations des électeurs, ces derniers se déplaceraient naturellement vers les extrêmes, entraînant la polarisation du pays", explique encore Thomas Larsen. Autre choix stratégique : Frederiksen décide de porter son effort sur les provinces et les régions rurales plutôt que sur les "bobos" des grandes villes parce que, selon elle, la social-démocratie danoise plonge ses racines dans l’électorat populaire. La question est : ce Machiavel scandinave est-elle encore de gauche ? "A sa façon de mettre l’accent sur les 'valeurs danoises' et à parler de 'réarmement idéologique' face aux défis de l’intégration, elle est clairement de droite, du moins sur le sujet de l’immigration", répond le Franco-Danois Pierre Collignon, rédacteur en chef du quotidien libéral Berlingske, qui la juge toutefois trop étatiste. Signe de l’évolution de la Première ministre : elle a récemment nommé un nouveau ministre de l’Immigration (social-démocrate) encore plus dur que ses prédécesseurs. Et pour fêter ses dix ans à la tête de SD, en juin, les militants agitaient des petits drapeaux danois au lieu de roses, l’emblème du parti.

Mette Frederiksen affiche aussi sans complexe sa proximité avec la présidente du Conseil des ministres Giorgia Meloni, dont elle partage les vues sur le droit d’asile. Avec sept autres dirigeants d’Europe centrale, les deux cheffes de gouvernement militent pour réformer l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, trop contraignant selon elles, notamment sur la question du regroupement familial. Et peu importe si le Danemark bénéficie depuis 1992 de dérogations (opt-out dans le jargon de Bruxelles) qui lui permettent de s’affranchir des règles européennes en la matière. "Pour Mette Frederiksen, l’important est de rassurer les électeurs en leur faisant savoir qu’elle ne lâche pas le morceau", reprend le journaliste et biographe Bent Winther. Elle n’oublie pas qu’au Danemark, le thème de l’immigration a déterminé le résultat de toutes les élections depuis un quart de siècle.

La dirigeante s'affiche avec Giorgia Meloni, partageant ses vues sur le droit d'asile.
La dirigeante s'affiche avec Giorgia Meloni, partageant ses vues sur le droit d'asile.

Ce qu’il faut savoir, aussi, c’est que les compatriotes de l’acteur Mads Mikkelsen (Casino Royale, Hannibal, Drunk, etc.) se voient un peu comme les habitants d’un village d’irréductibles Vikings, obligés de "résister encore et toujours à l’envahisseur", selon la formule des albums d’Astérix. A l’instar de la Hongrie, nostalgique de son empire disparu, le petit Danemark reste marqué par la perte de la Norvège en 1814 (au profit de la Suède) et du Schleswig-Holstein en 1864 (au profit de la Prusse). Et à la différence de la Suède, dont l’identité repose sur son espace et ses richesses naturelles (minerais, bois), celle du Danemark est fait d’un sentiment de fragilité et de l’idée qu’il lui faut préserver ses deux principaux atouts : la cohésion nationale et son modèle social, garant de sa prospérité.

"Autre particularisme, notre conception de l’Etat-providence est fortement imprégnée de l’éthique protestante du travail où la responsabilité individuelle est centrale, précise le politologue Mikkel Vedby Rasmussen, installé au café Europa, sur Strøget, l’artère piétonne de Copenhague. "L’idée, c’est que chacun travaille dur et respecte les règles pour financer la sécurité sociale, tout en évitant d’abuser du système." Or les Danois ont sous les yeux l’exemple de la Suède, à vingt minutes de Copenhague par le pont reliant les deux pays. Principal pays d’accueil des réfugiés (avec l’Allemagne) lors de la vague de migrants en 2015, le voisin scandinave est aujourd’hui gangrené par le narcotrafic et déstabilisé par une guerre des gangs.

