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Boualem Sansal, comment l'Algérie balade la France : nos révélations sur un an de tractations très secrètes

L’espoir, cette petite lueur qui ne demande qu’un mot favorable pour rayonner. Depuis quelques jours, parmi les amis fidèles de Boualem Sansal, dans ces discussions d’antichambre où l’origine de l’information se fait plus incertaine à mesure qu’elle se propage, on veut croire le romancier prochainement relâché. "Est-ce qu’il va être libéré le 16 ?", c’est-à-dire un an pile après son interpellation en Algérie, "je ne sais pas, je l’espère", glisse l’écrivain Kamel Daoud sur Radio Classique, ce mercredi 5 novembre. La veille, un message précieux, de ceux auxquels on se raccroche ; un émissaire élyséen a prévenu le jury Goncourt, sur le point d’arborer un badge "Je suis Boualem Sansal", lors de la remise du prix au restaurant Drouant : des discussions fructueuses ont lieu.

Chacun a lu, comme on déchiffrait jadis la Pravda pour s’enquérir des disgrâces au Kremlin, les mots nouvellement agréables de la presse algérienne aux ordres vers le gouvernement français. Sébastien Lecornu porte "l’apaisement", Laurent Nunez le "pragmatisme", dixit le quotidien L’Express, le 6 novembre. Même le vote, à l’Assemblée nationale, d’une résolution visant à dénoncer les accords franco-algériens de 1968 érode à peine l’enthousiasme des éditorialistes autorisés.

Le message de félicitations, le lendemain, comme tous les ans, d’Emmanuel Macron à son homologue, Abdelmadjid Tebboune, commémoration des débuts de la guerre d’indépendance contre la France, s’analyse comme l’ouverture "d’un nouveau chapitre", prémices "d’un prochain rapprochement" avec Alger. Le président algérien, que des sources diplomatiques disent accro à CNews, branché tous les jours sur les débats souvent virulents contre l’Algérie de L’Heure des pros, l’émission de Pascal Praud, se ferait cette fois magnanime.

Déjà, le ministre de l’Intérieur vient d’être invité à Alger, un voyage qu’il prépare pour fin novembre ou début décembre. Qu’il puisse ramener l’écrivain de 81 ans de plus en plus mal en point ne paraît plus tout à fait fantasque. Ultime signe positif, le président allemand Frank-Walter Steinmeier, a réclamé officiellement, ce 10 novembre, le transfert de l'homme de lettres dans son pays. Une requête relayée par l'agence Algérie Presse Service, soumise au pouvoir. Ou bien est-ce encore un leurre ? L’histoire n’a jamais été racontée pleinement, mais depuis ce samedi 16 novembre 2024, quand Boualem Sansal a cessé de répondre aux SMS de ses amis pour devenir l’otage d’Alger, le romancier atteint d’un cancer a été "presque libéré" plusieurs fois.

Dans les coulisses de ces douze derniers mois de tractations secrètes, les Algériens louvoient, proclament des casus belli et semblent souvent jouer avec les nerfs de leurs interlocuteurs ; les Français actionnent tous les canaux, DGSE, DGSI, pays étrangers, mais rien n’y fait. Ils s’écharpent surtout sur la posture à adopter. Au bout du casse-tête, l’Elysée et le quai d’Orsay ont opté pour une stratégie inconfortable : ne surtout pas braquer l’Algérie. Sans savoir si, réellement, cette patience pourrait payer.

16 novembre, le rapt

Ce vendredi 15 octobre, Boualem Sansal dîne au café Lapérouse, place de la Concorde à Paris, avec Xavier Driencourt, ex-ambassadeur de France en Algérie, devenu une des bêtes noires du régime. Il s’apprête à repartir, le lendemain, pour sa maison de Boumerdès, une station balnéaire à 45 kilomètres d’Alger. Il doit y passer quelques jours, avant probablement d’espacer ses voyages, puisqu’il doit s’installer avec son épouse en France, lui qui vient d’obtenir sa naturalisation.

Pour l’heure, il a pu faire l’aller-retour facilement à au moins trois reprises depuis le 3 octobre 2024, lorsqu’il a livré cet entretien passé inaperçu au média d’extrême droite Frontières. "La France a rattaché tout l’Est du Maroc à l’Algérie", pendant la colonisation, y déclare l’auteur de 2084. Personne ne l’a relevée en France, mais la déclaration est bien parvenue jusqu’aux oreilles susceptibles d’Abdelmadjid Tebboune, le président algérien, lui-même natif de la wilaya de Naâma, une région frontalière du Maroc, un temps revendiquée par Rabat.

Ne t’inquiète pas, ils me prennent pour un vieux fou

Boualem Sansal

Ses amis s’inquiètent davantage de la fureur d’Alger contre ses romanciers critiques du pouvoir. Le soir même du 15 novembre, la télévision algérienne diffuse un sujet entièrement dirigé contre Kamel Daoud et son roman Houris, lauréat du prix Goncourt. Ce récit au cœur de la décennie noire algérienne est interdit au salon international du livre d’Alger, depuis le 6 novembre. L’acrimonie du régime semble décuplée par le choix d’Emmanuel Macron, le 27 juillet, de reconnaître la marocanité du Sahara occidental. Abdelmadjid Tebboune a vécu comme une humiliation la visite pompeuse du président français à Rabat, du 28 au 30 octobre.

"Ne t’inquiète pas, ils me prennent pour un vieux fou", plaisante encore Boualem Sansal auprès de l’universitaire Arnaud Benedetti, quelques heures avant son départ. Comme d’habitude, l’écrivain doit envoyer des SMS à ses amis lorsqu’il est bien arrivé. Il ne pourra jamais les transmettre. La rumeur a voulu que l’initiative soit celle d’un douanier zélé, mais c’est bien la DGSI, réplique algérienne du service de renseignement français, qui l’intercepte à l’aéroport d’Alger. L’ambassade de France est laissée sans réponse jusqu’au mardi 19 novembre, quand une source algéroise confirme ce qui était redouté : Boualem Sansal a été embastillé.

La justification parvient via Algérie Presse Service, l’agence d’Etat dévouée à la présidence. Le 22 novembre, un communiqué venimeux conspue "la France macronito-sioniste", et Boualem Sansal, "pantin utile" et "révisionniste" de l’extrême droite française. Abdelmadjid Tebboune tient son otage.

30 janvier, la zizanie

A la manière de Tullius Détritus, le stratège romain envoyé au village gaulois dans un album mythique d’Astérix, l’emprisonnement de Boualem Sansal sème la zizanie dans la société française, en rouvrant des plaies pas suffisamment cicatrisées. Le 25 novembre 2024, le professeur d’histoire-géographie Nedjib Sidi Moussa, invité de C Politique sur France 5, veut "rétablir les faits", au nom "du malaise de beaucoup de gens qui connaissent l’Algérie". Boualem Sansal "alimente un discours d’extrême droite fait d’hostilité à l’égard des immigrés et des musulmans", dit-il, en citant l’entretien à Frontières.

Au gouvernement, Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur, hausse le ton, tempête contre les obligations de quitter le territoire français (OQTF) ignorées par Alger, comme dans le cas de l’influenceur Doualemn, refoulé à l’aéroport algérien le 9 janvier. En décembre, il a directement proposé à Emmanuel Macron de faire de Boualem Sansal un ambassadeur à la francophonie, mais le président n’a pas donné suite, soucieux de ne pas provoquer frontalement l’Algérie.

Abdelmadjid Tebboune joue de ces passions. Dans un entretien à L’Opinion, le 30 janvier, il oppose les sages aux extrémistes, livre sa liste noire des officiels infréquentables. "Tout ce qui est Retailleau est douteux", cingle-t-il. Concernant Boualem Sansal, il le dépeint en instrument d’un complot de la droite anti-algérienne : "C’est une affaire scabreuse visant à mobiliser contre l’Algérie. Boualem Sansal est allé dîner chez Xavier Driencourt, juste avant son départ à Alger. Ce dernier est lui-même proche de Bruno Retailleau". Comprendre : il faut écarter Retailleau et Driencourt pour commencer à négocier.

12 avril, l’espoir déçu

"Boualem, c’était presque fait." En petit comité, ce 2 avril 2025, le Premier ministre François Bayrou se désole. Le président Tebboune avait donné son accord pour une grâce de Boualem Sansal… à condition qu’il ne fasse pas appel de sa condamnation du 27 mars, à cinq ans de prison, pour atteinte à l’unité nationale algérienne. Las, l’écrivain n’a pas eu la consigne de son avocat, qui n’a jamais pu pénétrer sur le territoire algérien, et il a bien demandé à être rejugé.

Cinq mois après son arrestation, son état de santé s’est dégradé. Soigné pour son cancer de la prostate, l’auteur du Village de l’Allemand alterne les séjours à l’hôpital Mustapha-Pacha d’Alger et les retours en cellule, à la prison de Koléa. A Paris, le sort de l’otage et les tensions diplomatiques s’entremêlent. François Bayrou a lancé un ultimatum, le 26 février : si l’Algérie continue son obstruction aux OQTF, les accords de 1968 seront dénoncés sous "six semaines".

La menace semble cette fois produire quelque effet. Anne-Claire Legendre, la conseillère d’Emmanuel Macron chargée de l’Afrique du Nord, se rend trois fois à Alger au premier trimestre, la dernière avec Emmanuel Bonne, le conseiller diplomatique en chef du président. Les échanges menés avec Abdelmadjid Tebboune aboutissent au communiqué conjoint des deux chefs d’Etat, le 31 mars. Il y est question de "reprise sans délai de la coopération sécuritaire", mais aussi du romancier. "Le Président de la République a réitéré sa confiance dans la clairvoyance du président Tebboune et appelé à un geste de clémence et d’humanité à l’égard de M. Boualem Sansal, à raison de l’âge et de l’état de santé de l’écrivain", est-il écrit, dans ce texte où chaque mot est pesé.

Le 6 avril, Jean-Noël Barrot, le ministre des Affaires étrangères, négocie avec Abdelmadjid Tebboune à Alger ; l’appel de Sansal n’empêche pas sa libération pour raisons de santé. Mais le 11 avril, des policiers de la DGSI interpellent un agent du consulat algérien de Créteil. Cette fois, Bruno Retailleau n’y est pour rien : la décision émane d’un juge d’instruction, chargé de l’enquête sur le kidnapping de l’influenceur Amir DZ, une des têtes de Turc de Tebboune, le 29 avril 2024. Selon nos informations, l’agent consulaire est non seulement soupçonné d’avoir participé au rapt, mais aussi de projeter, en ce mois d’avril 2025… une nouvelle action violente contre le blogueur. Furieux, le ministère des Affaires étrangères algérien fustige "l’inconsistance de l’argumentaire vermoulu et farfelu invoqué par les services de sécurité du ministère de l’Intérieur français" qui interviendrait "à des fins de torpillage du processus de relance des relations bilatérales". Le 14 avril, douze fonctionnaires français sont expulsés d’Algérie. Boualem Sansal reste en prison.

29 juin, l’autre otage

Le 29 juin, la France découvre éberluée l’existence d’un deuxième Français otage de l’Algérie. Christophe Gleizes, journaliste sportif pour So Foot, vient d’être condamné à sept ans de prison pour apologie du terrorisme, comme le mentionne Reporters sans frontières dans un communiqué. Même Bruno Retailleau apprend ainsi les faits, connus depuis plus d’un an à l’Elysée et au quai d’Orsay. Pendant treize mois, son entourage s’est efforcé de ne pas solliciter les médias, sur les conseils du ministère des Affaires étrangères, afin de ne pas politiser l’affaire. Sans succès.

Le 15 mai 2024, Christophe Gleizes atterrit en Algérie. Il veut raconter l’histoire de la Jeunesse sportive de Kabylie (JSK), club de football légendaire de Tizi Ouzou, à la fibre indépendantiste et contestataire. Quelques jours après son arrivée, le journaliste pense rejoindre un de ses contacts lié à la JSK. Il est en réalité attendu par des policiers. Le 28 mai, au commissariat de Tizi Ouzou, les policiers lui confisquent son matériel et son passeport avant de le relâcher.

Gleizes se rend à l’ambassade de France à Alger, où il dort quelques jours. Les diplomates se montrent optimistes : le dossier est pour le moins léger, le reporter a utilisé un visa touristique au lieu de se présenter comme journaliste, il devrait être expulsé du territoire, ni plus, ni moins.

Sauf que le 9 juin, ses parents apprennent qu’il est placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le territoire algérien. Les autorités ont fouillé son téléphone et son ordinateur. Ils ont trouvé les contacts de deux dirigeants du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), une organisation classée terroriste par Alger en 2021. Réfugiés en France, ils faisaient partie des interlocuteurs "que Christophe avait interrogés pour comprendre le contexte dans lequel évolue la JSK, explique Javier Prieto Santos, rédacteur en chef de So Foot. Il n’y avait aucune intention politique derrière".

Dès lors, le quai d’Orsay suggère fermement le silence. Même Reporters sans frontières, à contre-emploi, se range activement à cette stratégie de l’effacement. Jusqu’à quand ? Le procès en appel doit avoir lieu le 3 décembre et d’ici là, les diplomates français conseillent à tous… la plus grande réserve.

16 septembre, le clash

Les soutiens de Boualem Sansal se déchirent. Jordan Bardella en est la cause, ou le prétexte. Le 9 septembre, le groupe Les Patriotes au Parlement européen, présidé par l’élu du Rassemblement national, propose le Franco-Algérien au prix Sakharov, créé pour honorer les défenseurs des libertés. "Boualem Sansal, par la voix de son épouse, a fait savoir qu’il considérait comme irrecevable cette démarche insidieusement partisane", réplique Antoine Gallimard, le 15 septembre. Surtout, l’éditeur ajoute que "s’il advenait que cette "candidature" forcée était retenue, ce prix Sakharov serait refusé par les représentants de l’écrivain en France".

Boualem était membre du comité éditorial de Frontières, vous croyez vraiment qu’être proposé par le Rassemblement national allait le déranger ?

L’ex-ministre Noëlle Lenoir, présidente du comité de soutien, rétorque, le lendemain, que "nul ne peut aujourd’hui se prévaloir de parler au nom de Boualem Sansal". Certains membres du comité accusent Gallimard de vouloir grimer Sansal en romancier politiquement correct, ce qu’il n’était pas : "Boualem était membre du comité éditorial de Frontières, vous croyez vraiment qu’être proposé par le Rassemblement national allait le déranger ?"

Entre Gallimard et le comité de soutien, les tensions couvaient depuis des mois. La maison d’édition, précautionneuse, a cherché à ne jamais politiser l’affaire, à l’unisson du Quai d’Orsay. L’avocat qu’elle a choisi, François Zimeray, récusé depuis en raison de sa judéité, est un ex-ambassadeur, resté très lié à son ministère. Quant au comité de soutien, fondé par Arnaud Benedetti, il se veut une "avant-garde", un commando volontiers vindicatif contre le régime algérien. Relégué au second plan d’une soirée de soutien à Sansal à l’Institut du monde arabe, le 19 février, Benedetti s’entoure de Noëlle Lenoir et de Xavier Driencourt, marqués plus à droite.

