mETH en fête
La bourse d’échange Bybit a été victime d’un immense vol de cryptoactifs, dont la valeur approche 1,5 milliard de dollars. Si l’on en croit les premières informations révélées pendant le week-end, l’opération serait due au groupe nord-coréen Lazarus. Ces pirates sont responsables d’une majorité des attaques contre des cryptoactifs dans le monde.
Bybit est une bourse d’échange pour cryptoactifs créée à Dubaï en 2018. Elle a été victime en fin de semaine dernière d’une opération décrite comme « sophistiquée », orchestrée a priori par le groupe de pirates nord-coréens Lazarus. Le nom est connu : Lazarus était responsable en 2024 de 61 % des vols de cryptoactifs connus, si l’on en croit un bilan réalisé en décembre dernier par Chainalysis.
Que s’est-il passé ?
Avant de décrire les évènements, il faut rappeler ce que sont les portefeuilles chauds et froids dans le monde des cryptomonnaies. Les portefeuilles chauds sont par défaut les portefeuilles auxquels on se réfère en général. Ce sont des applications, permettant de réaliser les opérations courantes. Elles sont légion et certains navigateurs, notamment Opera, en proposent.
Les portefeuilles froids sont, au contraire, basés sur du matériel et déconnectés. Ils sont recommandés pour un stockage sécurisé des cryptoactifs. En revanche, ils sont moins pratiques, car les fonds ainsi stockés doivent d’abord être envoyés dans un portefeuille chaud pour pouvoir être utilisés.
Maintenant, que s’est-il passé ? Bybit a d’abord indiqué sur X, vendredi vers 17 h, avoir détecté « une activité non autorisée » :
« L’incident s’est produit lorsque notre portefeuille froid ETH multisig a exécuté un transfert vers notre portefeuille chaud. Malheureusement, cette transaction a été manipulée par une attaque sophistiquée qui a masqué l’interface de signature, affichant l’adresse correcte tout en modifiant la logique du contrat intelligent sous-jacent. En conséquence, l’attaquant a pu prendre le contrôle du portefeuille froid ETH affecté et transférer ses avoirs vers une adresse non identifiée. »
Bybit indiquait également que tous les autres portefeuilles froids étaient à l’abri et que les fonds des clients n’étaient pas menacés. Les autorités avaient été prévenues, l’équipe de sécurité était mobilisée, « aux côtés d’experts judiciaires de la blockchain et de partenaires de premier plan ».
La société a publié plus tard dans la soirée une annonce sur son site pour revenir sur l’incident.
Une attaque sophistiquée
Non seulement les sommes en jeu sont gigantesques – il s’agit du plus gros vol de cryptoactifs jamais enregistré –, mais les détails de l’opération ont de quoi surprendre.
Dans la déclaration de Bybit, on note en effet que le portefeuille froid ETH est multisig. Le terme renvoie à « multi-signatures », qui signifie qu’il faut plusieurs signatures différentes pour qu’une opération soit validée. Plus précisément, il faut que trois personnes de confiance sur cinq valident l’opération avec sa propre clé. La technique n’a rien de nouveau, elle a été introduite il y a plus d’une décennie et est aujourd’hui un maillon essentiel de la chaine de sécurité autour des cryptoactifs.
Cela signifie que les pirates, pour dérober les fonds, n’ont pas forcé les serrures : ils ont réussi à présenter une fausse interface à suffisamment de personnes pour que les opérations soient validées. Comme l’explique Bybit, l’interface renvoyait les bonnes informations et a réussi à piéger tout le monde. Dans le cas présent, la technologie vient de Safe.eth, dont l’interface de gestion a été copiée.
Au moment où les signatures étaient octroyées, elles venaient en fait modifier la logique du contrat intelligent utilisé par le portefeuille froid de Bybit. Ce qui implique que les pirates avaient identifié chaque personne impliquée, que chacune d’entre elles avait été infectée par un malware et qu’ils ont réussi à les tromper en leur présentant une interface parfaitement convaincante.
Un rappel brutal
L’opération a créé une onde de choc dans la communauté des cryptoactifs. Elle a rappelé que les pirates étaient toujours à l’affut et qu’aucun système de protection n’était parfait si les personnes impliquées se faisaient elles-mêmes piéger. Mais même ainsi, le travail supposé, la synchronisation et l’ampleur de l’opération ont de quoi impressionner.
Safe.eth, à l’origine de la protection multisig, a confirmé qu’aucune violation de son code n’était à déplorer et que les pirates avaient réussi à présenter la bonne interface tout en masquant leurs véritables objectifs. Dans le sillage du vol, Safe a fermé temporairement son produit {Wallet} et procédé « à un examen approfondi », par précaution. Sur X, la société a communiqué à nouveau hier pour indiquer qu’un déploiement était en cours (sur 24 heures) pour de nouvelles fonctions de surveillance, signalant un retour du service {Wallet} une fois que les comptes en sont dotés.
Pour certains observateurs, dont gauthamzzz sur X, la réussite de Lazarus est un rappel brutal que les protections multisig ne sont pas absolues si les personnes elles-mêmes peuvent être compromises et que ce n’est pas parce qu’un portefeuille est froid qu’il est automatiquement sûr.
Il rappelait plusieurs conseils de sécurité : l’utilisation de portefeuilles matériels avec écran de vérification, l’implémentation d’une sécurité zero-trust, ne jamais signer de transactions que l’on ne comprend pas parfaitement, envisager une approche de la sécurité sur plusieurs couches, et prendre conscience qu’une interface peut être truquée.
Une partie des fonds gelés ou récupérés
Reste que les entreprises impliquées ne restent pas les bras croisés. D’abord, le vol de Bybit n’entrainera aucune perte pour les clients. La société le réaffirme dans son communiqué de vendredi : les fonds sont garantis en 1:1. Ensuite, la méthode utilisée est maintenant connue et des travaux auront lieu.
Elliptic, qui fournit une solution de filtrage des transactions, dit avoir travaillé avec Bybit. La société indique que dans ce genre de cas, les pirates cherchent à échanger au plus vite les jetons – ici les mETH et stETH – contre un cryptoactif natif comme l’Ether. « En effet, les jetons ont des émetteurs qui, dans certains cas, peuvent « geler » les portefeuilles contenant des actifs volés, alors qu’il n’y a pas de partie centrale qui puisse geler l’Ether ou le Bitcoin », indique Elliptic.
Le blanchiment se fait via des bourses décentralisées (DEX), là encore dans une optique d’éviter que les jetons soient gelés avant échange. Après quoi les pirates « superposent » les fonds via différentes techniques (envoi à de nombreux portefeuilles, déplacements vers d’autres blockchains…).
Selon Elliptic, Lazarus est actuellement le groupe le plus sophistiqué pour les vols de cryptos. Le montant des gains depuis 2017 dépasserait les 6 milliards de dollars. Selon un rapport des Nations Unies, les cryptoactifs dérobés alimentent directement le financement du programme de missiles balistiques de la Corée du Nord, rapportait la BBC en février 2022.
Certains fonds ont quand même été récupérés, même s’ils restent minoritaires.