Dans son propre pays, Mette Frederiksen semble, pour sa part, atteinte par l’usure du pouvoir. Le score de son parti aux européennes, l’année dernière, a été décevant. Et voilà trois semaines, en novembre, les sociaux-démocrates ont pris une gifle aux municipales, notamment à Copenhague, perdue pour la première fois depuis un siècle au profit d’une coalition de gauche. L’omniprésente Première ministre – elle sature l’espace médiatique – commence peut-être à lasser. "Elle est devenue la caricature d’elle-même, grince le commentateur Noa Redington. Elle voit tout en noir et blanc, semble dévorée par sa soif de pouvoir et supporte de plus en plus mal les critiques, affirme celui qui fut le conseiller de l’ex-Première ministre Helle Thorning-Schmidt, elle aussi sociale-démocrate. Pour son dixième anniversaire à la tête du parti, en juin, j’ai lu les messages des comptes X de son entourage : ils étaient si laudatifs qu’on aurait dit la Corée du Nord. Grotesque…"

Une certitude : pour Frederiksen, les élections générales (prévues au plus tard dans dix mois) se joueront à quitte ou double. Concurrencée sur sa gauche, elle devra aussi composer avec l’extrême droite, qui remonte dans les sondages, à environ 8 %. "Mais elle n’a pas dit son dernier mot, prédit son biographe Thomas Larsen, qui ne cache pas sa fascination pour cette bête politique. Elle demeure une débatteuse redoutable, avec une capacité de travail effrayante et une résistance à la pression hors du commun." La preuve ? A l’heure où la Russie poursuit sa guerre hybride contre les pays d’Europe du Nord, elle trouve des accents churchilliens pour y répondre : son pays achètera des armes de précision à longue portée – missiles et drones – capables de frapper des cibles en "territoire ennemi", déclare-t-elle en juin. Et lorsque Washington convoite le Groenland, elle ne perd pas davantage son sang-froid. Inébranlable face à Trump et Poutine, la Dame de fer de Copenhague se laissera-t-elle, finalement, déstabiliser par ses joyeux compatriotes ? Réponse dans les urnes, dans quelques mois.

© Ida Marie Odgaard Ritzau/Scanpix/AFP

Elue par la gauche, la "Dame de fer" de Copenhague mène une politique anti-immigration applaudie par la droite.

Ces pays reçoivent des millions de dollars pour accueillir des expulsés américains

2 décembre 2025 à 15:17

En échange de quelques millions de dollars, Donald Trump et son administration se sont arrogés le droit d’expulser des milliers d’immigrés en situation irrégulière. Selon le ministère de la sécurité Intérieure (DHS), près de 527 000 étrangers illégaux ont été expulsés depuis l’investiture du président américain en janvier dernier. A ceux-là, s’ajoutent près de 1,6 million d’individus qui se seraient "volontairement déportés", selon les mots du même ministère.

Dans le cas des expulsions forcées, le gouvernement américain a signé des contrats avec plusieurs pays tiers, en Amérique du Sud et en Afrique, pour que ces derniers acceptent de recevoir et gérer ces déportés, quand bien même ils n’en sont pas originaires, en échange d’importantes sommes d’argent, et sans obligation de redevabilité.

5 millions de dollars contre 160 personnes

Le 17 novembre dernier, le gouvernement d’Eswatini, petit pays enclavé entre l’Afrique du Sud et le Mozambique, a confirmé pour la première fois avoir reçu 5,1 millions de dollars (4,3 millions d’euros) des Etats-Unis en échange de l’accueil d’un total, à terme, de 160 personnes jugées "indésirables" par l’administration américaine. Le petit royaume d’Afrique australe a depuis mi-juillet reçu et incarcéré 15 hommes expulsés par Washington, au même titre qu’au moins cinq autres pays africains. L’un d’entre eux a depuis été renvoyé vers son pays d’origine la Jamaïque, tandis que les 14 autres, parmi lesquels un Cubain, un Yéménite, un Laotien, au moins quatre Vietnamiens, un Philippin et un Cambodgien, sont détenus dans le centre correctionnel de Matsapha, près de la capitale Mbabane, connu pour détenir les prisonniers politiques.

