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Reçu aujourd’hui — 15 décembre 2025

"C’était terrifiant" : la guerre sans pitié de Poutine contre l’agriculture ukrainienne

15 décembre 2025 à 05:45

Ne parlez pas de mines à Yevgeniy Gusakov. Bientôt quatre ans qu’elles font vivre un enfer à cet agriculteur ukrainien de 49 ans. Ses quelque 250 hectares de terres situés à une cinquantaine de kilomètres du front, non loin de Kupyansk, ont été occupés pendant sept mois par les Russes en 2022, avant d’être libérés par l’armée ukrainienne. Depuis, malgré plusieurs passages des démineurs envoyés par l’Etat, ses champs sont encore truffés d’engins explosifs. En désespoir de cause, après deux ans d’inactivité, le céréalier a décidé de les retirer lui-même. "C’était terrifiant, mais je n’avais pas le choix, car c’est ma seule source de revenu", retrace-t-il d’un ton résolu. Aujourd’hui encore, il continue régulièrement à en retrouver. Son tracteur a même sauté sur l’une d’elles. "Heureusement, personne n’a été blessé", souffle Yevgeniy. Mais le danger demeure bien réel. "J’essaie de ne pas y penser lorsque je travaille au champ."

A l’instar de Yevgeniy, nombre d’agriculteurs ukrainiens sont confrontés au problème des mines et autres munitions explosives enfouies dans le sol. Une menace cruciale pour ce secteur qui fait vivre près de 13 millions de personnes. "L’Ukraine est actuellement le pays le plus miné au monde, devant l’Afghanistan, la Syrie ou le Cambodge, souligne Caitlin Welsh, directrice du Programme mondial pour la sécurité alimentaire et hydrique au Centre d’études stratégiques et internationales, à Washington. Selon les estimations, le déminage pourrait prendre entre une décennie et un siècle." D’après le gouvernement ukrainien, 139 000 km² sont potentiellement contaminés - soit 23 % du territoire. Antipersonnelles ou antichars, la plupart des mines ont été déposées par les Russes. Parmi les engins les plus redoutables pour en inonder à échelle industrielle les champs ukrainiens, le système "Zemledelie" ("agriculture", en russe), employé dès le début du conflit et capable de recouvrir à distance une surface équivalente à plusieurs terrains de football en seulement quelques minutes.

Pour Vladimir Poutine, l’agriculture, qui représente 10 % du PIB ukrainien, constituait dès le départ une cible prioritaire. "La Russie s’en est délibérément prise à ce secteur pour saper une source majeure de revenus, dont l’Ukraine a cruellement besoin pour financer son effort de guerre, note Caitlin Welsh. L’autre objectif était de faire chuter les exportations ukrainiennes pour les remplacer par des produits russes." Moscou n’a pas fait mystère de ses intentions. Dès avril 2022, l’ancien président et actuel vice-président du Conseil de sécurité russe, Dmitri Medvedev, avait publiquement déclaré que l’alimentation constituait "une arme silencieuse" pour la Russie. Un an et demi plus tard, Vladimir Poutine lui-même faisait part de sa volonté de "remplacer les céréales ukrainiennes" par ses propres récoltes auprès des "pays dans le besoin".

Moins de surfaces cultivables

Cette utilisation des denrées alimentaires comme une arme est loin d’être inédite dans l’histoire russe, alors que Kiev célébrait fin novembre le 93e anniversaire de l’Holodomor ("extermination par la faim", en ukrainien), une terrible famine orchestrée par Moscou en 1932. "L’Ukraine a toujours été considérée par les dirigeants russes comme un élément central dans la construction de l’Union soviétique, retrace Galia Ackerman, historienne spécialiste de la Russie postsoviétique. Et Staline voulait exterminer toute une couche de la population ukrainienne porteuse de la mémoire nationale, notamment au sein de la paysannerie, pour maintenir le pays sous son joug." Entre 2,6 et 5 millions de personnes seraient mortes dans ce qui reste aujourd’hui le plus grand massacre jamais perpétré contre ce pays. Considérées à l’époque comme le grenier à blé de l’URSS grâce au Tchernoziom ("terre noire", en russe), un sol parmi les plus fertiles du monde, les vastes terres arables ukrainiennes aiguisent toujours l’appétit du Kremlin. "Dans son projet de domination de l’Ukraine, elles font partie des actifs clés sur lesquels Poutine veut mettre la main", abonde Galia Ackerman.

Dans les territoires occupés, le pillage a d’ores et déjà commencé. Fin octobre, le procureur général ukrainien a accusé la Russie du vol de plus de 4 millions de tonnes de céréales, exportées ensuite sous couvert de "marchandises russes" vers la Syrie, l’Égypte, la Turquie, le Liban et d’autres pays - soit un possible crime de guerre. En parallèle, le contrôle de toute une partie de son territoire par Moscou a privé l’Ukraine d’une part importante de ses terres exploitables. Entre 2021 et 2025, le nombre d’hectares cultivés a baissé de 40 % pour l’orge, de 25 % pour le blé et de 21 % pour les graines de tournesol. Malgré tout, l’agriculture ukrainienne a échappé au pire. "La fermeture de la mer Noire au début du conflit a failli condamner tout le secteur en le privant de débouchés, rappelle Carlos de Cordoue, le directeur général du Crédit agricole Ukraine. Mais l’Ukraine a réussi à ouvrir un couloir de navigation et à retrouver une capacité d’exportation quasi-normale."

