Vaccination, alcool, fentanyl... La santé des Américains menacée ? Le bilan déjà accablant de Robert Kennedy Jr
Les Américains ne sont pas en bonne santé, c’est un fait. Certaines maladies chroniques comme le diabète et l’obésité atteignent des niveaux records depuis le milieu des années 2000, et l’espérance de vie moyenne stagne autour de 78 ans, alors qu’elle continue de progresser dans la plupart des autres pays occidentaux. À titre d’exemple, en 2023, elle s’élevait à 81,7 ans au Canada, 83,1 ans en France, et dépassait 84 ans en Suisse et au Japon. Plus préoccupant encore, la mortalité infantile y demeure bien plus élevée que dans d’autres pays comparables : avec plus de 5 décès pour 1 000 naissances, les États-Unis restent loin derrière la moyenne de l’Union européenne (3,3 ‰) par exemple.
L’avocat antivax Robert F. Kennedy Jr, nommé par Donald Trump à la tête du département de la Santé de son administration, s’est donné pour mission de corriger cette trajectoire. "Maha" pour "Make America Healthy Again" : c’est le nom qu’il a donné à son programme, calqué sur Maga, le signe de ralliement des soutiens du président. En mai dernier, celui qu’on surnomme RFK Jr a annoncé la publication d’un premier rapport vertement critiqué par la presse internationale pour son mauvais usage des sources médicales. Il y pose un diagnostic sévère sur le développement des maladies chroniques dès l’enfance et met en cause, pêle-mêle, la consommation d’aliments ultra-transformés, le recours aux pesticides ou encore… la vaccination des jeunes Américains.
Une partie de son constat est partagée par l’élite médicale aux Etats-Unis, en particulier sur le volet nutritif. En revanche, le voile de défiance jeté sur la vaccination et une partie des propositions de la commission Maha suscitent beaucoup d’inquiétudes. Le 9 septembre, un second rapport a été dévoilé, déclinant la stratégie de l’administration actuelle en une série de mesures concrètes. Et là encore, il y a de quoi inquiéter les scientifiques. Les décisions politiques de RFK s’apparentent plus à une remise en cause systématique du consensus médical et des institutions, qu’à une réelle défense de la santé des Américains. Beaucoup craignent un affaiblissement structurel de la santé publique aux Etats-Unis. Rendre à l’Amérique sa bonne santé ? Rien n’est moins sûr…
La croisade contre la vaccination
Lors de son audition au Sénat en février dernier, RFK assurait qu’il n’était "ni contre les vaccins, ni contre l’industrie pharmaceutique". Ses décisions prouvent plutôt l’inverse. 20 mai 2025 : l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA), rattachée à son ministère, restreint l’accès à la vaccination contre le Covid-19. 9 juin : il limoge les 17 membres du comité consultatif sur la vaccination, prétextant des conflits d’intérêts entre ses membres et l’industrie. Une partie de leurs remplaçants se sont déjà illustrés pour leurs critiques à l’égard des vaccins et tout particulièrement ceux ayant recours à l’ARN messager. 5 août : il supprime un crédit de 500 millions destiné à la recherche sur cette même technologie. 28 août : il renvoie Susan Monarez, la directrice du Centre pour le contrôle des maladies (CDC) qu’il avait nommé un mois plus tôt. Son tort ? Avoir critiqué la politique vaccinale du gouvernement.
Cette offensive s’inscrit dans la continuité de son parcours politique, étroitement lié au mouvement antivax. Entre 2015 et 2023, il a ainsi dirigé une organisation à but non lucratif baptisée "Children’s Health Defense" [NDLR : "Défense de la santé des enfants" en français] qui établit un lien entre vaccination infantile et autisme. RFK avait notamment défendu des familles opposées à la généralisation de la vaccination imposée par Andrew Cuomo, le gouverneur de New York, à la fin des années 2010. La Cour suprême de l’Etat avait rejeté la requête de ces familles.
