Astoria, le New York populaire de Zohran Mamdani

© Dan McMahon pour M Le magazine du Monde

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L’idée d’une entrée accélérée de l’Ukraine dans l’Union européenne, dès le 1er janvier 2027, s’impose comme l’un des points les plus sensibles du projet de plan de paix élaboré par les États-Unis pour mettre fin à la guerre menée par la Russie. Si cette perspective est discutée entre responsables américains et ukrainiens avec le soutien de Bruxelles, elle suscite un profond scepticisme parmi les Européens.
À Bruxelles, la réaction est sans détour. "2027 ? C'est après-demain!", s'est exclamée une source au sein de l'exécutif européen, citée par l'AFP. Pour de nombreux responsables, un tel calendrier est jugé irréaliste, alors que les estimations les plus optimistes tablaient jusqu’ici sur une adhésion autour de 2030. L’intégration de l’Ukraine soulève, selon eux, des enjeux majeurs en matière d’État de droit, de fonctionnement institutionnel et de politique agricole.
L'échéance de 2027 figure pourtant dans la dernière version du projet de proposition de paix négocié par les responsables américains et ukrainiens, avec l’appui de Bruxelles, selon des sources citées par le Financial Times. Une adhésion d’ici 2027 bouleverserait en profondeur la méthode "fondée sur le mérite" qui régit traditionnellement l’élargissement de l’Union, alors que Kiev n’a encore franchi aucune des 36 étapes du processus d’adhésion.
À Bruxelles, certains diplomates dénoncent une initiative perçue comme imposée de l’extérieur. "C’est sûr que les Américains vont choisir pour nous…", ironise l’un d’eux, cité par l’AFP sous couvert d'anonymat. "C'est n'importe quoi : il faut un appétit pour l'élargissement (du bloc) qui n'est pas là", a-t-il jugé.
Le processus d'adhésion de l’Ukraine à l'Union européenne, lancé après l’invasion russe de février 2022, est en réalité à l’arrêt depuis plusieurs mois. En cause, la nécessité de l’unanimité des Vingt-Sept à chaque étape, empêchée par le veto systématique du Premier ministre hongrois, Viktor Orban. Celui-ci affirme qu'une entrée de l'Ukraine "ruinerait" l'Union européenne, et bloque de facto toute avancée.
Les promoteurs américains de l’adhésion accélérée estiment toutefois que l’inclusion de cette échéance dans un accord de paix rendrait l’adhésion inévitable. Le soutien de Washington pourrait contraindre Viktor Orban, proche de Donald Trump, à lever son veto, avancent des responsables cités par le Financial Times. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a lui-même reconnu que la question de l’adhésion dépendait "en grande partie des Européens — et aussi des Américains", soulignant le rôle central de ces derniers pour éviter tout blocage.
Au-delà des équilibres diplomatiques, les obstacles restent considérables. Comment intégrer l’un des plus grands producteurs agricoles du continent sans déstabiliser le marché unique, alors que des céréaliers français, allemands ou polonais dénoncent déjà une concurrence jugée déloyale ? Comment mener des réformes institutionnelles profondes en pleine guerre, et avec des frontières contestées ? "Comment l’Ukraine peut-elle être prête ? Elle n’a même pas de frontière", résume un diplomate européen, cité par l’AFP.
"Je pense que ceux qui ont évoqué cette date ne se sont même pas posé un millième de ces questions", explique Lukas Macek, spécialiste des politiques d'élargissement de l'UE à l'institut Jacques-Delors, interrogé par l'AFP. Pour lui, une adhésion en 2027 est "complètement irréaliste" dans le cadre actuel. Elle ne pourrait être envisagée qu’au prix d’un renversement complet de la logique d’adhésion, faisant entrer l’Ukraine précipitamment, avant la plupart des étapes habituelles. Une méthode qui poserait aussi la question du sort des Balkans occidentaux, eux aussi candidats de longue date à l’Union, qui pourraient se sentir frustrés d'un telle accélération de la procédure pour l'Ukraine et non pour eux.
Reste enfin l'inconnue russe. Moscou n'avait pas encore pris connaissance vendredi 12 décembre des dernières versions du plan de paix américain. "Quand nous le verrons, j'ai le sentiment que nous n'en aimerons pas une grande partie", a prévenu vendredi Youri Ouchakov, conseiller diplomatique de Vladimir Poutine.

