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Les Gens d'à côté : Isabelle Huppert porte un film policier sensible et irrésistible

Flic et black bloc autour de la même table

Avec son nouveau film Les Gens d’à côté, André Téchiné poursuit son exploration d’une condition humaine prise dans des problématiques contemporaines, avec un savant dosage de douceur et d’amertume. Après Les Âmes soeurs, récit d’un amour impossible entre un frère et une soeur, le premier prisonnier d’un terrible passé dont il ne se souvient et la seconde désireuse de s’en arracher pour se construire un autre futur, cette fois-ci il raconte une rencontre, un deuil et une renaissance collective.

L’histoire est celle de Lucie (Isabelle Huppert), dans les Pyrénées, fonctionnaire de la police scientifique dont le mari, Serge, lui aussi policier, s’est récemment suicidé. Un terrible drame qui est surtout vécu dans sa dimension professionnelle. S’il s’est donné la mort, c’est par épuisement, pression, désillusion et impossibilité de vivre sa fonction de policier comme il l’avait d’abord imaginée.

Ainsi, on comprend que leur couple était heureux, que le malheur qui s’est constitué ne venait pas de leur relation. Mais le résultat est tout aussi douloureux pour Lucie, qui souffre en silence et dignement de son absence. Seule, elle ne vit plus que pour son métier et les joggings qu’elle exécute énergiquement autour de chez elle. Jusqu’au jour où la rencontre de ses nouveaux voisins, un jeune couple et leur petite fille, va bouleverser son quotidien.

Les Gens d'à côté
Les Gens d'à côté ©Jour2fête

« Les gens d’à côté », ce sont Julia (Hafsia Herzi) et Yann (Nahuel Pérez Biscayart). Elle est professeur des écoles, il est artiste et surtout activiste, membre du black bloc. Une identité qui lui a auparavant valu de la prison, et maintenant un quotidien que Lucie capte d’abord par l’odeur de cannabis et la musique militante qui parviennent de leur jardin mitoyen au sien. Contacté par le frère jumeau de Serge, policier des renseignements généraux qui la met en garde sur ses nouvelles fréquentations, Lucie se trouve prise dans un dilemme. Va-t-elle s’éloigner de son nouveau voisin et le dénoncer, parce qu’elle est policière, ou va-t-elle continuer cette relation amicale, au risque de se mettre en porte-à-faux de cette institution qu’elle aime, qui la fait vivre, mais qui lui a pris l’amour de sa vie ?

Des incarnations formidables

Comme il l’a toujours fait, André Téchiné propose un cinéma anti-programmatique du genre dans lequel il s'inscrit, ici le policier. L’histoire en elle-même n’est pas un grand drame, ne propose rien d’original ni de déroulement évident, mais propose une action de basse intensité, anti-spectaculaire. C’est ainsi aux personnages, à leurs humeurs et leurs dérapages, que l’auteur confie la conduite de l’histoire. Yann, éternel suspect, va-t-il mettre en sourdine son militantisme pour sauver son foyer, comme le souhaiterait Julia ? Celle-ci, épuisée par cette précarité induite par l'engagement de Yann, va-t-elle le quitter ? Lucie, qui cache longtemps sa profession à ses voisins, va-t-elle informer ses collègues des activités de Yann, ou alors l’aider lorsqu’il en aura besoin ?

Les Gens d'à côté
Les Gens d'à côté ©Jour2fête

Le principe était la même dans Les Âmes soeurs. Un mot, un geste ou un regard suffisent à changer la mécanique du film, à le faire basculer là où les personnages se mènent eux-mêmes. De la rencontre de voisinage on passe ainsi au drame familial, puis au thriller policier et à la chronique intime du deuil. Ce pourquoi, filmé dans les décors réels d’une zone résidentielle banale, d’un restaurant d’aire d’autoroute aux locaux de la police, Les Gens d’à côté existe surtout par les performances à la fois claires et énigmatiques de son formidable trio d’acteurs, l’icône Isabelle Huppert en tête.

Isabelle Huppert, la poésie du quotidien

Dans le rôle de Lucie, elle fait le portrait d’une femme qui gère sa solitude sans y aspirer, heureuse de passer du temps avec Julia, Yann et leur fille Rose. Elle voit parfois Serge, qui s’invite la nuit au piano ou au bord du lit, fantôme qui rappelle qu’elle n’est pas encore prête à le laisser partir. Rester dans la police, c’est convoquer sans cesse ce fantôme et le retenir. Mais ce travail est aussi toute sa vie.