Qu’importe, puisque aujourd’hui, c’est à l’échelle nationale que Robert Kennedy peut déployer son agenda politique. Lors d’une nouvelle audition au Sénat début septembre, les sénateurs lui ont reproché d’avoir affaibli les institutions américaines chargées de la vaccination, alors même qu’il s’était engagé à les protéger. Peine perdue. Déjà, le gouvernement local de Floride a annoncé l’abrogation de toutes les obligations vaccinales, à commencer par celles imposées aux enfants scolarisés. Le département de la Santé, lui est en pleine révision de ses préconisations. Ce vendredi 19 septembre, il a notamment cessé de recommander la vaccination contre la rougeole pour les enfants de moins de quatre ans. L’immunisation contre l’hépatite B et le Covid-19 pourrait suivre.
Ces attaques interviennent alors que les Etats-Unis subissent leur plus importante épidémie de rougeole depuis le début des années 1990 : près de 1 500 cas ont été recensés par le CDC et trois enfants sont décédés. Le principal foyer épidémique se trouvait dans le comté de Gaines, à l’ouest du Texas, au sein d’une communauté évangéliste traditionaliste opposée à la vaccination.

Le rapport enterré contre l’alcoolisme
C’est un fait méconnu de la biographie du président américain : Donald Trump ne boit pas une goutte d’alcool. Robert Kennedy Jr, ancien héroïnomane, n’en consommerait pas non plus, selon le New York Times. Cette abstinence reflète une tendance nationale : les Américains consomment nettement moins d’alcool que les Européens. Un sondage récent de l’institut Gallup révèle qu’un peu plus de 50 % des habitants des Etats-Unis déclarent en consommer de manière occasionnelle ou régulière - 20 points de moins qu’à la fin des années 1970 et 13 points de moins qu’en 2022. Dans le même temps, la défiance à l’égard de l’alcool progresse vite : ainsi, 66 % des 18-34 ans estiment que boire un ou deux verres d’alcool par jour est mauvais pour leur santé, contre seulement 34 % en 2018.
Dans ce contexte, les principaux producteurs de boissons alcoolisées ont vu leur cours de Bourse dévisser. A la Bourse de New York (NYSE), la cotation de Diageo (Guinness, Captain Morgan, Smirnoff, J & B…) a été divisée par deux depuis le début de l’année 2022, tout comme celle de son principal concurrent, l’entreprise Brown-Forman (Jack Daniel’s). Et la désaffection des Américains pour ces entreprises risque de s’accentuer.

Début septembre, le magazine américain Vox a révélé que le département de la Santé avait reçu un rapport alarmant sur les risques liés à une consommation modérée d’alcool… sans le publier. Ce rapport, commandé sous Joe Biden, promettait de chiffrer l’augmentation du risque de mourir du fait d’une consommation modérée d’alcool. D’après ses auteurs, un "homme buvant un verre d’alcool par jour avait environ une chance sur 1 000 de mourir [directement ou indirectement] à cause de sa consommation" (maladie du foie, cancer, conduite en état d’ivresse). Ce chiffre augmentait à "une chance sur 25 pour un homme buvant deux verres par jour."
Selon Vox, l’étude aurait été enterrée sous la pression de représentants au Congrès provenant d’Etats où l’industrie de boissons alcoolisées est très puissante. Ceux-ci défendraient plutôt les recommandations d’une étude rivale - menée cette fois-ci par les Académies nationales des sciences, d’ingénierie et de médecine américaine - qui vanterait des "bénéfices modestes" à la consommation d’alcool en faible quantité. Les résultats controversés de cette étude ont, eux, déjà été dévoilés. Mais le magazine s’insurge : "Au moins un des auteurs de cette étude a déjà reçu des financements de la part de l’industrie [des spiritueux] pour soutenir ses recherches."
