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Russie : des soutiens de Vladimir Poutine désormais visés par sa politique de répression

La répression orchestrée par Vladimir Poutine, jusqu’ici dirigée contre les opposants, semble désormais se retourner contre ses propres défenseurs. Une purge silencieuse s’abat sur ceux qui, il y a encore peu, célébraient la guerre et faisaient l’éloge du Kremlin. Etre loyal envers le régime devient aujourd’hui un risque : les partisans du président russe se retrouvent dans le collimateur de l’appareil répressif qu’ils servaient.

Les soutiens désormais ciblés

Pendant des années, certaines figures pro-Kremlin ont incarné la ferveur patriotique que Moscou cherchait à promouvoir. Parmi elles, un commentateur médiatique qui louait la grandeur de Poutine sur les chaînes étrangères, un blogueur militant collectant des fonds pour les troupes russes et prônant une rhétorique génocidaire contre l’Ukraine, et un volontaire ukrainien de l’armée russe, commentateur pour RT, qui regrettait que l’invasion n’ait pas commencé plus tôt.

Mais la loyauté ne protège plus. Ces personnalités, ainsi que d’autres fidèles du Kremlin, ont été récemment étiquetées comme "agents étrangers", une appellation qui servait autrefois uniquement à stigmatiser les voix critiques de Vladimir Poutine. Cette désignation les oblige à se déclarer publiquement, sur les réseaux sociaux. En conséquence, cela les plonge dans des difficultés financières importantes.

Parmi eux, Sergueï Markov, analyste politique proche des élites azerbaïdjanaises, est tombé en disgrâce après la détérioration des relations entre Moscou et Bakou. Il a rapidement contesté cette étiquette, qualifiant sa situation de "malentendu". Roman Alyokhin, blogueur pro-guerre, a, lui, été accusé de détourner des fonds destinés aux troupes russes, après avoir exposé sur ses réseaux une voiture de sport et une montre de luxe. Ce retournement montre que même les soutiens les plus engagés du Kremlin ne sont désormais plus à l’abri.

"Discréditation de l'armée russe"

Les purges continuent également de frapper ceux qui ont longtemps été considérés comme des ennemis du régime. La commentatrice d’origine ukrainienne Tatiana Montyan a été récemment qualifiée de "terroriste et extrémiste", une désignation réservée aux adversaires les plus redoutés du président russe. Elle fait également l’objet d’enquêtes pour détournement de fonds, rejoignant le sort d’anciens collaborateurs d’Alexeï Navalny.

En octobre, la chanteuse Diana Loguinova dite Naoko, le batteur Vladislav Leontiev et le guitariste Sacha avaient été placés en détention durant deux semaines, d'après Le Temps. "Leur 'crime' ? Avoir interprété dans les rues de la 'capitale du Nord' russe des morceaux de certains de leurs aînés, des musiciens bannis du pays pour leur opposition à l’invasion de l’Ukraine, comme Zemfira, le groupe Monetotchka ou le rappeur Noize MC", écrit le quotidien suisse. Leur détention a ensuite été prolongée, les accusations initiales de "hooliganisme" et de "trouble à l’ordre public" étant désormais complétées par celles, plus graves, de "discréditation de l’armée russe".

Moscou n’a pas commenté ces mesures, mais l’ironie de la situation n’échappe pas à l’opposition de longue date. "Il est amusant de constater comment ceux qui n’ont jamais protesté contre l’emprisonnement des libéraux découvrent soudain que la justice en Russie est sélective, que n’importe qui peut être jeté en prison sans raison", observe Ivan Philippov, chercheur et spécialiste du mouvement pro-guerre en Russie dans les colonnes du Guardian. Pour beaucoup, ces purges rappellent la leçon cruelle de l’époque stalinienne : même les plus fidèles ne sont jamais à l’abri du régime.

© afp.com/MAXIM SHIPENKOV

Le président russe Vladimir Poutine, le 4 novembre 2025 à Moscou.
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"La démocratie libérale est un accident de l’Histoire" : l'analyse décapante d'Ivan Krastev

Au lendemain du Brexit, Ivan Krastev publiait en 2017 After Europe (traduit sous le titre : Le destin de l’Europe, Ed. Premier Parallèle), un essai décapant sur les défis de l’Union européenne, menacée de désintégration. Huit ans plus tard, le politologue bulgare, parmi les meilleurs connaisseurs de l’espace post-soviétique et des dynamiques européennes, estime que nous sommes entrés dans "l’âge post-libéral". "Ce tournant arrive quand le consensus libéral n’existe plus, quand l’illibéralisme peut s’exprimer ouvertement. Nous y sommes", décrit-il.

L’Union européenne est-elle condamnée pour autant ? Ivan Krastev donne sa réponse dans un entretien passionnant accordé à L’Express.

L’Express : Il y a un an jour pour jour, Donald Trump remportait la présidentielle américaine pour la seconde fois. Comment analysez-vous ce moment de l’Histoire ?

Ivan Krastev : Lorsque Donald Trump est arrivé à la Maison-Banche pour la première fois, beaucoup y ont vu un accident. En 2015, quand le parti Droit et Justice polonais (PiS) a triomphé, l’essayiste Adam Michnik a eu cette formule : "Il arrive qu’une belle femme perde la tête et couche avec un salaud." A l’évidence, ce genre d’analyse ne tient plus aujourd’hui. Le monde traverse une révolution. Aux Etats-Unis, Donald Trump en est le visage, mais pas le leader.

Si l’on dézoome, on observe bien la fin d’une certaine période, sur le plan économique, technologique, et géopolitique, avec la montée en puissance de la Chine et le retour de la guerre en Europe. D’une certaine manière, les Européens étaient les moins préparés à y faire face, car nous nous sentions à l’aise dans le monde d’avant. On a beaucoup glosé sur la "fin de l’Histoire" [NDLR : en 1992, le politologue américain Francis Fukuyama publie La fin de l’Histoire, où il prédit le triomphe du modèle démocratique et libéral]. En fin de compte, nous avons intégré cette lecture, en considérant nos propres régimes politiques de manière ahistorique, persuadés que la démocratie libérale était universelle. Il ne nous est jamais venu à l’esprit qu’elle était probablement exceptionnelle, que plusieurs facteurs avaient coïncidé pour la rendre possible. Maintenant que l’Amérique a changé de camp, la nature accidentelle des trente dernières années apparaît clairement.

Comment définiriez-vous "l’animal politique" Trump ?

Donald Trump est souvent décrit comme un nationaliste. Or, les nationalistes sont préoccupés par l’Histoire, ils pensent en termes de siècles, veulent qu’on se souvienne d’eux d’une manière particulière. Ce n’est pas le cas de Trump. Si le narcissisme politique avait un régime, il en serait certainement le représentant. Il ne s’intéresse pas à ceux qui l’ont précédé, ni à la façon dont on se souviendra de lui. Il veut tout, immédiatement.

J’ai demandé à l’IA – j’espère qu’elle ne me ment pas ! – de comparer les discours prononcés au cours des vingt dernières années par Vladimir Poutine, Xi Jinping et Donald Trump, la fréquence à laquelle ils évoquent leur héritage et la manière dont ils souhaitent rester dans les mémoires. Les présidents russe et chinois sont obsédés par cette question. Ils font des comparaisons, racontent des anecdotes… Bien sûr, Trump veut qu’on se souvienne de lui, mais il estime que ce qui compte vraiment, c’est ce que l’on obtient de son vivant. De ce point de vue, il ne s’intéresse pas à l’avenir. Il y a quelque chose chez lui du "Dernier homme". Les Européens n’arrivent pas à appréhender cet ovni politique.

Sur le Vieux Continent, plusieurs dirigeants ont une filiation avec Donald Trump…

Ils ont notamment en commun l’obsession pour la vengeance. Ce n’est pas un hasard si, en Europe, la plupart des dirigeants politiques alignés sur Trump – Robert Fico en Slovaquie, Viktor Orbán en Hongrie, Andrej Babis en République tchèque – sont revenus après une expérience passée au pouvoir. Ils n’aiment pas la façon dont ils ont été traités après avoir quitté leurs fonctions. La vengeance devient alors centrale.

Donald Trump est tellement revanchard – rappelez-vous des funérailles de Charlie Kirk, où les chrétiens "classiques", comme sa veuve, ont accordé leur pardon, et pas Trump. Nous avons oublié pourquoi, historiquement, nous avons tant fait pour contenir la vengeance. C’était l’un des acquis majeurs de la démocratie. Dans une démocratie, vous ne gagnez pas beaucoup, mais vous ne perdez pas grand-chose non plus. Lorsque vous échouez aux élections, vous ne perdez pas votre vie, votre liberté ou vos biens. Soudain, tout ce paradigme change. Nous vivons une époque où la polarisation politique est telle dans des pays comme les États-Unis ou la Pologne que les gens sont persuadés que la justice n’est pas indépendante, pas plus que les banques centrales et les principaux organes publics. Dans un tel climat, il est très difficile d’enrayer la soif politique de vengeance.

La galaxie Maga ("Make America Great Again") s’active tous azimuts pour convertir l’Europe à ses thèses. Comment expliquez-vous ce "nationalisme transnational" ?

Il faut distinguer Trump de la galaxie Maga. Donald Trump s’est présenté au monde comme un politicien post-idéologique. Les droits de douane sont un exemple fascinant. Son message ? "Je me fiche de la nature de votre régime politique. La seule chose qui m’importe, c’est votre balance commerciale avec les États-Unis." Ce discours va totalement à l’encontre de l’idée libérale classique selon laquelle le conflit majeur oppose les démocraties et les régimes autoritaires. En ce qui concerne l’Europe, Trump a toujours eu du ressentiment au sujet des voitures allemandes, par exemple, mais je ne pense pas qu’il ait une vision stratégique très claire du type d’Europe qu’il souhaite.

A contrario, le vice-président J.D. Vance et ses lieutenants ont un agenda précis. D’abord, ils pensent que l’Europe vivra dans les cinq ou dix prochaines années la même chose que les Etats-Unis, à savoir que les partis d’extrême droite seront les vainqueurs des prochaines élections. Beaucoup de gens ont comparé le discours de Vance à Munich à la conférence de Munich de 1938. Je pense plutôt qu’il s’est adressé à l’Europe de la même manière que Gorbatchev l’a fait en 1989 devant le Parlement européen, à Strasbourg, en actant un changement d’ère.

Ensuite, il y a chez les leaders Maga un fort nationalisme civilisationnel, bien plus articulé que chez Trump. Ces gens pensent que les chrétiens blancs du monde entier sont en péril et que le "clash" n’est plus entre la démocratie et l’autoritarisme, ni entre grandes puissances, mais qu’il s’agit d’un choc de civilisations. Leur principale préoccupation est la reconstruction de la civilisation occidentale. C’est important, car ils touchent des points sensibles qui ne peuvent pas être ignorés. Jusqu’aux années 1940-1950, l’Occident était beaucoup plus consensuel sur le plan culturel, universel, fondé sur l’histoire romaine. Jusqu’aux années 1960, le latin était la langue "étrangère" la plus enseignée dans les écoles américaines. L’histoire romaine constituait donc bel et bien ce socle commun d’histoire.

La guerre froide a changé la donne ?

Durant la guerre froide, l’Occident est plutôt devenu synonyme du "monde libre", avec tous les changements que cela implique. La vision des États-Unis était très largement basée sur leur conflit avec le communisme soviétique. Le jazz et la peinture abstraite sont devenus des armes politiques et culturelles pour promouvoir la liberté d’expression et le modèle américain face à la censure intellectuelle. Progressivement, l’Occident a perdu ses caractéristiques culturelles, il ne s’agissait plus des Blancs chrétiens, il est devenu beaucoup plus progressiste.

La droite Maga cherche à ressusciter l’ancienne version de l’Occident, fondé sur ce christianisme blanc. Curieusement, ils utilisent pour cela un langage très proche de celui des mouvements anticolonialistes des années 1960-1970, en prétendant représenter "le peuple indigène". Avec ce logiciel, on comprend mieux pourquoi les partisans de Maga ne sont pas critiques envers la Russie et Poutine. Pour eux, la Russie peut être un allié, précisément parce qu’elle est conservatrice, blanche et chrétienne. Par conséquent, la guerre devrait prendre fin le plus rapidement possible. Si l’Ukraine doit payer le prix de l’unité de l’Occident, qu’il en soit ainsi.

L’Allemagne peut-elle être un "laboratoire européen" pour le mouvement Maga ?

En 2018, Steve Bannon avait déjà essayé de s’implanter en Europe, en créant "The Movement", une fondation nationaliste basée à Bruxelles visant à unir les partis de droite et d’extrême droite. Il avait rencontré Matteo Salvini, Marine le Pen, Viktor Orbán ou Nigel Farage. Mais sa démarche n’avait rien donné, rejetée notamment par l’AfD allemande.

Nous sommes passés du statut de missionnaires à celui de moines

Quand Elon Musk a repris ce flambeau à sa façon, son message était clair : si vous voulez changer l’Europe, vous devez changer l’Allemagne. C’est ainsi qu’il a tenté d’influencer les élections allemandes en faveur de l’AfD. A mon sens, nous assistons au retour de la question allemande. D’un côté, l’Europe ne peut pas être un acteur souverain et autonome en matière d’économie et de politique sans une Allemagne forte, notamment sur le plan militaire. De l’autre, la combinaison de la militarisation souhaitée de l’Allemagne et de la montée de l’AfD soulève une question difficile : l’Europe peut-elle cohabiter avec une Allemagne armée jusqu’aux dents dirigée par l’extrême droite ?

Le 22 mai dernier, neuf chefs d’Etat et de gouvernement européens, de la droite dure de l’Italienne Giorgia Meloni à la sociale-démocrate Mette Frederiksen au Danemark, ont signé une lettre ouverte appelant à repenser l'"interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme". Y voyez-vous le signe d’une banalisation du logiciel illibéral ?

Absolument. En réalité, derrière la polarisation politique croissante en Europe se cache une convergence sur plusieurs thèmes, en particulier sur l’immigration. Désormais, le clivage majeur entre les partis porte sur le traitement des personnes déjà présentes sur le territoire national. Aucun parti ne se bat plus pour l’ouverture des frontières, comme c’était encore le cas en 2015. Le débat sur les frontières fait désormais l’objet d’un consensus.

Ce glissement vers la droite provient à mon sens d’un changement majeur : pendant 25 ans après la fin de la guerre froide, lorsque l’Europe regardait le monde, la question principale était : comment le transformer ? Comment les autres vont-ils devenir comme nous ? Aujourd’hui, on assiste à un renversement total, où les gens se demandent au contraire : comment ne pas "les" laisser "nous" transformer ? Je dis souvent en plaisantant que nous sommes passés du statut de missionnaires à celui de moines reclus derrière les murs de notre cloître.

A quoi attribuez-vous la montée de l’illibéralisme ?

Je ne crois pas que nous puissions comprendre ce qui se passe si nous travaillons avec les catégories classiques : démocratie contre autoritarisme. La plupart des dirigeants dont nous avons parlé ont été élus par le peuple. Une fois au pouvoir, ils dérivent vers autre chose, mais ce n’est pas l’autoritarisme du début du XXe siècle.

Au cours de l'ère libérale, les citoyens ont obtenu plus de droits, mais ont perdu du pouvoir.