Selon un article du Washington Post, dont l’auteur a eu accès aux contrats signés par les Etats-Unis avec ces fameux pays tiers, la Guinée équatoriale, tout petit Etat d’Afrique centrale, aurait pour sa part reçu 7,5 millions de dollars en échange de déportations. A titre d’exemple, ce montant dépasse l’aide étrangère américaine fournie au pays au cours des huit dernières années combinées, déplore la sénatrice démocrate du New Hampshire Jeanne Shaheen. Elle est notamment l’auteure d’une lettre adressée au secrétaire d’Etat Marco Rubio début novembre, questionnant ces expulsions vers des pays tiers régulièrement pointés du doigt pour traite d’êtres humains mais aussi pour leur corruption au plus haut sommet de l’Etat.

Inquiétudes quant aux contours des accords

Toujours selon le Washington Post, les Etats-Unis ont envoyé plus de 250 migrants vénézuéliens dans une prison de haute sécurité au Salvador dès le mois de mars 2025. Ce mois-là, l’attachée de presse de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, avait alors déclaré que les Etats-Unis ont versé "environ 6 millions de dollars" au pays pour détenir les migrants. Tous les détenus ont finalement été renvoyés du Salvador au Venezuela en juillet dans le cadre d’un accord négocié entre Washington, Caracas et San Salvador. En échange, 10 citoyens américains et résidents permanents américains emprisonnés au Venezuela ont été libérés. Autre pays signataire de ces accords : le Rwanda. D’après une copie de l’accord signée le 3 juin dernier, Kigali a accepté de recevoir jusqu’à 250 expulsés en échange d’un "déboursement initial" de 7,5 millions de dollars du gouvernement américain. Ce n’est pas la première fois que l’administration Trump paie le Rwanda pour accepter les déportés, note le quotidien de Washington. En avril, les Etats-Unis avaient effectué un paiement unique de 100 000 dollars en échange de la déportation d’un immigré irakien.

Autant de pays que les Etats-Unis, à travers des rapports du département d’Etat, a accusé de traite des êtres humains, dont ils demandent à ces ressortissants de les éviter. Outre-Atlantique, des défenseurs des droits de l’homme ont par ailleurs soulevé des inquiétudes quant aux contours des accords, y compris si Washington sera en mesure de surveiller correctement les fonds alloués. Car les pays n’ont aucune obligation de redevabilité concernant l’argent reçu de la part des Etats-Unis. "Nous n’avons aucune idée de la manière dont l’argent pourra être utilisé. Il semble que les Etats-Unis ne mettent aucune directive ou restriction", a déclaré Nicole Widdersheim, directrice adjointe de Washington chez Human Rights Watch, s’inquiétant de l’utilisation de cet argent pour l’achat d’arme ou la contribution à des systèmes de corruption.

De façon moins directe qu'une contribution financière, le Ghana, a de son côté accepté de détenir au moins 40 migrants d'Afrique de l'Ouest envoyés par les Etats-Unis, en échange de tarifs douaniers assouplis et de restrictions abaissées pour les voyageurs ghanéens vers les Etats-Unis.

© AFP

Donald Trump à la Maison-Blanche, le 21 novembre 2025.

"L’économie est en chute libre" : en Allemagne, les industriels sonnent l’alarme

2 décembre 2025 à 13:51

L’économie allemande traverse "sa crise la plus profonde" de l’après-guerre, a averti mardi 2 décembre la première fédération industrielle du pays, reprochant au gouvernement son inaction malgré une quatrième année consécutive de production industrielle en chute.

Le produit intérieur brut (PIB) de l’Allemagne devrait au mieux connaître une année de stagnation en 2025, après deux ans de récession, tandis que le chancelier Friedrich Merz semble peiner à trouver la recette pour mener des réformes et donner confiance aux entreprises.