Les défis auxquels sont confrontés les agriculteurs ukrainiens n’en restent pas moins nombreux. "Il est difficile de trouver un pan de l’agriculture ukrainienne qui n’ait pas été affecté par la guerre de manière très directe et intentionnelle", jauge Caitlin Welsh. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), environ 23 % des entreprises agraires situées dans les régions bordant le front ont signalé des destructions de matériel au cours du conflit. Et 30 % ont été contraintes de réduire la taille de leurs cultures face à l’insécurité ou la contamination de leurs terrains par des explosifs. "Le plus gros des destructions s’est concentré dans les zones qui ont été temporairement occupées par les Russes en 2022, ainsi que dans les oblasts situés à proximité des lignes de front dans l’est et le sud du pays", détaille Tiphaine Lucas, cheffe du programme action anti-mines et réhabilitation des terres pour la FAO en Ukraine. Au total, environ 30 % des capacités agricoles de l’Ukraine ont été détruites et 20 % des surfaces restent sous occupation, selon le ministère de l’Agriculture.

"J’ai tout abandonné pour fuir avec ma famille"

Dans de nombreuses fermes, les conséquences s’en font durement ressentir. Mykola Ivanovych, qui du haut de ses 65 ans, était à la tête d’une exploitation florissante de 750 hectares non loin d’Izioum, dans la région de Kharkiv, a tout perdu au déclenchement des combats. "Lorsque les Russes sont arrivés dans mon village, j’ai tout abandonné pour fuir avec ma famille en Pologne, se souvient-il, amer. A mon retour en septembre 2022, après la libération de la région par l’armée ukrainienne, tout avait disparu. Les moissonneuses-batteuses ont été volées, les entrepôts de stockage détruits et les semences de blé et de tournesol carbonisées dans des bombardements…" Au total, les dégâts se chiffrent à plus de 4 millions de dollars. Toute une vie de labeur partie en fumée pour cet agriculteur qui avait commencé à travailler dans les champs en 1979. Pis, incapable de rembourser un prêt qu’il avait contracté peu avant le début du conflit, ses comptes bancaires ont été gelés, l’empêchant de reprendre toute activité. "Pourtant, je ne suis pas responsable de cette guerre, ni des destructions, déplore Mykola, à court d’options. Et il m’est impossible d’aller dans un endroit plus sûr pour tout recommencer puisque je n’ai pas d’argent pour acheter ou louer un nouveau terrain." D’après le dernier rapport annuel de la Banque Mondiale sur l’évaluation des dégâts liés au conflit, les destructions subies par le secteur agricole ukrainien s’élèvent au moins à 11,2 milliards de dollars, en hausse de près de 10 % sur un an.

S’y ajoutent 72,7 milliards de dollars de pertes cumulées avec la baisse de production annuelle, les coûts de remise en état des terres ou encore la hausse du prix des intrants. "Le cours des engrais a bondi de 45 % et celui du carburant de 70 % par rapport aux prix d’avant-guerre, abonde Tiphaine Lucas. In fine, cela se répercute de manière significative sur les coûts de production." Près d’une exploitation sur deux a fait état d’une baisse de ses revenus l’an dernier et neuf sur dix d’une augmentation de leurs frais. La destruction du barrage de Kakhovka en juin 2023 a constitué une épreuve supplémentaire dans les régions du sud. Dans les oblasts (régions) de Zaporijia, Kherson et Dnipropetrovsk, qui dépendaient principalement de cette infrastructure pour leur approvisionnement en eau, la superficie des terres irriguées a chuté de 95 %, passant de 340 500 hectares en 2021 à seulement… 15 000, deux ans plus tard. "Le problème, c’est que la remise en état des infrastructures d’irrigation représente des investissements importants et que le budget de l’Etat est limité", pointe Carlos de Cordoue. Résultat, dans la région de Kherson, les autorités locales ont déclaré cet été la perte de 100 000 hectares de cultures à cause de la sécheresse.