Lorsqu’Arnaud Benedetti négocie avec Anne Hidalgo pour que Boualem Sansal puisse être nommé citoyen d’honneur de la ville de Paris, au printemps 2025, François Zimeray prévient que la démarche pourrait hérisser l’Algérie. Contacté, l'avocat nous a transmis le message suivant : "Il y a le risque du silence et aussi celui de la parole. Je suis parvenu à la conclusion que, pour ce qui me concerne, seule la retenue peut donner sa chance à une issue humanitaire".

Et quand Jean-Christophe Rufin échoue à faire élire Boualem Sansal à l’Académie française, le comité suspecte Gallimard, éditeur de nombreux immortels, de ne pas le soutenir. La maison d'édition s'est en revanche démenée pour obtenir à son auteur le prix Del-Duca, doté de 200 000 euros, ou le Renaudot de poche pour Vivre : le compte à rebours, ce 4 novembre. Comme elle multiplie, depuis un an, les conférences sur l'oeuvre littéraire du Franco-Algérien. "Ce qui nous importe est uniquement l'intérêt de Boualem. Depuis un an, Gallimard encourage toutes les manifestations littéraires en son honneur, en évitant les actions inconséquentes qui pourraient lui nuire", nous déclare Karina Hocine, la secrétaire générale de Gallimard.

A l'Académie française, de toute façon, nul ne peut être élu sans candidature, a fait savoir Amin Maalouf, le secrétaire perpétuel. En 1960, pourtant, Henry de Montherlant avait été dispensé de campagne. Quant à la limite d’âge de 75 ans, invoquée par l’Académie des sciences morales et politiques, elle a été écartée par l’Académie française en 2021, afin d’accueillir Mario Vargas Llosa, 85 ans, prix Nobel de littérature. "Il y en a, en 1940, ils auraient été brillants", plaisante ironiquement Arnaud Benedetti en privé, au sujet de l'embarras général dans le monde des lettres.

21 octobre, Sansal destitué

Il a été l’homme le plus craint d’Algérie, probablement responsable de la mort de milliers d’hommes ; il apparaîtrait presque, aujourd’hui, comme le meilleur espoir de la France à Alger. Le 15 septembre, Abdelmadjid Tebboune nomme un nouveau gouvernement. Au poste de ministre de la Santé, il choisit Mohamed Seddik Aït Messaoudène, cardiologue à l’hôpital Mustapha-Pacha. Il s’agit surtout du gendre du général Mohamed Médiène, dit Toufik, 84 ans, tout-puissant directeur du renseignement algérien de 1990 à 2015. Le 29 mai, déjà, le général Hassan, très proche de Toufik, a été nommé directeur de la DGSI, après cinq ans passés… en prison, comme de nombreux gradés, victimes de purges.

Cette décision montre un affaiblissement du président

Une source diplomatique française

Le retour en grâce des réseaux Toufik ne peut qu’être accueilli positivement en France, où il a laissé l’excellent souvenir d’un allié contre le terrorisme. Le 21 octobre, le président Tebboune a par ailleurs retiré la moitié de ses attributions à son directeur de cabinet Boualem Boualem, réputé francophobe. "Cette décision montre un affaiblissement du président", analyse une source diplomatique française. Comme si, confronté à des revers internationaux à répétition, le dernier à l'ONU, le 31 octobre, avec ce vote en faveur de la souveraineté marocaine au Sahara occidental, Tebboune commençait à lâcher du lest.

1er novembre, l’adversaire commun

Dimanche 5 octobre, jour de remaniement. Emmanuel Macron appelle Bruno Retailleau. La nomination de Bruno Le Maire s’apprête à faire exploser le gouvernement mais le président n’en parle pas à son ministre de l’Intérieur. Il évoque en revanche… l’Algérie. "On va piloter les visas ensemble, en conseil de défense", propose le chef de l’Etat à propos des visas étudiants, en hausse de 13 %, s’est félicité le quai d’Orsay, quelques jours plus tôt.

Un énième va-et-vient diplomatique, comme l’été en a été témoin. L’Elysée a d’abord cru mordicus à la grâce de Boualem Sansal le 5 juillet 2025, jour de l’indépendance algérienne. Le scénario était ficelé, rapportent deux officiels français : l’écrivain français devait être transféré en Allemagne, là où Abdelmadjid Tebboune entretient les meilleures relations depuis qu’il s’y est fait soigner du Covid, en 2020.

Au préalable, l’entourage présidentiel a demandé aux uns et aux autres de se faire discrets. A Bruno Retailleau, mais aussi à Charles Rodwell et Mathieu Lefèvre, deux députés macronistes auteurs d’un rapport explosif sur les avantages algériens liés aux accords de 1968. Reçus en juin à l’Elysée, il leur a été suggéré de reporter la publication de leur document à la rentrée. Mêmes pressions envers Eric Ciotti (Union des droites), lequel devait présenter, le 26 juin à l’Assemblée nationale, une résolution pour dénoncer ces accords de 1968. Mais, le jour venu, le député renonce à son texte, à la surprise générale. "C’est une décision qu’Eric Ciotti a prise après avoir été fortement enjoint par le quai d’Orsay, qui estimait qu’il ne fallait pas jeter de l’huile sur le feu", relate le député Charles Alloncle, membre de son groupe.

Puis, le 6 août, devant l’absence de grâce, Emmanuel Macron durcit sa position. Un peu. Dans une lettre à François Bayrou, il acte la fin de l’exemption de visas pour les dignitaires algériens. Mais il a refusé une partie de l’arsenal que lui proposait son ministre de l’Intérieur : gel des avoirs, signalements à la justice sur des biens mal acquis et expulsions ciblées de proches de certains officiels. Au point d’en ulcérer jusqu’à Nicolas Sarkozy. En septembre, l’ex-président reçoit dans ses bureaux Chems-Eddine Hafiz, le recteur de la Grande mosquée de Paris, et lui propose d’intercéder en sa faveur afin… qu’il se rende en Algérie, pour négocier directement la libération de Boualem Sansal avec Abdelmadjid Tebboune. "Il a plus intérêt à me faire plaisir qu’à Macron", ajoute-t-il, selon l'un de ses interlocuteurs à qui il a confié ce projet. Sa condamnation ruine ce plan.

On n’obtient rien en braquant les Algériens

Pascal Bruckner à Emmanuel Macron

Depuis la sortie de Bruno Retailleau du gouvernement, de toute façon, la fermeté n’est plus autant mise en avant. "On n’obtient rien en braquant les Algériens", a expliqué en substance Emmanuel Macron à l’écrivain Pascal Bruckner, lors d’un dîner réunissant des personnalités à l’Elysée, le 11 septembre, avant son discours sur la Palestine à la tribune de l'ONU. Mi-octobre, lors d’une réunion sur le rapport Rodwell au palais présidentiel, son conseiller Emmanuel Bonne a moqué "ceux qui paniquent pour mille étudiants supplémentaires". "Ceux qui font croire aux Français que le bras de fer et la méthode brutale sont la seule solution, la seule issue, se trompent. Ça ne marche pas", explicite Laurent Nunez, successeur de Bruno Retailleau, le 1er novembre, auprès du Parisien.

"Le gouvernement tente de nouer une nouvelle alliance avec l’Algérie contre Retailleau", révèle une source diplomatique française. L’exécutif français avance l’idée d’un pacte gagnant-gagnant : en libérant Boualem Sansal sur la base d’un adoucissement français, le régime algérien décrédibiliserait les positions radicales de la droite, tout en se libérant d’un prisonnier encombrant. Le genre d’accord dont on s’égosillerait chez Pascal Praud.

© J. Saget / AFP – M. Wissmann / Shutterstock – L’Express

Depuis un an, le romancier Boualem Sansal, atteint d’un cancer, a été "presque libéré" plusieurs fois.
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En Italie aussi, on pense à taxer les plus riches

Il n’y a pas qu’en France que la gauche réclame une taxation sur les grandes fortunes. En plein débat budgétaire, les Italiens se posent, eux aussi, la question d’une contribution spéciale demandée aux hauts patrimoines. La mesure est portée par la CGIL, le premier syndicat transalpin, représenté par Maurizio Landini. A la clé : 26 milliards d’euros par an, de quoi renflouer les caisses de l’Etat et éviter un budget marqué par le sceau de l’austérité. Mais la proposition n’est pas du goût de tout le monde, la Première ministre italienne Giorgia Meloni y étant farouchement opposée.

Cette "contribution solidaire" concernerait les "1 % les plus riches", ceux qui possèdent "plus de 2 millions d’euros", au profit des "99 % restants" détaille Maurizio Landini, cité par le Corriere della Sera. La CGIL prône une taxation d’1,3 %. En tout, ce sont 500 000 contribuables qui seraient concernés, pour un gain de 26 milliards d’euros par an pour les recettes de l’Etat.

C’est un peu plus que ce que rapporterait, en France, la taxe proposée par l’économiste Gabriel Zucman, rejetée par l'Assemblée le 31 octobre dernier, et qui consistait à faire payer les patrimoines au-delà de 100 millions d’euros, à hauteur de 2 % de leur fortune. Selon ces calculs, 1 800 personnes auraient été concernées par cette mesure, qui aurait rapportée 20 milliards d’euros par an.

"Justice fiscale"

"Ce sont des ressources essentielles pour financer et investir dans la santé, l’éducation, les soins de longue durée, le logement, les politiques sociales et les transports publics", assure le représentant syndical. "La justice fiscale est le levier décisif pour soutenir un programme économique et social radicalement différent du programme d’austérité rigide et de réarmement actuellement mis en œuvre", peut-on lire dans un autre article du même quotidien.

D’autant que le système d’imposition en Italie est particulièrement inégalitaire, révèle une étude de la Banque Centrale Européenne. "Le système fiscal italien est parmi les plus régressifs, avec des taux plus faibles concentrés sur les 7 % les plus riches. Les revenus du capital sont ainsi moins imposés que les revenus du travail ; ceux qui font déjà partie de ce groupe restreint voient leur patrimoine croître plus rapidement que les autres, sans pour autant payer plus d’impôts", détaille le Corriere. Les 0,1 % des contribuables les plus aisés sont soumis, dans les faits, à un taux d’imposition de 32 % inférieur à celui appliqué aux revenus compris entre 28 000 et 50 000 euros.

Sur la base de ce constat, cette même étude de la BCE (portée par Matteo Dalle Luche, Demetrio Guzzardi, Elisa Palagi, Andrea Roventini et Alessandro Santoro) recommande une taxation des 0,1 % les plus riches, jusqu’à 60 %, pour réduire les inégalités et accroître les recettes publiques. "L’instauration d’un impôt progressif sur la fortune, appliqué aux 7 % les plus riches […] représenterait environ 30 milliards d’euros" par an. Plus que le budget actuellement à l’étude par le gouvernement, qui exigera, selon les mots du ministre de l’Economie Giancarlo Giorgetti, des "sacrifices pour tous".

Giorgia Meloni opposée

Si la proposition d’introduire plus de justice fiscale au système italien rencontre le soutien d’économistes reconnus, la question ne se pose même pas, pour le gouvernement italien, actuellement en négociations avec les partenaires sociaux. Giorgia Meloni a affirmé qu’avec elle "au gouvernement, il n’y aura jamais de taxe sur le patrimoine", alors que la gauche ressort "cette solution de façon cyclique".

Une position qui lui vaut d’être taxée de servir les plus riches. D’autant que selon l’Institut national italien de la statistique (Istat), "la baisse d’impôt sur le revenu prévue dans le budget profiterait principalement aux familles les plus aisées", a indiqué son président, Francesco Maria Chelli, lors d’une audition devant les commissions des finances du Sénat et de la Chambre des députés, rapporte la chaîne Sky Tg24.

"En classant les familles selon leur revenu et en les divisant en cinq groupes, on constate que plus de 85 % des bénéfices vont revenir aux familles appartenant aux quintiles les plus riches", détaille Francesco Maria Chelli. Une logique à rebours de celle de ces adversaires politiques.

© afp.com/Dimitar DILKOFF

Une banderole géante "Tax the Rich" (taxez les riches) déployée par des militants d'Attac depuis le haut de la façade du futur hôtel Vuitton sur les Champs-Elysées, à Paris, le 24 février 2024
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Mahmoud Abbas promet une extradition rapide du suspect de l'attentat de la rue des Rosiers

Le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a promis mardi 11 novembre une extradition rapide d'un Palestinien, Hicham Harb, arrêté en septembre en Cisjordanie et soupçonné d'avoir supervisé le commando de l'attentat antisémite rue des Rosiers qui avait fait six morts en 1982 à Paris.

"Les procédures juridiques relatives à l'extradition sont arrivées à leur phase finale. Il ne reste que quelques détails techniques, qui sont pris en charge par les autorités compétentes des deux pays", a déclaré le dirigeant palestinien dans une interview au Figaro, publiée quelques heures avant une rencontre avec le président Emmanuel Macron à Paris.

Le suspect arrêté le 19 septembre

Mahmoud Abbas a réaffirmé que l'Autorité palestinienne était disposée à "extrader l'individu recherché, la reconnaissance de l'Etat de Palestine par la France ayant créé un cadre approprié pour cette demande française".

L'arrestation de Hicham Harb avait été annoncée le 19 septembre, quelques jours avant la formalisation par la France de sa reconnaissance de l'Etat de Palestine lors de l'Assemblée générale de l'ONU. Le suspect âgé de 70 ans, visé par un mandat d'arrêt international émis il y a dix ans, est l'un des six hommes renvoyés fin juillet devant la cour d'assises spéciale de Paris pour cette attaque perpétrée dans le restaurant Jo Goldenberg et dans le quartier alentour.

L'Elysée a précisé lundi qu'"il n'y a pas de problème juridique" pour cette extradition mais "une question de faisabilité" et ajouté que Paris continuait à travailler avec l'Autorité palestinienne pour qu'elle puisse avoir lieu.

Mahmoud Abbas se dit prêt à tenir des élections

Dans cet entretien au Figaro, le président palestinien réitère par ailleurs plusieurs des engagements qu'il a pris ces derniers mois dans le cadre des efforts internationaux pour restaurer la paix à Gaza et consolider le fragile cessez-le-feu entre Israël et le Hamas intervenu le 9 octobre sous l'égide du président américain Donald Trump.

Mahmoud Abbas réaffirme ainsi que "le Hamas n'aura aucun rôle de gouvernement à Gaza". Il ajoute que les forces palestiniennes sont prêtes à s'y déployer en coordination avec une force multinationale prévue par le plan de paix américain. Il assure également être prêt à tenir "des élections générales, présidentielle et législatives dans l'année qui suivra la fin de la guerre", sans confirmer explicitement qu'elles se tiendraient en 2026.

