Election à New York : "Zohran Mamdani a très bien su utiliser Donald Trump..."
Après des mois de campagne, c’est le D-Day à New York. Les électeurs de la "grosse pomme" sont appelés aux urnes ce 4 novembre pour élire leur prochain maire. Et c’est peu de dire que le grand favori du scrutin, le démocrate et autoproclamé socialiste Zohran Mamdani, détonne. Naturalisé américain en 2018 et qualifié de "communiste" par Donald Trump, l’homme de 34 ans, né en Ouganda dans une famille d’origine indienne, devance de 10 points dans les sondages son adversaire indépendant et ancien gouverneur de l’Etat Andrew Cuomo. "Sa communication innovante sur les réseaux sociaux lui a permis de s’adresser aux jeunes et de les enthousiasmer", résume Filippo Trevisan, professeur de communication à l’American University de Washington. Interview.
L’Express : Zohran Mamdani est le grand favori de l’élection à la mairie de New York ce mardi. Quelle est la recette de son succès ?
Filippo Trevisan : Il est vrai que jusqu’à peu, il était encore quasiment inconnu du grand public que ce soit à l’échelle nationale ou même à New York. Son expérience politique se limitait à son mandat d’élu de l’arrondissement du Queens au sein de l’Assemblée de l’État de New York. Se présenter à la mairie représentait donc un pari risqué. Mais il a finalement remporté haut la main les primaires démocrates. Les différents scandales qui ont entaché les mandats du maire sortant Eric Adams, ou de l’ancien gouverneur Andrew Cuomo l’ont d’ailleurs bien aidé en permettant à un nouveau nom d’émerger.
Mais c’est surtout un excellent orateur qui a fait preuve de sens politique. Dans une ville aussi chère que New York, son message axé sur l’accessibilité financière, le logement et le coût de la vie, a trouvé un écho auprès de nombreux électeurs. Et Mamdani s’est concentré là-dessus, sans dévier, tout au long de la campagne. Or c’est un point qui a échappé à beaucoup de campagnes démocrates ces dernières années : trouver un thème porteur et en faire le cœur de son projet. Si l’on regarde la présidentielle de 2024, le discours était confus et ne permettait pas aux électeurs d’identifier clairement les priorités du programme.
La communication adoptée par Mamdani est-elle aussi la clé de son succès auprès de la Gen Z ?
Bien sûr, c’est l’autre élément clé. Sa communication innovante sur les réseaux sociaux lui a permis de s’adresser aux jeunes et de les enthousiasmer. Il a notamment noué des partenariats avec des créateurs de contenu et des influenceurs, en tirant parti des atouts de chaque plateforme. En tant que personnalité relativement méconnue, c’était indispensable, car il ne jouissait pas d’un large accès aux médias traditionnels. Il a donc su créer son propre temps d’antenne par d’autres moyens. Et in fine, ses vidéos, parfois un peu décalées, lui ont permis de se présenter comme le candidat de la génération Z.
L’autre élément qui a fait le succès de sa campagne, c’est que le faible nombre d’élections cette année a beaucoup concentré l’attention sur New York - y compris à la Maison-Blanche. Or Mamdani a été très efficace pour utiliser Trump à son avantage. En l’attaquant frontalement, il s’est assuré que ce dernier le remarque et lui réponde. Ce qui, en définitive, lui a permis d’accroître sa visibilité et sa popularité, notamment auprès des jeunes qui sont à la recherche d’un tel opposant à l’actuel titulaire du bureau Ovale.
Quels seraient les grands enseignements d’une victoire de Mamdani pour le parti démocrate ?
Le parti démocrate traverse actuellement une période difficile et a du mal à définir une nouvelle vision. Or la grande leçon à retenir de la campagne de Mamdani est la nécessité d’avoir un message fort qui permet de vous situer idéologiquement. Les démocrates pourraient donc s’interroger sur la manière de proposer une alternative claire à Donald Trump, qui soit inspirante et mobilisatrice, sans effrayer les électeurs.