Photo diffusée le 6 juin 2023 par la société ukrainienne exploitante, Ukrgidroenergo, du barrage hydroélectrique de Kakhovka endommagé, dans la région de Kherson
Photo diffusée le 6 juin 2023 par la société ukrainienne exploitante, Ukrgidroenergo, du barrage hydroélectrique de Kakhovka endommagé, dans la région de Kherson

Par-delà les pertes matérielles, l’Ukraine manque aussi de bras pour faire tourner ses exploitations dans un contexte où près d’un million de personnes sont mobilisées sous les drapeaux et que sept autres millions ont fui à l’étranger. Le déficit de main-d’œuvre de 10 % qui existait déjà dans le secteur avant le début de la guerre s’est aggravé. Et a même atteint 30 % cet été. "Les périodes de récoltes, où il y a de gros besoins de main-d’œuvre, sont compliquées, confirme Carlos de Cordoue. Même si le secteur s’est beaucoup automatisé pour tenter de compenser, cela reste un sujet préoccupant pour l’avenir." Surtout dans les exploitations les plus proches du front. En septembre dernier, l’histoire d’Oleksandr Hordienko a suscité l’émoi dans le pays. Agriculteur dans la région de Kherson, ce colosse de 58 ans avait fait les gros titres de la presse ukrainienne. Équipé d’un fusil et de deux brouilleurs, il avait fait une chasse impitoyable aux drones russes. Tué par l’un d’eux sur son exploitation, il a reçu la médaille de "héros de l’Ukraine" à titre posthume deux mois plus tard - la plus haute distinction décernée par la présidence. "Même à une quarantaine de kilomètres des lignes de front, ils restent vulnérables aux attaques", appuie Tiphaine Lucas. Dès 2014, lors de l’invasion du Donbass par des séparatistes prorusses épaulés par des forces de Moscou, Serhiy en a fait la terrible expérience après avoir été grièvement blessé par une mine sur son champ dans la région de Donetsk. "L’une de mes jambes a été arrachée et j’ai failli perdre l’autre, se rappelle avec douleur ce miraculé aujourd’hui âgé de 57 ans. Je n’ai survécu que grâce à l’aide de mes proches qui sont venus me porter les premiers secours et m’amener à l’hôpital."

Une profession particulièrement exposée

Contraint d’abandonner son activité, il a enchaîné les mois de rééducation avant de déménager à Kharkiv, puis à Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine. Après des années d’errance médicale, c’est dans cette ville qu’il a découvert l’existence de Superhuman, un centre de réhabilitation qui propose gratuitement des soins, du matériel et un soutien psychologique aux blessés de guerre, qu’ils soient civils ou militaires. "J’ai été pris en charge et cela a complètement changé ma vie, se souvient-il. J’ai obtenu une nouvelle prothèse et je peux maintenant recommencer à faire du sport, et même courir." Mais aussi à se projeter. Suivi par une équipe de réinsertion sociale de l’établissement, il est aujourd’hui accompagné pour retrouver un travail - loin des champs, cette fois. "On compte actuellement 86 000 personnes amputées à travers l’Ukraine, et nous allons malheureusement continuer de voir ce type de blessures pendant de nombreuses années, déplore Eddy Scott, un Britannique de 29 ans qui travaille aujourd’hui pour cette structure, après avoir lui-même perdu sa jambe et son bras gauche dans une attaque de drone lors d’une mission humanitaire à Pokrovsk. Les agriculteurs sont particulièrement en danger, car beaucoup de munitions envoyées par les Russes n’explosent pas en tombant au sol."

Sur les 1 330 civils blessés par des mines ou des débris explosifs depuis le début du conflit, 243 sont des agriculteurs - soit près d’une personne sur cinq. Pour accélérer le nettoyage des sols, l’Ukraine a renforcé ses capacités avec l’acquisition de plusieurs centaines et véhicules et engins de déminages, ou encore 32 drones aériens pour améliorer la détection. D’autres solutions innovantes voient également le jour. Dès 2024, l’entreprise Rovertech a dévoilé les premiers exemplaires de son robot démineur "Zmiy" ("serpent", en ukrainien), conçu pour prendre le relais des démineurs traditionnels dans les zones très risquées. Mais la tâche reste considérable.

Selon la Banque mondiale, le déminage des sols demandera un investissement de près de 30 milliards de dollars. L’enjeu fait partie des priorités du gouvernement ukrainien pour relancer son secteur agricole. Dans sa stratégie nationale de lutte contre les mines, il s’est ainsi fixé pour objectif de déminer 80 % des territoires touchés d’ici à 2033. Pour Yevgeniy Gusakov, dont les terres restent constellées d’engins explosifs, le plus tôt sera le mieux. "J’espère pouvoir un jour reprendre mon travail normalement, glisse le fermier. Mais avant cela, que l’Ukraine sortira victorieuse de cette guerre."

© NurPhoto via AFP

"C’était terrifiant" : la guerre sans pitié de Poutine contre l’agriculture ukrainienne

15 décembre 2025 à 05:45

Ne parlez pas de mines à Yevgeniy Gusakov. Bientôt quatre ans qu’elles font vivre un enfer à cet agriculteur ukrainien de 49 ans. Ses quelque 250 hectares de terres situés à une cinquantaine de kilomètres du front, non loin de Kupyansk, ont été occupés pendant sept mois par les Russes en 2022, avant d’être libérés par l’armée ukrainienne. Depuis, malgré plusieurs passages des démineurs envoyés par l’Etat, ses champs sont encore truffés d’engins explosifs. En désespoir de cause, après deux ans d’inactivité, le céréalier a décidé de les retirer lui-même. "C’était terrifiant, mais je n’avais pas le choix, car c’est ma seule source de revenu", retrace-t-il d’un ton résolu. Aujourd’hui encore, il continue régulièrement à en retrouver. Son tracteur a même sauté sur l’une d’elles. "Heureusement, personne n’a été blessé", souffle Yevgeniy. Mais le danger demeure bien réel. "J’essaie de ne pas y penser lorsque je travaille au champ."