© Ludovic MARIN / AFP

Emmanuel Macron reçoit le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, à l'Elysée le 11 novembre 2025.
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Ahmed al-Charaa à la Maison-Blanche : un tournant dans les relations entre la Syrie et les Etats-Unis

Le moment aurait été "autrefois impensable" pour son pays, la Syrie, et représente "une nouvelle étape improbable dans le parcours personnel de l’ancien militant" Ahmed al-Charaa, écrit le Washington Post, à propos de la rencontre entre le président syrien et Donald Trump, à la Maison-Blanche, lundi 10 novembre. Une entrevue historique (jamais depuis l’indépendance de la Syrie en 1946, un président n’avait été reçu dans le bureau Ovale), qui marque un tournant dans les relations syro-américaines.

La réunion "n’a pas bénéficié du traitement de faveur habituellement réservé aux dirigeants étrangers", note le New York Times : pas de poignée de main sur le perron de la Maison-Blanche, ni de conférence de presse devant les journalistes. Et ce, probablement en raison du passé polémique d’Ahmed al-Charaa, autrefois connu sous le nom "d’al-Joulani", ancien commandant d’Al-Qaïda en Irak et en Syrie, passé par les geôles américaines, avant de fonder plus tard Hayat Tahrir al-Cham (HTC), le mouvement qui a défait Bachar al-Assad, fin 2024.

Mais le soutien de Donald Trump à Ahmed al-Charaa n’en est pas moins important, les Etats-Unis ayant tout intérêt à rétablir la stabilité en Syrie, pays considéré comme stratégique dans la région. La rencontre a été l’occasion de confirmer plusieurs annonces : l’intégration de Damas à la coalition internationale contre l’Etat islamique (dans lequel a combattu al-Joulani jusqu’en 2013), la suspension des sanctions américaines contre la Syrie et un possible accord de normalisation avec Israël. S’adressant aux journalistes dans le bureau Ovale, Donald Trump a déclaré qu’il souhaitait voir la Syrie devenir "un pays très prospère", ajoutant : "Je pense que ce dirigeant en est capable", rapporte le journal saoudien Al Arabiya.

Tournant dans les relations syro-américaines

La présidence syrienne a affirmé dans un communiqué que les discussions avaient porté sur les relations bilatérales entre Washington et Damas et les façons de les développer. Donald Trump a en effet prolongé la suspension du Caesar Act, une série de sanctions qu’il a lui-même imposé à l’ex-gouvernement syrien en 2020, avant de le geler après sa rencontre avec al-Charaa, en Arabie saoudite, en mai dernier. Une mesure cruciale pour la Syrie, qui tente de se reconstruire après près de quinze ans de guerre civile - un effort estimé à 216 milliards de dollars par la Banque mondiale. Le réchauffement de ses relations avec les Etats-Unis lui permettrait également de se rapprocher des financements des pétromonarchies du Golfe.

Le gouvernement d’Ahmed al-Charaa, de son côté, a officiellement intégré la coalition internationale contre l’Etat islamique, ce à quoi les Etats-Unis "ont tout intérêt, afin de permettre le retrait des troupes américaines encore stationnées en Syrie", analyse le Washington Post. Les efforts du gouvernement américain pour stabiliser la situation politique en interne ne s’arrêtent pas là : en mars, un accord a été signé pour intégrer les Forces Démocratiques Syriennes - groupe de résistance kurde qui a combattu l’Etat islamique avec le soutien des Etats-Unis - aux forces du gouvernement de Damas.

Mais surtout, le principal chantier de l’administration Trump pourrait se trouver dans l’élaboration d’un accord entre la Syrie et Israël. Ce dernier a envahi le sud du pays et y a établi des bases militaires au moment de la chute de Bachar al-Assad, prétextant des motifs sécuritaires. Reste à savoir quels en seraient les contours : "al-Charaa a déclaré qu’il privilégiait un accord qui restitue les territoires syriens saisis depuis décembre, mais pas le type d’accord de normalisation plus large avec Israël que l’administration Trump a incité d’autres gouvernements régionaux à signer", explique le Washington Post.

De djihadiste à invité de la Maison-Blanche

L’enjeu géopolitique est de taille dans la région. Suffisamment pour effacer le parcours de l’ancien dirigeant djihadiste, dont le mandat de capture par les Etats-Unis s’élevait autrefois à 10 millions de dollars. "Les gens disent qu’il a un passé rude […] Nous avons tous eu un passé difficile et, franchement, si vous n’aviez pas eu un passé difficile, vous n’auriez aucune chance", a défendu Donald Trump.

Vendredi, le département d’Etat a également déclaré le retrait du nom d’al-Charaa et de son ministre de l’Intérieur, Anas Khattab, de la liste internationale des personnes considérées comme terroristes, "en reconnaissance des progrès accomplis par les dirigeants syriens après le départ de Bachar al-Assad". Mais le règne d’Ahmed al-Charaa à la tête de la Syrie est loin d’être tout rose, marqué par des massacres de membres de la minorité alaouite par des factions armées soutenant son gouvernement ; ainsi que par des violences entre de combattants bédouins sur des Druzes. Le dirigeant syrien par intérim est également critiqué pour avoir concentré le pouvoir entre ses mains et celles d’un cercle restreint de fidèles.

© AFP

Le président Ahmed al-Charaa reçu à la Maison-Blanche par Donald Trump, le 10 novembre 2025.
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Shutdown : le Sénat américain approuve la fin de la paralysie budgétaire, la Chambre doit encore se prononcer

Le Sénat américain a adopté tard lundi 10 novembre un texte qui, une fois approuvé par la Chambre des représentants, lèverait la paralysie budgétaire après plus de 40 jours de "shutdown", mais qui est source de dissensions dans le camp démocrate.

La proposition de loi adoptée à 60 voix pour et 40 contre étend le budget actuel jusque fin janvier. Le texte doit désormais être débattu et adopté à partir de mercredi à la Chambre des représentants, avant d'atterrir sur le bureau de Donald Trump pour une promulgation qui mettrait officiellement fin à la paralysie d'une partie de l'Etat fédéral.

"Nourrissez tout le monde. Payez nos militaires, nos fonctionnaires et la police du Capitole. Mettez fin au chaos dans les aéroports. Le pays avant le parti", a clamé lundi sur X le sénateur démocrate John Fetterman, qui a voté en faveur de la mesure républicaine. Le chef de la majorité républicaine au Sénat, John Thune, a écrit sur le même réseau social être heureux de soutenir "la voie vers la fin de ce 'shutdown' inutile, d'une manière responsable qui permette de payer rapidement les fonctionnaires et de rouvrir le gouvernement fédéral".

Plus d'un million de fonctionnaires non payés

Avant le vote, le président américain s'était réjoui d'avoir obtenu suffisamment de voix démocrates au Sénat pour sortir de l'impasse. "C'est dommage qu'il ait été fermé, mais on va rouvrir notre pays très rapidement", a déclaré Donald Trump devant la presse à la Maison-Blanche.

Le chef républicain de la Chambre des représentants, Mike Johnson, avait aussi exprimé son optimisme lundi concernant une sortie de la paralysie "cette semaine". "Notre long cauchemar national touche enfin à sa fin", a-t-il dit lors d'une conférence de presse.

Depuis le 1er octobre et le début du blocage, plus d'un million de fonctionnaires ne sont pas payés, le versement de certaines aides est fortement perturbé, tout comme le trafic aérien, avec maintenant des centaines d'annulations de vols chaque jour. Au coeur du différend entre républicains et démocrates depuis plus de 40 jours : la question des coûts de santé.

Le parti de Donald Trump, majoritaire au Congrès, proposait une simple extension du budget actuel, tandis que l'opposition réclamait une extension de subventions pour le programme d'assurance santé "Obamacare", à destination principalement des ménages à bas revenus. Ces subventions doivent expirer à la fin de l'année, et les coûts de l'assurance santé devraient ainsi plus que doubler en 2026 pour 24 millions d'Américains qui utilisent "Obamacare", selon KFF, un cercle de réflexion spécialisé sur les questions de santé.

En raison des règles en vigueur au Sénat, plusieurs voix démocrates étaient nécessaires pour adopter un budget même si les républicains y sont majoritaires. Au total, huit démocrates ont finalement voté pour un nouveau texte. "Des semaines de négociations avec les républicains ont montré clairement qu'ils ne discuteraient pas des questions de santé" pour mettre fin à la paralysie, a assuré dans un communiqué l'une d'entre eux, la sénatrice démocrate Jeanne Shaheen. "Attendre plus longtemps ne fera que prolonger les souffrances que les Américains ressentent à cause du 'shutdown'", a-t-elle ajouté.

Chuck Schumer, le premier visé

Connus pour la plupart comme centristes, ces huit élus de l'opposition ont obtenu l'annulation du licenciement de milliers de fonctionnaires fédéraux par l'administration Trump depuis le début de la paralysie. Ils sont en revanche repartis les mains presque vides sur les questions de santé, n'arrachant pas une extension des subventions dans le texte final, mais seulement une promesse du chef républicain du Sénat quant à la tenue d'un vote prochain sur cette question. Une promesse creuse, ont dénoncé de nombreux élus démocrates, car le chef de la Chambre, Mike Johnson, a lui refusé de s'engager à prévoir un même vote à la chambre basse.

De nombreux élus et sympathisants démocrates appellent désormais à ce que des têtes tombent. Le premier visé : Chuck Schumer, chef de la minorité au Sénat. S'il a voté non dimanche soir, il est soupçonné par de nombreux élus et sympathisants démocrates d'avoir poussé en coulisses pour que ces élus modérés parviennent à un accord avec les républicains.

© Andrew Harnik / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Le chef de la majorité au Sénat américain, John Thune, s’adresse aux journalistes devant la salle du Sénat, le 10 novembre 2025, au Capitole, à Washington.
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Moscou dit avoir déjoué un complot ukraino-britannique visant à détourner un avion de chasse

La Russie a dénoncé mardi 11 novembre une "provocation" orchestrée par l'Ukraine et son allié britannique qui visait, selon elle, à détourner un avion de chasse russe MiG-31 équipé d'un missile hypersonique Kinjal. Moscou, qui a lancé une offensive à grande échelle contre l'Ukraine en février 2022, accuse régulièrement Kiev et ses alliés européens de s'en prendre à ses intérêts sur son sol, le plus souvent sans fournir de preuves.

Trois millions de dollars en échange

Mardi matin, le Service fédéral russe de sécurité (FSB) a dit avoir mis "fin à l'opération des Services de renseignement du ministère ukrainien de la Défense et de ses tuteurs britanniques visant à détourner vers l'étranger un avion de chasse MiG-31 des forces armées russes, porteur du missile hypersonique Kinjal". Le FSB accuse ainsi les services de renseignement ukrainiens d'avoir tenté de recruter des pilotes pour cette opération en leur proposant trois millions de dollars.

Selon le FSB, l'avion aurait dû ensuite être acheminé vers la base aérienne militaire de l'Otan de Constanta, en Roumanie, située sur les bords de la mer Noire, à 400 km à vol d'oiseau de la péninsule de Crimée, annexée par Moscou en 2014. Là-bas, l'appareil aurait pu être "abattu" par les systèmes de défense antiaérienne, a encore expliqué le FSB. "Ces projets ukrainiens et britanniques d'organiser une provocation d'ampleur ont été déjoués", grâce à l'un des pilotes de l'avion qui a prévenu les forces de l'ordre, selon la même source.

Les forces russes continuent d'avancer dans l'est de l'Ukraine

Dans une vidéo du FSB diffusée par la télévision russe, cette personne, dont le visage est dissimulé, affirme s'être vu proposer, par mail, par le renseignement ukrainien de "tuer" le commandant de l'avion avant de détourner l'appareil, en échange de trois millions de dollars et de l'obtention de "la nationalité d'un pays occidental", sans préciser lequel.

En "riposte à cette provocation", les forces russes ont effectué une frappe au moyen de missiles Kinjal contre un centre de renseignement électronique de l'armée ukrainienne à Brovary, dans la région de Kiev, et une base aérienne de Starokostiantyniv dans la région de Khmelnitsk, selon le FSB cité par l'agence de presse officielle TASS.

Cette annonce intervient alors que la Russie, dont les forces sont mieux équipées et plus nombreuses, continue d'avancer dans l'est de l'Ukraine et notamment dans la région de Donetsk où se concentre l'essentiel des combats. Les efforts diplomatiques engagés par le président américain, Donald Trump, pour mettre fin au conflit le plus sanglant en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale sont au point mort.

© afp.com/-

Des avions d'interception supersoniques MiG-31 transportant des missiles hypersoniques "Kinjal" survolant la Place Rouge le 9 mai 2018
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Terres rares : la bataille est lancée dans le fond des océans

Vous avez forcément suivi la guerre commerciale que le président des Etats-Unis mène à de très nombreux pays et entreprises, de quoi selon lui renforcer l’économie américaine. Et dans le viseur de Donald Trump, il y a évidemment la Chine.

En guise de riposte, Pékin a trouvé une arme fatale : les terres rares. Aujourd’hui indispensables dans la fabrication de beaucoup de produits technologiques, allant des batteries de voitures électriques et des téléphones, aux équipements militaires, les Chinois en sont le principal fournisseur. Ils représentent près de 70 % de la production mondiale et plus de 90 % du raffinage.

La Chine menace donc de couper le robinet à destination des Etats-Unis, dans l’espoir de voir les droits de douane imposés par Trump se réduire.

Le président américain est donc à la recherche de nouveaux approvisionnements. Il est prêt à creuser n’importe où, et notamment dans le fond des océans.

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Cet épisode a été écrit et présenté par Charlotte Baris et réalisé par Jules Krot.

Crédit : TV5 Monde, La Maison Blanche, France 24

Musique et habillage : Emmanuel Herschon/Studio Torrent

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Pour aller plus loin :

Javier Blas (Bloomberg) : "Si les terres rares étaient si stratégiques, on n’en mettrait pas dans les aspirateurs"

"Donald Trump pense que c’est open bar" : les manœuvres des Etats-Unis pour exploiter les fonds marins

Comment Donald Trump casse le thermomètre mondial du climat

© AFP

Donald Trump, le 9 février 2025.
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COP30 : la taxe carbone aux frontières européennes, ce mécanisme qui irrite la Chine et l’Inde

C'est un mécanisme environnemental européen qui pourrait obstruer les négociations à la COP30. La taxe carbone aux frontières de l'Union européenne s'invite dans les discussions à Belém, au Brésil, qui ont commencé ce 10 novembre. Cette taxe vise à imposer aux importations un prix du carbone similaire à celui en vigueur en Europe, où les entreprises paient, en quelque sorte, pour polluer. En clair, les produits importés polluants ne sauraient être plus chers que ceux européens. Parmi les secteurs concernés : l'acier, l'aluminium, le ciment, les engrais, l'électricité et l'hydrogène - dont la Chine et l’Inde sont de grands producteurs.