© afp.com/Adrian DENNIS
C’est un "pas significatif" pour la défense de l’Ukraine, avance le quotidien britannique The Guardian. Les 27 pays de l’Union européenne ont voté vendredi pour l'immobilisation jusqu’à la fin du conflit en Ukraine des actifs que la banque centrale russe avait placés en Europe. Cela concerne quelque 210 milliards d’euros gelés à la suite des sanctions décidées après l’invasion russe de l’Ukraine, selon la vice-présidente de la Commission européenne Kaja Kallas.
Cette décision garantit aux Vingt-Sept que les avoirs russes immobilisés en Europe depuis le début de la guerre ne retourneront pas en Russie si les sanctions venaient à ne pas être reconduites. Jusqu’à présent, les pays de l’Union européenne (UE) devaient renouveler les sanctions contre Moscou à l’unanimité et tous les six mois. Ils prenaient donc le risque que certains pays russophiles comme la Hongrie, ou dépendants du gaz russe comme la Slovaquie, ne mettent leur veto au prolongement du gel de ces avoirs. "Les Européens ont donc cherché, dans les traités, un moyen de contourner la règle de l’unanimité", pour reporter l’échéance et pérenniser le gel des actifs, explique un article du Monde. Ils ont donc utilisé l’article 122 traité sur le fonctionnement de l’UE, qui permet de prendre à la majorité qualifiée des mesures exceptionnelles en cas d’urgence.
Cette décision est un tournant pour l’Union européenne, analyse le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine, car le conseil de l’UE contourne une unanimité jusqu’ici nécessaire. "Plusieurs Etats se sont demandé si cet article pourra être utilisé à d’autres occasions, notamment dans des domaines où ils ont déjà mis leur veto", explique le journal.
Cette décision n’est qu’une première étape, l'idée derrière étant d'utiliser ces avoirs russes pour financer un prêt à l'Ukraine. La Commission européenne a présenté début décembre un plan pour transformer ces actifs gelés en un prêt de 90 milliards d’euros à l’Ukraine, versés en 2026 et 2027. Mais les pays membres doivent encore s’entendre sur le mécanisme utilisé. L’Allemagne, elle, approuve le projet, ainsi que d’autres pays baltes et nordiques. "Plus les pays sont proches géographiquement de la Russie, plus ils se sentent menacés et donc plus ils sont déterminés", analyse le Frankfurter Allgemeine. La France et l'Italie sont plus frileuses, notamment en raison de l'état de leurs finances publiques, mais aussi, pour la France, de son instabilité politique, comme le rappelle le quotidien.
Le principal opposant à ce prêt reste la Belgique, qui héberge via l’institution Euroclear l’essentiel des avoirs russes. Le pays craint de devoir porter les conséquences d’un tel prêt et demande de fortes garanties pour en partager les risques financiers. Selon le quotidien belge Le Soir, trois autres pays se sont joints à travers une déclaration commune au Premier ministre belge Bart De Wever pour s’opposer au plan de la Commission : la Bulgarie, l’Italie et Malte. Ces quatre pays avaient tous voté pour l’interdiction du transfert des actifs russes vers la Russie, mais critiquent leur utilisation. Le texte relayé par le journal réitère le soutien des signataires à l’Ukraine, tout en demandant "d’explorer et de discuter des options alternatives conformes au droit de l’UE et au droit international", pour une solution "moins risquée". En visite à Londres vendredi pour rencontrer le Premier ministre britannique, Keir Starmer, Bart De Wever a discuté avec son homologue de "la possible utilisation de la valeur des avoirs russes immobilisés". Le Guardian rapporte que le porte-parole du Premier ministre belge a assuré qu'ils "étaient convenus de continuer à travailler en étroite collaboration pour progresser sur cette question complexe".
Au-delà des tribulations juridiques, la question fait aussi débat en Europe sur un plan plus philosophique. Pour l’économiste Jochen Zimmermann, qui signe une tribune dans le journal conservateur allemand Die Welt, l’utilisation des actifs à des fins de prêt financier transmet surtout un message politique et économique sur la fiabilité du droit et la sécurité de la propriété du capital. Il s’agit selon lui d’une "dangereuse idée" car elle transforme un outil de politique étrangère en source de financement. Elle porte selon lui le message suivant : "En Europe, la propriété n’est plus neutre et n’est plus à l’abri des considérations politiques."
Les prochaines semaines seront décisives, prévient le Frankfurter Allgemeine. Les 27 chefs d’Etat et de gouvernement européen devront discuter de l’avenir des actifs russes lors d’un sommet à Bruxelles, les 18 et 19 décembre. "Cette décision ne concerne pas seulement l'Ukraine, mais toute l’architecture sécuritaire de l’UE", prévient le quotidien allemand. Les dirigeants devront en tout cas composer alors que la Russie "accentue la pression sur l’Europe", rappelle le quotidien espagnol El País.
Vendredi, la Banque centrale russe a en effet déclaré qu’elle déposait une plainte contre Euroclear au tribunal arbitral de Moscou, accusant la société belge d'"actions illégales". Quelques jours auparavant, le Kremlin avait fait savoir qu’il considérerait comme casus belli l’utilisation de fonds russes pour financer Kiev, rappelle le El País. Pour l’instant, la riposte de Moscou se limite à la voie juridique.

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