Tous les cinq ans, le gouvernement des Etats-Unis révise ses "directives diététiques pour les Américains." Au vu des résultats de cette seconde étude, l’administration actuelle envisagerait de retirer la limite conseillée d’un ou deux verres d’alcool par jour, en totale contradiction avec le consensus médical…
La dérégulation environnementale
Un défenseur de l’environnement au service de la pollution ? Voilà qui pourrait sembler incongru et pourtant… Avant de devenir une figure du mouvement antivax, Robert Kennedy Jr avait notamment fondé Waterkeeper, une ONG chargée de protéger les plans d’eau et les rivières aux Etats-Unis, à la fin des années 1990. Ironie du sort : le voici membre d’une administration qui défend ardemment les énergies fossiles et s’oppose systématiquement au consensus scientifique en matière environnementale.
RFK est obligé de jouer les équilibristes : dans chacun des rapports publiés par la commission Maha en effet, ses équipes demandent des études approfondies sur "les effets sanitaires d’une eau et d’un air de mauvaise qualité". Un vœu pieux tant l’administration Trump s’active à déréguler le secteur. En mars, le gouvernement a annoncé couper deux tiers du budget de l’EPA et licencier plus de 1 150 scientifiques. Depuis, plusieurs rapports controversés ont été publiés afin de justifier l’action de l’administration Trump, malgré les levées de boucliers de scientifiques du monde entier.
Plus récemment, l’avocat Lee Zeldin, qui dirige cette agence, a promis de mettre au fin au système de déclaration obligatoire des émissions de gaz à effet de serre pour les entreprises qui émettent plus de 25 000 tonnes de CO₂ par an. Cette suppression concernerait environ 8 000 entreprises américaines et pourrait, selon lui, permettre de réaliser jusqu’à 2,4 milliards de dollars d’économie en coûts de mises en conformité.

Ces mesures sont alignées avec les positions défendues par Donald Trump depuis son premier mandat. A l’époque, le magnat de l’immobilier était parvenu à se faire élire en surfant sur le mécontentement de certains citoyens déclassés par la désindustrialisation d’une partie du pays. Elles vont cependant à rebours des opinions d’une majorité d’Américains qui, à l’inverse, se déclare favorable à des règles environnementales plus strictes - y compris dans une partie non négligeable du camp républicain.
Un recul sur le traitement des overdoses
San Francisco ne fait plus rêver beaucoup d’Américains. Après l’épidémie de Covid-19, les habitants et les commerces ont fui le centre-ville de la capitale de la Silicon Valley, investi par des centaines de toxicomanes accros aux opiacés. Le quartier autrefois animé semble aujourd’hui peuplé de zombies, ravagés par leur addiction au Fentanyl.
Initialement, la molécule a été massivement prescrite comme antidouleur, facilitant l’accoutumance d’Américains issus de toutes les classes sociales. C’est un véritable fléau puisque depuis 2015, cette drogue de synthèse provoque plus de 50 000 décès chaque année outre-Atlantique. Il aura fallu presque dix ans pour que la courbe de mortalité s’infléchisse. Evidemment, il est difficile d’attribuer une cause unique à ce changement de trajectoire. Les experts soulignent néanmoins l’efficacité d’une mesure adoptée par le gouvernement Biden en mars 2023 : l’accès libre au Narcan, un spray nasal à base de naloxone, une molécule qui permet d’arrêter une overdose. Aujourd’hui, tous les services de sécurité des Etats-Unis en sont dotés et dans les communautés les plus touchées, les habitants peuvent s’en procurer rapidement. Pour l’instant.

Mais là encore, le département de la Santé des Etats-Unis semble agir contre la santé des Américains. Le département de la Santé vient d’annoncer 56 millions de dollars de coupes dans la distribution de kits de naloxone et dans la formation. Il y a quelques semaines encore, plusieurs figures de l’administration Trump à commencer par Robert Kennedy lui-même saluaient les mérites de cet "antidote". Ces propositions reflètent la primauté donnée à la réduction des dépenses fédérales sur des choix plébiscités les institutions médicales du pays et demandées avec insistance par les électeurs. Pour le moment, la courbe de décès liés aux opiacés continue de baisser… Mais pour combien de temps ?
© afp.com/CHIP SOMODEVILLA