Ce qui caractérise notre époque, c’est d’abord la crise des partis libéraux et du concept même de contre-pouvoirs. Nous assistons à une consolidation majeure du pouvoir, tant économique que politique. Simultanément, l’élite se désintéresse de la population. Pendant la guerre froide, le capital humain était très important, pour plusieurs raisons : on avait besoin des gens en tant que soldats, contribuables et électeurs. Aujourd’hui, vu la tournure que prennent les guerres, et à l’allure où les technologies se développent, on aura de moins en moins besoin d’hommes au front. Avec l’intelligence artificielle, la transformation de la main-d’œuvre est également spectaculaire. C’est pareil pour le droit de vote : au sein de l’UE, beaucoup de questions ne peuvent plus être résolues au niveau national. Paradoxalement, au cours de cette ère libérale, les citoyens ont obtenu plus de droits, mais ont perdu du pouvoir.

Aujourd'hui, l'électeur agit comme un consommateur.

L’un de mes sociologues préférés, Albert O. Hirschman, un penseur juif allemand ayant émigré aux Etats-Unis en 1940, avait une obsession : prouver que l’on peut avoir des doutes et agir en même temps. Il a écrit un ouvrage très court mais fondamental, intitulé Exit, Voice, and Loyalty : Responses to Decline in Firms, Organizations, and States (1970). Il y décrit comment les gens réagissent lorsqu’ils commencent à ne plus apprécier le fonctionnement d’une organisation, d’une entreprise ou d’un État. Il estimait que nous agissons très différemment en tant que consommateurs et en tant que citoyens. En tant que consommateur, si mon Coca-Cola commence à être moins bon, je ne vais pas envoyer des lettres à la société, je vais plutôt acheter du PepsiCo et s’ils sont assez malins chez Coca, ils comprendront le message et amenderont leurs produits. C’est la porte de sortie. Mais selon Hirschman, il y a certaines choses dont on ne peut pas sortir : sa famille, son parti politique, sa nation. Dans ces cas, ils n’ont pas d’autre choix que de faire entendre leur voix, en s’impliquant dans l’organisation politique, en écrivant des lettres, en manifestant.

Ma crainte est que la "sortie" devienne notre mode de fonctionnement universel. Car fuir est beaucoup plus facile que de se mobiliser et d’essayer de convaincre.

De plus en plus de citoyens optent donc pour cette "grande sortie" en changeant de pays ou en se repliant sur leur sphère privée, dans une forme d’hyperindividualisme ?

C’est une tendance claire, mais on observe aussi un contre-mouvement. Certains se sentent tellement perdus dans cette société qu’ils cherchent à se tourner vers la communauté. D’ailleurs, une partie des mouvements d’extrême droite ont attiré des gens en manque de communauté. Bien sûr, c’est une communauté très spécifique, qui a des points communs avec le courant Völkisch né en Allemagne à la fin du XIXe siècle, qui défendait la nécessité de défendre la "race germanique", sous peine de disparition [NDLR : ses idées ont notamment inspiré le nazisme.]

Le comportement des électeurs a beaucoup évolué depuis l’époque de Hirschmann. Aujourd’hui, l’électeur agit comme un consommateur. Vous pouvez vous rendre dans un magasin, acheter une robe et la rendre dans les 24 ou 48 heures, sans avoir à vous justifier. Simplement parce qu’elle ne vous plaît plus. Par conséquent, aucun choix n’est vraiment existentiel, tout peut être repensé et redécidé. Cela touche à beaucoup de choses : ce que nous voulons étudier, notre travail, les applications de rencontre, etc. Cette multitude de choix est épuisante et rend anxieux. On ne choisit plus, on picore. À mon avis, quelque chose de similaire se produit dans le domaine politique. Avant, quand les gens changeaient de parti politique, c’était une tragédie, c’était comme quitter le pays. De nos jours, changer d’affiliation politique est devenu une banalité. En Bulgarie, 80 % de la population a changé son vote au cours des 15 à 20 dernières années. Sur cette période, par trois fois un parti créé moins d’un an avant les élections a gagné. On cherche toujours la nouveauté. C’est la logique du marché. Mais la politique ne devrait pas fonctionner comme ça.

Compte tenu de ces tendances, comment envisagez-vous l’avenir de l’Europe ?

L’Europe est poussée à adopter une identité de type barricade, car tous les autres pays ont pris cette direction. Mais ce n’est pas facile à faire, car ce n’est pas dans son ADN. D’une part, l’UE ne sera jamais un État-nation, la langue est un élément trop essentiel. On ne peut pas avoir une politique démocratique en se fondant sur la traduction. Car la langue charrie bien plus que des mots, c’est une culture, des expériences historiques…

D’autre part, l’UE ne peut pas totalement faire marche arrière. Le nationalisme économique n’a pas de sens, même des pays comme la France ou l’Allemagne ne sont pas assez grands pour le soutenir. Il est donc évident que ce type d’espace économique est nécessaire pour survivre. L’extrême droite en a bien conscience, elle a d’ailleurs connu une mutation majeure à cet égard. Entre 2015 et 2017, elle rêvait de sortir de l’UE. Puis le Brexit est arrivé. Cela n’a pas été succès retentissant. Alors ces partis ont fait demi-tour. Aujourd’hui, il n’est plus question de quitter l’UE mais de la changer de l’intérieur.

L’exemple hongrois est fascinant. Le Premier ministre Viktor Orbán a beau se répandre dans les médias contre Bruxelles, prétendre que l’Union européenne est devenue l’Union soviétique, mais la Hongrie est le dernier pays à vouloir quitter l’UE ! On parle souvent de son amitié avec Vladimir Poutine, en réalité Orban mise surtout sur la Chine. Et pour cela, il a absolument besoin de l’UE.

Au cours des 30 dernières années, environ 40 % des investissements chinois en Europe ont été réalisés en Hongrie, principalement parce qu’Orban est le seul dirigeant européen à s’opposer aux politiques antichinoises. Il vend donc à Pékin son droit de veto. Mais pour que cela fonctionne, il a besoin du marché européen commun. Sinon, pourquoi la Chine irait investir en Hongrie, un pays de 10 millions d’habitants qui a peu d’intérêt sur le plan géographique ?

On aurait pu croire que la guerre en Ukraine souderait l’Union européenne. La réalité est plus complexe…

Quand la guerre a éclaté, il y a eu un conflit majeur entre l’Est et l’Ouest, car les pays d’Europe de l’Est, en particulier les pays en première ligne, ont été beaucoup plus critiques envers la Russie, reprochant leur naïveté à l’Allemagne et à la France. Au fil du temps, on s’est aperçu que ce conflit n’avait pas divisé l’Est et l’Ouest de l’Europe. La fracture s’est plutôt creusée au sein même de l’Est, autour des frontières des anciens empires. Les pays qui faisaient partie de l’Empire russe (et non de l’Empire soviétique) perçoivent très fortement la guerre en Ukraine comme leur guerre. C’est le cas de la Finlande, des pays nordiques et des pays baltes. En revanche, des pays comme la Bulgarie, la Serbie, la Grèce, anciennes parties de l’Empire ottoman, ne sont pas nécessairement pro russes, mais leur anti-impérialisme a toujours été anti-turc.

Tôt ou tard, l’extrême droite sera confrontée à son problème majeur : l’échec de son imagination politique.

Je dis cela car je crois que ces différences historiques refont surface et feront l’objet de négociations beaucoup plus fortes qu’avant. C’est pourquoi la coopération entre les gouvernements d’extrême droite ne sera pas si facile. Imaginez un instant que Le Pen devienne présidente en France, que l’AfD forme un gouvernement à parti unique en Allemagne, avec Mr. Kaczynski à la tête de la Pologne, etc. Maintenant, essayez de leur demander ce qu’ils feront sur toutes les grandes politiques. La défense commune ? Le rapport à la Russie ? A la Chine ? Les divisions éclateront au grand jour.

Cela signe-t-il la mort de l’UE ? L’effondrement est toujours une option. Mais je crois que l’Europe peut survivre. Mais attention, pas survivre en gardant les mêmes politiques. Non, il va falloir faire preuve de beaucoup plus de créativité. Celle-ci peut venir d’endroits inattendus. Les gens pourraient se montrer plus disposés à faire des sacrifices qu’on ne le pense. Il y a des moments où vous êtes guidés par la force de votre imagination politique, simplement car vous ne pouvez plus imaginer que demain puisse être comme aujourd’hui.

Alors, de nouvelles idées vont probablement émerger. Je ne pense pas que l’extrême droite sera en mesure de les apporter. C’est un mouvement très nostalgique. Beaucoup de ses électeurs choisissent ces partis car ils veulent revenir à une certaine composition démographique de la société qu’ils connaissent, ils veulent retrouver cette idée de chez-soi qui leur manque, un endroit qu’ils comprennent et où ils sont compris. Mais il n’est pas possible de voyager ainsi. Tôt ou tard, l’extrême droite sera confrontée à son problème majeur : l’échec de son imagination politique. Elle n’a simplement rien d’autre à offrir aux gens que le regret des temps passés.

© Getty Images via AFP

Ivan Krastev prononce un discours d'éloge lors de la remise du prix Hannah Ahrendt pour la pensée politique à la journaliste russo-américaine Masha Gessen (non photographiée), le 16 décembre 2023 à Brême, en Allemagne
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Guerre en Ukraine : cette nouvelle bombe russe à propulsion qui redéfinit la stratégie du Kremlin

Dans le ciel de Kamianske, trois silhouettes rapides ont filé avant que le grondement des explosions ne secoue la ville. En quelques secondes, des colonnes de fumée se sont élevées au-dessus des immeubles : pour la première fois, cette cité industrielle de la région de Dnipro venait d’être frappée par des bombes guidées à réaction de type UMPK/Grom (KAB). L’information a été révélée par la chaîne Telegram Monitor le 25 octobre, qui a fait état de ces frappes inédites au cœur de l’Ukraine.

Ce nouveau mode d’attaque s’inscrit dans une série d’expérimentations menées par Moscou depuis le début du mois d’octobre. Le 17 puis le 18, des bombes similaires avaient visé pour la première fois Mykolaïv et Lozova, cette dernière frappée par une munition UMPB-5R ayant parcouru 140 kilomètres avant d’exploser dans un quartier résidentiel. Six personnes avaient été blessées et onze bâtiments endommagés. La semaine suivante, l’armée de l’air ukrainienne alertait sur un projectile du même type dirigé vers Berestyn, dans la région de Kharkiv, sans que les conséquences n’aient été révélées.

De 150 à 200 kilomètres de portée

Derrière l’abréviation KAB, acronyme de Korrektiruyemaya Aviabomba, ou "bombe aérienne corrigée", se cache une génération d’armes issues des bombes de l’ère soviétique, profondément modifiées. Conçues à l’origine comme de simples bombes à chute libre, elles ont été transformées en engins intelligents : des ailes pour la portance, un système de guidage GPS ou laser pour la précision, et désormais un moteur à réaction qui leur confère une allonge redoutable.

D’après le Financial Times et les dires de Vadym Skibitskyi, chef adjoint du renseignement militaire ukrainien, certaines de ces munitions expérimentales atteignent aujourd’hui entre 150 et 200 kilomètres de portée, soit plus du double de leurs versions antérieures, limitées à environ 80 kilomètres. Un essai aurait d’ailleurs frôlé les 193 kilomètres. Une performance rendue possible par l’ajout d’un moteur chinois SW800Pro-Y, un petit turbojet comparable à celui d’une mini-fusée, dont le coût n’excéderait pas 18 000 dollars, selon l’analyse du média britannique.

Cette adaptation permet aux avions russes, notamment les Su-34, de larguer leurs charges à très grande distance, sans s’exposer aux défenses aériennes ukrainiennes. Désormais, des villes situées à plus de cent kilomètres de la ligne de front, autrefois considérées comme des zones d’arrière relativement sûres, sont directement exposées à cette nouvelle menace. Les ogives, elles, varient entre 300 kilos et plus d’une tonne et demie, capables d’anéantir des immeubles entiers. Selon les experts ukrainiens, ces bombes laissent derrière elles des cratères de vingt mètres de large pour six de profondeur.

Un danger pour l’Ukraine ?

Cette évolution n’est pas apparue du jour au lendemain : dès 2023, la Russie avait amorcé une transformation de ses "bombes idiotes" en engins semi-guidés. Mais avec l’ajout de la propulsion, la KAB franchit un cap technologique majeur, devenant une véritable bombe planante motorisée, hybride entre la bombe classique et le missile de croisière.

Si Moscou a misé sur cette innovation, c’est avant tout pour compenser son incapacité à dominer dans le ciel ukrainien. "Le recours à la propulsion traduit, paradoxalement, le succès des défenses ukrainiennes", observe Wes Rumbaugh, chercheur au Center for Strategic and International Studies dans les colonnes du Kyiv Independent. Incapables d’approcher les zones cibles, les bombardiers russes n’ont d’autre choix que d’étendre la portée de leurs munitions. Cette évolution technologique coïncide avec une intensification des attaques aériennes visant les infrastructures énergétiques et civiles, à l’approche de l’hiver.

Pour l’armée ukrainienne, la menace reste contenue mais préoccupante. "Ces armes ne changent pas fondamentalement la donne, elles reprennent la même logique qu’une bombe classique lancée depuis un Su-34 ou un Su-24", explique Yurii Ihnat, porte-parole de l’armée de l’air, sur la chaîne Suspilne. "Leur trajectoire ressemble à celle d’un missile de croisière, ce qui les rend théoriquement interceptables par nos systèmes de défense", a-t-il continué. Mais le problème est ailleurs : les stocks de missiles antiaériens s’amenuisent et chaque interception coûte infiniment plus cher que le lancement d’une KAB motorisée.

© afp.com/Marina MOISEIENKO

Désormais, des villes situées à plus de cent kilomètres de la ligne de front, autrefois considérées comme des zones d’arrière relativement sûres, sont directement exposées à cette nouvelle menace.
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Comment les taxes de Donald Trump ont poussé Shein et Temu à jeter leur dévolu sur l’Europe

En plein scandale et malgré une enquête judiciaire pour la vente de poupées sexuelles à l’effigie d’enfant, le premier magasin physique de Shein a ouvert en grande pompe mercredi 5 novembre au BHV de Paris. Cette ouverture survient à l’heure où la plateforme et d’autres géants du e-commerce chinois tels que Temu, se tournent de plus en plus vers l’Europe, alors que leurs activités aux États-Unis subissent de plein fouet la nouvelle politique commerciale américaine. En supprimant au printemps dernier l’exonération de droits de douane dont bénéficiaient les petits colis de moins de 800 dollars de valeur, Donald Trump a en effet freiné le flot de colis de fast fashion à bas prix vers les États-Unis. Et les ventes sont désormais redirigées vers le vieux continent.

Après l’instauration de cette barrière douanière en avril, les ventes aux Etats-Unis ont chuté de 36 % pour Temu et de 13 % pour Shein en mai, selon le centre d’analyse de données commerciales Consumer Edge. Les deux géants chinois accélèrent donc leur expansion européenne, notamment au Royaume-Uni, en France et en Allemagne, en renforçant leurs dépenses publicitaires et leurs infrastructures logistiques. D’après l’agence Ikom, citée par Les Échos le mois dernier, Temu a réduit ses investissements marketing de 80 % aux États-Unis depuis avril, tout en les augmentant de 115 % en France. Shein, de son côté, a relevé les siens de 45 %.

Hausse des importations chinoises en France

La stratégie paie. Selon Consumer Edge, les dépenses des consommateurs ont bondi de 63 % dans l’UE et de 38 % au Royaume-Uni pour Temu, et de 19 % et 42 % respectivement pour Shein. "Cette expansion n’est pas simplement opportuniste — elle traduit un changement stratégique dans la manière dont ces entreprises envisagent leur prochaine phase de croissance", souligne Anand Kumar, du cabinet Coresight Research, cité par la chaîne américaine CNBC.