A l’instar de Yevgeniy, nombre d’agriculteurs ukrainiens sont confrontés au problème des mines et autres munitions explosives enfouies dans le sol. Une menace cruciale pour ce secteur qui fait vivre près de 13 millions de personnes. "L’Ukraine est actuellement le pays le plus miné au monde, devant l’Afghanistan, la Syrie ou le Cambodge, souligne Caitlin Welsh, directrice du Programme mondial pour la sécurité alimentaire et hydrique au Centre d’études stratégiques et internationales, à Washington. Selon les estimations, le déminage pourrait prendre entre une décennie et un siècle." D’après le gouvernement ukrainien, 139 000 km² sont potentiellement contaminés - soit 23 % du territoire. Antipersonnelles ou antichars, la plupart des mines ont été déposées par les Russes. Parmi les engins les plus redoutables pour en inonder à échelle industrielle les champs ukrainiens, le système "Zemledelie" ("agriculture", en russe), employé dès le début du conflit et capable de recouvrir à distance une surface équivalente à plusieurs terrains de football en seulement quelques minutes.

Pour Vladimir Poutine, l’agriculture, qui représente 10 % du PIB ukrainien, constituait dès le départ une cible prioritaire. "La Russie s’en est délibérément prise à ce secteur pour saper une source majeure de revenus, dont l’Ukraine a cruellement besoin pour financer son effort de guerre, note Caitlin Welsh. L’autre objectif était de faire chuter les exportations ukrainiennes pour les remplacer par des produits russes." Moscou n’a pas fait mystère de ses intentions. Dès avril 2022, l’ancien président et actuel vice-président du Conseil de sécurité russe, Dmitri Medvedev, avait publiquement déclaré que l’alimentation constituait "une arme silencieuse" pour la Russie. Un an et demi plus tard, Vladimir Poutine lui-même faisait part de sa volonté de "remplacer les céréales ukrainiennes" par ses propres récoltes auprès des "pays dans le besoin".

Moins de surfaces cultivables

Cette utilisation des denrées alimentaires comme une arme est loin d’être inédite dans l’histoire russe, alors que Kiev célébrait fin novembre le 93e anniversaire de l’Holodomor ("extermination par la faim", en ukrainien), une terrible famine orchestrée par Moscou en 1932. "L’Ukraine a toujours été considérée par les dirigeants russes comme un élément central dans la construction de l’Union soviétique, retrace Galia Ackerman, historienne spécialiste de la Russie postsoviétique. Et Staline voulait exterminer toute une couche de la population ukrainienne porteuse de la mémoire nationale, notamment au sein de la paysannerie, pour maintenir le pays sous son joug." Entre 2,6 et 5 millions de personnes seraient mortes dans ce qui reste aujourd’hui le plus grand massacre jamais perpétré contre ce pays. Considérées à l’époque comme le grenier à blé de l’URSS grâce au Tchernoziom ("terre noire", en russe), un sol parmi les plus fertiles du monde, les vastes terres arables ukrainiennes aiguisent toujours l’appétit du Kremlin. "Dans son projet de domination de l’Ukraine, elles font partie des actifs clés sur lesquels Poutine veut mettre la main", abonde Galia Ackerman.

Dans les territoires occupés, le pillage a d’ores et déjà commencé. Fin octobre, le procureur général ukrainien a accusé la Russie du vol de plus de 4 millions de tonnes de céréales, exportées ensuite sous couvert de "marchandises russes" vers la Syrie, l’Égypte, la Turquie, le Liban et d’autres pays - soit un possible crime de guerre. En parallèle, le contrôle de toute une partie de son territoire par Moscou a privé l’Ukraine d’une part importante de ses terres exploitables. Entre 2021 et 2025, le nombre d’hectares cultivés a baissé de 40 % pour l’orge, de 25 % pour le blé et de 21 % pour les graines de tournesol. Malgré tout, l’agriculture ukrainienne a échappé au pire. "La fermeture de la mer Noire au début du conflit a failli condamner tout le secteur en le privant de débouchés, rappelle Carlos de Cordoue, le directeur général du Crédit agricole Ukraine. Mais l’Ukraine a réussi à ouvrir un couloir de navigation et à retrouver une capacité d’exportation quasi-normale."