Pour ces deux pays asiatiques, la taxe carbone, si elle devenait pleinement opérationnelle en 2026 comme prévu, représenterait un lourd manque à gagner. Selon le rapport "Réponse du Sud global à un régime commercial en mutation à l'ère du changement climatique", cité par Lepetitjournal.com, l’Inde pourrait perdre jusqu'à 0,5 % de son PIB avec cette taxe. Quant à la Chine, Le Monde évoquait en avril 2024 l'importance de sa "déferlante d'acier", dont l’UE dépend fortement notamment pour construire les infrastructures d’énergie renouvelable.

Hausse de la taxe carbone

La taxe carbone repose sur un principe : les importateurs - souvent des grandes sociétés de trading - doivent déclarer les émissions de CO2 liées à la production à l'étranger. Si celles-ci dépassent les standards européens, ils doivent acheter un "certificat d'émission" au prix du CO2 dans l'UE. Or, ce tarif ne cesse d’augmenter : actuellement autour de 70 euros la tonne, il "devrait atteindre plus de 100 euros d'ici 2030", expliquait à l’AFP ce lundi Pierre Leturcq, de l'Institute for European Environmental Policy. Une hausse qui pourrait "quasiment doubler le prix de la tonne d'acier", poursuit-il.

D’où les réactions offusquées des géants chinois et indiens, qui exigent, avec la Bolivie, d'inscrire les "mesures commerciales unilatérales" à l'ordre du jour de la conférence de l'ONU sur le climat (COP30) pour négocier sur cette taxe carbone.

A qui la responsabilité environnementale ?

En creux, le bras de fer se joue - et se rejoue - entre les pays dits du Sud et les pays dits du Nord. L’Europe souhaite avant tout "éviter le phénomène des fuites de carbone", selon Pierre Leturcq, c'est-à-dire empêcher que des entreprises polluantes délocalisent leur production vers des pays où les réglementations climatiques sont moins strictes. Elle présente le mécanisme comme un outil "vertueux", incitant le reste du monde à renforcer ses exigences environnementales.

En face, les pays concernés y voient une barrière commerciale déguisée. Cet instrument a été "mal compris" et "mal interprété" par les partenaires commerciaux de l'UE, estime Elisa Giannelli, du think tank environnemental E3G. Car "personne n'a vraiment pris la peine de leur expliquer de quoi il s'agit".

Les pays en développement, dont la Chine et l’Inde, répliquent aussi que la taxe carbone viole le principe de l'Accord de Paris de "responsabilités communes mais différenciées." Selon cette idée, les premiers pays industrialisés ont plus contribué au réchauffement climatique. Ils ne sauraient ainsi imposer les mêmes mesures de redressement et de réparation qu’ils s’imposent à eux-mêmes. Autant de tensions ​​qui pourraient, selon Pierre Leturcq, parasiter les "discussions de fond" de la COP30 sur le financement de la lutte contre le changement climatique et les efforts d'atténuation, qui nécessitent des centaines de milliards d'euros.

La place ambivalente de la Chine et l’Inde

Tout ceci relève d'un faux procès, selon l'eurodéputé centriste Pascal Canfin. Le CBAM "concerne essentiellement les échanges avec les pays industrialisés, les Etats-Unis, le Canada, la Chine, plus la Russie et l'Ukraine pour les fertilisants. C'est un non-sujet pour les pays en développement", juge l'élu, qui a porté le texte au Parlement européen.

L’Inde, elle, adopte une position plus ambivalente. Alors que des tensions commerciales montent entre la Chine et l’UE, New Delhi souhaite concurrencer son voisin, deuxième puissance économique mondiale, et devenir un partenaire privilégié de l’Europe. L’Inde pourrait demander, selon le pureplayer Euractiv, un traitement différencié afin d'être exonérée de la taxe carbone.

Un médiocre gain pour l’UE ?

Au-delà des arguments des uns et des autres, cette taxe ne devrait rapporter qu'environ 1,4 milliard par an à l'UE à partir de 2028. Son impact sur les émissions de carbone ne pourrait n’être qu’"assez minime", toujours selon Pierre Leturcq.

Certains spécialistes recommandent donc à l'Union européenne d'utiliser une partie de ces fonds pour soutenir des initiatives de décarbonation en dehors de l'Europe - un geste qui permettrait aussi d'apaiser les tensions avec les pays du Sud. Une idée d’autant plus pertinente que, selon Le Monde, le MACF devrait être étendu à tous les secteurs présentant un risque de fuite de carbone d’ici 2030. Les eurodéputés souhaitent, par exemple, taxer certains plastiques ou produits chimiques.

© afp.com/Mauro PIMENTEL

Une personne passe devant une affiche de la COP 30, à Belem au Brésil, le 5 novembre 2025
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Tensions avec le Cambodge : la Thaïlande suspend l’accord de paix "historique" de Donald Trump

C'était l'une des "six guerres" auxquelles Donald Trump se vante régulièrement d'avoir mis fin - un chiffre gonflé et éloigné de la réalité. La Thaïlande a annoncé, lundi 10 novembre, la suspension de son cessez-le-feu avec le Cambodge, cosigné fin octobre par le président américain. L'annonce intervient après l'explosion d'une mine terrestre près de la frontière, ayant blessé deux soldats thaïlandais.

Le porte-parole du gouvernement thaïlandais, Siripong Angkasakulkiat, a déclaré que Bangkok cessera le "suivi de la déclaration conjointe", signé en Malaisie fin octobre par les Premiers ministres cambodgien Hun Manet et thaïlandais Anutin Charnvirakul, en compagnie du président américain Donald Trump et du Premier ministre malaisien Anwar Ibrahim.

L'accord visait à mettre un terme aux hostilités entre les deux pays, qui se sont affrontés à leur frontière durant cinq jours en juillet lors de combats menés par leurs troupes au sol, leur artillerie et leur aviation. Ils ont fait au moins 43 morts et provoqué l'évacuation de plus de 300 000 civils, avant qu'une trêve ne soit accordée sous la pression des Etats-Unis, cet été. Le texte signé fin octobre prévoyait notamment la libération de 18 prisonniers cambodgiens détenus en Thaïlande depuis plusieurs mois. Les deux parties avaient également accepté de retirer les armes lourdes et de déminer les zones frontalières.

Deux soldats blessés

Mais l'explosion d'une mine dans la province de Sisaket, dans l'est du pays, vient remettre en cause la paix entre les deux pays. Lors de l'explosion, un soldat a été grièvement blessé à la jambe, tandis qu'un autre souffre de douleurs thoraciques, a affirmé l'armée thaïlandaise dans un communiqué. "Nous pensions que la menace pour la sécurité s'était atténuée, mais elle n'a en réalité pas diminué", a estimé le Premier ministre thaïlandais Anutin Charnvirakul lors d'une conférence de presse.

De son côté, le ministère cambodgien de la Défense a promis lundi dans un communiqué un "engagement indéfectible" pour la paix. Les autorités de Phnom Penh n'ont en revanche pas commenté dans l'immédiat l'explosion de la mine.

Désaccord frontalier

Les deux pays voisins d'Asie du Sud-Est ont un différend ancien portant sur le tracé de certaines parties de leur frontière, longue de 800 kilomètres. Les combats de juillet avaient été déclenchés par des affirmations de la Thaïlande selon lesquelles le Cambodge avait posé des mines ayant blessé ses soldats.

Depuis la trêve de fin juillet, les deux pays s'accusent mutuellement de violations du cessez-le-feu et les analystes estiment qu'un pacte de paix global réglant le différend territorial au coeur du conflit reste difficile à atteindre. Les deux royaumes ont traversé cet été l'épisode le plus sanglant de leurs relations depuis celui de 2008 à 2011, qui avait causé la mort de 28 personnes.

© AFP

L'accord signé entre le Cambodge et la Thaïlande lors du sommet de l'Asean, le 26 octobre dernier, avait été qualifié "d'historique" par Donald Trump.
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"Sergueï Lavrov travaille activement", le Kremlin dément la disgrâce du chef de la diplomatie russe

Non, Sergueï Lavrov n’a pas été mis à l’écart, et il continue de "travailler activement". Lundi 10 novembre, le Kremlin a démenti les rumeurs d’une disgrâce du chef de la diplomatie russe, après l’échec de l’organisation du sommet Trump-Poutine à Budapest. Sergueï Lavrov n’était en effet pas parvenu à se mettre d’accord avec son homologue américain Marco Rubio sur les modalités de la rencontre, reportée sine die. Depuis, ses apparitions publiques se font extrêmement rares. Mais Moscou l’assure : "tout va bien" avec Sergueï Lavrov, et "lorsqu’il y aura des événements publics" il réapparaîtra. En parallèle, la Russie continue son avancée en Ukraine. Le ministère russe de la Défense a annoncé lundi dans un communiqué s’être emparé des villages de Nove et Slodkie, dans la région de Zaporijjia, dans le sud, ainsi que de Gnativka, dans la région de Donetsk (est). Pour le Kremlin, la perspective que l’Ukraine gagne la guerre "est illusoire".

Les infos à retenir

⇒ Le Kremlin dément les rumeurs d’une disgrâce de Sergueï Lavrov

⇒ Moscou revendique la prise de trois villages dans le sud et l’est de l’Ukraine

⇒ Une opération anti-corruption a été lancée dans le secteur énergétique ukrainien

Le Kremlin dément la mise à l’écart de Sergueï Lavrov

"Tout va bien" avec Sergueï Lavrov, qui "continue de travailler activement". Lundi, le Kremlin a démenti, par la voix de son porte-parole, Dmitri Peskov, les rumeurs quant à une mise à l’écart du chef de la diplomatie russe. Alors que ses apparitions se font de plus en plus rares, des rumeurs ont émergé sur une éventuelle disgrâce de Sergueï Lavrov, après son échec à se mettre d’accord avec les Américains sur les modalités d’organisation du sommet Trump-Poutine, qui aurait dû se tenir à Budapest.

Ces derniers jours, seules des adresses écrites ou des interviews vidéo du chef de la diplomatie russe ont été publiées, et aucune annonce n’a été faite sur son agenda public. Mais le Kremlin l’a assuré lundi : "Lorsqu’il y aura des événements publics, vous allez voir le ministre", a indiqué Dmitri Peskov.

Une victoire de l’Ukraine est "illusoire" dit le Kremlin

La Russie, dont les forces sont mieux équipées et plus nombreuses, continue d’avancer dans l’est de l’Ukraine et notamment dans la région de Donetsk où se concentre l’essentiel des combats. Le ministère russe de la Défense a annoncé lundi dans un communiqué s’être emparé des villages de Nove et Slodkie, dans la région de Zaporijjia, dans le sud, ainsi que de Gnativka, dans la région de Donetsk (est).

"Les Européens croient que l’Ukraine peut gagner la guerre et défendre ses intérêts par des moyens militaires" mais cette perspective est "illusoire", a déclaré lundi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. "La situation sur le front indique le contraire", a-t-il affirmé, ajoutant que la fin du conflit ne sera possible que "lorsque la Russie aura atteint tous les objectifs qu’elle s’était fixés au départ".

Moscou réclame que l’Ukraine renonce à rejoindre l’Otan et cède à la Russie les régions de Donetsk et de Lougansk, qui forment le Donbass dans l’est, celles de Kherson et de Zaporijjia dans le sud, en plus de la Crimée annexée en 2014. Des conditions inacceptables pour les dirigeants ukrainiens et leurs alliés occidentaux. Fin octobre, l’armée russe contrôlait totalement ou partiellement près de 20 % du territoire ukrainien.

Opération anti-corruption "à grande échelle" dans le secteur énergétique ukrainien

Les instances ukrainiennes de lutte contre la corruption ont annoncé lundi avoir lancé une "opération à grande échelle" ayant permis de mettre au jour des cas de corruption dans le secteur énergétique du pays, lourdement endommagé par de récentes frappes russes.

Selon l’Agence nationale anticorruption (le NABU), "un vaste système de corruption visant à influencer des entreprises stratégiques du secteur public" aurait été mis en place, notamment au sein de l’opérateur nucléaire ukrainien Energoatom.

"Quinze mois de travail et 1 000 heures d’enregistrements audios. Les activités d’une organisation criminelle de haut niveau ont été documentées", a affirmé l’agence, qui a accompagné son communiqué de photos montrant des sacs remplis de billets de banque en euros et en dollars, mais sans fournir davantage de détails sur l’opération.

Cette annonce intervient après plusieurs mois de tensions entre ces agences et le gouvernement, sur fond de débats autour des efforts de Kiev en matière de lutte contre la corruption.

© afp.com/Alexander Zemlianichenko

Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, le 21 août à Moscou
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En Pologne, l’opposant russe était en fait un espion de Moscou

Il avait été associé à plusieurs mouvements d’opposition russes, notamment la célèbre Fondation anticorruption d’Alexeï Navalny, décédé en prison en 2024. L’exilé russe Igor Rogov, qui avait quitté son pays natal en 2021, a finalement admis avoir collaboré avec les services secrets de Moscou depuis la Pologne.

Selon le Guardian, qui a eu accès à des documents d’accusation, Igor Rogov a reconnu avoir travaillé comme agent infiltré pour le FSB (les services secrets russes) et lui avoir transmis des informations sur les autres opposants russes présents en Pologne. L’homme avait initialement été arrêté en juillet 2024 avec sa femme Irina par les autorités polonaises, le couple étant suspecté d’avoir participé à l’envoi et la réception d’un colis contenant des explosifs.

Téléphone jetable et clé USB cryptée

Irina et Igor, qui avaient obtenu un visa polonais en 2022 à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, auraient pu se fondre dans le lot de personnes arrêtées au cours des deux dernières années dans le cadre d’enquêtes de sabotage. Il s’agit bien souvent d’Ukrainiens, Polonais ou Biélorusses recrutés sur Telegram pour des missions ponctuelles. Mais l’enquête polonaise montre des liens plus étroits et durables entre le couple et le FSB. Igor et sa femme ont ainsi été inculpés début octobre pour les faits liés au colis piégé mais également pour avoir fourni au FSB des informations sur des opposants russes résidant en Pologne ainsi que sur les individus et les institutions qui leur portent assistance, rapporte l’agence Reuters.

Selon les documents consultés par le Guardian, Igor Rogov avait été approché par le FSB "il y a plusieurs années", lorsqu’il était encore en Russie, afin d’infiltrer la branche locale d’un mouvement d’opposition. Il avait alors des contacts réguliers avec les services de renseignement via un téléphone jetable et percevait de l’argent en échange de ses informations. Un communiqué du parquet polonais rapporte ainsi qu’il a collaboré avec le FSB "contre la République de Pologne" entre février et août 2022. Son épouse Irina, qui savait que son mari travaillait pour le FSB, avait ensuite "entrepris les démarches" pour transférer vers la Russie des informations contenues sur une clé USB cryptée cachée dans un colis. Le parquet polonais ne précise pas si la femme avait effectivement réussi à transférer cette clé USB au FSB.

Chantage depuis la Russie

D’après les informations du média polonais Wirtualna Polska confirmées par le Guardian, l’acte d’accusation indique qu’Igor a été victime de chantage de la part du FSB. Les services secrets l’auraient menacé d’enrôler son père dans l’armée russe s’il ne transmettait pas les informations recueillies en Pologne.