En France aussi cette croissance est tangible : selon la Fevad (Fédération du e-commerce et de la vente à distance), Temu est devenu le troisième site marchand le plus visité en France au deuxième trimestre 2025 avec 22,4 millions de visiteurs uniques par mois, derrière Amazon et Leboncoin. Shein, huitième avec 16,6 millions, gagne quatre places en un trimestre. Les Échos indiquent qu’en un an, les importations d’articles d’habillement chinois ont augmenté de 10 %, atteignant 5,8 milliards d’euros.

L’Europe prépare son arsenal de défense

Mais les plateformes d’ultra fast fashion de ce type ne sont pas forcément bien accueillies. En France, la loi "anti-fast fashion" adoptée en juin cible directement Shein et Temu et leur modèle économique nuisibles à l’environnement, et prévoit d’interdire leur publicité — sous réserve de validation par la Commission européenne. Le processus pourrait être accéléré : mercredi, jour de l’inauguration du premier magasin Shein au monde à Paris, le gouvernement a annoncé qu’il engageait une procédure de suspension de la plateforme asiatique en ligne, après l’ouverture d’une enquête pour la vente de poupées sexuelles d’apparence enfantine. Selon Le Figaro, l’ex-ministre du Commerce Véronique Louwagie a par ailleurs demandé en septembre à Bruxelles de déréférencer ces plateformes sur Internet, à l’image de ce qui a été fait pour Wish.

Temu et Aliexpress font actuellement l’objet d’enquêtes européennes pour ventes de produits non conformes, tandis que Shein est accusée de ne pas respecter les règles de protection des consommateurs et fait déjà l’objet d’une enquête de la Commission européenne. L’été dernier, l’organisation paneuropéenne des consommateurs BEUC avait déposé une plainte auprès de la Commission européenne contre Shein pour l’utilisation de techniques trompeuses, ou "dark patterns", favorisant la surconsommation. Face aux polémiques des derniers jours, Paris a appelé ce jeudi l’Union Européenne à aller "plus loin" pour "sévir" contre les infractions aux règles du géant asiatique du commerce en ligne. "La Commission a diligenté certaines enquêtes, elle doit maintenant les assortir de sanctions", a demandé le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot.

De fait, le système de défense européen se complète de mois en mois. L’UE prépare une directive sur la diligence durable (Corporate Sustainability Due Diligence Directive), imposant dès 2026 aux entreprises d’évaluer leurs chaînes d’approvisionnement et leur impact environnemental. Elle planche enfin sur une réforme douanière supprimant l’exonération de taxes dont bénéficient actuellement les petits colis venus d’Asie. Problème : celle-ci est prévue pour 2028. Les professionnels du textile espèrent raccourcir le délai au 1er janvier 2027. En attendant, Shein et Temu continuent de déverser des millions de paquets à bas prix sur le marché européen.

© afp.com/Julie SEBADELHA

Publicité sur une façade du Bazar de l'Hotel de Ville (BHV) à Paris, le 3 novembre 2025, annonçant l'ouverture d'un espace Shein pour le 5 novembre.
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Les deux secrets de la réussite chinoise, par Eric Chol

"Suivre, rattraper, mener". C’était le mot d’ordre donné par le Conseil d’Etat chinois il y a dix ans, pour encourager l’innovation. Or non seulement la Chine a effectivement suivi et rattrapé ses concurrents, mais c’est elle qui mène souvent la danse, du nucléaire à l’automobile électrique, en passant par les robots ou les téléphones portables. La Chine ? "Un pays de copieurs, encore très en retard technologiquement", persiflaient nos industriels au début des années 2000. Deux décennies plus tard, l’Empire du Milieu est devenu celui de l’innovation. Elle vient de rentrer dans le top 10 mondial (selon l’Indice mondial de l’innovation 2025), devançant l’Allemagne ou la France et s’inscrit au deuxième rang pour ses dépenses de R & D. Ses entreprises, équipées de technologies dernier cri à des prix imbattables, taillent des croupières à leurs rivales européennes.

C’est la force de la Chine de 2025 : elle s’est transformée en labo du monde, au coude-à-coude avec les Etats-Unis, sans renoncer à être l’usine du monde. "Trop de subventions publiques, trop de protectionnisme !" accusent les Occidentaux. Ils ont raison, mais la triche chinoise ne suffit pas pour expliquer l’incroyable essor du pays dirigé par Xi Jinping. Le décrochage avec l’Europe, pointé du doigt l’an passé par le rapport Draghi, ne cesse de s’amplifier, les routes de la soie devenant les autoroutes du déficit, avec un trou béant de 1 000 milliards d’euros en cumulé depuis trois ans au détriment de l’Union européenne.

Bruxelles cherche la contre-offensive

Confronté aux coups de boutoir de Pékin, Bruxelles cherche la contre-offensive. Mais face à un Vieux Continent divisé, la déferlante chinoise semble inarrêtable. Sans doute les Européens devraient d’abord s’interroger sur les secrets du géant asiatique. Le premier s’écrit en trois chiffres : 996. Un slogan, ancré dans la culture tech chinoise et repris depuis peu dans la Silicon Valley. "996" désigne des horaires de travail, de 9 heures du matin à 9 heures du soir, 6 jours par semaine. Soit 72 heures hebdomadaires, un rythme infernal et d’ailleurs illégal, selon la justice chinoise, "mais une référence qui témoigne d’une temporalité différente : quand on dit que les Chinois travaillent "jiu-jiu-liu (996)", cela signifie qu’ils adoptent un rythme de travail intensif", rapporte Fabien Gargam, de l’institut franco-chinois de l’université Renmin à Suzhou.

Goût de l’effort, mais aussi, et c’est le deuxième secret chinois, de l’efficience. En septembre, les ventes du fabricant automobile BYD ont bondi en Europe de 272 %. Derrière cette performance se cache une quête permanente de gains de productivité. "Les constructeurs automobiles chinois ont considérablement réduit le nombre d’heures d’ingénierie par véhicule, le maintenant à un niveau inférieur à celui de leurs concurrents", relève le cabinet Oliver Wyman. Faire plus avec moins : la recette chinoise de l’innovation tranche avec celle de L’Europe. Et en particulier avec celle de la France, où l’on s’échine à faire moins avec plus…

© afp.com/Handout

Cette photo fournie par le ministère russe des Affaires étrangères montre le dirigeant chinois Xi Jinping assistant à une réunion à Pékin, le 15 juillet 2025
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Zohran Mamdani : les cinq défis qui attendent le futur maire progressiste de New York

Après le séisme vient le temps de la construction. Elu maire de New York mardi 4 novembre, au terme d’un scrutin ayant captivé les habitants de la mégalopole, des Etats-Unis et du monde, le démocrate Zohran Mamdani prépare son entrée en fonction le 1er janvier. Quasiment inconnu il y a quelques mois, l’élu local de 34 ans a séduit la moitié (50,39 %) des 2 millions de votants (une participation record depuis près de 60 ans). Il aura de nombreux défis à relever, pour faire appliquer son programme socialiste axé sur le coût de la vie au sein de la capitale du monde, et tenir tête par la même occasion à Donald Trump, à qui il s’est largement opposé durant sa campagne menée principalement via les réseaux sociaux.

Faire face à Donald Trump

Le plus grand défi auquel Zohran Mamdani pourrait être confronté n’est autre que le président Trump. Ce dernier l’a récemment qualifié de communiste et a menacé de l’arrêter et de priver la ville de financements fédéraux. Pendant son discours de victoire, Zohran Mamdani a lui même directement interpellé Donald Trump, le qualifiant de "despote" et appelant à le "vaincre". Mais tout en promettant de défendre la ville, il s’est aussi dit prêt à dialoguer avec le président pour faire baisser le coût de la vie, sa priorité ultime.

La politique anti-immigration du républicain et les poursuites judiciaires contre ses opposants devraient cristalliser les tensions. Certains New-Yorkais craignent que Donald Trump n’envoie la Garde nationale dans la ville ou ne dépêche des agents de l’immigration dans les quartiers, espérant provoquer une confrontation avec Zohran Mamdani. Ce dernier prévoit de s’appuyer sur la gouverneure Kathy Hochul et la procureure générale Letitia James pour contrer juridiquement les attaques fédérales. Proche du futur maire, la seconde a récemment été inculpée pour fausses déclarations bancaires à la suite de pressions publiques du président américain.

Faire appliquer son programme ambitieux

Le nouveau maire de New York devra avant tout faire appliquer un programme ambitieux, qui se concentre en très grande partie sur la lutte contre le coût de la vie dans une ville où le salaire moyen est d’environ 6 000 dollars par mois (5 000 euros), et où la moitié est fréquemment consacrée au paiement des loyers (3 500 euros en moyenne).

Deux mesures phares devront être concrétisées. D’abord, sa promesse de se battre contre la crise du logement en décrétant un gel des loyers sur les près d’un million d’appartements à loyer réglementé de la ville. Il peut légalement imposer cette mesure via le Rent Guidelines Board. Le nouveau maire a déclaré au média Hell Gate qu’il voulait "réellement utiliser" son pouvoir pour imposer ce gel, évoquant la possibilité de remplacer les membres réticents de ce comité. À plus long terme, il vise la construction de 200 000 logements abordables en dix ans pour élargir l’accès à un logement décent.

Deuxième promesse de taille : la mise en place d’une garde d’enfants gratuite pour tous les enfants de 6 semaines à 5 ans, un projet estimé à 6 milliards de dollars par an. Il souhaite le financer via une taxation accrue des plus riches et des entreprises, tout en restant ouvert à d’autres solutions face à la réticence de la gouverneure Kathy Hochul à augmenter les impôts. Celle-ci s’est déjà dite prête à coopérer sur ce chantier prioritaire.

Redéfinir la politique policière

Ancien partisan du mouvement Defund the Police, Zohran Mamdani dirigera désormais un département de police fort de plus de 34 000 agents. Il semble que le nouvel élu souhaite désormais coopérer avec les forces de l’ordre. Il a présenté ses excuses aux policiers pour avoir qualifié la police de "raciste, anti-queer et grande menace pour la sécurité publique" en 2020. Avant de saluer la commissaire de police de NYC Jessica Tisch, qu’il maintiendra à son poste, félicitant les efforts de ses agents pour renforcer la sécurité publique.

Pour rééquilibrer et recentrer la police sur la sécurité publique, l’édile s’est engagé à créer un "Département de la sécurité communautaire", qui enverrait des travailleurs en santé mentale — plutôt que la police — répondre aux appels d’urgence de personnes en crise.

Rassurer la communauté juive

A New York, la plus grande communauté juive des États-Unis a accueilli de manière contrastée l’élection de ce musulman, défenseur de la cause palestinienne, qui a qualifié Israël de "régime d’apartheid" et la guerre à Gaza de "génocide". L’Union pour le judaïsme réformé a appelé à "respecter les divergences d’opinions" et s’est engagée à "faire notre part pour rassembler […] sans effacer les différences". L’Anti-Defamation League, une organisation de lutte contre l’antisémitisme, a pour sa part lancé un mécanisme de suivi, le "Mamdani monitor", pour surveiller les actions de la nouvelle administration new-yorkaise. Dans son discours mardi soir, Zohran Mamdani a répété son engagement dans "la lutte contre le fléau de l’antisémitisme". Il a dans le même temps affiché le souci de garantir également une place "dans les couloirs du pouvoir" aux musulmans de sa ville.

Se construire un entourage solide

L’élection de Zohran Mamdani, figure de la gauche radicale, marque un tournant pour un Parti démocrate divisé entre modérés et progressistes. "Zohran n’a pas seulement battu un adversaire républicain, il a aussi battu la vieille garde du parti démocrate", a salué Alexandria Ocasio-Cortez, autre grande figure de la nouvelle garde démocrate. Le nouveau maire de New York a rebondi sur cette révolution lors de son discours de victoire. "Le parti démocrate ne pourra pas durer bien plus longtemps en refusant de voir le futur, en oubliant les jeunes, et cette jeune génération démocrate pleine de diversité", a-t-il affirmé. "Nous avons renversé une dynastie politique".

En préparation de sa prise de fonction le 1er janvier, le futur maire s’est entouré d’un cercle de cinq femmes influentes issues du monde politique et associatif new-yorkais, dont Lina Khan, présidente de l’agence américaine de protection des consommateurs (FTC), Maria Torres-Springer, ex-adjointe au maire, et des dirigeantes d’ONG new-yorkaises. Pour Lincoln Mitchell, professeur à Columbia interrogé par le New York Times, il lui faudra une équipe capable de "comprendre " à la fois New York et Albany (la capitale de son Etat), où seront validées ses principales politiques.

© afp.com/ANGELA WEISS

Le nouveau maire élu de New York Zohran Mamdani promet notamment le gel des loyers réglementés, et la garde gratuite des enfants jusqu'à 5 ans pour lutter contre le coût de la vie.
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Droits de douane : les doutes de la Cour suprême face aux surtaxes de Donald Trump

Donald Trump doit rendre des comptes. Mercredi 5 novembre, des responsables économiques de la Maison-Blanche ont été auditionnés pendant près de trois heures par la Cour suprême des États-Unis. Une majorité de juges a remis en question la légalité d’une grande partie des droits de douane imposés par Donald Trump. Cette procédure intervient un an après son retour au pouvoir, marqué par une offensive protectionniste sans précédent visant la quasi-totalité des partenaires commerciaux du pays.

L’avenir des droits de douane drastiques imposés par le Président américain à des dizaines de pays à travers le globe est en jeu. Donald Trump, qui a qualifié leur maintien de "question de vie ou de mort" pour les États-Unis, a dépêché plusieurs hauts responsables pour défendre sa position, dont le ministre des Finances Scott Bessent.

Compétence du Congrès et non du président

Les neuf juges – six conservateurs et trois progressistes – doivent déterminer si Donald Trump a légalement eu recours à la loi d’urgence économique (IEEPA) de 1977, qu’il a utilisée pour décréter plusieurs salves de droits de douane, ensuite modulé au fil des négociations ou brouilles avec les pays visés.

Or, ces droits de douane se traduisent "par l’imposition de taxes aux Américains, ce qui a toujours été un pouvoir fondamental du Congrès" et non de l’exécutif, a immédiatement objecté le président de la cour, John Roberts. "Vous dites que les droits de douane ne sont pas des taxes, mais c’est exactement ce qu’ils sont", a également relevé la juge progressiste Sonia Sotomayor.

Le conseiller juridique du gouvernement, John Sauer, s’en est défendu. "Les droits de douane sont une incitation, un moyen de pression", a-t-il plaidé, assurant que l’objectif était "d’amener les autres pays à changer leur comportement et à traiter les urgences", et non pas d’en tirer des recettes. Ces taxes sur les produits importés génèrent des milliards de dollars de recettes et ont permis d’arracher aux partenaires des Etats-Unis des promesses d’investissements et des conditions plus favorables pour les exportateurs américains.

Des pouvoirs présidentiels sans retour ?

Le juge conservateur Neil Gorsuch a exprimé son inquiétude quant à une telle délégation de pouvoirs au président : "Une fois que le Congrès délègue ses pouvoirs par une majorité simple et que le président l’accepte - et bien sûr tout président signera une loi qui lui donne plus de pouvoir - le Congrès ne pourra pas les récupérer sans une super majorité", a-t-il prévenu.

Donald Trump décrit lui ces droits de douane comme la solution ultime aux problèmes des Etats-Unis. Ils permettront selon lui de réindustrialiser le pays, réduire son déficit commercial chronique, engranger des recettes fiscales, négocier en position de force avec les autres pays… Mais aussi - en imposant des taxes contre le Mexique, le Canada et la Chine - juguler la crise du fentanyl, un puissant opiacé qui tue par overdose des dizaines de milliers d’Américains chaque année.