Les défis auxquels sont confrontés les agriculteurs ukrainiens n’en restent pas moins nombreux. "Il est difficile de trouver un pan de l’agriculture ukrainienne qui n’ait pas été affecté par la guerre de manière très directe et intentionnelle", jauge Caitlin Welsh. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), environ 23 % des entreprises agraires situées dans les régions bordant le front ont signalé des destructions de matériel au cours du conflit. Et 30 % ont été contraintes de réduire la taille de leurs cultures face à l’insécurité ou la contamination de leurs terrains par des explosifs. "Le plus gros des destructions s’est concentré dans les zones qui ont été temporairement occupées par les Russes en 2022, ainsi que dans les oblasts situés à proximité des lignes de front dans l’est et le sud du pays", détaille Tiphaine Lucas, cheffe du programme action anti-mines et réhabilitation des terres pour la FAO en Ukraine. Au total, environ 30 % des capacités agricoles de l’Ukraine ont été détruites et 20 % des surfaces restent sous occupation, selon le ministère de l’Agriculture.

"J’ai tout abandonné pour fuir avec ma famille"

Dans de nombreuses fermes, les conséquences s’en font durement ressentir. Mykola Ivanovych, qui du haut de ses 65 ans, était à la tête d’une exploitation florissante de 750 hectares non loin d’Izioum, dans la région de Kharkiv, a tout perdu au déclenchement des combats. "Lorsque les Russes sont arrivés dans mon village, j’ai tout abandonné pour fuir avec ma famille en Pologne, se souvient-il, amer. A mon retour en septembre 2022, après la libération de la région par l’armée ukrainienne, tout avait disparu. Les moissonneuses-batteuses ont été volées, les entrepôts de stockage détruits et les semences de blé et de tournesol carbonisées dans des bombardements…" Au total, les dégâts se chiffrent à plus de 4 millions de dollars. Toute une vie de labeur partie en fumée pour cet agriculteur qui avait commencé à travailler dans les champs en 1979. Pis, incapable de rembourser un prêt qu’il avait contracté peu avant le début du conflit, ses comptes bancaires ont été gelés, l’empêchant de reprendre toute activité. "Pourtant, je ne suis pas responsable de cette guerre, ni des destructions, déplore Mykola, à court d’options. Et il m’est impossible d’aller dans un endroit plus sûr pour tout recommencer puisque je n’ai pas d’argent pour acheter ou louer un nouveau terrain." D’après le dernier rapport annuel de la Banque Mondiale sur l’évaluation des dégâts liés au conflit, les destructions subies par le secteur agricole ukrainien s’élèvent au moins à 11,2 milliards de dollars, en hausse de près de 10 % sur un an.

S’y ajoutent 72,7 milliards de dollars de pertes cumulées avec la baisse de production annuelle, les coûts de remise en état des terres ou encore la hausse du prix des intrants. "Le cours des engrais a bondi de 45 % et celui du carburant de 70 % par rapport aux prix d’avant-guerre, abonde Tiphaine Lucas. In fine, cela se répercute de manière significative sur les coûts de production." Près d’une exploitation sur deux a fait état d’une baisse de ses revenus l’an dernier et neuf sur dix d’une augmentation de leurs frais. La destruction du barrage de Kakhovka en juin 2023 a constitué une épreuve supplémentaire dans les régions du sud. Dans les oblasts (régions) de Zaporijia, Kherson et Dnipropetrovsk, qui dépendaient principalement de cette infrastructure pour leur approvisionnement en eau, la superficie des terres irriguées a chuté de 95 %, passant de 340 500 hectares en 2021 à seulement… 15 000, deux ans plus tard. "Le problème, c’est que la remise en état des infrastructures d’irrigation représente des investissements importants et que le budget de l’Etat est limité", pointe Carlos de Cordoue. Résultat, dans la région de Kherson, les autorités locales ont déclaré cet été la perte de 100 000 hectares de cultures à cause de la sécheresse.

Photo diffusée le 6 juin 2023 par la société ukrainienne exploitante, Ukrgidroenergo, du barrage hydroélectrique de Kakhovka endommagé, dans la région de Kherson
Photo diffusée le 6 juin 2023 par la société ukrainienne exploitante, Ukrgidroenergo, du barrage hydroélectrique de Kakhovka endommagé, dans la région de Kherson

Par-delà les pertes matérielles, l’Ukraine manque aussi de bras pour faire tourner ses exploitations dans un contexte où près d’un million de personnes sont mobilisées sous les drapeaux et que sept autres millions ont fui à l’étranger. Le déficit de main-d’œuvre de 10 % qui existait déjà dans le secteur avant le début de la guerre s’est aggravé. Et a même atteint 30 % cet été. "Les périodes de récoltes, où il y a de gros besoins de main-d’œuvre, sont compliquées, confirme Carlos de Cordoue. Même si le secteur s’est beaucoup automatisé pour tenter de compenser, cela reste un sujet préoccupant pour l’avenir." Surtout dans les exploitations les plus proches du front. En septembre dernier, l’histoire d’Oleksandr Hordienko a suscité l’émoi dans le pays. Agriculteur dans la région de Kherson, ce colosse de 58 ans avait fait les gros titres de la presse ukrainienne. Équipé d’un fusil et de deux brouilleurs, il avait fait une chasse impitoyable aux drones russes. Tué par l’un d’eux sur son exploitation, il a reçu la médaille de "héros de l’Ukraine" à titre posthume deux mois plus tard - la plus haute distinction décernée par la présidence. "Même à une quarantaine de kilomètres des lignes de front, ils restent vulnérables aux attaques", appuie Tiphaine Lucas. Dès 2014, lors de l’invasion du Donbass par des séparatistes prorusses épaulés par des forces de Moscou, Serhiy en a fait la terrible expérience après avoir été grièvement blessé par une mine sur son champ dans la région de Donetsk. "L’une de mes jambes a été arrachée et j’ai failli perdre l’autre, se rappelle avec douleur ce miraculé aujourd’hui âgé de 57 ans. Je n’ai survécu que grâce à l’aide de mes proches qui sont venus me porter les premiers secours et m’amener à l’hôpital."