L’opposant factice est désormais accusé d’espionnage "susceptible de nuire à la République de Pologne", selon le parquet polonais, et plus précisément d’avoir mis en danger "la vie ou la santé de nombreuses personnes", précise Wirtualna Polska. La première audition du couple devrait se tenir le 8 décembre.

© AFP

Igor Rogov avait été recruté par le FSB, les services secrets russes, pour infiltrer les mouvements d'opposition en Russie.
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Donald Trump élu président des Etats-Unis : un come-back historique

Contre toute attente, le milliardaire imprévisible et outrancier new-yorkais Donald Trump, 70 ans, a remporté l'élection présidentielle de 2016 aux Etats-Unis, face à la démocrate Hillary Clinton. Investi président le 20 janvier 2017, il a succédé à Barack Obama. Promettant à l'Amérique ordre et sécurité, il fait de la lutte contre l'immigration la priorité de son administration à la Maison Blanche, symbolisée par son projet de mur à la frontière avec le Mexique. Après une campagne iconoclaste souvent en opposition à la ligne de son propre parti, le magnat de l'immobilier multiplie les bravades à l'international, notamment evers la Corée du Nord, la Chine et l'Iran.

© AFP

Donald Trump s'exprime lors d'une soirée électorale au centre de congrès de West Palm Beach, en Floride, au début du 6 novembre 2024.
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Boualem Sansal : l’appel du président allemand à Abdelmadjid Tebboune

Le président allemand a exhorté lundi 10 novembre son homologue algérien à gracier l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, emprisonné depuis un an en Algérie et au cœur d’une grave crise diplomatique entre Alger et Paris.

Appelant son homologue Abdelmadjid Tebboune à un "geste humanitaire", Frank-Walter Steinmeier propose aussi que Boualem Sansal soit transféré en Allemagne pour "y bénéficier de soins médicaux […] compte tenu de son âge avancé […] et de son état de santé fragile".

"Un tel geste serait l’expression d’une attitude humanitaire et d’une vision politique à long terme. Il refléterait ma relation personnelle de longue date avec le président Tebboune et les bonnes relations entre nos deux pays", a estimé le président allemand, dans un communiqué.

Condamné à cinq ans de prison

Arrêté à Alger le 16 novembre 2024, le romancier et essayiste franco-algérien Boualem Sansal a été condamné en appel en juillet à cinq ans de réclusion pour avoir notamment déclaré que l’Algérie avait hérité sous la colonisation française de territoires appartenant jusque-là au Maroc.

Jeudi, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, avait souligné que la France menait un "dialogue exigeant" avec Alger pour obtenir la libération de Boualem Sansal.

L’affaire s’inscrit dans un contexte d’hostilité entre Paris et Alger, qui sont empêtrés depuis plus d’un an dans une crise diplomatique sans précédent qui s’est traduite par des expulsions de fonctionnaires de part et d’autre, le rappel des ambassadeurs des deux pays et des restrictions sur les porteurs de visas diplomatiques.

© afp.com/Joël SAGET

L'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, le 8 septembre 2015 à Paris
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Guerre au Moyen-Orient : retrouvez tous nos contenus

© afp.com/Omar AL-QATTAA

Des déplacés palestiniens retournant chez eux marchent au milieu des destructions dans le centre de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 10 octobre 2025
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Etats-Unis : le Sénat franchit un premier pas en vue de mettre fin au shutdown

L’administration américaine va-t-elle bientôt sortir de la plus longue paralysie de son histoire ? Un accord provisoire passé dimanche 9 novembre au Sénat suscite l’espoir. Depuis le 1er octobre dernier, l’absence d’un accord entre républicains et démocrates sur le budget de l’Etat fédéral paralyse l’administration, entraînant son "shutdown" et donc le blocage d’une partie des services publics.

Au 40e jour de paralysie budgétaire, les sénateurs sont finalement parvenus à un accord provisoire permettant le financement du gouvernement jusqu’en janvier, selon plusieurs médias américains. Un groupe de "démocrates modérés" a accepté lors d’un vote d’entamer les procédures pour aller vers un projet de loi sur le budget, sans pour autant avoir les garanties qu’ils demandaient jusqu’ici sur l’assurance santé, rapporte l’agence Associated Press.

Un vote sur l’Obamacare

Dans le détail, cet accord bipartisan permet le financement de l’Etat fédéral jusqu’au 30 janvier en échange d’un vote en décembre sur l’assurance santé, rapporte CNN. La question de l’assurance santé est clé dans le bras de fer qui oppose les républicains et démocrates et qui a conduit au shutdown. Les démocrates conditionnent en effet leurs voix à une prolongation des subventions des programmes d’assurance santé liés à l'"Affordable Care Act", plus connu sous son surnom d'"Obamacare". Cette loi adoptée en 2010 avait permis à des millions d’Américains à bas revenus d’obtenir une assurance.

Les subventions actuellement au cœur de la bataille du budget prennent la forme de crédits d’impôt, augmentés pendant la pandémie de Covid-19 mais qui expirent à la fin de l’année. Les élus démocrates considèrent qu’une telle expiration des crédits d’impôt représenterait un coup de massue pour des Américains au pouvoir d’achat déjà entamé par l’inflation, tandis que les républicains refusaient jusqu’ici toute négociation. Selon CNN, les élus républicains du Sénat et de la Chambre des représentants discuteront d’un texte sur l’assurance santé dans les semaines qui suivront la fin du shutdown. Le chef de la minorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, a toutefois déploré que l’extension des aides à la santé fasse l’objet d’un vote et non d’une prolongation directe.

L’accord trouvé dimanche implique aussi l’annulation du licenciement de milliers de fonctionnaires fédéraux par Donald Trump le mois dernier, et le paiement des fonctionnaires mis au chômage technique, précise Associated Press. Le texte prévoit aussi de protéger les agents du service public contre les licenciements abusifs.

La chambre haute, contrôlée par les Républicains, l'a adopté par 60 voix contre 40 grâce à l'appoint de sept sénateurs démocrates et d'un élu indépendant. Une première étape avant un vote final qui ne nécessitera que 50 voix pour être validé. Mais l'accord devra aussi passer devant la Chambre des représentants, avant d’être soumis à Donald Trump pour signature. Cette procédure pourrait prendre plusieurs jours.

Les conséquences du shutdown s’accumulent

"On dirait qu’on s’approche de la fin du shutdown", a estimé devant la presse le président Donald Trump, de retour à la Maison-Blanche après avoir passé le week-end dans sa résidence floridienne de Mar-a-Lago.

Les Américains commencent à sentir de plus en plus peser les effets du shutdown, le plus long de l’histoire des Etats-Unis. Des centaines de milliers de fonctionnaires fédéraux ne sont plus payés depuis le 1er octobre, l’aide alimentaire est suspendue pour des millions d’Américains et le manque de personnel de l’administration fédérale entraîne des conséquences en cascade, comme des annulations massives de vol ou la mise à l’arrêt de certains tribunaux.

© afp.com/Anna Rose Layden

Les sénateurs américains ont trouvé dimanche un accord provisoire en vue de mettre fin à la paralysie budgétaire
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Océans : que faire face à la pêche industrielle et l’élevage intensif ?

Le retour de Donald Trump, vous le savez, inquiète largement les scientifiques. Le président des Etats-Unis s’en prend aux universités, aux revues, aux agences de recherche, à leurs financements comme aux membres de certaines institutions. Et celles liées au climat ne sont pas épargnées, Donald Trump estimant que le réchauffement est un canular.

Le républicain s’est notamment attaqué à la NOAA, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique. 1 200 fonctionnaires ont été tout simplement remerciés, façon Trump, et d’autres devraient bientôt suivre.

Cette agence joue pourtant un rôle clé dans la préservation de l’environnement un peu partout sur la planète et surtout concernant les océans : suivi météorologique, prévision d’ouragans ou de sécheresses, surveillance des ressources marines, elle a des programmes de recherche en Inde, au Brésil, ou encore dans les îles du Pacifique, et des partenariats avec de grands laboratoires comme l’Ifremer en France.

Mais à l’heure où Donald Trump met en pièces la recherche sur les fonds marins, le reste du monde s’organise pour assurer leur protection.

Dans quelques jours, la France accueillera à Nice un sommet des Nations unies réunissant Etats, ONG et scientifiques. Tous vont tenter de s’accorder sur des traités et des financements pour sauvegarder nos océans.

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Cet épisode a été écrit et présenté par Charlotte Baris, réalisé par Jules Krot et monté par Emeline Dulio.

Crédit : Union nationale de la poissonnerie française, Elysée, Les Echos

Musique et habillage : Emmanuel Herschon/Studio Torrent

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© afp.com/Christophe ARCHAMBAULT

Des pêcheurs déchargent leurs prises au port Chef de Baie de La Rochelle, le 21 février 2024, alors que la pêche dans le golfe de Gascogne a repris après une interdiction d'un mois
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Lena, combattante russe aux côtés des Ukrainiens : "Je ne tire pas sur des compatriotes, mais sur des violeurs et des assassins"

Ils s’appellent Sofia, Viktor, Lena et Pavel. Ou plutôt, nous les appellerons ainsi. Sofia travaille avec l’association Mémorial, interdite en Russie. Viktor, employé sur une base militaire, fait passer des informations à l’armée ukrainienne. Lena combat dans les rangs d’une unité de volontaires russes intégrée aux forces armées de Kiev. Pavel aide les réfugiés des régions russes touchées par la guerre, et en profite pour distiller des messages pacifistes.

Les contacter nous a pris plusieurs mois. Les conversations ont eu lieu par la messagerie cryptée Signal, plutôt que Telegram, soupçonnée d’être infiltrée par le FSB. Deux d’entre eux ont préféré garder éteinte leur caméra au moment de témoigner. Tous ont relu, avant publication, leurs interviews, pour s’assurer qu’il n’y restait aucune information risquant de les identifier formellement. Le risque qu’ils ont pris, en nous parlant, est considérable tant, depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, la répression est omniprésente en Russie.

>> Le témoignage de Sofia, opposante clandestine à Vladimir Poutine : "Si tout le monde s’en va, qui va agir ici ?"

>> Le témoignage glaçant de Viktor, espion dans une base russe : "Si je suis arrêté, je mourrai en prison"

De longs cheveux blonds traversés d’une mèche teinte en violet, les traits creusés. "Zirka", son nom de guerre, signifie "étoile" en ukrainien. Mais elle est bel et bien russe, engagée comme aide-soignante dans la légion "Liberté de la Russie", une unité formée de volontaires russes qui combat aux côtés des forces de Kiev. Parfaitement francophone, elle vivait à Paris quand la guerre a éclaté. Deux ans plus tard, après un long cheminement personnel et un recrutement exigeant, la voilà sur le front.

"J’ai fait mes études supérieures à Paris et j’y suis devenue brodeuse d’art. Je travaillais pour des maisons de haute couture et je voulais créer mon propre atelier. Souvent, je travaillais avec des collègues ukrainiens. Le matin du 24 février, j’ai vu les nouvelles, les messages des amis, de la famille éloignée en Ukraine, qui m’écrivaient 'C’est la guerre, on est bombardés'. Je n’y croyais pas. Qui va attaquer un pays moderne, européen, pour rien du tout ?

Une seule personne m’a soutenue sur mes milliers de followers

Mais le pire, c’était la réaction des Russes. Le rejet massif de la réalité, du fait que la Russie était en train d’attaquer l’Ukraine, tous ces gens qui disaient 'C’est faux, ce sont des vidéos truquées' ou qui disaient que les Ukrainiens étaient responsables de tout ce qui se passait. C’était dingue. Pour moi, c’était même plus choquant que de voir les villes ukrainiennes bombardées. Et cette vague de fascisme russe, de 'ruscisme', a commencé, du jour au lendemain, à engloutir la plupart de mes connaissances. J’étais bouleversée. Je parlais de la guerre à tout le monde, tout le temps. A l’époque, on croyait que c’était possible d’expliquer la situation aux Russes, qu’ils allaient se soulever et arrêter Poutine. Quand j’y repense, je trouve ça drôle et triste en même temps. J’ai montré sur les réseaux sociaux mon passeport russe, j’ai dit que j’avais visité l’Ukraine, que je n’avais jamais eu de problème, que les russophones ukrainiens n’étaient pas opprimés ou malheureux. Parmi toutes mes connaissances, une personne m’a écrit pour me soutenir. Une seule, sur les milliers de followers que j’avais. Par contre, j’ai reçu beaucoup d’insultes.

Très vite, j’ai eu envie de partir combattre en Ukraine. Je suis une personne qui préfère agir qu’attendre. J’ai zéro patience, je m’épanouis dans l’action. Mais en même temps, j’avais 38 ans. Je suis une femme, pas très sportive. Je n’avais aucune expérience militaire. Je pensais que je serais complètement inutile. Je me disais : il leur faut des tireurs, des électriciens, des médecins… mais pas moi, avec mon fil et mes aiguilles. Une collègue ukrainienne, qui habitait à Kiev, m’a alors confié ses enfants à Paris, une fille de 15 ans et deux petits de 6 et 8 ans, pendant que son mari était au front. Ça m’a apaisée, je me sentais utile. Et puis la guerre s’est installée et les gens, à Kiev, ont appris à vivre avec.

J’ai pris six mois pour m’entraîner

Les enfants sont rentrés chez eux. De nouveau, j’ai eu envie de partir. J’ai rédigé une liste recensant tout ce que je pouvais faire d’utile et, en février 2023, j’ai écrit à l’armée ukrainienne. Ils m’ont répondu qu’ils n’étaient pas intéressés par mon passeport russe, mais ils m’ont parlé de la légion "Liberté de la Russie". C’était en concordance avec ce que je veux, une Russie paisible, une Russie où les gens vivent bien, parce que les gens qui vivent bien n’attaquent pas d’autres pays. J’avais peur de ne pas être acceptée, alors j’ai décidé de me préparer.

J’ai pris six mois pour m’entraîner, j’ai appris les premiers secours avec les sapeurs-pompiers français, je suis partie aux Etats-Unis, j’ai appris à piloter des drones et, finalement, j’ai envoyé ma candidature. Six mois plus tard, j’ai rejoint la légion, en tant qu'aide-soignante militaire. C’est un processus très long pour éviter que la légion ne se fasse infiltrer par des agents du FSB. Nous sommes désignés comme une organisation terroriste en Russie. On nous considère comme des traîtres. Mais c’est notre pays qui nous a trahis.

Ça ne me dérange pas de tirer sur des Russes [NDLR : sur le front ukrainien, les aide-soignants peuvent être armés]. Ce n’est pas une question de nationalité, c’est une question de choix individuel. Si quelqu’un tire sur votre enfant, vous allez lui tirer dessus. Les voleurs, les tueurs, les malfaiteurs, on les met en prison. C’est la même chose. Je ne tire pas sur des compatriotes, mais sur des voleurs, des assassins de gens sans défense, des violeurs d’enfants. Je discute souvent avec des prisonniers russes. Ils disent toujours 'on n’avait pas le choix'. Mais on a toujours le choix. Ils pouvaient s’enfuir du bus qui les emmenait à la caserne, personne ne les aurait rattrapés. Ils pouvaient partir à l’étranger, ils pouvaient refuser de servir, ils pouvaient choisir d’aller en prison. Ils sont restés dans leur bus comme des moutons, c’est leur choix. Et puis il y a l’argent. Les militaires russes sont très bien payés, ils sont très nombreux à n’être là que pour ça.