Ces mesures, déjà jugées illégales par plusieurs tribunaux fédéraux, restent toutefois en vigueur en attendant la décision de la Cour suprême. Si le recours de Trump est rejeté, son administration pourrait s’appuyer sur d’autres textes, mais avec une marge de manœuvre plus limitée. Le verdict est attendu d’ici la fin de la session annuelle, en juin, voire plus tôt, le dossier ayant été examiné selon une procédure accélérée. Elle doit d’ailleurs statuer sur d’autres questions portant sur l’étendue des pouvoirs présidentiels, notamment la révocation des responsables d’organismes indépendants, en particulier à la Banque centrale.

© Getty Images via AFP

Selon la Cour Suprême, l'imposition de taxe est une compétence du Congrès et non du Président.
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Au Venezuela, le régime de Maduro menacé par le retour de Donald Trump

Des casquettes aux couleurs du drapeau vénézuélien, des chants et des slogans contre l’autocratie. Le 23 janvier 2019, des dizaines de milliers de manifestants défilent dans les rues de Caracas. Après plusieurs années d’effondrement économique et d’atteinte à la démocratie, les habitants sont venus exprimer leur colère contre le régime de Nicolas Maduro. La réélection du président en 2018 est alors fortement contestée par l’opposition et la communauté internationale.

Au milieu de la foule, un jeune politique de 35 ans prend la parole. Il s’agit de Juan Guaido, le président du Parlement vénézuélien. Sur une petite estrade, devant son pupitre, il lève la main droite. Le silence se fait autour de lui et toutes les caméras des journalistes filment la scène.

Un opposant qui s’autoproclame président. La foule tout entière l’acclame. Et rapidement plusieurs dirigeants internationaux vont reconnaître ce nouveau chef d’Etat. A commencer par le président américain Donald Trump.

Pourtant six ans plus tard, le régime de Maduro est toujours en place. Cet épisode signe néanmoins une rupture des relations diplomatiques entre Donald Trump et le leader vénézuélien. Alors comment se sont passées leurs retrouvailles depuis le retour à la Maison-Blanche du président américain ?

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Cet épisode a été écrit et présenté par Solène Alifat, monté par Emeline Dulio et réalisé par Jules Krot avec Sébastien Salis.

Crédits : Radio Canada, Huff Post, Le Parisien, VisualPolitik

Musique et habillage : Emmanuel Herschon/Studio Torrent

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Le président vénézuélien Nicolas Maduro s'adresse à ses partisans alors qu'il célèbre les résultats des élections législatives et régionales à Caracas, le 25 mai 2025
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Ukraine, Monténégro, Albanie… Ces nouveaux pays que l’UE pourrait accueillir d’ici 2030

Face à la menace russe de plus en plus prégnante, l’Union européenne prend de moins en moins de pincettes. Dans le rapport annuel de la Commission sur l’élargissement de l’Union, ce mardi 4 novembre, ses déclarations quant à l’intégration de plusieurs nations aux 27 d’ici à 2030 sont plus directes.

"L’invasion à grande échelle de la Russie en Ukraine et les changements géopolitiques font un écho très clair en un élargissement", a déclaré la cheffe de la politique étrangère Kaja Kallas aux journalistes. "C’est une nécessité si nous voulons être un jour plus fort sur la scène mondiale". Et d’ajouter que : "l’adhésion de nouveaux pays à l’Union européenne d’ici 2030 est un objectif réaliste".

L’Ukraine et la Moldavie en bonne voie

Kaja Kallas, ancienne Première ministre estonienne, a également déclaré que l’adhésion à l’UE pourrait être une "garantie de sécurité majeure" pour l’Ukraine et qu’aucun pays candidat n’avait jamais mis en œuvre des réformes aussi radicales pendant la guerre. "Il sera essentiel de maintenir cet élan et de prévenir tout risque de retour en arrière, notamment en matière de lutte contre la corruption", a toutefois précisé Marta Kos, la commissaire à l’élargissement de l’UE. Présent en Belgique lors de l’événement, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a renouvelé son souhait que l’Ukraine rejoigne l’UE avant 2030. Mais pour l’heure le processus de négociation de l’Ukraine est actuellement bloqué par un veto hongrois. Budapest, hostile à l’adhésion de l’Ukraine, empêche l’ouverture des "clusters" où l’on aligne les législations, rappelle Les Echos. Or l’élargissement de l’UE nécessite l’unanimité des 27 Etats membres existants.

En outre, les responsables européens ont également fait l’éloge de la Moldavie, rapporte The Guardian, dont le gouvernement a accusé la Russie de monter une campagne sans précédent pour inciter les électeurs par le biais de financements illicites des partis, d’achats de votes et de campagnes de propagande. La commissaire à l’élargissement de l’UE, Marta Kos, a déclaré que la Moldavie, qui compte 2,4 millions d’habitants, avait fait les plus grands progrès de tous les pays en un an, "malgré les menaces hybrides continues et les tentatives de déstabilisation du pays sur son cours de l’UE". Devant l’Ukraine, le Monténégro et l’Albanie sont néanmoins les deux pays les plus avancés et favoris dans le processus d’adhésion.

La Serbie et la Géorgie en recul au classement

Les responsables de l’Union européenne ont par ailleurs déclaré que les perspectives étaient mitigées pour la Serbie, dont le président autoritaire, Aleksandar Vučić, a fait face à une année de manifestations de masse contre la corruption. Des manifestations en partie déclenchées par la catastrophe de la gare de Novi Sad, au cours de laquelle un auvent de toit s’est effondré et a tué 16 personnes.

Sur un même axe de recul au classement des prétendants à l’UE, Marta Kos, a aussi déploré "une régression démocratique incroyablement rapide" en Géorgie. L’UE avait déjà arrêté les pourparlers d’adhésion de la Géorgie l’année dernière, après une violente répression contre les manifestants pacifiques lorsqu’ils sont descendus dans la rue contre la loi sur les "agents étrangers" du gouvernement d’inspiration russe, qui oblige les groupes de la société civile à s’inscrire sous cette étiquette stigmatisante s’ils reçoivent des fonds de l’étranger.

Le Parlement européen a rapporté en juillet qu’après les manifestations, plus de 500 personnes avaient été détenues en vertu de "procédures administratives", dont 300 étaient alors soumises à la torture ou à d’autres formes de traitement inhumain et dégradant. S’adressant directement aux dirigeants du gouvernement géorgien, Marta Kos a déclaré qu’ils éloignaient les gens de l’UE : "Si vous êtes sérieux au sujet de l’UE, alors écoutez votre peuple et arrêtez de mettre en prison les dirigeants de l’opposition, les journalistes et les personnes qui pensent différemment de vous. Ensuite, nous pourrons parler".

© afp.com/Nicolas TUCAT

Des drapeaux de l'Union européenne à Bruxelles, le 11 septembre 2025
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De Donald Trump à Zohran Mamdani : quand les Américains ne croient plus en la démocratie

"Préparez-vous, le dépouillement pourrait prendre des semaines", avaient promis certains commentateurs avisés de la politique américaine. En quelques heures pourtant, le match était plié : Donald Trump remportait l’élection américaine face à la candidate démocrate Kamala Harris et allait réintégrer la Maison-Blanche. C’était il y a un an jour pour jour, le 5 novembre 2024.

Hasard du calendrier, une figure politique aux antipodes du "commandant en chef" républicain a remporté son élection cette année. Il s’agit de Zohran Mamdani, le candidat socialiste investi par les démocrates pour l’élection municipale new-yorkaise, qui est arrivé largement en tête du scrutin mardi soir. Au terme d’une campagne de terrain menée tambour battant et d’une maîtrise aiguisée des réseaux sociaux, l’élu à l’Assemblée de l’Etat de New York devient le 111e maire de New York. A seulement 34 ans, c’est aussi le plus jeune. La presse américaine souligne la bouffée d’air frais insufflée au parti démocrate un an après sa lourde défaite lors des différents scrutins de 2024 et à un an des élections de mi-mandat. Ce serait oublier que démocrates et républicains sont aussi impopulaires les uns que les autres.

Dans une enquête du Pew Research Center publiée fin octobre, une majorité de citoyens américains affirme que les deux partis ont des positions trop extrêmes. Ils sont par ailleurs une minorité - 42 % pour les démocrates et 39 % pour les républicains qui dominent la totalité des institutions du pays depuis un an - à penser que ces deux formations gouvernent de manière éthique et honnête. Un constat alarmant.

La confiance des Américains dans leur parti atteint un niveau extrêmement faible.
La confiance des Américains dans leur parti atteint un niveau extrêmement faible.

Traditionnellement, un tel niveau de désaffection envers la classe politique facilite la montée de leaders populistes. Dans un sens, le retour de Donald Trump en 2024 répond à cette logique. La victoire de Zohran Mamdani aussi : le nouveau maire de New York a largement fait campagne sur la taxation des plus aisés et la promesse de logements plus abordables pour la classe moyenne, ainsi qu’une forme de dégagisme à l’égard de l’ancien gouverneur Andrew Cuomo, empêtré dans des scandales de harcèlement sexuel depuis fin 2020. Pour autant, le crédit politique dont bénéficient ces personnalités "hors système" est limité. Un sondage YouGov pour Yahoo publié cet été montrait que 22 % avaient une bonne image du jeune socialiste ; à l’inverse 31 % en avaient une opinion défavorable.

Donald Trump n’est pas épargné non plus - au contraire. Moins d’un an après sa prise de fonction, il est le chef d’Etat le plus impopulaire de l’histoire récente du pays.

Dans ce contexte, une majorité d’Américains affirme qu’ils aimeraient se détourner des partis traditionnels vers une autre formation. Un sondage réalisé par l’institut Gallup, pionnier de l’enquête d’opinion aux Etats-Unis, révèle que 62 % d’entre eux pensent que l’émergence d’un troisième parti est nécessaire. Moins d’un adulte sur trois estime par ailleurs que les partis actuels sont suffisamment représentatifs du peuple américain. Les choses se compliquent néanmoins quand on s’intéresse à la part des citoyens qui aimeraient voter pour ce troisième parti.

Aux Etats-Unis, l'émergence d'une troisième voie semble impossible.
Aux Etats-Unis, l'émergence d'une troisième voie semble impossible.

Ils ne sont que 15 % - moins d’un adulte sur six - à affirmer qu’il est fortement probable qu’ils soutiennent cette troisième formation. Une très franche majorité d’entre eux pense que ne pas accorder leur vote aux démocrates ou républicains serait un "gâchis" de leur droit de vote, ou pire, qu’il permettrait de faire gagner le candidat qu’ils aiment le moins. Voilà de quoi faire prospérer la polarisation bipartisane pendant de longues années. Charge aux deux partis de recréer de l’espoir avant les élections de mi-mandat, au risque de subir une nouvelle déconvenue.

© N. Kamm et A. Weiss / AFP - M. Penguilly / L'Express

Un an après l'élection de Donald Trump, force est de constater que les Américains n'ont pas confiance en leurs politiques.
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Pourquoi Zohran Mamdani va devenir le "meilleur ennemi" de Donald Trump

Pourquoi Zohran Mamdani ? Et comment un homme encore inconnu l’année dernière, musulman et socialiste de surcroît, a-t-il pu remporter la mairie de la capitale de la finance et de l’immobilier américains, New York City ? Enfin : que signifie pour le Parti démocrate le triomphe électoral de ce trentenaire né en Ouganda qui deviendra, le 1er janvier prochain, le 111e et plus jeune maire de la ville depuis 1913 ?

A toutes ces questions, il existe une réponse simple : comme d’autres métropoles internationales, New York (de 8,5 millions d’habitants) est devenu une cité hors de prix où le coût de la vie atteint des niveaux absurdes, avec des loyers dépassant 4 500 dollars pour un deux-pièces à Manhattan ; des cafés facturés 6 dollars et des places en crèches à 25 000 dollars l’année. "It’s the economy, stupid !" (c’est l’économie, banane !), avait dit un conseiller de Bill Clinton dans les années 1990 pour expliquer qu’aux Etats-Unis, la question du pouvoir d’achat décide du résultat de toutes les élections.

Le candidat indépendant à la mairie de New York Andrew Cuomo en campagne à Manhattan le 3 novembre 2025
Le candidat indépendant à la mairie de New York Andrew Cuomo en campagne à Manhattan le 3 novembre 2025

Mais Zohran Mamdani, 34 ans, a aussi bénéficié d’un alignement des planètes favorable. D’une part, les New-Yorkais sont mécontents de leur maire démocrate sortant, Eric Adams. Ancien "flic" du New York Police Departement (NYPD) élu voilà quatre ans, il est mis en examen pour enrichissement personnel. Raison pour laquelle il a renoncé à se représenter. Restait en lice l’ex-démocrate Andrew Cuomo, vieux crocodile de la vie politique new-yorkaise qui tentait un come-back sous la bannière "indépendante" – il avait dû quitter ses fonctions de gouverneur de l’Etat de New York en 2021, à la suite d’accusations de harcèlement sexuel.

Trop old school, il a mené une campagne ennuyeuse, sans enthousiasme, essentiellement à l’ancienne, c’est-à-dire à la télévision, avec le soutien de la vieille garde démocrate. Pour cette dernière, tout valait mieux que le socialiste Mamdani aux prises de position pro-palestinienne et parfois irréaliste – voire carrément démagogique – comme celle de confier à la municipalité la gestion de magasins d’alimentation "low cost". Au surplus, Cuomo (41 % des suffrages) a souffert de la candidature du fantasque républicain Curtis Sliwa (7 %) dont les voix se seraient reportées sur lui au nom du "Tout sauf Zorhan" s’il s’était retiré de la course, comme l’espéraient certains.

Cinq maires new-yorkais sur six sont démocrates

A l’opposé de Cuomo, Mamdani (50,1 %) a mené sa campagne sur les réseaux sociaux où ses messages simples, concis et enthousiasmants, on fait mouche tout en bénéficiant du "dégagisme" ambiant. Archi majoritairement démocrate, la ville de New York n’est cependant pas représentative du pays. Depuis 1900, la ville a élu six fois plus souvent des maires de ce parti. Les républicains, eux, restent l’exception à l’instar de Rudy Giuliani ou Michael Bloomberg. A New York, la participation électorale est en outre habituellement faible (autour de 25 %) même si cette année, la polarisation autour de la figure du candidat "socialiste" et musulman a permis une surmobilisation qui s’est traduite par une participation de 45 %, avec environ 1 million de suffrages pour Mamdani et 850 000 pour Cuomo.

Même s’il ne faut pas exagérer la portée du succès de Mamdani, la victoire de ce candidat né dans un milieu d’intellectuels de gauche privilégiés (son père est un théoricien postcolonial ; sa mère, une productrice et réalisatrice de cinéma) est puissamment symbolique, avec un impact psychologique indéniable. "Cela va galvaniser l’aile gauche radicale du parti démocrate et la conforter dans l’idée qu’il faut se débarrasser de la vieille génération au sein même de son propre camp", estime l’homme d’affaires et commentateur politique Harley Lippmann, un "indépendant" qui espérait la victoire de Cuomo. "Cela va donner des ailes à Alexandria Ocasio-Cortez : elle va vouloir défier le sénateur Chuck Schumer, lui aussi de New York, qui est actuellement le démocrate le plus puissant du parti." Car ses ambitions sont plus grandes : à la différence de Mamdani, qui est né à l’étranger, elle peut prétendre, un jour, conquérir la Maison-Blanche.