Face à Yann, qui va la conduire à une grave faute professionnelle, elle est contrainte à l’examen de conscience : doit-elle rester flic, garder ainsi le souvenir vivant et douloureux de son mari en même temps que perdre ses nouveaux amis ? Ou alors vivre avec eux, construire ensemble une société faite de contraires et de frictions mais une société idéale où l’entraide et l’amitié règnent, et ainsi tourner la page d’un métier difficile et finir le deuil de son mari, irrémédiablement associé à ce métier.

Lucie ne parle pas beaucoup. Elle est seule, et quand elle ne l’est pas elle n’est pas libre de tout dire, au risque de perdre son métier ou alors ses nouveaux et seuls amis. Personne, en France comme dans le cinéma mondial, ne joue aussi bien le mutisme et l’apparente absence au monde qu’Isabelle Huppert. Par ses regards, ses lèvres qui bougent à peine, cette manière de laisser une place à une constante confusion quant à ce qu’elle pense et ce qu’elle montre, l’actrice fait de son personnage une créature paradoxale à l’instabilité sereine, au danger séduisant : un petit mot, un petit geste, et tout s’effondrera. L’air de rien, occupée à ses plantations et à son jardin expert, Lucie tient son monde et celui des autres dans ses mains.

Du drame naturaliste à l'utopie onirique de cinéma, Les Gens d'à côté propose un voyage sensible dans une société qui cherche son coeur, celui d'un vivre-ensemble sans doute possible, peut-être impossible, qui tient sur la beauté et la fragilité de la main tendue à l'autre.

Les Gens d'à côté d'André Téchiné, en salles le 10 juillet 2024. Ci-dessus la bande-annonce.

"Il y a une bagarre très violente" : Sidse Babett Knudsen se lâche dans le thriller carcéral "Sons"

Sons, un thriller carcéral de haut vol

Actuellement au cinéma, le thriller carcéral Sons, nouvelle réalisation de Gustav Möller, raconte avec une tension et une émotion remarquables l'histoire d'Eva (Sidse Babett Knudsen), surveillante pénitentiaire dans une prison danoise. Attentionnée, droite, professionnelle, tout va changer le jour où est transféré dans sa prison Mikkel, le meurtrier de son fils, lui-même précédemment incarcéré. Submergée par des émotions qu'elle tenait enfouies jusque-là, elle va demander à être transférée dans l'unité où est détenu Mikkel, et se rapprocher de lui.

Film brillant, portrait bouleversant d'une femme saisie par la contradiction de pulsions de vengeance et d'une fibre maternelle protectrice, Sons permet à Sidse Babett Knudsen d'écrire une nouvelle ligne brillante de sa filmographie, sous la direction d'un réalisateur très talentueux. Nous les avons rencontrés.

Gustav, après The Guilty et son centre d'appel de la police, vous nous emmenez cette fois-ci dans une prison. Pourquoi ce choix ?

Gustav Möller : Je suis fasciné par les prisons, en elles-mêmes, mais aussi pour leur dimension d’arène cinématographique. Je pense qu’une prison est un canevas très solide pour raconter beaucoup d’histoires. Cela donne des règles très précises, avec des personnages qui correspondent à des archétypes.

Et dans cette arène, on peut développer tout un microcosme, dans son propre monde. C’est à la fois fascinant et intrigant. Ensuite, depuis longtemps, ma fascination procède aussi de ce qu’une prison dit d’une société. Je pense qu’une prison est le miroir de la société qui l’a construite, et qu’au Danemark comme dans plusieurs territoires européens, il ya ce conflit entre ce qui relève de la rationalité et de l’émotion, et des gens humanistes confrontés à cette rationalité.

Nous sommes des créatures faites d’émotion, et le conflit qui existe entre la réhabilitation et la punition reflète qui nous sommes profondément. C’est un paradoxe très intéressant, cette institution pénitentiaire qui essaye à la fois de punir et de réhabiliter.