"L’économie allemande est en chute libre et pourtant le gouvernement ne réagit pas avec la détermination nécessaire", a dénoncé dans un communiqué Peter Leibinger, président de la Fédération des industries allemandes (BDI). Le secteur secondaire est en cette fin 2025 "à un plus bas dramatique", a-t-il alerté.

Le communiqué de cette organisation patronale est pour le moins alarmiste et critique du chancelier Merz, un conservateur allié aux sociaux-démocrates au sein d’une coalition gouvernementale assez impopulaire, arrivée au pouvoir au printemps, après des élections législatives marquées par l’essor de l’extrême droite.

Un "décrochage structurel"

"Nous attendons cette année une chute de la production de 2 %, la production industrielle sera donc en recul pour la 4e année consécutive. Ce n’est pas un trou d’air conjoncturel, mais un décrochage structurel", martèle le BDI, appelant les autorités à un "tournant dans la politique économique, avec des priorités claires pour la compétitivité et la croissance". "Au troisième trimestre, la production a de nouveau reculé de 0,9 % par rapport au trimestre précédent et de 1,2 % sur un an", a relevé cette fédération.

Longtemps une exception dans une Europe désindustrialisée, l’Allemagne a profité d’une insolente bonne santé économique dans les années 2010, grâce à un modèle fondé sur l’exportation de produits à haute valeur ajoutée sortant d’usines tournant à plein régime à l’aide du gaz russe bon marché.

Mais la pandémie de Covid-19, l’envolée du coût de l’énergie après l’invasion russe de l’Ukraine, un manque d’innovation, la concurrence chinoise et désormais les taxes douanières américaines sont venus éroder ses fondations, transformant peu à peu la première économie européenne en homme malade du continent.

Pression sur l’emploi

Le chancelier Merz a promis cet automne une série de réformes et un toilettage bureaucratique en Allemagne comme en Europe, répondant à une revendication des entreprises qui jugent les réglementations trop complexes, y voyant un frein à l’innovation et un moteur de coûts. La semaine dernière au Parlement, il a défendu son action, énumérant les réformes adoptées comme la baisse de la fiscalité des entreprises ou la tarification de l’électricité.

Mais pour les industriels, ça ne va pas assez vite. "Chaque mois sans réformes structurelles résolues coûtera encore des emplois", juge le BDI. La transformation de l’industrie allemande met l’emploi sous pression : l’automobile a perdu 6,3 % de ses effectifs en un an, soit 48 700 postes, la métallurgie 2,6 % depuis un an et plus de 11 % depuis 2019, détaille le BDI dans un rapport publié mardi. Dans l’automobile, Volkswagen prévoit ainsi la suppression de 35 000 emplois d’ici 2030, soit 29 % de ses effectifs en Allemagne. Quelques jours plus tôt, la fédération de l’industrie chimique et pharmaceutique alertait sur un niveau de production au plus bas depuis 30 ans dans la chimie.

A l’inverse, l’industrie de l’armement, portée par des centaines de milliards d’investissements, fait figure de bouée de sauvetage pour le gouvernement, qui a appelé mardi à davantage de coopération entre les secteurs. "Nous avons besoin d’un réseau plus fort entre l’industrie civile et l’industrie de la sécurité et de la défense", a déclaré en conférence de presse le ministre de la Défense Boris Pistorius. A ses côtés, la ministre de l’Economie Katherina Reiche a évoqué les "chevauchements technologiques" possibles avec l’automobile, "qui dispose de compétences actuellement nécessaires de toute urgence" dans la défense.

© afp.com/Tobias SCHWARZ

Friedrich Merz au Bundestag (chambre basse du Parlement) à Berlin, le 6 mai 2025

Lutte contre le narcotrafic : cette double frappe dans les Caraïbes qui agite Washington

2 décembre 2025 à 13:23

Un ordre de tir contre des naufragés : la Maison-Blanche a confirmé, lundi 1er décembre, qu’un amiral américain avait ordonné, début septembre, une seconde frappe contre un bateau suspecté de transporter de la drogue dans les Caraïbes, alors que des survivants d’un premier bombardement s’y trouvaient encore. Les révélations faites initialement par The Washington Post et The Intercept plongent les Etats-Unis dans l’une des plus graves controverses militaires de l’ère Trump et soulèvent de lourdes questions juridiques et politiques. D’après CNN, l’armée avait connaissance de la présence de rescapés visibles au moment du second tir.