Un policier du NYPD veille devant le commissariat de Times Square à New York, le 5 octobre 2021
Un policier du NYPD veille devant le commissariat de Times Square à New York, le 5 octobre 2021

Mais la médaille a son revers. "Si la fraction la plus radicale du Parti démocrate va trop loin, cela poussera les plus modérés et centristes à s’abstenir, voire à voter républicain, comme cela s’est produit à la dernière présidentielle lorsque de nombreux électeurs ont renoncé à donner leur voix à Kamala Harris", poursuit-il. Au reste, la génération Z du camp démocrate n’a pas encore gagné la partie : en Virginie et dans le New Jersey, ce sont deux démocrates centristes qui ont été élus gouverneurs en même temps que Zohran Mamdani devenait maire de New York.

"On pourrait assister à un exode des New-Yorkais"

Démocrate affilié aux Socialistes démocrates d’Amérique (DSA), ce dernier pourrait d’ailleurs devenir le "meilleur ennemi" de Donald Trump, qui a tout intérêt à en faire un épouvantail. Pendant la campagne, les républicains ont rappelé, dans le contexte de la mort de l’Afro-américain George Floyd (étouffé au sol par un policier de Minneapolis en 2020), Mamdani soutenait le mouvement Defund the police ("Supprimer le financement de la police"). Trump et son entourage mettent l’accent sur son incapacité à condamner le slogan "Globalisons l’intifada." Et ils observent que Mamdani reste évasif sur le désarmement du Hamas. "Lors du dernier débat électoral, fin octobre, il a préféré charger Israël, qu’il accuse de génocide : "Le problème, ce sont les racines : le blocus, l’occupation, l’apartheid."

Durant la campagne, Zohran Mamdani a placé la barre des espérances très haut : augmentation du pouvoir d’achat, gel des loyers, transports gratuits, magasins d’alimentation subventionnés, etc. Mais après sa prise de fonctions en janvier 2026, il sera confronté au réel. "Si sa politique consiste à augmenter les impôts, bloquer les loyers et définancer la police de New York, alors attention au retour de bâton", prévient Lippmann. "On pourrait assister, comme au moment du Covid, à un nouvel exode des New-Yorkais vers la Floride, où les impôts sont plus faibles. Non seulement les plus riches pourraient quitter la ville mais, de plus, les entrepreneurs pourraient emporter leurs entreprises sous leurs bras, ce qui se traduirait par des emplois perdus. Je me demande avec quel argent Mamdani mettra alors en œuvre son programme socialiste", ajoute le commentateur.

"Accessoirement, poursuit-il, les juifs de New York – première ville juive au monde devant Tel-Aviv – ne sont guère rassurés par ses prises de position sur la police, surtout dans le contexte d’un antisémitisme en augmentation depuis le pogrom du 7-Octobre et la guerre à Gaza. Plus d’une fois, Mamdani a expliqué à son électorat de la génération Z que la criminalité pouvait se résoudre grâce à l’augmentation des travailleurs sociaux. C’est sympathique mais pas du tout réaliste…", soupire notre interlocuteur.

Seule certitude : l’expérience Mamdani – celle d’un trentenaire musulman anticapitaliste élu dans la capitale de la finance – sera scrutée à la loupe. S’il échoue (comme ses deux prédécesseurs Bill de Blasio et Eric Adams), ce sera pain bénit pour Donald Trump et les républicains qui pourront faire d’une pierre deux coups : à travers le maire de New York, ils pourront atteindre l’étoile montante démocrate Alexandria Ocasio-Cortez qui est son proche allié. Le jeu est toutefois risqué. Si le président américain met des bâtons dans les roues de New York City, par exemple en supprimant des financements fédéraux et en envoyant l’armée dans les rues de la ville, alors le nouvel élu pourrait se présenter en victime. Et surfer sur la dynamique gagnante qu’à la surprise générale, il a créée en quelques mois.

© afp.com/Angelina Katsanis

Zohran Mamdani, candidat à la mairie de New York, lors d'une soirée électorale dans le quartier de Brooklyn, le 4 novembre 2025 à New York
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Nucléaire : le chef d’état-major des Armées s’inquiète d’une "atmosphère préoccupante"

Tests de nouvelles armes par la Russie, annonce de potentielles reprises des essais nucléaires par Donald Trump : le plus haut gradé français, le général Fabien Mandon, a jugé mercredi 5 novembre "l’atmosphère sur le nucléaire préoccupante", pointant "un niveau de discours et d’agressivité […] assez exceptionnel".

Devant les sénateurs de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, le chef d’état-major des Armées a évoqué les tirs d’essai fin octobre par la Russie de la torpille Poséidon, "qui serait capable d’emporter une charge nucléaire" et du missile de croisière à propulsion nucléaire Bourevestnik.

"C’est un missile qui a volé plus d’une dizaine d’heures de manière continue […] ça permet d’atteindre des distances extraordinaires. Et c’est quelque chose qui met en œuvre des technologies, notamment nucléaires […] des raisons de préoccuper la planète, puisqu’un cœur nucléaire qui vole dans une arme c’est absolument pas anodin", a estimé le général Mandon. "D’ailleurs, le président américain l’a bien noté puisque dans la foulée, il a annoncé la reprise, en tout cas, il a eu une expression qui laissait entendre que les Etats-Unis pourraient reprendre des essais nucléaires", a-t-il affirmé.

"Donc, il y a quand même une atmosphère sur le nucléaire qui est préoccupante", selon lui, "on est dans un niveau de discours et d’agressivité dans les actes et les paroles qui est assez exceptionnel".

Un choc avec la Russie "d’ici trois ou quatre ans"

L’Iran a de son côté annoncé la reconstruction de ses installations nucléaires, détruites par les frappes israéliennes et américaines en juin, a-t-il également rappelé.

Devant les sénateurs, le plus haut gradé français a par ailleurs réaffirmé la nécessité pour l’armée française de se "préparer à un choc d’ici trois ou quatre ans" face à la Russie. Face à l’absence de "signe de la part de Moscou de volonté de négocier ou de s’arrêter", "le devoir pour un responsable militaire qui doit anticiper les choses, (est) de dire le scénario d’un nouvel épisode d’attaque russe sur notre continent ne peut pas être écarté et il faut s’y préparer", a expliqué le général Mandon.

© AFP

Le chef d'état-major des armées françaises, Fabien Mandon, à son arrivée pour assister au sommet de la Coalition des volontaires, à l'Élysée, à Paris, le 4 septembre 2025.
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New York, Californie… Avec leurs victoires, les démocrates donnent enfin une "preuve de vie"

"Une ascension spectaculaire", titre le Los Angeles Times. Mardi 4 novembre, Zohran Mamdani a été élu maire de New York. A 34 ans, le démocrate a devancé l’ancien gouverneur Andrew Cuomo et le républicain Curtis Sliwa, s’imposant grâce à une campagne centrée sur l’accessibilité financière et les services publics. Le Los Angeles Times le souligne : le socialiste laissera son empreinte dans l’histoire "comme le premier maire musulman de la ville, le premier d’origine sud asiatique et le premier né en Afrique", mais aussi "le plus jeune maire de la ville depuis plus d’un siècle".

Dès janvier prochain, le futur maire de New York sera confronté à un défi de taille : concrétiser ses promesses ambitieuses, jugées parfois irréalistes par ses détracteurs. Parmi celles-ci, la gratuité des transports en commun, celle de la garde d’enfants, ou encore la création de magasins alimentaires gérés par la ville.

La victoire de Zohran Mamdani s’inscrit dans une série de succès démocrates. Dans la soirée, d’autres candidats de son bord politique ont remporté des postes clés sur la côte Est et au-delà. Les électeurs ont ainsi porté Abigail Spanberger à la gouvernance de Virginie et Mikie Sherrill à celle du New Jersey. En Californie, un référendum approuvé redessine les circonscriptions électorales, ce qui pourrait "coûter leurs sièges à cinq républicains " et améliorer les chances démocrates lors des élections de mi-mandat de 2026, note USA Today.

"Le Parti démocrate n’est pas vaincu"

Le quotidien national qualifie ainsi la soirée de "preuve de vie" donnée par le parti, soulignant que "même sans base de pouvoir national, sans candidat en tête pour la prochaine présidentielle, sans stratégie cohérente contre Trump et avec des classements historiquement bas auprès des électeurs, le Parti démocrate n’est pas vaincu".

Le Wall Street Journal voit dans ces résultats un avertissement pour les républicains : "Les démocrates inversent la donne sur la question du pouvoir d’achat, surtout lorsqu’ils évitent les pièges culturels de l’aile gauche." Les candidats démocrates ont en effet centré leurs campagnes sur des préoccupations concrètes et quotidiennes : l’augmentation des coûts du logement, des soins de santé et de l’énergie, ainsi que l’accès aux services publics essentiels. Comme le souligne USA Today, c’est cette stratégie qui a permis à des candidats comme Abigail Spanberger et Mikie Sherrill de s’imposer dans leurs Etats respectifs.

Pas de garantie pour 2026

Les analystes du Wall Street Journal expliquent également ces victoires par la désaffection croissante envers l’actuel président : sa cote de popularité, à 44 % dans le New Jersey et 42 % en Virginie selon les sondages à la sortie des urnes, illustre le coût de ses positions politiques controversées, dont la récente fermeture partielle du gouvernement. CNN résume la situation : ces élections étaient "une première opportunité pour les électeurs de se prononcer sur Trump depuis l’élection présidentielle".

L’issue reste toutefois incertaine pour les élections de mi-mandat de 2026. Comme le note le Wall Street Journal, "les élections de Virginie et du New Jersey ont toujours été des courses difficiles (à remporter, NDLR) pour le parti au pouvoir à la Maison-Blanche". Une question posée par USA Today reste donc sur toutes les lèvres : "Les démocrates pourront-ils le refaire l’année prochaine ?". Pour le New York Times, il ne reste plus qu’à patienter pour connaître la réponse : "La question de savoir si les dirigeants démocrates sont prêts à faire de la place à un large éventail d’idéologies au sein du parti […] est une question ouverte sur laquelle les mi-mandats de 2026 feront la lumière."

© afp.com/Leonardo Munoz

Zohran Mamdani, vainqueur de la course à la mairie de New York, vote dans le quartier du Queens, le 4 novembre 2025 à New York.
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Le Liban, éternel décor de science-fiction catastrophe, par Christophe Donner

Je n’y étais pas retourné depuis la guerre. Mais laquelle ? Pas la dernière, peut-être celle d’avant. J’ai essuyé toutes les après-guerres depuis la première fois, au début des années 1990, quand le centre-ville était encore en ruine, magnifiquement envahi par la végétation, décor de science-fiction catastrophe. A l’époque, tout le monde parlait français. Surtout les enfants des écoles où on me trimbalait pour leur parler de mes livres qu’ils avaient lus. Les Syriens étaient partout, check-point par-ci, check-point par là. Et ils étaient encore là quand j’y suis retourné, dix ans plus tard, avec Dora. Elle les détestait, comme il se doit d’un envahisseur qui prétend maintenir l’ordre. N’empêche que la vie me semblait douce, à part ça. Une vie d’après-guerre. Douce aux pacifistes. Comme si la paix, chaque jour, triomphait du folklore de la dictature. Illusion de visiteur, bien sûr. Mais il n’y avait presque plus de morts, ça compte.

J’ai bien aimé détester les Syriens au Liban. La vie sous l’occupation allemande, à Paris, devait avoir un peu ce charme coupable. Et la foi prémonitoire, présentimentale, qu’ils allaient partir, qu’ils n’avaient rien à faire là, et qu’on serait libre, enfin. Vieille histoire de la liberté jamais aussi bien comprise qu’en prison. J’ai bien aimé comment Abla, ma belle-mère, détestait Rafic Hariri, le Premier ministre vendu aux occupants syriens, et j’aimais bien le détester aussi, tout en ayant vaguement le pressentiment que c’était l’bon temps qu’il offrait au Liban. Celui du fric, de la débauche, des fêtes à l’ambassade de France. Assassiné, ils l’ont tous aimé. Moi aussi. Et pour la liberté que son assassinat a rendue possible, inévitable. Liberté de peurs, d’illusions funestes, nouvelles guerres, ahurissantes faillites, explosion apocalyptique du port.

Pays de malheurs

Donc j’y retourne. A l’arrivée à l’aéroport Rafic Hariri, une grande fresque propagandiste gouvernementale : Make Lebanon great again. Nausée trumpiste. Sinon, sur la route, admiration intacte pour les automobilistes libanais, ils sont tous excellents peut-être parce que les mauvais sont morts sur la route ; sélection naturelle, en quelque sorte. Je m’émerveillais jadis de l’absence de feux rouges. Puis ils en ont mis en place à une dizaine de carrefours, c’est là où il y a le plus d’accidents. Heureusement, il n’y en a plus que trois qui fonctionnent, les autres sont bloqués à l’orange clignotant.

A l’entrée d’Achrafieh, la montagne chrétienne de Beyrouth, on est accueilli par l’inévitable portrait géant, sur trois étages, de Béchir Gemayel, le jeune fondateur des Forces libanaises, assassiné en 1982, trois semaines après avoir été élu président de la République, à 34 ans. Sabyl me rappelle que son portrait a été récemment changé, il était en civil, en président, il est à présent en treillis, une kalachnikov entre les mains. Ça promet. Pour en finir avec la circulation, les drapeaux confessionnels qui fleurissaient partout dans la ville, délimitant les zones maronites, druzes, chiites, etc., ont disparu, interdits par le nouveau général au pouvoir. Mais cela crée un problème, m’explique Sabyl, comme un manque de repères politico-géographiques, dans une ville où les panneaux indicateurs sont rares. Ça le fait marrer. Il aime son pays de malheurs. Mais Paris, mais… Il y a beaucoup de restaurants libanais, à Paris, on y mange la même chose qu’à Beyrouth, taboulé, houmous, baba ganoush, mais ça n’a pas le même goût. Jamais. Ils ne peuvent pas lutter avec le persil cueilli dans le jardin de Naïla, à Deir-el-Qamar, dans le Chouf.

La tante de Sabyl me raconte : "Les drones israéliens survolent des jours entiers avec leur vrombissement à rendre dingue. Pourquoi ? Il n’y a pas de terroristes, ici !" C’est justement pour ça qu’ils le font : pour susciter des vocations. De quoi serait fait leur avenir, sinon ? Au restaurant, le soir, à chaque coupure de courant, toute la salle plongée dans le noir chante Happy Birthday. On rigole. La lumière revient.

© afp.com/ANWAR AMRO

Une photo montre une vue du port de Beyrouth, site d'une énorme explosion qui a dévasté la capitale libanaise trois ans plus tôt, le 22 juillet 2023
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Donald Trump change encore d'avis et choisit un proche d'Elon Musk pour diriger la Nasa

Un coup non, un coup oui, le président américain a encore changé d’avis. Après plusieurs revirements, Donald Trump a annoncé mardi 4 novembre renommer le milliardaire Jared Isaacman, un proche d’Elon Musk, pour prendre la tête de la puissante agence spatiale américaine (Nasa), après l’avoir pourtant écarté en mai.

"La passion de Jared pour l’espace, son expérience d’astronaute et son dévouement à repousser les limites de l’exploration, à percer les mystères de l’univers et à faire progresser la nouvelle économie spatiale font de lui la personne idéale pour mener la Nasa vers une nouvelle ère pleine d’audace", a justifié le républicain sur son réseau Truth Social.

Fin mai, il avait retiré in extremis sa nomination pour prendre la tête de la Nasa, justifiant son revirement par un "examen approfondi" des "associations antérieures" de l’homme d’affaires, qui avait par le passé fait des dons à des élus démocrates.

