L'œil de Sauron
En quelques mois, Palantir a multiplié sa valorisation en bourse, jusqu’à rejoindre le club fermé des sociétés les mieux cotées des États-Unis. Retour sur les activités de ce spécialiste discret de l’analyse de données au service des gouvernements, de leurs armées, mais aussi de la traque des populations immigrées aux États-Unis.
Que se passe-t-il avec Palantir ? En juillet, la société cofondée en 2003 par le libertarien Peter Thiel et initialement financée par In-Q-Tel, le fonds de la CIA, rejoignait le club des 20 entreprises les plus valorisées des États-Unis. En dépassant les 375 milliards de dollars, le fournisseur de logiciels d’analyses de données avait fait plus que doubler sa valorisation sur les marchés en une seule année, soulignait CNBC.
Début août, la valeur des actions de Palantir avait grimpé de 2 500 % par rapport à son entrée en bourse de 2021, relevait Bloomberg. Mais c’est surtout depuis l’élection de Donald Trump que le cours de son action PLTR a véritablement explosé au Nasdaq, avec une progression encore plus forte que celle de Nvidia.
Pourtant, quelques mois plus tôt, une dizaine d’ex-employés appelaient à « résister » à la tendance selon laquelle les grandes entreprises de la tech comme Palantir participaient activement à la poussée autoritaire visible aux États-Unis et dans d’autres pays du monde. De même, mi-juin, des démocrates appelaient le patron de la société Alex Karp à faire la transparence sur les contrats liant Palantir à diverses agences états-uniennes.
Des activités qui gardent une aura de mystère
En pratique, l’entreprise est avant tout connue pour deux produits : Gotham et Foundry. Initialement nommée Palantir Government, Gotham est utilisée aux États-Unis, mais aussi au Royaume-Uni ou encore en France, au moins depuis 2015. Pensée pour des enjeux de sécurité nationale ou de lutte contre le terrorisme, cette plateforme intègre divers outils d’accès à des bases de données variées (dates, images, positions géographiques, etc) et un moteur de recherche puissant, présenté comme capable de trouver très simplement des informations sur un individu.
Foundry est un autre dispositif pensé pour le secteur commercial. Là encore, il s’agit de permettre une gestion et des analyses poussées de données variées. Pour déployer de l’IA au sein de ces services, l’entreprise a aussi conçu d’autres produits (comme Apollo et AIP), et conclu des accords avec des fournisseurs comme Microsoft. Palantir est par ailleurs derrière le Maven Smart System, un logiciel de génération de carte tactique initialement construit aux côtés du gouvernement des États-Unis.
Si ces premières pistes aident théoriquement à comprendre le secteur d’activité de Palantir, Wired remarquait début août que les propres employés ou ex-employés de la société peinent à décrire plus précisément ce que fait Palantir. Difficile pour eux, par exemple, d’identifier des concurrents directs, quand bien même la plupart de leurs descriptions, y compris celle d’une « plomberie extravagante pour gérer des données », pourrait correspondre aux activités de quantité d’autres sociétés de software as a service à destination d’un marché professionnel.
D’après le média états-unien, la spécificité de Palantir repose peut-être dans sa stratégie marketing, qui consiste à vendre une solution d’apparence magique à des problèmes complexes, à destination d’utilisateurs non techniciens. Son propre patron Alex Karp recourt volontiers à des propos militaires, déclarant acceptable, « quand c’est nécessaire, de faire peur aux ennemis, et dans certains cas, de les tuer ». Sa clientèle, essentiellement composée de gouvernements de sociétés du Fortune 500, joue aussi avec cette aura de mystère.
Trump en faveur du mélange de données
Le boom récent de Palantir s’explique aussi en partie par les projets politiques de Donald Trump. En mars, ce dernier signait un décret demandant aux agences états-uniennes de partager leurs données, un projet qui avait tout de suite alerté sur les risques de surveillance accrus qu’il pourrait lui fournir. Si le président des États-Unis s’est peu exprimé sur le sujet, il est rapidement apparu que Palantir avait été sollicitée pour mener le projet à bien.
De janvier à mai 2025, la société a reçu plus de 113 millions de financements pour des contrats fédéraux, relevait alors le New-York Times, en partie issus de nouveaux accords conclus avec le ministère de la sécurité intérieure et le Pentagone. La société a par ailleurs remporté un contrat de 795 millions de dollars avec le ministère de la Défense – ce qui porte ses dépenses passées et futures envers l’entreprise à 1,66 milliard de dollars.
Outre ces différentes entités dédiées aux activités militaires et de forces de l’ordre, Palantir étendait ses liens avec l’agence en charge de la Sécurité sociale et l’Internal Revenue Service (IRS), l’organe dédié à la gestion des impôts.
Quant à Foundry, il est désormais déployé dans plusieurs de ces agences, avec le but évident de mêler les données collectées par les différents services du gouvernement fédéral sur sa population.
Employés et représentants politiques inquiets
Début mai, alors que le DOGE se tournait vers Palantir pour opérer ces réunions de données, d’anciens salariés publiaient une lettre ouverte à destination des employés de la Silicon Valley. Celle-ci était titrée « Le nettoyage de la comté », en référence à la Terre du Milieu d’où viennent les Hobbits héros du Seigneur des Anneaux (dans l’œuvre de J.R.R. Tolkien, un palantír est une « pierre de vision », un globe qui permet d’observer des lieux distants dans le temps ou l’espace). Les anciens employés y déploraient que les dirigeants de Palantir aient « abandonné les idéaux de la création » de l’entreprise.
Citant de multiples menaces contre la démocratie – collecte de données relative à des enfants immigrés, ciblage de journalistes, coupure de financement de programmes scientifiques, etc. –, ils soulignaient que « les big tech, dont Palantir, sont complices de ce mouvement, normalisant l’autoritarisme sous le couvert d’une « révolution » menée par les oligarques », et appelaient à « résister à cette tendance ».
Le 18 juin, des sénateurs démocrates adressaient donc à Alex Karp, le PDG de Palantir, une lettre demandant des comptes sur la réalité des différents contrats passés depuis la ré-accession de Trump à la tête des États-Unis. Les élus cherchaient avant tout à revenir sur le contrat conclu avec l’IRS.
Alex Karp, lui, reste idéologiquement très proche de Peter Thiel, et ardemment convaincu d’une supposée supériorité morale de l’Occident. Comme lui, il considère l’industrie technologique et l’intelligence artificielle en mesure de mieux gérer différents défis collectifs que les gouvernements. Un logiciel antidémocratique qui facilite d’autant la fourniture du logiciel Falcon, initialement déployé à l’époque de Barack Obama, pour aider les activités des services de l’immigration états-uniens et leur traque des sans-papiers.