Pour de nombreux juristes, l’affaire dépasse largement le cadre déjà contesté de ces opérations antidrogue. "Les frappes étaient déjà juridiquement douteuses, puisque aucune guerre n’est déclarée dans les Caraïbes. Mais le meurtre de survivants constitue un acte d’une gravité inédite", résume CNN. Le droit des conflits armés est clair : l’exécution d’un ennemi hors de combat — blessé, capturé ou naufragé — est interdite et considérée comme un crime de guerre. "Ils enfreignent la loi dans les deux cas", souligne Sarah Harrison, ancienne conseillère juridique au Pentagone. "Ils tuent des civils, et même s’ils les considéraient comme des combattants, ce serait tout autant illégal."

Le contexte régional est particulièrement tendu. Depuis août 2025, les Etats-Unis ont renforcé leur présence militaire en mer des Caraïbes, accusant le président vénézuélien, Nicolas Maduro, de diriger un véritable cartel de la drogue. De son côté, Caracas dément, dénonce des exécutions extrajudiciaires et affirme que Washington cherche à provoquer un changement de régime et à contrôler les ressources pétrolières du pays.

Deux survivants agrippés à l’embarcation

Selon les éléments désormais connus, 11 personnes ont péri début septembre lors de cette double frappe, la première d’une vingtaine d’attaques par les forces armées américaines qui ont fait 83 morts au total. Les médias américains affirment que deux survivants agrippés à l’embarcation en flammes ont été ciblés lors de la seconde attaque. Celle-ci aurait été autorisée par le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth - ce que le Pentagone a démenti dans un premier temps. "Si les faits rapportés par le Washington Post sont exacts, il semble que les forces spéciales aient commis un meurtre lorsque les deux hommes ont été tués dans l’eau", estime dans le Washington Post Jack Goldsmith, professeur de droit à Harvard et ancien directeur du Bureau du conseiller juridique sous l’administration de George W. Bush.

D’après CNN et d’autres médias, Pete Hegseth aurait donné instruction de s’assurer que "tous les passagers et membres d’équipages" soient tués. On ignore cependant si Pete Hegseth savait qu’il y avait des survivants avant la seconde frappe, ou si l’armée estimait simplement que l’attaque était nécessaire pour exécuter un ordre antérieur. Dimanche soir, Donald Trump a déclaré que son ministre de la Défense affirmait "ne pas avoir ordonné le meurtre de ces deux hommes", ajoutant le "croire à 100 %". Mais la Maison-Blanche a confirmé lundi que Pete Hegseth avait autorisé l’amiral Frank Bradley, le commandant des opérations spéciales de l’armée américaine, "à mener ces frappes cinétiques".

Des critiques dans le camp républicain

Devant la gravité des faits, même les présidents républicains des commissions du Sénat et de la Chambre ont dit soutenir l’ouverture d’une enquête parlementaire. Les sénateurs Roger Wicker (Mississippi), président républicain de la commission des forces armées, et Jack Reed (Rhode Island), principal démocrate de cette commission, ont indiqué vendredi soir avoir "orienté les demandes d’informations" vers le ministère de la Défense. "Une avancée notable de la part des élus républicains, qui ont passé une grande partie de l’année à s’en remettre à Donald Trump et à s’abstenir de tout contrôle sur ses actions", souligne le New York Times.