Un apaisement relatif entre Donald Trump et Elon Musk

Cette marche arrière était survenue au moment même où les relations entre Donald Trump et le multimilliardaire Elon Musk se dégradaient, les tensions entre les deux hommes ayant fini par exploser spectaculairement début juin. Depuis, un apaisement relatif a semblé s’opérer entre les deux hommes, qui ont notamment été vus côte à côte lors d’un hommage en septembre à l’influenceur conservateur Charlie Kirk.

Donald Trump avait nommé une première fois Jared Isaacman en décembre dernier, un choix qui avait suscité des inquiétudes sur d’éventuels conflits d’intérêts. L’homme d’affaires de 42 ans est réputé très proche du patron de SpaceX Elon Musk, avec lequel il a des liens financiers étroits, mais est soutenu par de nombreux acteurs du secteur spatial qui le jugent compétent et passionné.

"Merci, Monsieur le Président", a réagi mardi Jared Isaacman sur la plateforme X d’Elon Musk en remerciant la "communauté des amoureux de l’espace". Elon Musk a quant à lui réagi en partageant sur son réseau trois émoticônes : un cœur, une fusée et le drapeau américain. La nomination de Jared Isaacman à la tête de la Nasa doit à présent être confirmée par le Sénat américain.

Le ministre des Transports opposé à cette nomination

Jared Isaacman a fait fortune dans les paiements en ligne à la tête de son entreprise Shift4 Payment et est par ailleurs le premier astronaute privé à avoir effectué une sortie extra-véhiculaire dans l’espace, lors d’une mission privée menée par… SpaceX.

Sa nouvelle nomination survient après de vives tensions entre Elon Musk et le ministre des Transports de Trump Sean Duffy chargé de la gestion par intérim de la Nasa. Le multimilliardaire s’en est récemment pris frontalement à Sean Duffy après que ce dernier a évoqué la possibilité de se passer de son entreprise pour retourner sur la Lune, en raison de retards pris par SpaceX. Des propos qui avaient irrité au plus haut point le multimilliardaire. Selon des informations de presse, Sean Duffy s’opposait à ce que Jared Isaacman soit nommé une deuxième fois et souhaitait garder la gestion de la Nasa.

© Patrick T. FALLON / AFP

Jared Isaacman, fondateur et directeur général de Shift4 Payments, devant le premier étage récupéré d'une fusée Falcon 9 chez SpaceX, le 2 février 2021 à Hawthorne, en Californie
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Droits de douane : le nouveau geste d’apaisement de la Chine envers les Etats-Unis

La Chine a annoncé mercredi 5 novembre prolonger d’un an la suspension d’une partie des droits de douane imposés aux produits américains en pleine guerre commerciale, pour les maintenir à 10 % dans un nouveau signe d’apaisement entre les deux premières puissances économiques mondiales.

La Chine va aussi "cesser d’appliquer des droits de douane supplémentaires" imposés depuis mars sur le soja et un certain nombre d’autres produits agricoles américains, des mesures qui touchaient durement des milieux favorables au président Donald Trump.

Les droits de douane de 24 % suspendus, ceux de 10 % conservés

La Chine concrétise là des engagements pris par les présidents chinois et américain Xi Jinping et Donald Trump le 30 octobre en Corée du Sud au cours d’un sommet destiné à dissiper des mois de tensions qui ont crispé l’économie mondiale. Elle le fait le lendemain de la signature par Donald Trump d’un décret abaissant de 20 à 10 % une surtaxe douanière infligée à de nombreux produits chinois pour sanctionner ce que les Etats-Unis fustigent comme l’inaction de la Chine contre le trafic de fentanyl.

Cette révision prend effet le 10 novembre, comme les mesures annoncées mercredi par la Chine qui avait clairement indiqué après le sommet du 30 octobre qu’elle agirait en fonction de ce que feraient les Etats-Unis. "Les droits de douane de 24 % sur les biens américains restent suspendus, et des droits de douane de 10 % sur les marchandises américaines restent en vigueur", indique un communiqué publié sur le site du ministère des Finances.

La Chine avait annoncé en avril des droits de douane supplémentaires de 34 % sur les produits américains en représailles à de nouveaux droits de douane américains sur les exportations chinoises. Elle les avait abaissés à 10 % en mai. La Chine avait aussi décidé en mars d’appliquer des droits de douane de 10 % à des produits américains comme le soja, le porc ou le bœuf, et des droits supplémentaires de 15 % sur le poulet, le blé, le maïs ou le coton.

Elle réagissait là à des droits de douane décrétés quelques jours auparavant par Donald Trump à cause du fentanyl. La Chine est la principale source des précurseurs chimiques utilisés pour produire cet opioïde extrêmement puissant à l’origine d’une grave situation sanitaire aux Etats-Unis.

Une entente fragile

Les autorités chinoises ont aussi annoncé mercredi maintenir la suspension de mesures de contrôle des exportations visant des entités américaines, dispositions également instituées en pleine surenchère commerciale.  Elles ont aussi fait savoir qu'elles prolongeaient la suspension de restrictions touchant des dizaines d'entreprises américaines de la défense et de l'aérospatiale. Ces restrictions visaient à bloquer l'accès à des produits à double usage potentiel, civil ou militaire.

Donald Trump a soufflé sur les braises de la confrontation commerciale déjà engagée sous son premier mandat depuis son retour à la Maison-Blanche en janvier, invoquant le déséquilibre des échanges commerciaux, le vol de la propriété intellectuelle ou encore les risques pour la sécurité nationale. Les droits de douane américains sur les produits chinois ont atteint un taux moyen allant jusqu’à 164 % mi-avril, selon un rapport du Congrès.

La Chine a répliqué du tac au tac avec ses propres droits, mais aussi par des restrictions sur les terres rares. La Chine est le premier producteur mondial de terres rares, essentielles pour le numérique, l’automobile, l’énergie ou encore l’armement, et dispose là d’un levier primordial.

Les mesures annoncées mercredi à Pékin font suite "au consensus atteint au cours des consultations économiques et commerciales entre la Chine et les Etats-Unis", a dit le ministère chinois des Finances. Ces consultations ont ouvert la voie au sommet du 30 novembre qui a donné le signal d’une détente au moins temporaire.

La Chine a annoncé le même jour suspendre pour un an des restrictions renforcées instaurées peu auparavant sur les terres rares. Ces restrictions avaient provoqué la colère de Donald Trump mais aussi l’émoi de l’Union européenne ou encore du Japon, et aggravé la pression sur les chaînes d’approvisionnement. Les économistes mettent toutefois en garde contre la fragilité de la trêve commerciale scellée le 30 octobre.

© afp.com/ANDREW CABALLERO-REYNOLDS

Le président américain Donald Trump et son homologue chinois Xi Jinping se serrent la main avant des discussions à la base aérienne de Gimhae, en Corée du Sud, le 30 octobre 2025.
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De New York à la Californie, Donald Trump essuie une série de revers un an après son élection

Une défaite de plus pour Donald Trump. Le socialiste Zohran Mamdani a remporté mardi 4 novembre la mairie de New York au terme d’une soirée d’élections locales dans lesquelles le président américain a essuyé plusieurs revers, un message de défiance à un an des élections de mi-mandat. "En cette période d’obscurité politique, New York sera la lumière", a lancé le vainqueur de 34 ans à ses partisans réunis dans une salle du centre de Brooklyn, ajoutant que la ville pouvait "montrer à une nation trahie par Donald Trump comment le vaincre".

Victoire des démocrates au New Jersey et en Virginie

Et New York ne semble pas être la seule ville à vouloir porter ce message. Voisin de New York, l’Etat du New Jersey a choisi la démocrate Mikie Sherrill contre l’homme d’affaires républicain Jack Ciattarelli. Cette ancienne pilote d’hélicoptère dans la marine américaine, âgée de 53 ans, est également classée parmi les modérés du Parti démocrate. Elle avait fait campagne sur le coût de la vie, et notamment la hausse des prix de l’électricité, tout en brocardant le soutien apporté par le président républicain à son adversaire, Jack Ciattarelli.

L’Etat a longtemps été considéré comme un bastion démocrate puisqu’il a été dirigé depuis huit ans par un démocrate, le gouverneur Phil Murphy, et n’a jamais été remporté par Donald Trump lors d’une élection présidentielle. Mais le milliardaire républicain y avait considérablement réduit l’écart en 2024, notamment auprès des électeurs hispaniques.

Plus au sud sur la côte est, la Virginie a élu la première femme à sa tête, la démocrate Abigail Spanberger, battant la républicaine Winsome Earle-Sears. Abigail Spanberger partait largement favorite des sondages pour devenir gouverneure de cet Etat dirigé par le républicain Glenn Youngkin ces quatre dernières années mais jamais remporté par Donald Trump lors d’une présidentielle. "La Virginie souffre à cause des politiques de Trump que Sears soutient", accusait ainsi ces derniers jours l’une des dernières publicités lancées par la campagne d’Abigail Spanberger.

"Le Parti démocrate est de retour"

Les Californiens ont eux aussi joué gros hier en approuvant un texte visant à redécouper leur carte électorale en faveur des démocrates. Le président américain veut conserver et consolider la courte majorité républicaine dont il dispose à la Chambre des représentants lors des élections législatives cruciales de mi-mandat, dans un an. Donald Trump a pour cela obtenu en août que le Texas, un Etat très républicain, redessine ses circonscriptions afin d’envoyer l’an prochain cinq élus républicains en plus au Congrès.

En réponse, le gouverneur de Californie Gavin Newsom et ses alliés ont soumis à référendum un texte destiné à donner cinq sièges supplémentaires aux démocrates dans cet Etat largement démocrate. En l’approuvant, les Californiens "ont envoyé un message fort" au "président le moins populaire de l’histoire", s’est félicité le gouverneur, qui s’affirme comme une figure nationale de l’opposition démocrate.

L’enjeu est de taille à l’échelle nationale, les majorités parlementaires se jouant à quelques sièges près. "Les démocrates fument Donald Trump et les républicains extrémistes à travers le pays", s’est de fait réjoui sur X le ténor démocrate Hakeem Jeffries. "Le Parti démocrate est de retour", a ajouté le chef de la minorité à la Chambre des représentants.

Mais pour Donald Trump, ces différentes défaites, un an presque jour pour jour après sa victoire à la présidentielle, ont deux explications : l’absence de son nom sur les bulletins de vote, et l’interminable blocage budgétaire aux Etats-Unis. "Trump n’était pas sur les bulletins de vote, et la paralysie budgétaire, (sont) les deux raisons pour lesquelles les républicains ont perdu les élections ce soir, selon les sondeurs", a écrit le président américain sur son réseau Truth Social. Ce mercredi 5 novembre, les Etats-Unis sont entrés mercredi dans leur 36e jour de paralysie budgétaire, battant ainsi le record du plus long "shutdown" de l’histoire du pays, établi en 2019 lors du premier mandat de Donald Trump.

© afp.com/Jim WATSON

Le président américain Donald Trump écoute des membres des forces de l'ordre lors d'une table ronde à la Maison Blanche, à Washington, le 23 octobre 2025.
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Shutdown : les Etats-Unis face à la plus longue paralysie budgétaire de leur histoire

Les Etats-Unis sont entrés mercredi 5 novembre dans leur 36e jour de paralysie budgétaire, battant ainsi le record du plus long "shutdown" de l’histoire du pays, au moment où les conséquences néfastes pour des millions d’Américains s’étendent de jour en jour.

Depuis le 1er octobre, républicains et démocrates sont incapables de s’entendre pour adopter un nouveau budget et à minuit heure de Washington dans la nuit de mardi à mercredi, le "shutdown" a dépassé la précédente marque de 35 jours, établie en 2019 lors du premier mandat de Donald Trump. "Je vais être honnête avec vous, je pense qu’aucun d’entre nous ne s’attendait à ce que cela traîne autant en longueur", avait confessé plus tôt mardi le président républicain de la Chambre des représentants, Mike Johnson.

Coïncidence du calendrier, ce record est survenu peu après l’annonce des résultats de plusieurs élections clés, où les démocrates ont signé de larges victoires. La Virginie, avec Abigail Spanberger, et le New Jersey, avec Mikie Sherrill, ont notamment élu des candidates démocrates comme nouvelles gouverneures tandis que New York a choisi le progressiste Zohran Mamdani pour maire. Les Californiens ont eux approuvé un texte visant à redécouper leur carte électorale, en réponse à un mouvement similaire des républicains au Texas.

Autant de scrutins servant de baromètre pour les neuf premiers mois du second mandat de Donald Trump, qui a pointé du doigt la paralysie budgétaire pour expliquer les revers électoraux de son parti. "Trump n’était pas sur les bulletins de vote, et la paralysie budgétaire, (sont) les deux raisons pour lesquelles les républicains ont perdu les élections ce soir, selon les sondeurs", a souligné le président républicain sur sa plateforme Truth Social.

Chômage technique ou travail sans salaire

L’opposition espère désormais pouvoir se servir de ces résultats électoraux comme levier pour faire bouger les lignes de la paralysie budgétaire. Car les effets du blocage se font de plus en plus sentir pour les Américains. Des centaines de milliers de fonctionnaires fédéraux ont été mis au chômage technique, avec un salaire différé, et des centaines de milliers d’autres sont forcés de continuer à travailler, sans paie non plus jusqu’à la fin de la crise. Les aides sociales sont également fortement perturbées.

Donald Trump a juré mardi que puisque le principal programme d’aide alimentaire était à court de fonds, le versement de cette assistance dont bénéficient 42 millions d’Américains serait gelé tant que les "démocrates de la gauche radicale" n’auront pas voté la fin du "shutdown".

La justice fédérale a pourtant ordonné à l’administration de maintenir cette aide et la porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, a assuré mardi que le gouvernement se conformerait aux décisions judiciaires. "Les bénéficiaires de l’aide SNAP doivent comprendre qu’il faudra du temps pour recevoir cet argent, parce que les démocrates ont mis l’administration dans une position intenable", a-t-elle ajouté devant la presse.

Positions inamovibles

Dans les aéroports, l’enlisement se fait aussi sentir avec des pénuries de contrôleurs aériens entraînant retards et annulations de vols. Et si la paralysie budgétaire se prolonge au-delà de cette semaine, l’espace aérien américain pourrait être partiellement fermé, a mis en garde mardi le ministre des Transports, Sean Duffy. "Vous verrez un chaos généralisé", a-t-il déclaré, mettant la pression sur l’opposition pour lever le blocage.

Au Congrès, les positions des deux camps ne bougent pas : les républicains proposent une prolongation du budget actuel, avec les mêmes niveaux de dépenses, et les démocrates réclament une prolongation de subventions pour des programmes d’assurance santé à destination de ménages à bas revenus. En raison des règles en vigueur au Sénat, plusieurs voix démocrates sont nécessaires pour adopter un budget même si les républicains y sont majoritaires. Mais Donald Trump rejette toute négociation avec l’opposition sur la santé sans "réouverture" de l’Etat fédéral comme préalable.

Mardi à la mi-journée, le Sénat a rejeté pour la 14e fois la proposition des républicains. Comme depuis le premier vote, seuls trois sénateurs de l’opposition ont voté en faveur.

© afp.com/Alex WROBLEWSKI

Le dôme du Capitole de Washington, siège du Congrès américain, le 3 cotobre 2025
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Pourquoi la dépendance de l’Europe à la Chine n’a jamais paru aussi dangereuse

"12 sur une échelle de 0 à 10". C’est la note dithyrambique attribuée par Donald Trump à sa négociation avec son homologue chinois Xi Jinping, le 30 octobre, en Corée du Sud, qui a permis une trêve commerciale entre les deux superpuissances. Peut-être aurait-il dû utiliser un boulier chinois pour aboutir à un calcul plus juste. Car non seulement l’apaisement pourrait être de courte durée, tant la rivalité sino-américaine est intense, mais Trump a fait nombre de concessions, sans obtenir d’avancée majeure.