Une profession particulièrement exposée

Contraint d’abandonner son activité, il a enchaîné les mois de rééducation avant de déménager à Kharkiv, puis à Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine. Après des années d’errance médicale, c’est dans cette ville qu’il a découvert l’existence de Superhuman, un centre de réhabilitation qui propose gratuitement des soins, du matériel et un soutien psychologique aux blessés de guerre, qu’ils soient civils ou militaires. "J’ai été pris en charge et cela a complètement changé ma vie, se souvient-il. J’ai obtenu une nouvelle prothèse et je peux maintenant recommencer à faire du sport, et même courir." Mais aussi à se projeter. Suivi par une équipe de réinsertion sociale de l’établissement, il est aujourd’hui accompagné pour retrouver un travail - loin des champs, cette fois. "On compte actuellement 86 000 personnes amputées à travers l’Ukraine, et nous allons malheureusement continuer de voir ce type de blessures pendant de nombreuses années, déplore Eddy Scott, un Britannique de 29 ans qui travaille aujourd’hui pour cette structure, après avoir lui-même perdu sa jambe et son bras gauche dans une attaque de drone lors d’une mission humanitaire à Pokrovsk. Les agriculteurs sont particulièrement en danger, car beaucoup de munitions envoyées par les Russes n’explosent pas en tombant au sol."

Sur les 1 330 civils blessés par des mines ou des débris explosifs depuis le début du conflit, 243 sont des agriculteurs - soit près d’une personne sur cinq. Pour accélérer le nettoyage des sols, l’Ukraine a renforcé ses capacités avec l’acquisition de plusieurs centaines et véhicules et engins de déminages, ou encore 32 drones aériens pour améliorer la détection. D’autres solutions innovantes voient également le jour. Dès 2024, l’entreprise Rovertech a dévoilé les premiers exemplaires de son robot démineur "Zmiy" ("serpent", en ukrainien), conçu pour prendre le relais des démineurs traditionnels dans les zones très risquées. Mais la tâche reste considérable.

Selon la Banque mondiale, le déminage des sols demandera un investissement de près de 30 milliards de dollars. L’enjeu fait partie des priorités du gouvernement ukrainien pour relancer son secteur agricole. Dans sa stratégie nationale de lutte contre les mines, il s’est ainsi fixé pour objectif de déminer 80 % des territoires touchés d’ici à 2033. Pour Yevgeniy Gusakov, dont les terres restent constellées d’engins explosifs, le plus tôt sera le mieux. "J’espère pouvoir un jour reprendre mon travail normalement, glisse le fermier. Mais avant cela, que l’Ukraine sortira victorieuse de cette guerre."

© NurPhoto via AFP

Un panneau portant l'inscription « Danger de mines » dans un champ, dans la région de Jytomyr, en Ukraine, le 20 septembre 2023
Reçu avant avant-hier

Financement de l’Ukraine : l’Europe doit rapidement sortir de sa frilosité

8 décembre 2025 à 18:12

La diplomatie européenne ne sait plus où donner de la tête. Trois jours après la publication par Washington de sa "stratégie de sécurité nationale", dans laquelle la Maison-Blanche prononce son divorce avec l'Europe, les dirigeants français, britannique, allemand et ukrainien ont tenté, ce lundi 8 décembre à Londres, de coordonner leur position dans les négociations de paix en cours. En marge de ces tractations, ils ont pu évoquer un autre dossier clé qui ne leur donne pas moins de maux de tête : celui des avoirs russes gelés.

Retour en arrière. Le 3 décembre, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a dévoilé son grand plan visant à assurer le financement de l’Ukraine pendant les deux prochaines années. Problème, parmi les deux options retenues, celle d’un "prêt de réparation" de quelque 137 milliards d’euros à Kiev, garanti par les avoirs russes gelés, se heurte à l’opposition farouche de la Belgique, où dort la majeure partie de ces fonds (la société belge Euroclear détient 210 milliards d’euros, dont 185 mobilisables). Sa crainte ? Devoir faire face seule à des représailles russes et un éventuel remboursement.