"Les gens sont très préoccupés par la manière dont ces frappes ont été menées", a dit lors d’une émission sur CNN le député républicain Mike Turner. Et le sénateur démocrate Chris Murphy de renchérir : "Les républicains comme les démocrates en viennent à la conclusion qu’il s’agissait d’un acte illégal et profondément immoral". Le sénateur démocrate Mark Kelly, ancien pilote de chasse, appelle lui aussi à faire toute la lumière sur l’affaire.

La polémique survient alors que Donald Trump accroît la pression sur Caracas. Lundi, il a réuni son Conseil de sécurité nationale après avoir annoncé la fermeture totale de l’espace aérien vénézuélien et évoqué de futures opérations, en mer comme sur terre. Sur le plan intérieur, le New York Times estime que l’intransigeance de Pete Hegseth devient un "handicap croissant" pour Trump, rappelant que cet allié avait déjà survécu à des fuites de conversations Signal en mai 2025. Un passif qui pourrait désormais peser plus lourd, à mesure que la crise s’envenime.

© afp.com/Eugene Hoshiko

Le ministre de la Défense américain Pete Hegseth se retrouve une nouvelle fois dans une tempête politique.

En Italie, le journal "La Stampa" vandalisé : attaquer la liberté, ce n’est pas défendre la Palestine

2 décembre 2025 à 12:27

Une rédaction qui empeste la fumée, son sol recouvert de fumier, ses murs tagués d’insultes. Et des menaces de mort scandées à visage découvert : "Journalistes terroristes, vous êtes les premiers sur la liste", "Tuez les journalistes". La scène s’est déroulée à Turin, le 28 novembre, dans les locaux de La Stampa, grand quotidien italien de centre droit. Une centaine de casseurs ont envahi et saccagé la rédaction, sous prétexte d’une manifestation propalestinienne et de l’arrestation d’un imam égyptien, menacé d’expulsion après avoir défendu les attaques terroristes du 7-Octobre. Mais il ne s’agit ici aucunement de défendre les Palestiniens : c’est une attaque pure et simple contre la liberté, contre la liberté de la presse et contre la liberté d’expression.

Un souvenir des "années de plomb"

Ces méthodes et ces slogans rappellent les heures sombres de l’Italie quand, dans les années 1970, les Brigades rouges, des miliciens d’extrême gauche, menaçaient et assassinaient policiers, magistrats et journalistes. "Un héritage dont ces jeunes n’ont même pas conscience, ce qui fait froid dans le dos", écrit Andrea Malaguti, le directeur de La Stampa, qui a bien connu ces "années de plomb" italiennes.

"Nous aimerions rappeler à ces jeunes, à peine sortis du lycée, cette décennie folle et meurtrière, qu’ils comprennent à la fois où peuvent mener ces dérives et combien ils ont de la chance de vivre dans une période paisible dans laquelle ils peuvent faire ce qu’ils souhaitent : manifester, être en colère, réclamer, protester, poursuit cette figure du journalisme italien. Mais pas ça, pas ce qu’ils ont fait vendredi : il n’y a ni raisons, ni justification, ni légitimité. Ce qu’ils ont fait, c’est juste de la saloperie contre-productive." Par chance, ce 28 novembre, la rédaction était presque déserte en raison d’une grève nationale. Mais la prochaine fois ?

Comme une lueur d’espoir, l’ensemble de la classe politique et médiatique italienne s’est rassemblé derrière La Stampa après cette attaque. "Notre liberté d’informer est précieuse, nous la défendrons chaque jour", a réagi la présidente du Conseil, Giorgia Meloni, rejointe sur ce point par l’ensemble de l’opposition.

Le courage d’une rédaction

Mais certains persistent dans l’aveuglement. Ainsi Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l'ONU sur les territoires palestiniens, qui a décrit cette agression comme "un avertissement pour la presse […] qui doit revenir à son rôle et remettre les faits au cœur de son traitement". Une justification indigne de la part d’une représentante de l'ONU, d’une lâcheté inversement proportionnelle au courage des journalistes menacés.

