Culture du V*0l
La multiplication dâaffaires de pĂ©dopornographie et le rajeunissement de ceux qui en possĂšdent et en diffusent oblige Ă sâinterroger sur le rĂŽle des usages numĂ©riques dans lâexplosion de ce type de contenus criminels.
« Je nâai aucune excuse (âŠ). Mais je nâai pas commencĂ© par vouloir voir des enfants. JâĂ©tais accro au porno et je me suis totalement dĂ©sensibilisĂ©. » Tels sont les propos de lâun des 850 hommes arrĂȘtĂ©s chaque mois en Angleterre et aux Pays de Galles pour avoir consommĂ© ou Ă©changĂ© des contenus pĂ©dopornographiques en ligne.
Ils sont enseignants, policiers, chauffeurs de bus, médecins. Ils sont de plus en plus jeunes, aussi.
The Guardian en a interrogĂ© plusieurs, pour tenter de rĂ©pondre Ă une question complexe : les logiques de recommandations des plateformes sur lesquelles nous consommons toutes et tous des contenus de tous types se contentent-elles dâalimenter tout une gĂ©nĂ©ration de pĂ©dophiles, ou la crĂ©ent-elles ?
Pente glissante
La plupart des pĂ©docriminels interrogĂ©s par le mĂ©dia britannique dĂ©crivent un usage incontrĂŽlĂ© de la pornographie, consommĂ©e pour gĂ©rer du stress, tromper lâennui ou la solitude, quelquefois jusquâĂ lâaddiction.
CondamnĂ© pour possession des trois catĂ©gories dâimages catĂ©gorisĂ©es comme pĂ©docriminelles dans le droit britannique, dont la plus grave, lâun dâeux indique : « La police nâa jamais trouvĂ© une seule recherche dâimages dâenfants : tout sâest fait en cliquant sur des liens â ce que les algorithmes me proposaient. Les sites pornographiques ont un bouton qui dit âVoir dâautres images de ce genreâ. JâĂ©tais dĂ©sensibilisĂ©, jâavais regardĂ© tellement de porno pour adolescents. »
Le phĂ©nomĂšne est multiforme et international : Europol opĂ©rait en mars un coup de filet dans 19 pays, dĂ©mantelant un rĂ©seau dĂ©diĂ© Ă la gĂ©nĂ©ration de pĂ©dopornographie par IA, le mois prĂ©cĂ©dant, elle alertait sur lâessor de communautĂ©s dĂ©diĂ©es Ă la torture de mineurs, en dĂ©cembre, la gendarmerie française arrĂȘtait 95 membres dâun rĂ©seau pĂ©docriminel opĂ©rant via SignalâŠ
Pour comprendre les motivations des auteurs, le groupe finnois Protect Children a lancĂ© une Ă©tude de deux ans impliquant de poster des questionnaires sur le dark web pour toucher des internautes consommateurs de contenus illĂ©gaux dans diffĂ©rents pays. Sur les plus de 4 500 personnes interrogĂ©es, un tiers se dĂ©clarent clairement intĂ©ressĂ©es par la pĂ©dopornographie. Les deux tiers dĂ©clarent un intĂ©rĂȘt pour les mineurs, principalement les 15 Ă 17 ans.
Quant au rĂŽle des plateformes, et au lien qui pourrait unir pornographie classique et pĂ©dopornographie, il est lui-mĂȘme controversĂ©. Mais plus de 50 % des rĂ©pondants au questionnaire de Protect Children dĂ©clarent ne pas avoir cherchĂ© dâimages pĂ©dopornographiques lorsquâils y ont Ă©tĂ© confrontĂ©s pour la premiĂšre fois.
Si de nombreux hommes adultes arrĂȘtĂ©s pour de tels actes posent un rĂ©el danger aux mineurs, le psychologue Michael Sheath explique au Guardian avoir vu, en 14 ans de carriĂšre, une Ă©volution dans les profils arrĂȘtĂ©s. Parmi ces derniers, il rencontre dĂ©sormais rĂ©guliĂšrement « des hommes qui ont suivi ce que jâappelle une « pente glissante » ». Une explication similaire Ă celle du « trou du lapin » (rabbit hole), dĂ©crite pour expliquer la radicalisation dâinternautes vers des idĂ©es complotistes ou haineuses.
Suspension de tabous protecteurs
Pour Michael Sheath, le lien entre pornographie classique et pĂ©dopornographie est « sans ambiguĂŻtĂ© ». Il lâillustre notamment par lâĂ©volution des tabous sociaux qui, pendant longtemps, protĂ©geaient les mineurs. « Autrefois, explique-t-il au mĂ©dia britannique, il Ă©tait difficile de trouver du matĂ©riel pĂ©dopornographique et il Ă©tait extrĂȘmement risquĂ© dâen regarder. LâĂ©tat dâesprit dâune personne qui cherchait du matĂ©riel pornographique Ă©tait âje suis un vrai criminel sexuelâ â elle savait quâelle sortait des normes de la sociĂ©tĂ©. »
Aujourdâhui, la plupart des sites pornographique grand public proposent des titres Ă©voquant clairement de la pĂ©dopornographie et des relations incestueuses, du type « Les garçons dĂ©pucelĂ©s par leur tante » ou « beau-pĂšre et belle-fille ».
Selon une Ă©tude menĂ©e en 2021 par lâuniversitĂ© de Durham, un titre sur huit en page dâaccueil des principales plateformes pornographiques montre des formes de violences sexuelles contre les filles et les femmes. LâĂ©quipe de chercheurs constatait par ailleurs que les vidĂ©os Ă©tiquetĂ©es « teens » (adolescents/adolescentes) montraient plus frĂ©quemment de la violence.
La plupart des plateformes grand public, comme Pornhub, ont des rĂšgles de modĂ©ration interdisant la reprĂ©sentation dâactivitĂ©s sexuelles non consensuelles, agressions sexuelles et viols compris. PornHub a dâailleurs conclu un partenariat avec lâInternet Watch Foundation et la Fondation Lucy Faithfull, qui a conduit Ă lâajout de pop-up pour signaler Ă lâinternaute britannique quâil semble en train de chercher des contenus pĂ©dopornographiques.
Mais comme sur nâimporte quelle plateforme sociale, cette modĂ©ration est imparfaite. Et les contenus sâĂ©changent aussi ailleurs, dans des boucles de discussion ou des forums fermĂ©s.
Enjeu de santé publique
Lâenjeu, alertent les spĂ©cialistes, est aussi celui dâune forme dâaddiction. DĂšs 2013, des Ă©tudes montraient que la dopamine reçue au visionnage rĂ©gulier de pornographie modifie peu Ă peu les goĂ»ts des personnes concernĂ©s. Le mois dernier, une autre publication constatait quâau fil du temps, un consommateur de pornographie sur cinq glissait vers des contenus plus extrĂȘmes.
Et la tendance nâest pas prĂȘte de sâamĂ©liorer : en 2023, devant la jeunesse accrue des personnes recourant Ă ses services, la Lucy Faithfull Foundation, qui lutte contre les violences pĂ©dopornographiques, sâest trouvĂ©e obligĂ©e dâouvrir un service dâaccueil des adolescents. De mĂȘme, du cĂŽtĂ© de la police de Worcester, lâenquĂȘteur Tony Garner dĂ©clare recevoir de plus en plus dâadolescents, quelquefois ĂągĂ©s dâĂ peine 18 ans, mais dĂ©jà « exposĂ©s pendant 10 ans Ă du porno hardcore ».