Principal soulagement, Pékin a suspendu pour un an ses restrictions sur les exportations de terres rares, dont elle a le quasi-monopole et qui sont cruciales pour le secteur de la high-tech américaine. Dans la foulée, les Européens, eux aussi visés par cette mesure qui aurait paralysé leurs fabricants de moteurs électriques, d’éoliennes ou de missiles, ont également été épargnés. Alors que les 27 craignent d’être les victimes collatérales de la course entre Washington et Pékin pour le leadership mondial, jamais la dépendance à la Chine n’a paru aussi dangereuse.

Xi Jinping n’a cessé de consolider son pouvoir

Car l’empire du Milieu ne craint plus désormais de montrer sa force. "La montée en puissance de la Chine dans tous les domaines (économique, technologique, militaire et diplomatique) n’a fait qu’affermir sa confiance en elle", souligne Alice Ekman, directrice de la recherche de l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne.

D’autant que Xi Jinping n’a cessé en parallèle de consolider son pouvoir – il est sorti encore renforcé d’un récent plénum du Parti communiste qui a fixé comme priorité "des améliorations substantielles en matière d’autonomie scientifique et technologique" sur la période 2026-2030. De fait, contrairement aux autres pays harcelés par des hausses de taxes douanières américaines depuis avril, la Chine ne s’est pas couchée. Mieux, en rendant coup pour coup, elle a prouvé qu’elle boxait dans la même catégorie et pouvait faire reculer le leader mondial en ciblant ses faiblesses.

L’ambition de plus en plus affirmée de la Chine, qui veut remodeler l’ordre international selon ses intérêts, a des répercussions sur l’Europe. Sa percée tous azimuts (automobile, produits pharmaceutiques, électronique, équipements domestiques, métallurgie…) s’incarne à présent dans des marques connues, comme le prouvent l’installation controversée de la marque de fast fashion Shein dans le bâtiment amiral du BHV, à Paris, l’engouement pour les figurines en peluche Labubu ou la popularité du réseau social TikTok.

L’UE tente de se protéger

Redoutant de voir la Chine écouler ses surcapacités de production sur le Vieux Continent, l’Europe, dont le déficit commercial avec le géant asiatique se creuse, tente de se protéger en imposant des normes strictes ou en taxant certaines marques de voitures électriques chinoises, au grand dam de Pékin.

Ces tensions commerciales s’ajoutent à de graves divergences géopolitiques : le soutien diplomatique et économique de la Chine à la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine a particulièrement refroidi les Européens. Ce qui n’empêche pas Pékin de chercher à éloigner l’UE des Etats-Unis, en arguant que l’Amérique n’est plus un partenaire fiable. "La Chine souhaite voir l’Europe adopter une approche plus pragmatique à son égard, compatible avec le nouvel équilibre des pouvoirs", résume Yun Sun, du Stimson Center, à Washington.

Pour l’heure, l’UE, trop divisée et en retard en matière d’innovation, se trouve en position de faiblesse, face à des "hommes forts" américain et chinois bien déterminés à "rendre leur grandeur" à leur pays. Il serait temps qu’elle se prépare elle aussi à un véritable rapport de force.

© afp.com/Handout

Photo fournie par le service de presse de la présidence kazakhe de Xi Jinping à Astana, la capitale kazakhe, le 17 juin 2025
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Au Salvador, Nayib Bukele sur la même ligne que Donald Trump

Nous sommes le 26 septembre 2019, à l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Nayib Bukele, récemment élu président du Salvador, monte à la tribune et commence son discours.

Pour l’instant, rien d’anormal. Jusqu’à ce que le président glisse la main dans sa poche et en sorte son smartphone.

Les yeux rivés sur l’écran de son portable, Nayib Bukele laisse s’écouler quelques secondes de silence. Il tend ses bras, montre son plus beau sourire et immortalise le moment. Le président salvadorien vient de se prendre en photo à la tribune de l'ONU, sous les yeux médusés des diplomates. Sur le selfie, sa tête apparaît en contre-plongée avec au-dessus le logo des Nations unies : la carte du monde entourée de branches d’olivier.

Depuis le début de cette série, on imagine une application de rencontre fictive, qui mettrait en relation Donald Trump avec les dirigeants d’Amérique latine. On s’est dit que Nayib Bukele aurait forcément mis sur son profil ce selfie pris en plein discours à l'ONU. Et le goût pour la provocation, ce n’est pas le seul point commun entre les deux chefs d’Etat.

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Cet épisode a été écrit et présenté par Solène Alifat et réalisé par Jules Krot avec Sébastien Salis.

Crédits : CNews, Euronews, TV5Monde

Musique et habillage : Emmanuel Herschon/Studio Torrent

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Le "soft power" américain anéanti par la frénésie de Donald Trump

© afp.com/Brendan Smialowski

Le président américain Donald Trump serre la main du président du Salvador, Nayib Bukele, lors d'une réunion dans le bureau Ovale de la Maison-Blanche à Washington le 14 avril 2025
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Etats-Unis : le socialiste Zohran Mamdani élu maire de New York

Les sondages ne s’étaient pas trompés. Le socialiste Zohran Mamdani, 34 ans, a remporté mardi 4 novembre la mairie de New York, devançant l’ancien gouverneur de l’Etat, le centriste Andrew Cuomo, et le républicain Curtis Sliwa, selon les projections de plusieurs médias américains. Zohran Mamdani deviendra le 1er janvier le premier maire musulman de la plus grande ville des Etats-Unis. "En cette période d’obscurité politique, New York sera la lumière", a-t-il déclaré après sa victoire, affirmant que cette dernière était celle de "l’espoir sur la tyrannie" et pouvait "montrer à une nation trahie par Donald Trump comment le vaincre".

Le président américain, qui a fait de Zohran Mamdani l’une de ses nouvelles bêtes noires, a rapidement réagi. "Trump n’était pas sur les bulletins de vote, et la paralysie budgétaire, (sont) les deux raisons pour lesquelles les républicains ont perdu les élections ce soir, selon les sondeurs", a écrit Donald Trump sur son réseau Truth Social.

Il avait plus tôt appelé les électeurs juifs à faire barrage au jeune candidat. "Toute personne juive qui vote pour Zohran Mamdani […] est une personne stupide !!!", avait écrit le milliardaire républicain, accusant ce dernier, militant de la cause palestinienne, de les "haïr". Tout au long de la campagne, l’élu du Queens à l’Assemblée de l’Etat de New York a été attaqué pour son opposition très vive à la politique israélienne. Il est toutefois resté ferme sur ses positions, multipliant dans le même temps les manifestations de soutien à la communauté juive.

"Changer la ville"

Vainqueur surprise de la primaire démocrate en juin, Zohran Mamdani n’a jamais, depuis, quitté la tête des sondages, même après le retrait de la course du maire sortant Eric Adams, qui a également appelé à le battre en ralliant Andrew Cuomo.

Né en Ouganda dans une famille d’intellectuels d’origine indienne, arrivé aux Etats-Unis à 7 ans et naturalisé en 2018, il a fait de la lutte contre la vie chère le cœur de sa campagne. Si Donald Trump l’a qualifié de "communiste", ses propositions - encadrement des loyers, bus et crèches gratuits - relèvent plutôt de la social-démocratie.

Très populaire auprès des jeunes, Zohran Mamdani a également ramené à lui de nombreuses personnes qui s’étaient éloignées de la politique, "des électeurs frustrés par le statu quo, en quête de nouvelles personnalités", selon le politologue Costas Panagopoulos.

pic.twitter.com/cpPF3SPl5g

— Zohran Kwame Mamdani (@ZohranKMamdani) November 5, 2025

Forte participation

Signe de l’engouement pour le scrutin, avant la fermeture des bureaux de vote à 21h00, plus de deux millions d’électeurs s’étaient rendus aux urnes, la plus importante participation depuis des décennies. "J’ai vraiment adhéré au message que Zohran Mamdani portait dans le cadre de sa campagne. Je pense sincèrement qu’il peut changer la ville pour le mieux," rapporte Alan Ismaiel, ingénieur informatique de 25 ans rencontré par l’AFP après avoir voté dans le Queens.

"Si Zohran Mamdani devient maire, Trump n’en fera qu’une bouchée", a prédit Andrew Cuomo, insistant, comme il l’a fait durant toute la campagne, sur l’inexpérience de son adversaire. Plusieurs fois, le président républicain a promis de mettre des bâtons dans les roues du jeune candidat démocrate s’il était élu, en s’opposant au besoin au versement de certaines subventions fédérales à la ville.

Au sein même de son parti, Zohran Mamdani ne fait pas l’unanimité. Plusieurs figures, notamment le chef des sénateurs démocrates Chuck Schumer, ne le soutiennent pas publiquement.

D'autres victoires démocrates

Voisin de New York, l’Etat du New Jersey a choisi la démocrate Mikie Sherrill contre l’homme d’affaires républicain Jack Ciattarelli. L’Etat a longtemps été considéré comme un bastion démocrate. Mais à la dernière présidentielle, Donald Trump y avait considérablement réduit l’écart. Plus au sud sur la côte est, la Virginie a élu la première femme à sa tête, la démocrate Abigail Spanberger, battant la républicaine Winsome Earle-Sears.

Les Californiens de leur côté ont approuvé, selon plusieurs médias américains, un texte visant à redécouper leur carte électorale en faveur des démocrates, qui cherchent à compenser ce qu’ont fait au Texas les républicains sous la pression de Donald Trump.

"L'avenir s'annonce un peu meilleur", a commenté Barack Obama, évoquant les différentes victoires démocrates de la soirée, qui sont autant de revers pour Donald Trump, un an presque jour pour jour après son élection. L'ancien président démocrate Bill Clinton, dont Andrew Cuomo a fait partie de l'administration, a lui souhaité à Zohran Mamdani de "transformer l'élan de (sa) campagne" pour construire "un New York meilleur, plus juste et plus abordable".

© afp.com/Leonardo Munoz

Le candidat démocrate à la mairie de New York Zohran Mamdani quelques heures avant sa victoire, alors qu'il vote à Astoria, dans le Queens, le 4 novembre 2025
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Une "mini-Otan" : quand le Grand Nord fait bloc contre la Russie

Afin d’illustrer à quel point les pays nordiques sont complémentaires, les businessmen scandinaves ont coutume de dire : "Pour lancer un nouveau produit sur le marché, faites-le dessiner en Finlande (pays du design), fabriquez-le en Suède (pays d’ingénieurs), confiez-en la commercialisation aux Danois (des marchands dans l’âme) et laissez les Norvégiens (peuple de marins) gérer l’export." A l’heure où la menace russe s’étend de l’Ukraine jusqu’à la mer Baltique, et où Moscou mène une guerre hybride mêlant cyberattaques, sabotages, survols de drones et violation de l’espace aérien, les quatre pays septentrionaux, déjà unis par une culture, des langues et une histoire commune, ont décidé d’approfondir un peu plus encore leur coopération, mais sur le plan militaire cette fois.

Refueling d'un F-35 furtif sur la base aérienne de Lulea/ Kallax en Suède le 13 mars 2024 dans le cadre de l'exercice de l'Otan appelé Nordic Response 24. A l'arrière plan: un F-18 de l'aviation finlandaise.
Refueling d'un F-35 furtif sur la base aérienne de Lulea/ Kallax en Suède le 13 mars 2024 dans le cadre de l'exercice de l'Otan appelé Nordic Response 24. A l'arrière plan: un F-18 de l'aviation finlandaise.

Ça tombe bien : en matière de défense, les quatre Nordiques se complètent à merveille. La Finlande a des troupes au sol et la plus grande artillerie d’Europe. La Suède possède une industrie de défense qui produit tout - des sous-marins et des avions de chasse en passant par des bazookas et des véhicules blindés. Le Premier ministre Ulf Kristerson vient d’ailleurs de promettre à Volodymyr Zelensky la vente de 100 à 150 chasseurs bombardiers Gripen "made in Sweden". Le Danemark, lui, apporte des forces spéciales et du volontarisme à revendre, à travers la très ferme Première ministre Mette Frederiksen. La Norvège, enfin, déploie des capacités de surveillance aérienne et une longue expérience dans la région arctique. Tous ces pays savent que, comme au temps des Vikings (800-1050) ou de l’Union de Kalmar qui réunissait les royaumes de Suède, Danemark et Norvège (1397-1523), l’union fait la force.

Prise séparément, chacune de ces nations peut paraître négligeable. Aucune n’excède 6 millions d’habitants, sauf la Suède qui en compte 10,5 millions. Mais ensemble, elles représentent 28 millions d’âmes – et même 34 millions si l’on y ajoute les trois Etats baltes d’Estonie, de Lettonie et de Lituanie. Leurs PIB combinés s’élèvent à environ 2 000 milliards d’euros et placent la région au 10e rang mondial. Et cela grâce à une économie diversifiée, innovante et high-tech qui procure aux Nordiques un niveau de bien-être parmi les plus élevés du monde. Enfin, cerise sur le gâteau, la Scandinavie possède des ressources naturelles importantes : minerais, énergie et même terres rares.

Militairement, les forces des quatre armées (l’Islande, qui est le cinquième pays nordique, n’en possède pas) sont loin d’être négligeables. Ainsi, l’addition des F-35 américains et des Saab JAS-Gripen suédois constitue une armada de 239 avions de chasse ultramodernes. Si l’on y ajoute les aviations britanniques et hollandaises (qui viendraient en renfort en cas de guerre), le chiffre est deux fois plus élevé. Certes, c’est moins que les 1 200 Soukhoï et MIG russes, mais la plupart sont vieux, moins performants et assignés à d'autres régions du monde. En mer, la flotte alliée compte 34 navires de guerre, soit autant que les 34 bâtiments russes. Mais elle compte aussi dix sous-marins, contre un seul submersible russe.

Une région hautement stratégique

Après plusieurs décennies – post-guerre froide – passées à démanteler leurs armées (seule la Finlande n’a pas commis cette erreur), les Nordiques se remettent en ordre de bataille. Dès l’invasion de l’Ukraine en février 2022, Helsinki et Stockholm ont abandonné leur neutralité historique pour rejoindre l’Otan en 2023 et 2024– un tournant qui a aussitôt fait de la Baltique un "lac otanien". "Neutres mais membres associés de l’Otan depuis les années 1990, ces deux pays travaillaient déjà depuis longtemps main dans la main, notamment en effectuant des exercices aériens conjoints aux Etats-Unis, précise le Suédo-finlandais Tomas Ries, expert à l’Ecole de guerre suédoise. Cette collaboration ancienne et éprouvée a grandement facilité leur intégration dans l’Alliance atlantique. Il leur a suffi de brancher la prise sur l’Otan et de commencer à jouer ; Plug and play (branche et joue), comme on dit dans le jargon otanien !"

Ces dernières années, les gouvernements nordiques ont aussi multiplié les accords bilatéraux qui permettent à l’US Air Force d’utiliser des bases aériennes partout en Scandinavie, que Washington regarde comme un 'porte-avions terrestre'. Dans le cas de la Finlande, dix-sept aéroports militaires sont concernés. Partout, les budgets de défense ont augmenté de manière significative. De moins de 2 % voilà peu, celui de la Suède, par exemple, passera à 3,5 % du PIB dès 2030. Et ce n’est qu’un début. Egalement significative est la création d’un espace aérien unique incluant le Danemark, la Suède, la Finlande, la Norvège et l’Islande. Un commandement aérien unifié a, par ailleurs, été inauguré à Bodø, en Norvège, afin que les quatre aviations nordiques opèrent comme une seule. En för alla, alla för en ! (un pour tous, tous pour un).