Eux tiennent la première ligne face aux ennemis de la liberté d’expression. Dès lundi 1er décembre, leur quotidien était dans tous les kiosques, avec une couverture sur… les violences en Cisjordanie et "l’agonie de Gaza". "A ces actes de violence, notre journal répondra toujours de la même manière : nous ne céderons pas un centimètre sur nos convictions et nos valeurs, a déclaré son propriétaire, John Elkann. La Stampa est un bastion de liberté et de civilité, elle le restera." L’Express, comme tant d’autres journaux européens, se tient à ses côtés.

© AFP

A l'intérieur des locaux de La Stampa, à Turin, après le passage des militants pro-palestiniens qui ont saccagé la rédaction, le 28 novembre 2025.

L'Europe sous la menace d'une guerre : le (vrai) tragique est de retour, par Jean-François Copé

2 décembre 2025 à 12:00

"Nous sommes à un point de bascule", annonçait Emmanuel Macron dans la Revue nationale stratégique 2025, qui prévoit une possible nouvelle agression russe sur le sol européen d’ici 2030. Et pourtant, lorsque le chef d’Etat-major des armées rappelle que la France doit "accepter l’idée de perdre ses enfants", la polémique l’emporte sans nuance.

Jean-Luc Mélenchon exprime son "désaccord total" reprochant de "prévoir des sacrifices qui seraient la conséquence de nos échecs diplomatiques". Plus étonnant, Sébastien Chenu, le vice-président du RN, lui, l’accuse "d’alarmisme" tandis que ses lieutenants, racontent sur toutes les antennes que l’arme nucléaire se suffira bien à elle toute seule, au mépris de toutes les études les plus pointues sur la nécessité d’une réponse conventionnelle et hybride.

Au-delà des propos caricaturaux des partis populistes, on voit bien aussi la gêne des milieux politiques traditionnels nourris au slogan tellement compréhensible du "plus jamais ça". Parce que la guerre, c’est la perception concrète et brutale du tragique.

Anesthésiés par le confort du progrès

Pendant deux mille ans d’histoire européenne, de génération en génération, des pères, des fils, des frères sont tombés à la guerre. Or nous vivons depuis quatre-vingts ans en paix sur notre continent, et notre rapport à la mort a profondément changé. Anesthésiés par le confort du progrès et de la prospérité économique, rassurés par le parapluie nucléaire, l’Otan, l’Union européenne et la chute de l’URSS, nous n’avons plus voulu voir ce qui se passait au-delà de nos frontières.

L’utilisation même du mot "guerre" a été vidée de sa substance. Il est devenu un outil de communication, par son utilisation répétée et systématique. Sanitaire, économique, sociale, culturelle… tout est devenu "guerre". En 2020, Emmanuel Macron déclarait six fois, dans le même discours, que nous étions "en guerre" contre un virus.

Un contresens manifeste, si l’on comprend que la guerre véritable, celle qui donne la portée tragique à l’expression, c’est lorsque des citoyens se sacrifient pour leur pays, et non pas l’inverse, comme ce fut le cas pour le Covid ! Mais la guerre n’est plus un horizon lointain, elle est à nos portes sur notre continent et la réaction est nécessaire. Le courage extraordinaire des Ukrainiens le rappelle chaque jour tout comme la détermination intacte de la Russie.

Les pays de l’Est ont compris le message. La Pologne est en pointe dans la mobilisation, la Lettonie et la Croatie ont décidé de réinstaurer le service militaire obligatoire, tandis que d’autres ne l’ont jamais supprimé. La Finlande, qui partage sa plus longue frontière avec la Russie, a fait ce choix. Au-delà des préparations matérielles des stocks d’armement, elle a compris avant tout le monde, qu’à l’heure où le parapluie américain disparaît peu à peu, la sécurité et la souveraineté passent par la formation de ses citoyens à défendre la nation.

