Face aux pétroliers fantômes russes, la mer Noire devient un foyer d’escalade régionale
Il aura fallu attendre le 10 décembre, que les conditions météorologiques le permettent enfin, pour que les autorités bulgares puissent enfin accéder au Kairos. Depuis près d’une semaine, ce pétrolier endommagé dérivait à faible distance d’Ahtopol, petite ville côtière du sud de la Bulgarie. Touché quelques jours plus tôt par une attaque de drones marins ukrainiens en mer Noire, le navire avait été tracté à la hâte jusqu’aux eaux bulgares avant d’être abandonné près de la frontière par un remorqueur turc. Sous escorte de la police des frontières, des représentants de l’administration maritime bulgare sont montés à bord pour en évaluer l’état, première étape avant un éventuel remorquage vers le port de Bourgas, selon les informations de la chaîne bulgare bTV Novinite.
Un navire dans les eaux bulgares
Long de 280 mètres et large de 50 mètres, le Kairos est équipé d’un héliport et conçu pour le transport de grandes quantités de pétrole. Officiellement, il appartient à la société chinoise Sn. MTS, mais s’inscrirait dans la flotte fantôme russe, utilisée pour contourner les sanctions occidentales. D’après les informations transmises par l’équipage à bTV Novinite, le pétrolier ne transportait pas de cargaison au moment de l’attaque ukrainienne survenue fin novembre.
Les autorités bulgares assurent avoir suivi la progression du Kairos dès son entrée depuis les eaux turques. Bien que son système d’identification ait été désactivé, l’administration maritime affirme que sa trajectoire vers la côte bulgare était claire et régulière. Les tentatives de contact sont restées sans réponse et, en raison d’une houle atteignant 4 à 5 mètres, aucune intervention n’a été possible, a expliqué Grozdan Karadzhov lors d’un briefing au Conseil des ministres, en présence du ministre des Affaires étrangères Georgi Georgiev. Une rencontre avec l’ambassadeur de Turquie à Sofia, Mehmet Uyanik, a eu lieu le 8 décembre afin d’obtenir des explications sur l’arrivée du navire dans les eaux bulgares, rapporte Mediapool.
L’objectif des autorités est désormais d’éloigner le pétrolier. Des préparatifs sont en cours pour acheminer à bord du matériel technique, notamment un générateur électrique plus puissant, afin de rétablir l’alimentation des systèmes. Cette étape doit permettre de lever l’ancre et d’organiser le remorquage du Kairos vers un lieu sûr, a indiqué le ministre des Transports.
De nombreux pétroliers russes en mer Noire
Le récit de l’attaque, livré par le second capitaine du Kairos, Ma Xianghao, donne les détails de l’incident. Dans un entretien accordé à bTV, il a expliqué que trois vedettes rapides télécommandées s’étaient approchées du navire alors qu’il naviguait près du Bosphore. Deux d’entre elles ont frappé presque simultanément, touchant successivement les flancs tribord et bâbord. L’équipage, qui avait d’abord confondu ces engins avec des bateaux de pêche, n’a compris la menace que trop tard.
À la suite des explosions, un incendie s’est déclaré à bord. Malgré les tentatives pour le maîtriser avec les moyens disponibles, le feu s’est rapidement propagé, obligeant le capitaine à ordonner l’évacuation. Les canots de sauvetage ayant été endommagés par l’impact, certains marins ont dû se jeter à la mer et attendre l’arrivée de navires de passage. L’équipage craignait une nouvelle attaque, un troisième drone étant présent à proximité, mais celui-ci n’a finalement pas frappé, a raconté Ma Xianghao.
Une incertitude qui a quoi inquiéter sur le risque d'une escalade en mer Noire, surtout que le sort du Kairos n'est pas un cas isolé. Un second pétrolier, le Mocha, illustre la persistance de ces pratiques en mer Noire. Construit en 2004 et battant pavillon gambien, ce navire figure sur les listes de sanctions de l’Union européenne et du Royaume-Uni. Selon le site spécialisé Maritime.bg, le Mocha a récemment quitté la zone économique exclusive bulgare pour se repositionner à l’est de Midia, dans les eaux proches de la Turquie, après avoir passé plusieurs semaines au large des côtes bulgares.
Ce déplacement est intervenu dans un contexte de multiplication des attaques ukrainiennes contre la navigation commerciale liée à la Russie. Les analystes de la société de sécurité maritime EOS estiment que Kiev cherche à perturber les exportations pétrolières russes par voie maritime. Quatre navires ont été visés en une semaine, dont plusieurs dans la zone économique exclusive turque, à l’aide de drones de surface et de drones aériens. Pour autant, l’analyse des données satellitaires et des signaux AIS montre que l’impact reste limité et que de nombreux pétroliers poursuivent leurs rotations.

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