Les raids de la légion sur le territoire russe en 2023, ça donnait de l’espoir. L’espoir, il faut l’alimenter régulièrement, sinon on le perd. Quand je suis partie rejoindre la légion, c’était le moment où la motivation baissait, la victoire s’éloignait. Je me suis dit 'c’est le moment d’y aller, le moment le plus difficile'. Il faut des nouvelles personnes pour remplacer les pertes. C’était horrible pour ma mère. Moi, je me disais 'on verra'. De toute façon, après avoir gagné en Ukraine, il faudra gagner en Russie. La victoire de l’Ukraine sera un grand pas vers la libération de la Russie. Il faut la libérer de ce gouvernement fasciste. Chaque année de guerre enfonce la Russie dans un abîme de détresse économique et culturelle. Le dernier espoir que l’on a eu, c’est la contre-offensive de l’été 2023, qui a complètement échoué.

Aujourd’hui, on continue à se battre parce qu’il faut continuer. Mais quand on me demande quand ça finira, je réponds 'jamais'. Cette guerre ne finira jamais. Ou alors il faut des sanctions, que le monde entier s’oppose à la Russie. Le régime ne s’effondrera pas tout seul. Ou peut-être qu’il y aura un miracle : il va quand même crever un jour, ce Poutine ! Mais une révolte de l’intérieur, il n’y en aura que si son armée est vaincue. Les gens sont terrifiés, là-bas. Tous ceux qui avaient du courage sont en prison, morts ou partis à l’étranger.

Moi, je combattrai jusqu’à ce que je sois tuée. C’est tout à fait possible, je l’envisage assez calmement. Mourir un jour, ça fait partie de notre métier. Donc, ça se passera comme ça, sauf si un jour je sens que j’ai donné assez longtemps de ma vie à cette cause et qu’il est temps de passer à autre chose. J’ai décidé de servir au moins trois ans. Evidemment, le rêve, ce serait la victoire. J’en ai les larmes aux yeux rien que d’y penser. Que les soldats russes partent d’Ukraine, d’abord. Et ensuite, avoir la certitude que la Russie n’attaquera plus jamais personne. Plus de Poutine, la Russie reconnaît ses crimes, paie des réparations, démolit le mausolée de Lénine et construit à la place une stèle à la mémoire de tous ceux qui ont été tués, pour que la Russie se souvienne toujours de ce qu’elle a fait."

© SERGEY BOBOK/AFP

Le chef de la légion "Liberté de la Russie", connu sous le nom de code César (3e à droite), pose avec d'autres combattants dans le nord de l'Ukraine, non loin de la frontière russe, le 24 mai 2023. (photo d'illustration)
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Après la France et l'Allemagne, le Royaume-Uni : face aux incursions de drones, la Belgique demande l’aide de ses alliés

Des alliés en soutien à Bruxelles. Depuis plusieurs jours, la Belgique connaît une série d’incursions de drones inconnus au-dessus de différents sites sensibles de son territoire. Jeudi 6 novembre, le trafic aérien a été brièvement interrompu à l’aéroport de Bruxelles à cause d’un engin volant non identifié et repéré dans la zone. Le même scénario s’est répété ce samedi à Liège, toujours au-dessus de l’aéroport de la ville. La semaine dernière, des drones avaient également été remarqués au-dessus de diverses bases militaires.

Sollicitation de la Belgique

Face à ces menaces répétées, la Belgique a demandé l’aide de plusieurs pays frontaliers et membres, comme elle, de l’Otan. L’Allemagne, la France et le Royaume-Uni ont tous les trois répondu à cette sollicitation. Jeudi, Berlin a confirmé l’envoi de moyens dédiés à la lutte anti-drone sur le territoire belge. "La Bundeswehr soutiendra à court terme notre pays voisin en lui fournissant des capacités de lutte contre les petits systèmes aériens sans pilote", a expliqué l’armée allemande dans un communiqué. "La demande d’aide belge a été motivée par une augmentation significative du nombre d’observations d’aéronefs sans pilote non identifiés, y compris dans la zone des installations militaires belges."

De son côté, Paris a pareillement dépêché une équipe anti-drones sur place. Des soldats français qui seraient déjà actuellement présents en Belgique, comme rapporté vendredi par le média flamand Het Belang van Limburg. "Merci la France", a commenté sur X, en réaction de cet article, le ministre belge de la Défense, Theo Francken, pourtant habitué à tacler la France et son industrie de défense. Début octobre, l’armée française avait déjà envoyé temporairement des militaires au Danemark face aux mêmes problématiques de surveillance de Copenhague. 35 personnes et un hélicoptère Fennec avaient entre autres été mobilisés. Une démarche censée "illustrer la solidarité européenne en matière de défense face à la menace sérieuse" de ces drones, avait souligné alors le ministère français des Armées.

L’implication de la Russie "plausible" mais pas certaine

Autre acteur également prêt à assister Bruxelles sur ce sujet : le Royaume-Uni. Le chef d’état-major britannique, Sir Richard Knighton, a précisé ce dimanche sur la BBC que du "personnel" et du "matériel" allaient être envoyés dans le pays contre les drones. "Face à la montée des menaces hybrides, notre force réside dans nos alliances et notre détermination collective à défendre, dissuader et protéger nos infrastructures critiques et notre espace aérien", a détaillé le ministre britannique de la Défense, John Healey, dans un communiqué. Un déploiement qui "montre" que les deux pays sont "unis dans la lutte contre les menaces hybrides", note son homologue belge, Theo Francken, toujours sur X.

Y a-t-il une puissance étrangère derrière le lancement de ces drones ? Après les nombreuses incursions au Danemark, en Norvège ou encore en Allemagne, aucune preuve tangible n’a pu être découverte sur leur origine. Mais une piste occupe l’esprit de tous les observateurs : des tirs ordonnés par la Russie. L’implication de Moscou dans de telles opérations a été jugée "plausible" par Richard Knighton, sans pour autant pouvoir être confirmée pour le moment. Selon le chef d’état-major britannique, la Russie s’affiche aujourd’hui comme la "menace la plus pressante" vis-à-vis du continent européen. Le responsable à exhorter son pays à se "renforcer" face à la guerre hybride menée par le Kremlin.

© Nicolas TUCAT / AFP

L'aéroport de Bruxelles (Belgique), ici photographié le 21 août 2025, a connu une nouvelle incursion de drones.
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France - Algérie : l'incroyable histoire de Baba Merzoug, le canon de la discorde

C’est une colonne en bronze, patinée par les siècles, érigée dans l’ancienne cour d’honneur de l’arsenal de Brest. Peu de Finistériens la connaissent – et pour cause, elle est située dans une enceinte militaire. Et encore moins d’habitants savent que ce fût de 7 mètres de long, surmonté d’un coq, est en réalité… un canon algérien. Surnommée Baba Merzoug ("Père chanceux"), cette couleuvrine géante, l’une des plus grandes jamais fabriquées, a une histoire romanesque. Il y est question de sultan ottoman, de curé supplicié et de batailles épiques. Mais elle est surtout un témoin privilégié de la tumultueuse relation entre la France et l’Algérie. Et pourrait, à ce titre, jouer un rôle un jour prochain.

Et dire que Baba Merzoug était tombé dans les oubliettes de l’Histoire. Il en est ressorti il y a une quinzaine d’années, sous l’impulsion d’une poignée d’Algériens, qui découvrent alors son existence. Émus par son destin funeste, ils en demandent la restitution. Symbole de la puissance de l’Algérie précoloniale, sa place est, selon eux, à Alger, où les Français l’ont ravi lors de la conquête de la ville, en 1830. Leur requête a été entendue : Baba Merzoug figure aujourd’hui, au même titre que l’épée de l’émir Abdelkader (conservée au château de l'Empéri à Salon-de-Provence), sur la liste des biens réclamés par l’État algérien, transmise à Paris en mai 2024 et restée, depuis, lettre morte. Leur credo ? Et si cet engin de mort servait aujourd’hui à rapprocher nos deux pays ? Et si la France, dans un geste d’apaisement, renvoyait de l’autre côté de la Méditerranée ce qui pourrait devenir, disent-ils, un "canon de la paix" ?

Froid polaire

L’idée pourrait faire sourire, tant les rapports entre Paris et Alger sont proches du froid polaire. Dégradée en 2024 après les arrestations de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal et du journaliste Christophe Gleizes, et après la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, la relation s’est encore détériorée en juillet dernier lorsqu’un mandat d’arrêt international a été émis à l’encontre d’un diplomate algérien en poste à Paris, que la justice soupçonne d’avoir participé à l’enlèvement d’un opposant, Amor DZ. L’affaire, sérieuse, a entraîné des expulsions croisées d’agents consulaires et le rappel de l’ambassadeur français. Plus récemment, l’adoption à l’Assemblée nationale d’une résolution, portée par le RN, dénonçant l’accord franco-algérien de 1968, n’a pas arrangé les choses. Résultat, "tout est bloqué, soupire un diplomate. Les entreprises françaises perdent des marchés, la coopération entre les services de renseignement est gelée… Il ne se passe plus rien."

Pourtant, certains voient des lueurs d’espoir. "Le remplacement, place Beauvau, de Bruno Retailleau, partisan d’une ligne dure avec Alger, par Laurent Nunez, a été perçu comme un signal par Alger", estime une autre source. Nul doute que ses récentes déclarations - "ceux qui font croire aux Français que le bras de fer et la méthode brutale sont la seule solution, la seule issue, se trompent" - ont été entendues de l’autre côté de la Méditerranée.

Geste mémoriel

Et si, côté français, la libération des otages reste la condition sine qua non d’un réchauffement, certains se disent toutefois qu’un "geste mémoriel" pourrait contribuer au dégel. L’idée avait d’ailleurs été évoquée par Emmanuel Macron et son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune, lors de leur conversation téléphonique, le 31 mars dernier. Après tout, la diplomatie est friande de symboles. "La première chose à faire serait de relancer la commission mixte d’historiens algériens et français, qui s’était réunie à cinq reprises avant d’être gelée", suggère Benjamin Stora, auteur en 2021 d’un rapport qui a fait couler beaucoup d’encre sur 'la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie'. "Mais restituer un bien peut aussi être un signe fort, ajoute-t-il, d’autant que la France n’en a, jusqu’à maintenant, rendu aucun."

"Et pourquoi pas commencer par le Baba Merzoug ?", tonne Smaïl Boulbina, porte-parole du comité de restitution du fameux canon. Sur le sujet, cet ancien médecin est intarissable. "Il pèse 12 tonnes et tirait des boulets jusqu’à 4 500 mètres, dit-il. Installé dans la citadelle d’Alger, il jouait surtout un rôle dissuasif, tant il était difficile à manœuvrer." À Brest, Hervé Bedri, chargé du patrimoine historique de la Marine pour l’Atlantique, est certainement l’historien français qui connaît le mieux son histoire : "Il a dû être fondu à Istanbul entre 1 512 et 1 520 au profit du sultan ottoman Selim 1er, avant d’être transporté à Alger pour renforcer la défense de la ville, raconte-t-il. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, le Maghreb était sous domination turque. Sa fabrication est une prouesse technique."

Mais le Baba Merzoug est aussi associé, dans la mémoire française, à une tragédie. Il aurait en effet servi à tuer un missionnaire, le père Le Vacher, qui faisait office, en Algérie, de consul du roi Louis XIV. Accusé de trahison par le dey d’Alger lors de la guerre qui l’opposa à la France en 1682, et porté aux gémonies par une foule chauffée à blanc, l’infortuné curé aurait été exécuté par un boulet tiré à bout portant par le canon géant. "Faux ! s’insurge Smaïl Boulbina. Le Baba Merzoug n’y est pour rien, il n’était plus en service depuis 1666 !" Légende ou non, c’est en tout cas pour honorer sa mémoire que l’amiral Duperré le rapatrie à Brest en 1830, lors de sa conquête d’Alger, lorsqu’il le trouve dans une casemate.

Considéré comme une prise de guerre, il fait "partie intégrante du patrimoine historique" de nos armées, écrivait en 2006 la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, à qui l’on demandait - déjà- de le restituer. Vingt ans plus tard, l’armée s’opposerait-elle toujours à son retour ? "Il a été confié à la Marine en 1830, donc nous le gardons, mais si l’on nous dit un jour de le rendre, nous obéirons", répond l’historien Hervé Bedri.

Prise de guerre ? Pas vraiment

Mais est-ce possible, au moins ? Les prises de guerre font, en France, l’objet d’une juridiction spéciale. Toutefois, le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels, actuellement en discussion au Sénat, pourrait changer la donne. Certes, le nouveau texte exclut de l'ensemble des biens pouvant être restitués les biens militaires, ceux-ci étant définis comme des "biens saisis par les forces armées, qui par leur nature, leur destination ou leur utilisation, ont contribué aux activités militaires". Mais justement, le canon Baba Merzoug n’a joué aucun rôle dans la bataille d’Alger, en 1830, puisqu’il était, depuis longtemps, remisé dans une casemate.

"Il sort donc a priori de la catégorie des biens militaires", commente Marie Cornu, directrice de recherches au CNRS et coauteure du Dictionnaire comparé du droit du patrimoine culturel (CNRS éditions). "Ajoutons, poursuit-elle, qu’il pourrait être possible de sortir ce canon érigé en colonne du domaine public par une autre voie, celle de sa désaffectation, dès lors qu'il s'agit d'un bien immobilier. Il basculerait alors dans un régime de domanialité privée et ne serait plus considéré comme inaliénable. C’est, par exemple, ce qui s’est passé quand l'Etat a vendu l’Imprimerie nationale à des acteurs privés."

Racines profondes

"Canon de la paix", objet de mémoire… mais aussi symbole. Car elle met en lumière une période méconnue de notre histoire commune, à savoir le XIXe siècle. "La guerre d’Algérie n’en est que l’épilogue, avance Benjamin Stora, qui vient de publier France-Algérie, Anatomie d’une déchirure, avec Thomas Snégaroff (Les Arènes). Revenir aux racines profondes de notre relation, en étudiant la façon dont s’est passée la pénétration française en Algérie, entre 1830 et 1880, serait une étape importante dans le processus de réconciliation." Si un fût vert-de-gris, transformé en obélisque sur une place battue par les vents, peut y contribuer…

© ©Fred Tanneau/AFP

Une photo prise le 25 novembre 2011 montre le canon du XVIe siècle installé à l'Arsenal de Brest, dans l'ouest de la France. Ce canon avait été saisi par les Français en 1830 aux troupes algériennes.
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Immigration : le Royaume-Uni prêt à suivre le modèle danois pour durcir l’accès à ses frontières

Suivre le modèle d’un des pays européens les plus restrictifs en matière d’immigration. Selon la BBC, le Royaume-Uni serait prêt à prendre exemple sur les règles imposées par le Danemark aux demandeurs d’asile qui pénètrent sur son territoire. La ministre britannique de l’Intérieur, Shabana Mahmood, devrait annoncer un plan dans ce sens avant la fin du mois, souligne le média britannique. Des hauts fonctionnaires ont d’ailleurs été envoyés par Londres en octobre dans le royaume nordique afin de travailler sur la question, en observant directement les pratiques sur place.

