Ciblage pub et ATT : Apple condamné à une amende de 150 millions d’euros en France
Trop de consentement tue le consentement

L’Autorité de la concurrence a condamné Apple à une amende de 150 millions d’euros en raison de son dispositif App Tracking Transparency (ATT). Elle considère que cet écran, qui demande à l’utilisateur s’il accepte la collecte de ses données personnelles lors de l’installation d’une application, porte préjudice aux mécaniques de consentement implémentées par les éditeurs tiers dans leurs propres interfaces. Les représentants du monde de la publicité et les éditeurs de services en ligne saluent la décision.
Imposer un consentement supplémentaire aux éditeurs tiers quand un seul suffit au regard de la loi constitue une forme d’abus de position dominante, estime l’Autorité de la concurrence. Dans une décision rendue le 28 mars dernier, elle condamne Apple à 150 millions d’euros, en raison de la mise en œuvre du dispositif App Tracking Transparency (ATT) au sein de son App Store entre avril 2021 et juillet 2023. « L’Autorité adjoint à cette sanction pécuniaire une obligation pour Apple de publication du résumé de la décision sur son site internet pendant une durée de sept jours consécutifs », précise-t-elle encore.
ATT : un consentement préjudiciable aux éditeurs tiers ?
Introduit au printemps 2021 avec iOS 14.5, après avoir été annoncé à l’été 2020, l’App Tracking Transparency est le dispositif par lequel Apple demande à l’utilisateur s’il accepte que son appareil iOS communique son identifiant dédié au ciblage publicitaire (le code IDFA, pour Identifier for Advertisers) à un éditeur tiers.
En pratique, il prend la forme d’un écran de recueil du consentement, qui s’affiche après l’installation d’une application téléchargée sur l’App Store. « Autoriser (l’application) à suivre vos activités dans les apps et sur les sites Web d’autres sociétés ? », demande cet écran. Deux options sont proposées : « Demander à l’app de ne pas me suivre » et « Autoriser ».

Le dispositif avait été attaqué dès 2020, avant même son déploiement effectif, au travers d’une action entamée devant l’Autorité de la concurrence par une coalition d’éditeurs de services en ligne et d’acteurs du monde de la publicité.
Ces derniers dénonçaient alors le caractère asymétrique de l’écran ATT : « il ne s’applique qu’aux situations dans lesquelles un éditeur serait amené à partager des données avec ses fournisseurs de services publicitaires autres qu’Apple. Ce dernier se réservant le droit de détenir, collecter et utiliser les données sans devoir recueillir un consentement supplémentaire pour ses activités publicitaires ».
« Les saisissantes reprochaient principalement à Apple d’imposer aux éditeurs d’applications de manière inéquitable une sollicitation superfétatoire et non conforme au RGPD et ePrivacy, tout en s’affranchissant de ces mêmes restrictions, favorisant ainsi son propre écosystème fermé, ses propres applications et ses services publicitaires », résument lundi les plaignants dans un communiqué commun.
Alliance Digitale, le Syndicat des Régies Internet (SRI), l’Union des entreprises de conseil et d’achat média (Udecam) et le Groupement des éditeurs et services en ligne (Geste) y saluent une « victoire importante », pour un écosystème dont les modèles économiques et les revenus auraient été « gravement affectés par l’ATT ».
L’Autorité de la concurrence n’a pas encore publié le texte intégral de la décision, mais elle en commente la teneur dans un communiqué.
Deux consentements ne valent pas mieux qu’un
Elle y remarque que l’ATT n’est pas nécessaire au regard de la loi dans la mesure où il ne permet pas « le recueil d’un consentement valable au regard du droit applicable tel qu’il résulte, notamment de la loi Informatique et Libertés ».
Dans ce contexte, Apple reste « libre d’édicter des règles de protection des consommateurs supplémentaires à celles imposées par la réglementation », souligne le gendarme de la concurrence. À condition toutefois que cet objectif légitime soit mis en œuvre dans le respect du droit de la concurrence, compte tenu de la position dominante de l’entreprise sur le marché de la distribution d’applications à destination des terminaux iOS.
Or, décrit l’Autorité, les modalités de fonctionnement de l’ATT « compliquent artificiellement le parcours des utilisateurs d’applications tierces et faussent la neutralité du dispositif au détriment des petits éditeurs se finançant par la publicité ».
« En effet, si le refus d’une opération de traçage publicitaire ne doit être effectué qu’une fois, l’acceptation d’une telle opération doit, quant à elle, toujours être confirmée une seconde fois par l’utilisateur », précise encore l’Autorité. Selon elle, cette asymétrie empêcherait « le recueil d’un consentement éclairé que l’ATT est pourtant censé favoriser ». Si l’utilisateur refuse le transfert de ses données au niveau de l’ATT, le consentement obtenu par l’éditeur au niveau de sa propre plateforme de gestion n’aura en effet aucune valeur.
La CNIL suggère une fusion des autorisations
Sollicitée pour avis, la CNIL remarque quant à elle que « la sollicitation ATT pourrait aisément, sous réserve de quelques modifications, servir également à recueillir les consentements requis par la loi française et le RGPD ». Autrement dit, Apple pourrait modifier son dispositif de façon à ne proposer qu’un unique panneau de consentement, valable aussi bien au niveau d’iOS qu’au sein de l’application tierce.
L’Autorité prend par ailleurs en compte dans sa décision l’asymétrie de traitement constatée entre les services publicitaires d’Apple et ceux des éditeurs tiers. Jusqu’à iOS 15, la firme de Cupertino n’utilisait en effet pas l’ATT pour ses propres applications, ce qui lui avait déjà valu une condamnation de la part de la CNIL en janvier 2023.
Si elles saluent la décision, les organisations plaignantes regrettent que l’Autorité de la concurrence n’ait imposé aucune modification du dispositif à Apple. « Par conséquent, si aucun changement n’est apporté dans les prochaines semaines, l’illégalité persiste », affirment-elles, demandant la suspension immédiate d’ATT en attente des modifications nécessaires.
« Bien que nous soyons déçus par la décision d’aujourd’hui, l’Autorité de la concurrence française n’a pas exigé de changements spécifiques à l’App Tracking Transparency », remarque de son côté Apple, dans une réaction reproduite par l’AFP.
Le sujet n’a sans doute pas fini de faire des vagues. Mi-février, l’Autorité de la concurrence allemande a elle aussi estimé dans un avis préliminaire que le dispositif ATT présentait un caractère abusif et anticoncurrentiel. Comme en France, elle avait été saisie par un consortium de médias et d’acteurs de la publicité en ligne.