Avec Stephen Miran, Donald Trump place l’un de ses pions au cœur de la Fed
C’est un coup qu’il attendait de jouer depuis longtemps. Avec l’approbation lundi 15 septembre par le Sénat américain de l’un de ses conseillers économiques comme "gouverneur" de la Réserve fédérale (Fed), Donald Trump est enfin parvenu à placer l’un de ses pions au cœur de cette institution qui contrôle la politique monétaire des Etats-Unis. Un pas vers le contrôle de cet organisme indépendant du pouvoir exécutif depuis 1951, qui résistait jusqu’ici à ses pressions.
Le nouveau gouverneur Stephen Miran, 42 ans, est à la tête du Comité des conseillers économiques (CEA) de la Maison-Blanche. Il est surtout un fidèle extrême de Donald Trump, architecte et défenseur de la politique économique du président républicain. Sa présence au conseil de la Fed ne durera que quatre mois : Stephen Miran doit occuper un poste de gouverneur vacant depuis la démission surprise d’Adriana Kugler, dont le mandat courrait jusqu’au 31 janvier 2026. Mais elle intervient à un moment crucial, alors que Donald Trump multiplie les attaques contre la banque centrale.
Mardi et mercredi se tient par ailleurs une réunion cruciale de la Fed, au cours de laquelle la banque centrale doit décider du niveau de ses taux directeurs. Douze personnes votent ensemble sur les taux d’intérêt américains : les membres du conseil des gouverneurs (six gouverneurs et son président, Jerome Powell), le président de la Fed de New York et quatre présidents de Fed régionales qui changent d’une année sur l’autre. S’il prête serment in extremis, l’allié de Donald Trump pourra voter dès maintenant sur les taux d’intérêt et influencer les délibérations internes sur les règles régissant Wall Street.
L’arme de Donald Trump dans son duel avec la Fed
Le vote très serré autour de la nomination de Stephen Miran (48 voix contre 47) a donné lieu à une forte opposition de la part des démocrates, qui craignent qu’il ne permette enfin à Donald Trump de faire appliquer ses desiderata au sein de l’institution. Car la bataille est historique entre la Fed et le président milliardaire.
À l’origine de la querelle, le maintien obstiné par la Fed de ses taux directeurs, alors que Donald Trump réclame depuis des mois une détente monétaire pour alléger les coûts d’emprunt et soutenir la croissance. Le conseil des gouverneurs s’y est jusqu’ici refusé, principalement en raison de la guerre commerciale que le président américain a lui-même déclenchée, et du risque important d’inflation associé. Un risque minimisé par Donald Trump, tout comme par Stephan Miran. Lors de son audition, ce dernier a estimé à rebours de la majorité des économistes, qu’il n’y avait "pas eu d’augmentation détectable du niveau global des prix à la suite de l’instauration de droits de douane" par l’exécutif américain.
Depuis plusieurs mois, la vendetta de Donald Trump contre la Fed s’est aussi personnifiée en un ennemi : Jerome Powell, son président, qui résiste contre vents et marées aux pressions du locataire de la Maison-Blanche. Après l’avoir traité à maintes reprises "d’imbécile" et d’abruti" pour ne pas avoir baissé les taux d’intérêt, il menace régulièrement de le limoger. Lundi encore, le président des Etats-Unis appelait le patron de la Fed à baisser les taux d’intérêt "MAINTENANT, ET PLUS FORTEMENT QUE CE QU’IL A EN TÊTE", dans un message sur Truth Social. La réunion de cette semaine devrait de toute façon marquer la première baisse de taux de 2025. Les investisseurs anticipent majoritairement une diminution d’un quart de point, ce qui est le plus courant en politique monétaire.
L’absence assumée d’indépendance de Stephen Miran
Alors que la politique monétaire n’évolue pas assez vite à son goût, Donald Trump a changé de tactique pour gagner en contrôle sur la Fed, en tentant de faire de la place pour ses fidèles. Il a récemment essayé de pousser vers la sortie la gouverneure Lisa Cook. Il l’accuse d’avoir menti pour obtenir des emprunts immobiliers à des taux plus favorables. Lundi, une cour d’appel américaine a confirmé une précédente décision de justice permettant à la gouverneure de rester temporairement en fonction, malgré l’annonce de son limogeage par Donald Trump. Mais l’affaire est loin d’être close.
Pour l’heure, le président américain devra se contenter des quatre mois de siège de Stephen Miran à la Fed. Du fait de la brièveté du mandat, ce dernier a expliqué aux sénateurs début septembre qu’il ne prévoyait pas de démissionner de son poste de conseiller du président mais seulement de prendre un congé sans solde. La situation inédite - un gouverneur gardant un lien avec la Maison-Blanche - a révolté l’opposition. "C’est la première fois en 90 ans qu’un responsable en exercice à la Maison-Blanche joue un rôle dans l’établissement de la politique monétaire" pointe le Washington Post.
Une absence ouverte d’indépendance sans précédent, et très inquiétante. "Cela signifie concrètement qu’il reste un employé de la Maison-Blanche tout en travaillant pour la Réserve fédérale, pourtant si indépendante", dénonce Lisa Gilbert, coprésidente de l’organisation de défense des consommateurs Public Citizen, auprès de la radio publique américaine NPR. En mars 2024, le jeune économiste proposait dans un éditorial de réduire les mandats des membres du conseil de la Fed et de clarifier qu’ils siègent "à la discrétion du président américain".
Elizabeth Waren, puissante sénatrice démocrate, a quant à elle jugé la semaine dernière que Stephen Miran ne pourra pas dans ces conditions voter une décision qui déplairait à Donald Trump, sous peine de ne pas retrouver son poste à la Maison-Blanche. Elle a dénoncé une forme de "servitude" et estimé qu’"il n’aura aucune crédibilité auprès des marchés, aucune crédibilité auprès des entreprises et aucune crédibilité auprès de la population". Sa nomination marque également un changement parmi les républicains du Sénat, "qui ont généralement fait en sorte de protéger la Fed de l’influence de Trump au cours de son premier mandat", pointe le Washington Post. Cette fois, seule une sénatrice républicaine de l’Alaska s’est opposée à la nomination de Miran.
© Brendan SMIALOWSKI / AFP