En poste depuis deux mois, Shabana Mahmood a fait de la réduction de l’immigration outre-Manche une priorité. En septembre, elle avait promis au Congrès du Parti travailliste de "tout faire" pour renforcer les frontières britanniques, soumises à un afflux conséquent de migrants depuis de nombreuses années. Au 6 novembre, 37 575 personnes avaient par exemple déjà réussi à rejoindre illégalement les côtes du pays, après avoir traversé la mer via de petites embarcations. Un chiffre déjà supérieur à la totalité des migrants ayant accédé au territoire britannique de la même façon sur l’ensemble de l’année 2024.

Extrême droite en position de force

L’instrumentalisation de faits divers impliquant des migrants par différentes figures, comme l’activiste xénophobe Tommy Robinson, a placé le sujet migratoire comme l’un des thèmes centraux du débat public au Royaume-Uni. Le parti Reform UK, dirigé par son chef de file pro-Brexit Nigel Farage, caracole depuis des mois en tête de plusieurs sondages. De quoi inquiéter le gouvernement travailliste de Keir Starmer, impopulaire et contesté jusque dans son propre camp. Le Premier ministre cherche donc à se saisir lui aussi des problématiques liées à l’asile pour canaliser l’émergence du mouvement d’extrême droite.

Souvent mis en avant par les droites européennes comme une des nations modèles en Europe sur cet aspect, le Danemark a durement renforcé l’accès à son territoire ces dernières années. "Nous attendons des personnes qui viennent ici qu’elles participent et contribuent positivement, et si ce n’est pas le cas, elles ne sont pas les bienvenues", a résumé, toujours auprès de la BBC, Rasmus Stoklund, ministre danois de l’Immigration et de l’Intégration. Ce dernier est membre du parti social-démocrate au pouvoir et dirigé par la Première ministre de gauche, Mette Frederiksen.

Accès au séjour restreint et regroupement familial compliqué

Concrètement, que prévoit la loi danoise vis-à-vis des migrants qui arrivent à ses frontières ? L’accueil à long terme est seulement possible dans des cas précis, par exemple lorsqu’un réfugié est personnellement ciblé par le régime en place dans son pays. Pour les autres demandeurs, l’asile accordé au Danemark n’est alors que temporaire. Copenhague les renvoie dans leur nation d’origine lorsque cette dernière est considérée comme "sûre". Les contraintes pour accéder à un regroupement familial ont également été durcies. Aucune personne de moins de 24 ans ne peut y avoir droit. Le membre de la famille vivant au Danemark ne doit par ailleurs bénéficier d’aucune prestation sociale danoise durant 3 ans et présenter des garanties financières solides.

Au sein du royaume nordique, une autre disposition va encore plus loin. En effet, les autorités danoises ont désormais la possibilité de détruire ou vendre des logements situés dans des immeubles considérés comme appartenant à des "sociétés parallèles". Autrement dit, des bâtiments dont au moins 50 % des occupants sont qualifiés par Copenhague comme issus de "milieux non occidentaux". Ces personnes ne peuvent par ailleurs pas du tout prétendre à un regroupement familial. Pour le moment, Londres n’a toutefois pas précisé si le gouvernement comptait reprendre ce type de concept, dénoncé comme "raciste" par certains élus travaillistes.

Division parmi les travaillistes

Le tour de vis migratoire à venir divise en effet les rangs du Labour. Le député Clive Lewis a frontalement critiqué le durcissement migratoire attendu. "Les sociaux-démocrates danois ont adopté une approche que je qualifierais d’intransigeante en matière d’immigration", a déclaré le député travailliste Clive Lewis, issu de l’aile gauche du parti, auprès du Guardian. "Ils ont repris nombre des arguments de ce que nous appelons l’extrême droite", a-t-il ajouté. À l’inverse, d’autres figures travaillistes soutiennent l’orientation souhaitée par Shabana Mahmood, invoquant une réponse à apporter face à la montée en puissance populiste dans le pays. "La conséquence, c’est que nous allons aborder des élections générales où Reform UK sera le principal adversaire dans la plupart des circonscriptions travaillistes… et nous serons anéantis", a justifié une autre parlementaire, Jo White, citée par la BBC.

D’après l’agence Press Association, la ministre de l’Intérieur souhaiterait rencontrer son homologue danois Rasmus Stoklund au plus vite pour échanger sur la question. En parallèle, d’autres mesures sont aussi évoquées sur le plan migratoire. Début septembre, le secrétaire à la Défense John Healey avait indiqué que les pouvoirs publics envisageaient de placer dans "des sites militaires" certains demandeurs d’asile. Une hypothèse confirmée fin octobre par le gouvernement. Selon The Times, jusqu’à 10 000 personnes pourraient être transférées dans des ex-casernes de l’armée en Écosse et en Angleterre.

© RaÅŸid Necati Aslım / ANADOLU / Anadolu via AFP

La ministre britannique de l'Intérieur, Shabana Mahmood, à Londres (Royaume-Uni), le 28 octobre dernier.
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Russie : au moins 20 000 personnes sans électricité après des frappes ukrainiennes

Deux régions russes frontalières de l'Ukraine font face dimanche à des coupures d'électricité affectant 20 000 personnes après des frappes ukrainiennes sur les infrastructures énergétiques, ont annoncé les autorités locales, au lendemain de bombardements russes en Ukraine. Dans la région de Belgorod, régulièrement visée par des tirs ukrainiens, le gouverneur Viatcheslav Gladkov a rapporté sur Telegram que "le réseau d'approvisionnement en électricité et en chauffage a subi de graves dégâts" dans la capitale régionale éponyme. "Plusieurs rues sont touchées par des problèmes de courant (...) Plus de 20.000 habitants sont privés d'électricité", a-t-il ajouté.

Dans la région de Koursk, également frontalière de l'Ukraine, "un incendie s'est déclaré dans l'une des installations énergétiques du village de Korenevo", laissant 10 localités sans électricité, a annoncé sur Telegram le gouverneur Alexandre Khinshteïn. Et dans la région de Voronej, un incendie s'est déclaré dans une installation assurant le chauffage, selon le gouverneur Alexandre Goussev.

Le ministère russe de la Défense a de son côté rapporté avoir abattu 44 drones au-dessus de la région de Briansk, autre territoire frontalier. Samedi, la Russie avait mené des frappes massives sur le réseau électrique, gazier et les chemins de fer d'Ukraine. Cette attaque a provoqué des coupures de courant et d'importants dégâts dans les centrales électriques ukrainiennes et fait au moins quatre morts, selon les autorités. Dans la nuit de samedi à dimanche, les forces russes ont tiré 69 drones sur l'Ukraine, dont 34 ont été abattus, selon l'armée de l'air.

© NurPhoto via AFP

Un homme marche dans la descente Andriivskyi, éclairée par quelques guirlandes lumineuses, à Kiev, en Ukraine, le 24 octobre 2025. Des coupures d'électricité programmées sont mises en place à Kiev en raison des attaques systématiques de la Russie contre les infrastructures énergétiques ukrainiennes. (Photo de Kirill Chubotin/Ukrinform/NurPhoto) NE PAS UTILISER LA RUSSIE. NE PAS UTILISER LA BIÉLORUSSIE. (Photo par Ukrinform/NurPhoto) (Photo par Kirill Chubotin / NurPhoto via AFP)
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Ravioles, étoile Michelin et soft power : Din Tai Fung, la chaîne taïwanaise devenue un empire mondial

Cette chronique raconte la petite et la grande histoire derrière nos aliments, plats ou chefs. Puissante arme de soft power,marqueur sociétal et culturel, l’alimentation est l’élément fondateur de nos civilisations. Conflits, diplomatie, traditions, la cuisine a toujours eu une dimension politique. Car, comme le disait déjà Bossuet au XVIIᵉ siècle, "c’est à table qu’on gouverne".

Vingt et un grammes et dix-huit plis, très exactement. Des mensurations de rêve pour la "petite raviole du panier" - le xiao long bao - dont la recette chez Din Tai Fung n’a pas bougé d’un iota depuis plus de cinquante ans. Sous sa fine enveloppe de blé se cache traditionnellement de la viande de porc mais aussi des petits dés de bouillon gélifié qui, sous l’action de la délicate vapeur, libèrent une saveur intensément umami et des parfums enivrants.

La chaîne taïwanaise, devenue un empire mondial, est aujourd’hui la plus rentable des Etats-Unis avec près de 16 établissements qui produisent 10 000 raviolis par jour et génèrent chacun plus de 27 millions de dollars de chiffres d’affaires, selon le décompte du cabinet d’études Technomic. Le groupe est déjà présent dans 13 pays, comme le Japon, l’Australie ou les Emirats arabes unis.

À chaque ouverture, la scène culinaire bouillonne, comme suspendue à l’événement. Foodies et politiques s’y pressent, impatients de déguster cet emblème de la gastronomie asiatique. En 2018, sous les yeux ébahis des Londoniens qui faisaient la queue sur plusieurs pâtés de maisons, la vedette de la télé anglaise Stephen Fry et l’ex-Premier ministre Boris Johnson font l’ouverture de l'établissement. Face aux caméras, ils se prêtent à l’exercice méticuleux du pliage de la raviole avant de partager le couvert ensemble. Quelques semaines plus tôt, l’humoriste n’avait pourtant pas hésité à éreinter le politicien dans une vidéo pour ses positions sur le Brexit. Comme quoi, chez Din Tai Fung, même les plus coriaces déposent les armes pour une raviole...

Des clients déjeunent au restaurant taïwanais Din Tai Fung, situé à Times Square, à Manhattan, le 20 octobre 2025 à New York. Ce restaurant, réputé pour ses raviolis en soupe et son menu inspiré des dim sum, est devenu l'une des chaînes de restaurants les plus populaires des États-Unis. Son établissement phare de New York emploie plus de 500 personnes, ce qui en fait le plus grand Din Tai Fung à ce jour.
Des clients déjeunent au restaurant taïwanais Din Tai Fung, situé à Times Square, à Manhattan, le 20 octobre 2025 à New York. Ce restaurant, réputé pour ses raviolis en soupe et son menu inspiré des dim sum, est devenu l'une des chaînes de restaurants les plus populaires des États-Unis. Son établissement phare de New York emploie plus de 500 personnes, ce qui en fait le plus grand Din Tai Fung à ce jour.

20 dollars en poche

Cette success-story, Din Tai Fung la doit à Yang Bing-yi, son fondateur, mort en 2023. La légende veut qu’il démarre son incroyable aventure entrepreneuriale en 1927 avec seulement… 20 dollars en poche. Il décroche son premier emploi à Taïpei comme livreur d’huile avant d’ouvrir sa première échoppe 30 ans plus tard. Alors que leur commerce bat de l’aile aux débuts des années 70, les époux finissent par monter leur petit restaurant d’où sort le succulent ravioli, jetant les bases de leur future franchise. Vingt ans plus tard, la reconnaissance médiatique pointe le bout de son nez. En 1993, Din Tai Fung figure dans la liste des dix meilleures tables du monde du New York Times. S’ensuit une ouverture à Tokyo en 1996, puis la Californie en 2000.

Le secret de leur réussite ? Une qualité constante - même si la marque a déjà été épinglée par certains critiques -, quand de nombreuses chaînes de restauration deviennent moins pointilleuses à mesure que les caisses se remplissent. Vient ensuite la consécration ultime : Din Tai Fung décroche l’étoile Michelin cinq années de suite à Hongkong, l’un des hubs gastronomiques mondiaux les plus innovants du moment. "La marque incarne la précision, l’hospitalité et la recherche de l’excellence - des qualités que beaucoup associent désormais à la cuisine taïwanaise, raconte la journaliste culinaire Clarissa Wei, auteure de Made in Taiwan : Recipes and Stories of the Island Nation (non traduit). L’entreprise est devenue si puissante qu’elle dispose aujourd’hui de sa propre chaîne d’approvisionnement pour ses ingrédients de base".

Des baos dès le petit-déjeuner

Mais le fameux xiao long bao, salué par autant de palais si exigeants, est-il vraiment taïwanais ? Il est né dans les années 1870 dans la région du Jiangnan, près de Shanghai en Chine et serait l’invention d’un certain Huang Mingxian qui a eu l’idée de génie de glisser ce bouillon gélifié au cœur d’un dim sum. Dès 1900, son disciple Wu Xiangsheng reprend à son compte cette nouvelle pépite et ouvre la désormais célèbre boulangerie-pâtisserie Nanxiang Mantou Dian, où près de 3 000 paniers vapeur vont sortir chaque jour de leurs cuisines. Succès immédiat dans tous les stands de rue, cantines et marchés matinaux de l'Empire du Milieu... Dans Le Guide de la cuisine chinoise (éditions Chêne), Handa Cheng explique que, dans cette région qui n’utilise pas trop de piment ou d’huile pour privilégier le goût naturel des produits, les fameux baos peuvent être généralement consommés dès le petit-déjeuner dans la rue, parfois avec un simple verre de lait de soja.

Avec les différentes vagues d'immigration, la bouchée se répand dans tout le continent asiatique. Après la guerre civile chinoise en 1949, de nombreux chefs du Jiangnan se sont en effet installés à Taïwan, emportant avec eux leurs formidables recettes. "La cuisine taïwanaise est un mélange d’influences hokkien (originaires du sud-est de la Chine), hakka (origine du nord de la Chine), chinoises, japonaises (période coloniale japonaise de 1895 à 1945), autochtones et américaines", détaille Clarissa Wei.

La marque est aujourd'hui devenue si puissante qu'elle exerce aujourd'hui une forme de soft power pour Taïwan. Si Taïpei ne possède aujourd’hui que 12 ambassades seulement à part entière, ses 170 restaurants Din Tai Fung rayonnent dans le monde ! Lorsque, en mars dernier, la gouverneure de l’Arizona Katie Hobbs (démocrate) se rend sur l'île et pour rencontrer le président Lai Ching-te, elle évoque notamment l’ouverture prochaine d’un restaurant de la franchise dans son Etat, non loin de l’endroit où le géant TSMC a investi 40 milliards de dollars dans trois nouvelles usines de fabrication de semi-conducteurs, secteur dans lequel Taïwan excelle.

A l’heure où les menaces d’invasion de Pékin se font de plus en plus intenses, les pressions économiques s'accentuent. Din Tai Fung a fermé, en août dernier, 14 restaurants dans le nord de la Chine, en raison de désaccords sur le renouvellement de sa licence - bien que la décision soit vraisemblablement surtout motivée par des raisons économiques.