Dans une ultime tentative de sauver ce plan, le chancelier allemand Friedrich Merz s'est rendu en urgence en Belgique dans la soirée du vendredi 5 décembre pour un dîner avec son Premier ministre Bart De Wever. L'objectif : tenter de le convaincre de ne plus freiner des quatre fers.

Risque de débâcle

Depuis, l’affaire tourne à l’épreuve de force. Qui en sortira vainqueur ? Réponse lors du prochain Conseil européen, les 18 et 19 décembre prochains. Faute de parvenir à s’entendre, ce qui devait être une démonstration de force des Européens pourrait se transformer en terrible débâcle.

Le risque est bien réel. Lors du dernier sommet à Bruxelles en octobre dernier, les Vingt-Sept avaient déjà échoué à parvenir à un accord sur fond des mêmes réticences belges. Toute l’ingénierie juridique et financière déployée par la Commission, comme les garanties proposées à la Belgique depuis lors n’y ont rien changé. La proposition "ne répond pas à nos inquiétudes", a martelé mercredi son chef de la diplomatie Maxime Prévot.

Pendant ce temps, l’Ukraine - qui réclame à cor et à cri une utilisation des avoirs russes gelés depuis 2022 - continue de brûler. Et les options de secours sont minces. La seconde proposition, moins ambitieuse, proposée par la Commission consiste en un emprunt commun au profit de Kiev. Mais il sera difficile d'avoir l'unanimité dans un contexte de rigueur budgétaire, certains Etats membres comme la Hongrie de Viktor Orban s'opposant même frontalement à toute aide supplémentaire à l'Ukraine.

"Moment crucial et décisif pour l’Europe"

Pourtant, il y a urgence. Les dépenses de l'Etat ukrainien ne sont couvertes que jusqu'en mars 2026. Ensuite "si l’Europe échoue à fournir ce soutien financier, ce sera un immense signal de faiblesse envoyé à la Russie, ajoute Nigel Gould-Davies, ancien ambassadeur britannique en Biélorussie aujourd’hui chercheur à l’International Institute for Strategic Studies. In fine, elle pourrait n’en devenir que plus agressive." A l’inverse, doter l’Ukraine d’un financement stable et pérenne enverrait un solide message de détermination au Kremlin, tout en éloignant le spectre d’une victoire rapide pour les Russes.

L'occasion aussi pour les Européens de reprendre la main dans ces pourparlers dont ils ont été largement exclus jusqu’à présent. Le sujet est d’autant plus prioritaire que l’administration américaine lorgne elle aussi sur les actifs russes. Dans son plan en 28 points négocié avec Moscou, Washington envisage de capter 100 milliards de dollars d’avoirs gelés pour participer à la reconstruction de l’Ukraine.

A trop tergiverser, les Vingt-Sept prennent le risque que le match continue de se jouer sans eux. "C’est un moment crucial et décisif pour l’Europe, résume l’ancien ambassadeur Nigel Gould-Davies. Une défaite de l'Ukraine serait infiniment plus coûteuse pour les Européens que les efforts qui leur sont actuellement demandés." Pour les Européens, il est impératif de changer de logiciel.

© afp.com/Adrian DENNIS

Le chancelier allemand Friedrich Merz, le Premier ministre britannique Keir Starmer, le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le président français Emmanuel Macron lors d'une rencontre au 10 Downing Street, le 8 décembre 2025 à Londres.

En Inde, la tournée de Vladimir Poutine qui bouscule l’idée d’une Russie isolée

4 décembre 2025 à 05:45

Avant même d’atterrir sur le sol indien ce jeudi 4 décembre, Vladimir Poutine peut se frotter les mains. Pour sa première visite dans la capitale indienne depuis le début de la guerre en Ukraine, à l’occasion du 23e sommet annuel Inde-Russie, le chef du Kremlin peut espérer signer de juteux contrats. Au programme : des discussions sur l’achat éventuel de davantage de systèmes antiaériens russe S400 et d’avions de chasse modernes Su-57 sur lesquels lorgne New Delhi alors que la Russie reste son principal fournisseur de matériel militaire. Egalement au menu, la question des approvisionnements russes en pétrole. Et pour cause : le vide laissé par les Européens a ouvert grand les vannes pour le sous-continent.

"L’Inde veut profiter de la décote sur le brut russe provoquée par les sanctions occidentales pour acheter du pétrole au-dessous du prix de marché international, pointe Julien Vercueil, économiste spécialiste de la Russie à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). La conséquence est tout à fait spectaculaire pour les exportations russes vers l’Inde : si l’on compare à 2021, elles ont au total été multipliées par plus de sept en 2024." Résultat, la Russie est devenue le premier fournisseur de brut de l’Inde, allant jusqu’à représenter près de 40 % de ses approvisionnements en 2025. Une manne que Moscou espère inscrire dans la durée, à l’heure où les pressions américaines sur New Delhi menacent de réduire ces livraisons.