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En cela, une victoire de Mamdani donnerait de la force aux jeunes politiciens démocrates, en les confortant dans l’idée que leur tour est venu et qu’il est temps de laisser place à des idées nouvelles. L’autre enseignement est la mobilisation des jeunes. Ce sont précisément ces électeurs que le parti démocrate doit courtiser s’il veut remporter une élection nationale. Il est essentiel de leur proposer un éventail clair d’options et de susciter leur enthousiasme le jour du scrutin. Ce sera absolument crucial lors des prochaines échéances.
Mamdani se définit lui-même comme socialiste. Cela n’est plus tabou aux Etats-Unis ?
Officiellement, il existe toujours une légère distinction puisqu’il fait partie des "socialistes démocrates". Mais il est certain que ce courant gagne du terrain au sein du paysage politique américain, notamment grâce à des personnalités comme Bernie Sanders ou Alexandria Ocasio-Cortez. A bien des égards, ce type de politique se prête à l’ère des réseaux sociaux, car cela suscite de l’engagement et donc de la visibilité. Politiquement, les démocrates ne doivent pas sous-estimer la fermeté qu’attendent leurs électeurs à l’égard de Donald Trump et son administration.
Or je ne suis pas certain que le parti ait su exprimer son opposition avec autant de force que ce que certains de ses électeurs ou nombre de ses sympathisants souhaiteraient. Cela crée donc un espace pour des personnalités comme Zohran Mamdani, Alexandria Ocasio-Cortez et Bernie Sanders, qui peuvent ainsi se faire entendre. Cet effet est ensuite amplifié par la structure du système médiatique américain. En effet, les médias conservateurs apprécient ces voix radicales, car ils y voient une opportunité de susciter des inquiétudes dans leur propre camp afin de le mobiliser.
On sait que Donald Trump déteste Mamdani. Quelle pourrait être leur relation si ce dernier était élu ?
Je dirais plutôt que Trump adore détester Mamdani, car il peut en tirer parti politiquement. Lors des précédentes campagnes, il n’a eu de cesse de présenter Bernie Sanders comme le véritable architecte de la politique démocrate. A chaque fois qu’il a utilisé cette stratégie, c’était pour discréditer des démocrates modérés, comme Hillary Clinton ou Joe Biden. Il prétendait que derrière ces personnalités se cachaient en réalité les idées de Bernie Sanders et d’autres démocrates socialistes. Et c’est précisément le scénario auquel on assiste ici. Cela permet à Donald Trump de faire avancer son propre message. Il est donc ravi de voir émerger un nouveau venu qui a les mêmes idées et constitue une cible naturelle dont il va pouvoir se servir. Du reste, New York est la ville de Trump, et ils sont tous deux originaires du Queens - une coïncidence plutôt intéressante. Il est donc clair que cette élection l’intéresse.
Au sein du Parti démocrate, plusieurs figures importantes comme Chuck Schumer n’ont pas appelé à voter pour Mamdani. Faut-il y voir un signe de profondes divisions sur le plan idéologique ?
Il y a un important débat interne au sein du parti démocrate. La gauche a toujours tendance à être un peu plus fragmentée et divisée en son sein. C’est le cas du parti démocrate, comme cela peut l’être pour certaines alliances de gauche dans les pays européens. Dans ce cas précis, j’ajouterais qu’il existe aussi des raisons culturelles personnelles. Mamdani est très actif dans le mouvement pro-palestinien depuis plusieurs années, c’est pourquoi certains membres du Parti démocrate de New York craignaient que cela n’aliène une partie des électeurs de la communauté juive - dont Chuck Schumer fait lui-même partie. De plus, dans la mesure où il est une figure centrale du parti démocrate depuis des décennies, Chuck Schumer pourrait percevoir cet appel à un changement générationnel comme une attaque directe contre lui.
Ces tendances peuvent-elles vraiment coexister au sein du même parti ?
Si les démocrates veulent pouvoir battre Donald Trump et les républicains, ils n’auront pas le choix. L’un des aspects positifs de la politique américaine, c’est que les primaires sont là pour ça et constitueront un lieu de débat pour ce type de diversité idéologique. Cependant, même en cas de victoire, les modérés devront retenir qu’il sera essentiel pour eux de trouver un moyen de séduire l’électorat que Mamdani a su mobiliser. Dans le cas contraire, toute une partie de l’électorat ne se déplacera pas aux urnes, et ce sera un réel avantage pour le camp adverse.

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