Dans cette guerre d'influence, Din Tai Fung contribue à défendre coûte que coûte le récit taïwanais. "La culture chinoise reste une composante importante de l’héritage taïwanais, mais la gastronomie de l’île reflète sa propre histoire et son évolution singulière. Et la nourriture joue un rôle essentiel dans la manière dont Taïwan exprime son identité", invoque encore Clarissa Wei. La preuve : qu’il soit revisité, dans des établissements autres que Din Tai Fung, à New York avec du foie gras, à Hongkong avec de la chair de crabe ou en Chine avec de l’aileron de requin, le xiao long bao inspire une créativité sans limites aux chefs.

© Getty Images via AFP

Des employés préparent des raviolis dans le restaurant taïwanais Din Tai Fung, situé à Times Square, à Manhattan, le 20 octobre 2025 à New York.
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Apaisement Pékin-Washington : la Chine desserre l’étau sur les métaux rares stratégiques

Nouveau signe d'apaisement après la rencontre Trump-Xi de la semaine dernière : la Chine a confirmé dimanche suspendre une interdiction d'exportation vers les Etats-Unis de gallium, germanium et antimoine, des métaux rares cruciaux pour l'industrie moderne. Pékin avait annoncé en décembre 2024 des restrictions sur ces métaux, dans le cadre d'une réglementation visant les biens à "double usage", c'est-à-dire pouvant être utilisés dans un cadre civil mais aussi militaire - par exemple pour fabriquer des armements.

Les interdictions sont suspendues dès ce dimanche et "jusqu'au 27 novembre 2026", a indiqué dimanche dans un communiqué le ministère chinois du Commerce. Il confirme ainsi une annonce de la Maison-Blanche faite il y a quelques jours.

Cette annonce est un nouveau signe de bonne volonté de Pékin, dans la foulée de la rencontre entre les présidents chinois Xi Jinping et américain Donald Trump le 30 octobre en Corée du Sud. Ce sommet a permis de dissiper des mois de tensions qui ont crispé l'économie mondiale. "En principe, l'exportation vers les Etats-Unis de produits à double usage liés au gallium, au germanium, à l'antimoine et aux matériaux superdurs ne sera pas autorisée", stipulait l'interdiction de décembre 2024 - désormais suspendue. Le ministère chinois du Commerce n'a toutefois pas dit explicitement dimanche si des autorisations seraient désormais délivrées, ni quand ni à quelle échelle.

Infrarouge et munitions

Ce dossier était devenu un sujet de contentieux entre Pékin et Washington. Car les deux pays rivalisent pour la domination technologique mondiale et ces métaux rares sont essentiels dans cette optique. La Chine en est un important producteur mondial. Ils ne sont pas classés comme "terres rares", un autre groupe de métaux cruciaux, mais sont également nécessaires à des pans entiers de l'économie.

Le gallium, que l'on trouve notamment dans les circuits intégrés, les LED et les panneaux photovoltaïques, est ainsi considéré comme une matière première critique, selon l'Union européenne. Le germanium est indispensable pour les fibres optiques et l'infrarouge. Enfin, l'antimoine est utilisé tant pour la transition énergétique, intégré aux batteries de véhicules électriques, que par l'industrie de l'armement, pour renforcer blindages et munitions.

Le ministère chinois du Commerce, dans son court communiqué de dimanche, a également annoncé l'assouplissement de restrictions sur les exportations de produits liés au graphite - toujours dans le cadre de ces réglementations sur les produits à "double usage". Les examens plus stricts des utilisations et utilisateurs finaux de ces produits, annoncés en décembre 2024, sont aussi suspendus jusqu'au 27 novembre 2026.

Détente

Il s'agit des dernières mesures d'apaisement en date prises par Pékin après la rencontre Xi-Trump. La Chine avait déjà annoncé mercredi prolonger d'un an la suspension d'une partie des droits de douane imposés aux produits américains en pleine guerre commerciale, pour les maintenir à 10%.

Le géant asiatique avait aussi indiqué "cesser d'appliquer des droits de douane supplémentaires" imposés depuis mars sur le soja et un certain nombre d'autres produits agricoles américains. Des mesures qui touchaient durement la base électorale de Donald Trump.

Donald Trump avait par ailleurs annoncé fin octobre que la Chine avait accepté de suspendre pour un an les restrictions imposées le 9 octobre sur l'exportation de technologies liées aux terres rares - essentielles pour la défense, l'automobile ou l'électronique.

© REUTERS

Donald Trump et Xi Jinping lors du G20 d'Osaka, en juin 2019.
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Viktor, espion dans une base russe : "Si je suis arrêté, je mourrai en prison"

Ils s’appellent Sofia, Viktor, Lena et Pavel. Ou plutôt, nous les appellerons ainsi. Sofia travaille avec l’association Mémorial, interdite en Russie. Viktor, employé sur une base militaire, fait passer des informations à l’armée ukrainienne. Lena combat dans les rangs d’une unité de volontaires russes intégrée aux forces armées de Kiev. Pavel aide les réfugiés des régions russes touchées par la guerre, et en profite pour distiller des messages pacifistes.

Les contacter nous a pris plusieurs mois. Les conversations ont eu lieu par la messagerie cryptée Signal, plutôt que Telegram, soupçonnée d’être infiltrée par le FSB. Deux d’entre eux ont préféré garder éteinte leur caméra au moment de témoigner. Tous ont relu, avant publication, leurs interviews, pour s’assurer qu’il n’y restait aucune information risquant de les identifier formellement. Le risque qu’ils ont pris, en nous parlant, est considérable tant, depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, la répression est omniprésente en Russie.

>> Le témoignage de Sofia, opposante clandestine à Vladimir Poutine : "Si tout le monde s’en va, qui va agir ici ?"

>> Le témoignage de Lena, combattante russe aux côtés des Ukrainiens : "Je ne tire pas sur des compatriotes, mais sur des violeurs et des assassins"

Pas de caméra, pas d’appel depuis son domicile mais depuis une chambre d’hôtel anonyme, au gré d’un déplacement… Viktor a les codes et les réflexes de la clandestinité. A l’été 2022, révulsé par les tueries de Boutcha, ce jeune homme, employé sur une base militaire russe, s’est mis à la disposition de la légion "Liberté de la Russie", une unité formée de volontaires russes anti-Poutine engagés dans les forces armées ukrainiennes. Pour des raisons de sécurité, il ne donnera pas d’informations précises sur ses "actes de guerre", mais il nous confie son histoire. Et ses espoirs.

"Je vis dans une ville russe, près de la frontière avec l’Ukraine, où se trouve un aérodrome militaire. C’est là que je travaille. La guerre, je l’ai vue arriver avant tout le monde. Je voyais que l’on préparait les bombardiers, mais je n’y ai pas cru. Dans les premières semaines de combat, je n’ai pas du tout pensé aux Ukrainiens. Je suis russe, je suis patriote, je me disais qu’au fond, on était là-bas pour les aider… En avril 2022, j’ai découvert les photos de Boutcha. En voyant ces corps, cette photo de Zelensky en larmes, j’ai réalisé que je m’étais trompé. Et je ne suis pas le seul dans ce cas. On n’entend pas la voix de ceux qui ne sont pas d’accord, ceux qui sont contre les décisions du pouvoir. On s’imagine que la population russe est entièrement pour la guerre, mais ce n’est pas vrai, il y a beaucoup de gens qui pensent par eux-mêmes, des gens qui connaissent la vérité sur Boutcha et le reste. Seulement, ils sont terrifiés de parler, et si quelqu’un ose le faire, ça ne dure jamais très longtemps.

Après le 24 février, l’Etat a tout de suite resserré les boulons. J’étais au travail à cette époque-là, on ne nous a pas laissés rentrer chez nous pendant trois semaines. Ça grouillait d’agents du FSB. C’était terrifiant.

J’ai d’abord cherché à foutre le camp. Je ne voulais plus vivre en Russie. Puis j’ai entendu parler de la légion "Liberté de la Russie". J’ai alors compris que je ne pouvais pas me contenter de ne pas être complice, que je devais me battre maintenant, pour ne pas me sentir étranger dans mon propre pays pour le restant de mes jours, pour que mes enfants n’aient pas à s’enfuir plus tard. Et j’ai décidé de rejoindre la lutte armée. J’ai pris le risque de contacter la légion. Pour moi, c’était la possibilité de partir, d’être entraîné, d’avoir une arme et de me battre avec des camarades. Il n’y avait que des avantages… à part le risque d’être tué, mais quand on travaille dans un aéroport militaire en Russie, ce risque existe aussi.

Mais César [NDLR : nom de guerre de Maximilian Andronnikov, chef de la légion "Liberté de la Russie"] m’a convaincu que je serais plus utile ici. Alors je suis resté. Je fais passer des informations à la légion. Parfois, je transmets un message, un colis… Oui, c’est risqué. Mais d’un autre côté, faire l’espion clandestin, ça me semblait moins dangereux que de sortir dans les rues pour crier que Poutine est un fils de p***. Avant l’invasion, on pouvait parler de politique dans sa cuisine ou au café. Depuis, tout a changé.

Je ne voudrais pas que mes parents, mes amis viennent me tenir compagnie en prison

Aujourd’hui, tout le monde a peur de parler. Moi aussi, d’ailleurs. Je ne sais pas qui, parmi mes proches, soutient la démocratie, et qui a décidé que tout cela ne le regarde pas. Et je ne peux rien leur dire de mon activité, c’est la règle n°1 du partisan. Il ne faut jamais parler de ce que l’on fait, et surtout pas à ses amis ou à sa famille. Déjà, parce que si on m’arrête, tous ceux qui étaient au courant seront considérés comme des complices. Je ne voudrais pas que mes parents, mes amis, viennent me tenir compagnie en prison. Ensuite, parce que je ne peux pas savoir ce qu’il y a dans la tête de mon interlocuteur.

C’est comme dans un film, on est toujours au bord de la catastrophe. Pendant la première année, j’ai cru que ça me rendrait fou, j’ai pensé à prendre des médicaments. Puis j’ai adopté deux méthodes qui m’aident et font que je me sens bien aujourd’hui. D’abord, j’ai trouvé dans la légion des gens à qui parler. Nous discutons souvent. Et pour être honnête, c’est souvent moi qui me plains, et les autres qui m’écoutent. Partager mes difficultés, ça m’aide. Et puis, l’autre méthode, c’est que… la peur, l’angoisse, c’est épuisant. Au bout d’un moment, c’est comme si l’organisme décidait qu’il en avait assez d’avoir peur, on devient insensible et on fait juste son travail. Je sais que l’on peut m’arrêter demain et je sais ce que je risque. Tout le monde connaît l’article 275 du Code pénal. Haute trahison. Et je peux vous dire ça : parler avec vous, c’est l’article 275. Avoir demandé à rejoindre la légion, c’est 275. Et ne parlons même pas des informations que je fais passer ! Même si je me trouve un bon avocat, c’est quinze ans de camp à régime sévère. Et plus probablement vingt ou vingt-cinq. Je n’ai pas besoin d’en savoir plus. Pour quelqu’un qui, comme moi, a moins de 30 ans, c’est toute ma vie.

Je ne sais pas comment finira cette guerre, mais je sais que je dois y participer

Mais de toute façon, les gens ne survivent pas jusqu’à la fin de leur sentence. Navalny a survécu combien ? Trois, quatre ans ? [NDLR : trente-sept mois] Je sais que si je suis arrêté, je ne sortirai jamais de prison. Vous connaissez les conditions de détention. On voit des vidéos dans lesquelles des détenus sont violés avec des manches à balai. Et pas juste le bout. C’est 30, 50 centimètres dans l’intestin, tous les organes sont détruits. Il y a même une vidéo dans laquelle des gardiens castrent un détenu. C’est horrifiant, mais c’est comme ça en Russie. Et je me bats pour que ça ne soit plus comme ça.

Il y a trois ans, on avait l’impression que la dynamique était bonne, qu’on y était presque et que le régime allait s’effondrer. Quand il y a eu la révolte de Prigojine [NDLR, l'ancien chef du groupe paramilitaire Wagner], qu’il a marché sur Moscou… Je détestais ce type, mais j’ai croisé les doigts, pas tant pour qu’il gagne, mais pour que Poutine perde. Ça n’a pas eu lieu. Et maintenant, je me dis que la victoire ne sera pas pour tout de suite. Un jour, j’ai lu cette phrase : 'Les idées les plus importantes, ce sont celles qui bénéficieront à nos petits-enfants.' Je ne sais pas comment finira cette guerre, mais je sais que je dois y participer.

Pour moi, la victoire, ce serait rétablir l’équilibre territorial, tel qu’il a été défini à l’effondrement de l’URSS. Et pas seulement en Ukraine, mais aussi en Géorgie, en Tchétchénie… Je souhaite le pire à Poutine, mais il existe aussi un "Poutine collectif" - son entourage, les services de sécurité, tous ceux qui soutiennent l’autoritarisme… Mais croyez-moi, les empires finissent toujours par tomber. Je crois en la lutte armée. La victoire, pour moi, c’est prendre le Kremlin, y hisser notre drapeau, puis réfléchir à la façon de dénazifier notre propre société. Que nous arrêtions de mépriser les Biélorusses, les Ukrainiens, les Kazakhs, les juifs… Que la Russie apprenne à respecter les autres peuples, les autres pays. Ça, ça serait la victoire. J’y crois, parce que j’ai déjà vu des résultats concrets de mon travail. Ce qui viendra après, c’est le peuple russe qui en décidera.

Aujourd’hui, beaucoup de mes amis ont quitté le pays, mais d’autres… Je ne dirais pas qu’ils sont de mauvaises personnes, ce sont juste des gens qui ont pris un mauvais tournant, qui ont cru à ce paternalisme, à la propagande, au mythe du leader fort, au fait que la population civile ukrainienne est constituée de fascistes bandéristes néonazis [NDLR : en référence à Stepan Bandera, un nationaliste ukrainien qui collabora avec l'Allemagne nazie] …

Ces gens-là ne se taisent pas, ils se réjouissent de tout ce qui se passe. Pour eux, tuer des gens, piller une maison, c’est une preuve de courage. Je les connais depuis l’enfance, et c’est un dilemme pour moi. Je tiens à ces gens, nous sommes du même sang, nous avons les mêmes souvenirs. Mais je n’imagine pas d’autre façon d’agir. Je ne vois pas de scénario réaliste dans lequel je discuterais avec eux et où, au lieu de m’agresser, ils essaieraient de me comprendre. C’est une impasse. Et si le seul moyen de sortir de cette impasse, c’est qu’ils meurent ou qu’ils soient blessés, ce que je n’espère pas… eh bien, ce sera très dommage, mais ce sera comme ça."

© Celestino Arce/NurPhoto/AFP

Un membre russe de la légion "Liberté de la Russie" prépare la logistique dans son quartier général près des lignes de front du Donbass (photo d'illustration).
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