Mais au-delà des contrats, ce voyage offre surtout une exceptionnelle vitrine au chef du Kremlin pour montrer qu’en dépit des sanctions occidentales, il continue d’entretenir, photos officielles à l’appui, des relations cordiales avec toute une partie du monde. "Le fait est que les sanctions contre la Russie n’ont pas réussi à porter un coup fatal à ses relations commerciales, note Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie-Eurasie de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Bien que la Russie soit isolée par rapport à l’Europe, ce n’est pas le cas avec les pays du Sud global, avec lesquels les liens se sont même renforcés ces dernières années."

Relation avec le Sud global

L’Inde n’est pas seule sur la liste. Selon une étude publiée en novembre par l’Ifri, le volume des échanges commerciaux entre la Russie et plusieurs pays du Golfe, Emirats arabes unis et Arabie saoudite en tête, ou d’anciennes républiques soviétiques comme l’Arménie et la Géorgie, a augmenté depuis le début de la guerre. Entre 2019 et 2023, les échanges commerciaux entre Moscou et Abou Dhabi sont ainsi passés de 3,5 à 9,5 milliards de dollars, sur fond d’importation de technologie à double usage (civil et militaire) et d’implantation d’entreprises russes dans ce pays "dont les infrastructures et les services développés minimisent les risques juridiques et logistiques liés aux sanctions".

"Du point de vue économique, la Russie a maintenu des liens internationaux avec de nombreux pays du Sud global, souligne Julien Vercueil. Cela a été un facteur clé de l’adaptation à court terme de son économie à l’effet repoussoir de la guerre et des sanctions. Mais elle peine à aller plus loin que les échanges commerciaux et à attirer des investissements." "De nombreux pays se trouvent sur la corde raide entre l’envie de profiter de la situation et d’acheter des matières premières à bas prix, et dans le même temps la volonté de ne pas aller trop loin, pour éviter de s’aliéner l’Occident, qui reste le partenaire commercial principal", résume Tatiana Kastouéva-Jean.

"Une levée de son isolement"

Sur le front diplomatique, Moscou est toutefois sorti de son isolement. En témoignent les visites officielles effectuées en Russie par plus d’une soixantaine de chefs d’Etat ou de gouvernement depuis le début de la guerre en Ukraine. Si une majorité provient de pays du sud ou de l’espace post-soviétique, on y trouve aussi également quelques Européens. Comme le Premier ministre hongrois Viktor Orban, à trois reprises, dont la dernière fois le 28 novembre pour consolider ses approvisionnements en pétrole et gaz russe. Ou le Premier ministre slovaque Robert Fico, seul dirigeant d’un pays de l’Union européenne à avoir assisté aux commémorations du 80e anniversaire de la victoire contre l’Allemagne nazie, à Moscou le 9 mai 2025.

Encore mieux pour le président russe, le retour au pouvoir de Donald Trump a entériné un réchauffement inédit des relations avec Washington après la présidence Biden, avec en point d’orgue le sommet en Alaska en août dernier - la première visite de Vladimir Poutine aux Etats-Unis depuis 2015.

Poutine "a bénéficié d’une levée de son isolement, il a obtenu des photos avec le président Trump, il a obtenu un dialogue public, avait critiqué Volodymyr Zelensky un mois plus tard en interview. Et je pense que cela ouvre la voie à Poutine pour d’autres sommets et formats." Les multiples rencontres organisées depuis au Kremlin avec l’émissaire de Trump, Steve Witkoff, ne sauraient lui donner tort.

Renforcement des alliances traditionnelles

Moscou a en parallèle élevé à un niveau sans précédent ses partenariats avec ses alliés traditionnels. Au premier rang desquels la Chine, qui est aujourd’hui de loin son premier partenaire commercial et représente 30 % de ses exportations et 40 % des importations - notamment de semi-conducteurs et composants à double usage essentiels à la machine de guerre russe. Signe des temps, le chef du Kremlin était assis à la place d’honneur, à la droite du président Xi Jinping, pour assister en septembre, à Pékin, au défilé militaire commémorant la fin de la Seconde Guerre mondiale.

A ses côtés sur le tapis rouge, le leader nord-coréen Kim Jong-un, autre soutien crucial, avec lequel Poutine avait signé un partenariat stratégique un an plus tôt lors d’un voyage à Pyongyang. Rouage essentiel dans l’effort de guerre russe, le régime nord-coréen lui aurait fourni pas moins de 4 à 6 millions d’obus depuis 2023, ainsi qu’environ 12 000 hommes pour reprendre le contrôle de la région de Koursk l’an dernier. Tout comme l’Iran, avec qui Moscou a conclu en janvier de cette année un autre "traité de partenariat stratégique global" et dont les conseillers ont été cruciaux pour produire en masse des drones Shahed - envoyés quotidiennement en salves de centaines d’engins sur l’Ukraine - dans l’usine russe de Ielabouga. Malgré sa guerre inique, la Russie continue d’engranger des soutiens.

© afp.com/Alexander NEMENOV

Narendra Modi (g) et le président russe Vladimir Poutine (d) lors d'une visite du premier ministre indien au Kremlin à Moscou le 9 juillet 2024
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