Les Français attachés à leur nation

La France doit elle aussi retrouver cette lucidité. Après l’échec du service national universel qui n’a pas trouvé son public, faute de vision claire, Emmanuel Macron annonce enfin un service national militaire volontaire qui cette fois-ci, prend tout son sens. Et voilà une information très intéressante : à rebours des parties extrémistes, les Français, font savoir dans les sondages qu’ils sont près de 86 % à se montrer favorables au retour du service militaire volontaire dont 78 % ont moins de 35 ans !

Voilà qui renverse tous les clichés. Cette génération que l’on disait indifférente et désabusée voit le monde tel qu’il est. Non par goût de la contrainte, mais parce qu’elle perçoit mieux que ses représentants politiques parfois, le basculement dans un monde aux menaces hybrides et complexes. Qu’ils soient d’origines, de confessions ou de milieux différents, les Français expriment avec la même conviction leur attachement à la nation. Voilà une réaction qui invite une nouvelle fois à exiger que les partis de gouvernement reprennent les commandes de la France et renouent avec l’aptitude au commandement pour la défense de la République. Puissent-ils l’entendre avant qu’il ne soit trop tard.

© AFP

Volodymyr Zelensky, Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen, durant un sommet européen le 16 mai 2025.

Guerre en Ukraine : l'effrayant jusqu'au boutisme de Vladimir Poutine

2 décembre 2025 à 09:54

Lorsque Vladimir Poutine reçoit au Kremlin l’émissaire de Donald Trump, Steve Witkoff, il l’invite à discuter autour de sa fameuse table de réunion ovale. D'après les photos, on devine qu'il ne s'assoit pas face à lui dans le sens de la longueur – comme il l’avait fait en 2022 avec Emmanuel Macron, créant une grotesque distance de 6 mètres – mais plus près, dans le sens de la largeur. Autant cajoler un ami personnel de Trump, qui a de surcroît "le plus profond respect" pour le président russe.

A l’heure où nous écrivons ces lignes, nul ne sait ce que contient précisément le plan de paix pour l'Ukraine présenté le 2 décembre par Witkoff au chef du Kremlin, pour sa sixième visite à Moscou depuis janvier. Mais la réaction de Poutine est prévisible : si le document ne correspond pas exactement à ses attentes, il se montrera inflexible.

Alors que la ligne du leader américain oscille depuis des mois sur le dossier ukrainien (même s’il finit toujours par se ranger du côté de Moscou), le président russe se distingue, lui, par sa constance dans l'intransigeance. Ses objectifs n’ont jamais varié : désarmer l’Ukraine, s’assurer qu’elle n’intégrera jamais l’Otan, et conquérir des territoires. Mais tout en maintenant ses exigences maximalistes, il prend soin de préserver sa relation avec Trump. Son jeu consiste à clamer qu'il veut la paix, mais que les Ukrainiens et les Européens bloquent les négociations. Avec un argument martelé à l'envi : impossible de signer un accord avec un président ukrainien jugé "illégitime".

"Poutine reste persuadé qu’il peut obtenir tout ce qu’il veut"

Pendant ce temps, la Russie poursuit inlassablement son offensive militaire. Qu’importe le nombre effarant de victimes parmi ses soldats ou l’essoufflement de son économie, l'autocrate russe pense que le temps joue pour lui. "Poutine reste persuadé qu’il peut obtenir tout ce qu’il veut, que ce soit par la voie diplomatique, avec l’aide de Trump, ou sur le plan militaire (selon lui, l’Ukraine finira par s’écrouler si l’aide des Occidentaux cesse)", explique Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie-Eurasie de l’Ifri.

En attendant, le président russe pose des conditions inacceptables à toute discussion : il exige que les Ukrainiens abandonnent des territoires du Donbass que Moscou n'a pourtant pas réussi à conquérir, tout en refusant à Kiev la moindre garantie de sécurité à l'avenir. A l'orée d'un quatrième hiver de guerre, Poutine ne voit pas l'intérêt de bouger. Aux Européens de le faire changer d'avis.

© AFP

Le président russe Vladimir Poutine, le 26 septembre 2025.
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