Ce sont ces deux points qui sont à l’origine de l’histoire de Sons, et nous avons rencontré assez tôt Babbet et nous l’avons écrite pour elle, c’est elle que nous avions à l’esprit.

Choisir une prison comme lieu, c’est assumer des contraintes. Par exemple, on ne voit quasiment jamais le ciel, il y a cette image au format carré…

Gustav Möller : Tout à fait. D’une manière générale, je travaille mieux avec des règles, des contraintes. Si je n’ai pas de limites, de cadre, honnêtement je trouve ça très difficile d’être créatif. Mais en ce qui concerne l’image, avec le directeur de la photographie, c’était une décision basée sur l’intuition, ce n’était pas une décision réfléchie, intellectualisée.

On est allés en pré-production à la prison, Babett le directeur photo et moi, elle a enfilé l’unifrome pour la première fois et on a essayé plusieurs formats et rations, et on a fait des essais toute une journée. C’était donc à l’intuition mais maintenant, en y repensant, je réalise que ça donne au spectateur la sensation d’une vision « tunnel ». Ce qui correspond je pense à l’expérience d’être emprisonné, vous n’avez jamais une vision « large » de ce qui se passe, et ça crée une tension, l’appréhension que quelque chose va vous surprendre par derrière, ou surgir d’une cellule, etc. Je pense que ça marche bien, parce que vous avez ce son à 360°, immersif, et cette image en « tunnel ».

Sidse, comment avez-vous incarné Eva ?

Sidse Babett Knudsen : Comme Gustav l’évoquait, elle a d’abord cette fibre humaniste, idéaliste, elle est vraiment cet exemple parfait et scandinave de la personne qui prend soin des autres. Mais comme ça devient très personnel pour, elle se confronte à ses sentiments et ses émotions, qu’elle avait enfouis, et ça devient incontrôlable.

Dès le début, j’ai eu cet instinct, l’idée qu’elle ne parle pas beaucoup. Elle n’est pas une personne « de mots », et qu’elle s’envisage un peu comme une nonne, qu’elle se pense comme n’ayant pas à formuler les choses.

On a développé ça ensemble, qu’en réalité sous son apparence très civilisée et polie, il y a un fonctionnement plus animal.

Gustav Möller : Je travaille très intuitivement, et je pense que que Sidse aussi.

Sidse Babett Knudsen : Plus j’adoptais cet état d’esprit, moins j’avais besoin ou envie de l’analyser elle et les différentes situations. J’essayais de repousser au loin tout aspect psychologique ou intellectuel, pour vraiment « sentir » le personnage » et arriver sur chaque nouvelle scène disponible pour tout ce qui pourrait arriver.

Ce qui a été assez nouveau pour moi, puisque sur tout ce que j’ai pu faire auparavant, où j’essayais d’analyser et d’avoir comme un plan de route. Tout a été très intuitif, et un des bénéfices des contraintes qu’on avait était que ça permettait une forme de continuité. On expérimentait au fur et à mesure et, d’une certaine manière, on en assumait les conséquences.

Gardez-vous en mémoire une séquence particulièrement difficile à mettre en scène ?

Sidse Babett Knudsen : Plusieurs séquences ont été complexes, parce que les cellules sont très petites, donc tourner dedans était un challenge. Il y a une bagarre, très violente, et c’était d’autant plus difficile dans un si petit espace. C’est une scène explosive, très physique et investie émotionnellement… C’était presque embarrassant (rires).

L'autre personnage est Mikkel, incarné par Sebastian Bull Sarning, comment avez-vous travaillé ensemble ?

Gustav Möller : Le casting a été une très grosse partie du travail, et à l’inverse de Sidse on a beaucoup cherché pour le personnage de Mikkel. On a testé quasiment tous les acteurs danois de 20-30 ans. J’avais une idée très précise, je voulais quelqu’un de très masculin et très dangereux, mais aussi enfantin. Et ça devait être crédible, authentique. Sebastian est un mélange authentique de tout ça.

C’est quelqu’un de très sympa et de très doux, il n’a pas cette violence ou cette noirceur, mais il a un côté brut et une forme de pureté… Je pense que c’est un acteur très courageux et qu’il est prêt à explorer et à lâcher prise au moment d’aborder la dimension violente de son personnage. Je pense que le trouver a été ma tâche la plus difficile pour Sons.

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