Hâtez vous lentement
Une cinquantaine de grands groupes et acteurs spécialisés ont demandé jeudi, dans une lettre ouverte, un report d’au moins deux ans du règlement européen sur l’IA, alors que de nouvelles obligations doivent entrer en vigueur le 2 août prochain. La Commission européenne se dit pour l’instant décidée à tenir le calendrier initial.
« Stop the Clock », appelle la lettre ouverte de cette coalition qui se fait appeler « EU AI Champions Initiative ». Adressée à Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, la missive est signée de 52 chefs d’entreprise, parmi lesquels se mêlent des représentants de grands groupes de secteurs très divers (TotalEnergies, BNP Paribas, Axa, Publicis, Carrefour, Lufthansa ou Mercedes-Benz) et des patrons d’entreprises plus jeunes, actives dans les domaines de la tech ou de l’IA (Mirakl, Mistral, Dassault Systèmes, Bitpanda, Brainly).
Le sempiternel clivage entre régulation et innovation
D’une même voix, tous appellent l’Europe à proposer une pause de deux ans dans la mise en œuvre de l‘AI Act, ou règlement sur l’intelligence artificielle (RIA), entré en vigueur en août 2024. Leur discours a des accents d’antienne : ils redoutent qu’avec ce texte, l’Europe ne place pas correctement le curseur entre régulation et capacité d’innovation.
« Malheureusement, cet équilibre est actuellement perturbé par des réglementations européennes floues, redondantes et de plus en plus complexes. Cette situation compromet les ambitions européennes en matière d’IA, car elle affecte non seulement le développement de champions européens, mais aussi la capacité de tous les secteurs à déployer l’IA à l’échelle requise par la concurrence mondiale ».
Selon eux, ce délai devrait s’appliquer au périmètre couvert par les deux prochaines échéances de la mise en application du règlement sur l’IA : d’abord les obligations relatives aux modèles d’IA généralistes, programmées au 2 août 2025, puis celles qui concerneront les systèmes d’IA considérés comme sensibles, attendues un an plus tard, soit en août 2026.
Officiellement, Bruxelles tient bon
La Commission européenne accuse réception, mais elle maintient pour l’instant sa position. « Laissez-moi être aussi clair que possible. Il n’y a pas de pause. Il n’y a pas de période de grâce, de répit. Pourquoi ? Parce que vous le savez, un échéancier très clair a été fixé. Ce sont des dates butoir, juridiques, qui sont prévues dans la législation, a déclaré vendredi un porte-parole de l’exécutif européen au cours d’un point presse, tout en laissant entendre qu’il existerait des voies de conciliation. Nous prenons très au sérieux les préoccupations exprimées par les entreprises et nos États membres. Dans ce contexte, beaucoup de choses peuvent être faites au-delà du simple texte juridique », ajoute-t-il, évoquant notamment l’élaboration, programmée par Bruxelles, d’un « code de bonnes pratiques en matière d’IA à usage général », dont la publication doit intervenir en juillet.
Problème : si ce code de bonnes pratiques a bien vocation à préciser ou moduler la portée de l’AI Act, son entrée en vigueur n’interviendra qu’après la première échéance d’août 2025, puisque la Commission doit encore l’évaluer avant d’éventuellement l’adopter. « Le fait qu’un élément aussi fondamental du cadre soit encore en débat montre à quel point il serait imprudent d’aller de l’avant dès maintenant. Les entreprises ne peuvent se conformer à des règles qui n’existent pas encore sous une forme applicable », attaque une autre lettre ouverte, signée cette fois par des startups et des fonds d’investissement spécialisés dans la tech.
La réponse de Bruxelles suffira-t-elle à désamorcer le lobbying des partisans d’une pause dans la mise en application du règlement ? Si la communication s’intensifie sur le sujet, c’est notamment parce que Henna Virkkunen, vice-présidente exécutive de la Commission européenne chargée de la souveraineté technologique, de la sécurité et de la démocratie, a elle-même envisagé l’hypothèse. « Si nous constatons que les normes et les lignes directrices… ne sont pas prêtes à temps, nous ne devrions pas exclure de reporter certaines parties de la loi sur l’IA », a en effet déclaré cette dernière début juin, lors d’une réunion avec les ministres en charge du numérique des États membres.