Des vedettes rapides suédoises de classe CB90 en action lors d'un l'exercice militaire, le 10 mars 2024, en mer près de Sorstraumen, en Norvège.
Des vedettes rapides suédoises de classe CB90 en action lors d'un l'exercice militaire, le 10 mars 2024, en mer près de Sorstraumen, en Norvège.

Du côté de l’armée de terre, plusieurs nouvelles brigades [NDLR : composée de 3 000 à 5 000 soldats, une brigade peut opérer comme une petite armée autonome] sont en cours de constitution, dont une en Finlande, la Forward Landing Forces (FLF). Elle opère sous l’égide de l’Otan et sous commandement suédois, en incorporant des combattants d’autres pays, dont des chasseurs alpins italiens. Située près de la frontière russe, cette "FLF" s’ajoute à d’autres forces déjà présentes au-delà du cercle polaire, notamment l’armée de terre norvégienne, habituée aux conditions extrêmes du Nord – grand froid, nuit polaire et, le printemps venu, sol détrempé. Peu peuplée, la région des trois frontières (Norvège-Suède-Finlande) n'en est pas moins hautement stratégique. Parce que son littoral s’ouvre sur l’Arctique et parce que la presqu’île de Kola, où la Russie possède l’essentiel de son arsenal nucléaire, n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres.

Avec les Russes, les Européens du Nord savent depuis longtemps à quoi s’en tenir. A travers l’histoire, les Suédois ont mené une trentaine de guerres contre eux. Lors de leur ultime affrontement, en 1808-1809, ils ont été contraints de céder la Finlande au tsar. Devenus indépendants en 1917, les Finlandais ont ensuite résisté héroïquement à l’agression de l’Armée rouge de Staline (comme les Ukrainiens face à Poutine aujourd’hui) lors de la "guerre d’hiver" de 1939-1940 en infligeant à l’ennemi des pertes considérables : six fois plus de morts côté soviétique que du côté finlandais. "Nous connaissons parfaitement de quoi les Russes sont capables : viols, massacres, crimes de guerre", remarque l’expert militaire danois Sten Rynning, auteur de NATO, from Cold War to Ukraine, a History of the World’s Most Powerful Alliance (non traduit). "Personne ne peut se permettre de les laisser entrer chez lui. Il faut les bloquer à la frontière."

Chacun veut préserver l’Otan, mais tout le monde prépare le plan B

Ces jours-ci, les Scandinaves ne redoutent pas seulement la menace venue de l’Est. "Au reste, note le Suédo-finlandais Tomas Ries, 85 % des soldats stationnés derrière la frontière russo-finaldaise avant 2022 ont été envoyés se battre en Ukraine ; les deux tiers sont morts, blessés ou capturés là-bas." Aussi, les états-majors, à Stockholm ou Copenhague, sont également alarmés par les intentions de Donald Trump. "Depuis qu’il a exprimé son désir d’acquérir le Groenland [NDLR : région autonome du royaume du Danemark], une réelle inquiétude hante nos dirigeants", reprend l’expert danois Sten Rynning. Tout le monde se demande si les Etats-Unis vont un jour abandonner l’Otan", explique-t-il, même si lui croit plutôt au scénario d’un retrait partiel. "Les Américains pourraient délaisser leur rôle central en Europe et une partie de leur leadership pour se concentrer uniquement sur leurs intérêts vitaux, en particulier au Groenland et dans l’Arctique", prédit celui qui est aussi un professeur d’université à Odense, la jolie ville de l’auteur de La reine des neiges et du Vaillant soldat de plomb, le conteur Hans Christian Andersen.

De son côté, Peter Viggo Jakobsen, professeur à l’Ecole Royale de Défense du Danemark, estime que "la décision, en février, d’augmenter de 70 % les dépenses militaires pour les deux prochaines années traduit la panique au plus haut niveau à Copenhague". Ces dépenses visent la défense de la Baltique mais aussi du Groenland. "Bien sûr, chacun veut préserver l’Otan, poursuit Jakobsen, mais tout le monde prépare le plan B qui serait l’alliance étroite des pays nordiques renforcée par les pays baltes, la Pologne et l’Allemagne." Une mini-Otan, en somme. Voire une Otan dans l’Otan. "Mais pour cela, conclut-il, il faut d’abord que Berlin réussisse la modernisation et la réforme de la Bundeswehr et que Varsovie maîtrise la croissance exponentielle de son armée qui doit passer de 200 000 à 300 000 hommes d’ici à 2030."

Les Finlandais en première ligne

En attendant, les pays scandinaves peuvent compter, d’abord, sur les Finlandais. En première ligne avec leurs 1 300 kilomètres de frontière commune avec l’ours russe, ils connaissent parfaitement la mentalité de l’animal. A la fin de la guerre froide, ils sont les seuls à n’avoir pas baissé la garde ni cédé aux sornettes de "la fin de l’histoire". Sans bruit ni fanfare, ce peuple taiseux et madré a préservé tout son dispositif de défense. Outre son artillerie (la plus importante d’Europe avec 1 400 pièces) et une aviation dernier cri, Helsinki a maintenu les principes du service militaire et d’une armée de réservistes. Le pays peut compter sur une défense de 280 000 hommes et sur 800 000 réservistes mobilisables en quelques jours. "Notre pays dispose en outre d’un réseau de 50 000 abris anti-bombardements où près de 5 millions de personnes, soit 90 % de la population, peuvent se réfugier", se félicite le député Johannes Koskinen, qui préside la commission des Affaires étrangères.

Afin de préparer psychologiquement la population à toute éventualité, les pouvoirs publics ont distribué des consignes à tous les foyers sous la forme d’un prospectus. Il contient les consignes à appliquer en prévision d’une guerre ou d’une crise liée à une cyberattaque massive : chaque citoyen doit stocker de l’eau, de la nourriture, un réchaud à gaz, des piles, un transistor, etc., pour pouvoir tenir sept jours en autonomie. Après la Finlande, le dépliant a été distribué en Suède, puis au Danemark. Dans tous les pays nordiques, des ministères ou des agences de Défense civile ont été ressuscitées. "Pendant la guerre froide, toute la sécurité des pays du Nord reposait sur le principe de "Défense totale" avec l’idée que l’armée devait pouvoir s’appuyer sur la défense civile, c’est-à-dire une société civile robuste et résiliente où chacun connaît d’avance le rôle qui lui est assigné en cas de guerre", explique l’historien danois Rasmus Dahlberg, professeur à l’Université militaire royale de Copenhague. "Cette logique est aujourd’hui remise goût du jour." Les citoyens en éprouvent-ils de la peur ? "De la peur, non, répond, à Stockholm, Tomas Ries. Mais nous prenons au sérieux la capacité des Russes à devenir très brutaux." Alors, la "mini-Otan" du Grand Nord prend les devants.

© HEIKO JUNGE / NTB / AFP

Soldats suédois à la frontière finno-norvégienne devant un blindé "made in Sweden".
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Donald Trump intensifie ses demandes d’enquêtes sur l’élection de 2020

Ces derniers jours, Donald Trump fait pression sur le ministère de la Justice. Selon The Washington Post, le président américain cherche à influencer l’institution pour qu’elle examine à nouveau les bulletins de vote de l’élection de 2020. Lors de récentes réunions privées, de déclarations publiques et de publications sur les réseaux sociaux, Donald Trump a réitéré ses exigences envers les membres de son administration, leur demandant de prouver l’existence de fraudes lors de sa défaite il y a cinq ans, rapporte le quotidien. Une défaite qu’il a toujours niée.

Le Colorado, le Missouri et la Géorgie visés

Obnubilé par cette question, le président américain a récemment embauché à la Maison-Blanche, Kurt Olsen, un avocat ayant travaillé sur la contestation des résultats de 2020. Tandis que, toujours selon le Washington Post, des responsables de son administration ont demandé à inspecter le matériel de vote au Colorado et au Missouri. D’autres cherchent par ailleurs à obtenir les bulletins de vote par correspondance d’Atlanta de 2020, année où Donald Trump est devenu le premier candidat républicain à la présidentielle à perdre la Géorgie depuis 1992. Donald Trump et certains de ses alliés, au sein et en dehors de son administration, persistent à dénoncer une fraude électorale massive en 2020, malgré les rejets répétés de leurs théories par les tribunaux. Ils affirment que la sécurité des élections futures ne pourra être garantie sans un bilan complet de celles de 2020.

Les enquêteurs ont innocenté le comté de Fulton (dont la capitale est Atlanta) de malveillance en 2020. Néanmoins, une majorité républicaine au conseil d’administration a voté pour rouvrir l’enquête l’année dernière, rappelle The Guardian. Cet été, le conseil d’administration a adopté une résolution demandant au ministère de la justice d’intervenir et de les aider à obtenir les documents, poursuit le journal britannique. Dans une lettre datée du jeudi 30 octobre, le procureur général adjoint du comté, Harmeet Dhillon, un allié de Donald Trump, a demandé une multitude de dossiers précédemment réclamés par la Commission électorale de l’Etat de Géorgie, les sommant de produire les dossiers dans les 15 jours, explique The Atlanta Journal Constitution. "La transparence semble avoir été frustrée à plusieurs reprises en Géorgie", a écrit Harmeet Dhillon, dans la lettre.

"Négationnistes électoraux"

Pour justifier sa demande, le ministère de la justice a cité une disposition de la loi sur les droits civils qui exige que les fonctionnaires électoraux conservent les dossiers électoraux et donne au procureur général le droit de les demander, indique The Guardian. Cette loi exige que les dossiers soient conservés pendant 22 mois après une élection fédérale… Une période largement écoulée depuis la course électorale de 2020.

Ces dernières semaines, les tensions se sont accrues entre l’administration Trump et les représentants de la justice. Les seconds estimant qu’il serait plus judicieux de consacrer leur temps à l’examen des listes électorales pour les élections futures, notamment de mi-mandat dans un an. Certains responsables souhaitent tourner la page de 2020 et éviter d’être qualifiés de "négationnistes électoraux", terme désignant ceux qui ont affirmé sans preuve que Donald Trump avait battu Joe Biden lors de l’élection de 2020, raconte The Washington Post.

En outre, selon plusieurs observateurs cités dans la presse américaine, ce regain d’intérêt pour 2020 intervient alors que Donald Trump commence à constater les effets de ses demandes de poursuites contre ses détracteurs, notamment l’ancien directeur du FBI, James B. Comey, et la procureure générale de New York, Letitia James. La semaine dernière, le ministère de la Justice a également suspendu deux procureurs qui avaient fait référence aux émeutes du 6 janvier 2021 perpétrées par une foule pro-Trump au Capitole, dans un document judiciaire relatif à la condamnation d’un participant gracié par Donald Trump et désormais poursuivi pour des infractions liées aux armes.

© afp.com/ANDREW CABALLERO-REYNOLDS

Le président américain Donald Trump parle à la presse à bord de l'avion présidentiel Air Force One, en vol pour les Etats-Unis, le 30 octobre 2025
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Cécile Kohler et Jacques Paris, les deux Français retenus en Iran depuis mai 2022, libérés

Les deux Français Cécile Kohler et Jacques Paris, détenus depuis trois ans et demi en Iran, accusés d'espionnage au profit des renseignements français et israélien et qui ont toujours clamé leur innocence, "sont sortis de la prison d'Evin et sont en route pour l'ambassade de France à Téhéran", a annoncé Emmanuel Macron sur X.

"Je me félicite de cette première étape. Le dialogue se poursuit pour permettre leur retour en France le plus rapidement possible. Nous y travaillons sans relâche et je tiens à remercier notre ambassade et tous les services de l’État pour leur mobilisation", indique encore le président évoquant un "soulagement immense".

Soulagement immense !

Cécile Kohler et Jacques Paris, détenus depuis trois ans en Iran, sont sortis de la prison d'Evin et sont en route pour l’Ambassade de France à Téhéran.

Je me félicite de cette première étape. Le dialogue se poursuit…

— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) November 4, 2025

Condamnés mi-octobre à respectivement 20 et 17 ans d'emprisonnement, pour espionnage au profit des renseignements français et israélien, Cécile Kohler et Jacques Paris, ont toujours clamé leur innocence. Ils étaient les deux derniers Français officiellement détenus en Iran.

Ils sont désormais "en sécurité" à la résidence de l'ambassadeur de France, à Téhéran, "dans l'attente de leur libération définitive", a indiqué sur X le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot. "J’ai échangé avec leur famille et dépêché sur place une équipe qui les accompagnera personnellement, aux côtés des agents de l’ambassade, que je félicite pour leur mobilisation sans faille au service de nos deux compatriotes", a-t-il précisé.

Un "jour nouveau"

Les avocats des deux Français sortis de prison en Iran mardi ont salué un "jour nouveau" pour Cécile Kohler et Jacques Paris, "mettant fin à leur détention arbitraire qui a duré 1 277 jours".

"Nous veillerons à ce qu'un jour justice puisse être rendue" pour les deux Français "dont les droits ont été bafoués chaque jour depuis ce 7 mai 2022", ont déclaré maîtres Martin Pradel, Chirinne Ardakani, Emma Villard et Karine Rivoallan dans un communiqué transmis à l'AFP.

Plus de trois ans de détention

Professeure de lettres de 41 ans, et enseignant retraité de 72 ans, Cécile Kohler et Jacques Paris avaient été arrêtés le 7 mai 2022, au dernier jour d'un voyage touristique en Iran. Ils avaient été incarcérés dans la sinistre section 209, réservée aux prisonniers politiques, de la prison d'Evin de Téhéran, avant d'être transférés vers un autre centre de détention, en juin lors de la guerre des douze jours entre Israël et l'Iran. Mais leur nouvelle localisation n'avait jamais été rendue publique.

Lumière allumée 24 heures sur 24, 30 minutes de sortie deux ou trois fois par semaine, rares et courts appels sous haute surveillance à leurs proches, les deux Français, qui avaient été contraints à des "aveux forcés" diffusés sur la télévision d'Etat iranienne quelques mois après leur arrestation, n'ont reçu que quelques visites consulaires.

Le ministère français des Affaires étrangères n'avait eu de cesse de déplorer les conditions de détention "inhumaines", estimant qu'elles relevaient de "la torture" au point de déposer un recours contre la République islamique iranienne auprès de la Cour internationale de justice "pour violation du droit à la protection consulaire". Pendant plus de trois ans, le renseignement extérieur français (DGSE) a également oeuvré à leur libération.

Les arrestations de ressortissants français, une monnaie d'échange pour l'Iran

Depuis une dizaine d'années, l'Iran multiplie les arrestations de ressortissants occidentaux, notamment français, les accusant le plus souvent d'espionnage, afin de les utiliser comme monnaie d'échange pour relâcher des Iraniens emprisonnés dans des pays occidentaux ou afin d'obtenir des gages politiques. Au moins une vingtaine d'Occidentaux seraient encore détenus, selon des sources diplomatiques.

Dans le cas de Cécile Kohler et Jacques Paris, Téhéran avait rendu publique le 11 septembre la possibilité d'un accord de libération des deux Français en échange de Mahdieh Esfandiari, une Iranienne arrêtée en France en février pour avoir fait la promotion du terrorisme sur les réseaux sociaux. Celle-ci avait été libérée sous contrôle judiciaire dans l'attente de son procès prévu en janvier.

© afp.com/Martin LELIEVRE

Des portraits de Cécile Kohler et de Jacques Paris, détenus en Iran, installés sur une grille de l'Assemblée nationale à Paris, le 6 octobre 2025
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