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Contrats, accords d'Abraham... Ce qu'il faut retenir de la rencontre entre Donald Trump et Mohammed ben Salmane

Des louanges de la part du président américain. Reçu ce mardi 18 novembre à la Maison-Blanche, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, dit "MBS" a été chaleureusement accueilli sur le sol américain par Donald Trump. "Nous avons aujourd'hui dans le Bureau ovale un homme extrêmement respecté, un ami de longue date, un très bon ami", a-t-il déclaré, aux côtés du responsable saoudien. Les deux hommes s'étaient déjà rencontrés récemment, lors de la tournée au Moyen-Orient du milliardaire républicain au printemps.

Contrat d'investissement rehaussé

L'Arabie saoudite, un des principaux alliés des Etats-Unis dans la région, prévoit d'investir massivement sur le territoire américain. Durant sa visite dans le pays au printemps, Donald Trump avait signé des contrats d'une valeur de 600 milliards de dollars, engageant Riyad à dépenser outre-Atlantique dans de nombreux secteurs. Ce mardi, Mohammed ben Salmane a finalement rehaussé ce montant. "Nous croyons en l'avenir de (...) l'Amérique. Je crois, Monsieur le Président, qu'aujourd'hui et demain, nous pouvons annoncer que nous allons augmenter ces 600 milliards à près de 1 000 milliards de dollars pour l'investissement", a-t-il dit dans le Bureau ovale, un geste dont s'est félicité le président américain.

En matière économique, le président américain est également revenu sur les liens entre sa famille et l'Arabie saoudite. Les fils du président et son gendre, Jared Kushner, qui joue un rôle informel de médiation au Moyen-Orient, sont en affaires avec l'Arabie saoudite. En octobre, ce dernier avait notamment racheté l'entreprise de jeux vidéo Electronic Arts (EA) avec l'aide du fonds souverain saoudien Public Investment Fund (PIF). Interrogé sur ces relations par une journaliste, Donald Trump a assuré n'avoir "rien à voir avec les affaires de ma famille". "J'ai quitté cela", a-t-il ajouté. "Ce que fait ma famille, c'est très bien. Ils font des affaires partout. Ils en ont fait très peu avec l'Arabie saoudite. En réalité, je suis sûr qu'ils pourraient en faire beaucoup, et tout ce qu'ils ont fait a été très bien."

L'Arabie saoudite veut "travailler" pour rejoindre les accords d'Abraham

Sur le plan diplomatique, les deux hommes sont par ailleurs revenus sur la situation au Proche-Orient, plus d'un mois après le cessez-le-feu signé à Gaza entre Israël et le Hamas, sur la base d'une proposition établie par les Etats-Unis. Donald Trump espère toujours voir de nouveaux pays arabes rejoindre les accords d'Abraham, dont la signature signifierait la normalisation de leur relation avec l'Etat hébreu. Ceux-ci ont déjà été signés par les Emirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc et le Soudan lors du premier mandat du républicain à Washington.

"Nous souhaitons faire partie des accords d'Abraham", a exposé "MBS" face à la presse. "Mais nous voulons également nous assurer que la voie vers une solution à deux États est clairement tracée." Le prince héritier estime avoir eu "une discussion constructive" avec Donald Trump à ce sujet et promet de "travailler" afin de "créer" des "conditions propices" dans cette optique.

L'ombre de l'assassinat de Jamal Khashoggi

Sur le dossier des droits humains, les deux dirigeants ont aussi été questionnés sur l'assassinat de Jamal Khashoggi. Ce journaliste saoudien dissident a été tué en 2018 lors de son passage au consulat d'Arabie saoudite à Istanbul (Turquie). À l'époque, Riyad, sous la pression internationale, avait fini par reconnaître que l'homme avait été tué dans ce lieu. L'affaire a longtemps mis à mal les relations entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite. Ce mardi, Donald Trump a qualifié Jamal Khashoggi de "personne extrêmement controversée".

"Beaucoup de gens n'appréciaient pas cet homme dont vous parlez, que vous l'aimiez ou non, des choses se sont passées, mais lui (Mohammed ben Salmane, ndlr) n'était au courant de rien", a déclaré le président américain dans le Bureau ovale aux côtés du prince héritier saoudien. De façon plus générale, le président américain s'est dit "fier du travail accompli" par son allié, jugeant "incroyable" son bilan "tant en matière de droits humains que tout le reste". De son côté, MBS a évoqué l'affaire Khashoggi comme un épisode "douloureux" et une "énorme erreur" pour l'Arabie saoudite. "Nous avons pris toutes les mesures nécessaires pour mener l'enquête", a-t-il cependant ajouté, tout en garantissant que le pays fait "tout son possible pour que cela ne se reproduise plus".

© Brendan SMIALOWSKI / AFP

Le président américain Donald Trump accueille le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche, le 18 novembre 2025, à Washington (États-Unis).
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En Europe, l’essor des "Active clubs", ces groupes qui combinent fitness et suprémacisme blanc

Quatre jeunes hommes ont été condamnés mardi 18 novembre en Suède, dans l’une des premières affaires judiciaires impliquant sur le sol européen des membres d’un "Active club", ces clubs d’extrême droite d’un nouveau genre apparus voici quelques années. A Stockholm, le 27 août dernier, peu après minuit, trois hommes ont été agressés en raison de leur couleur de peau, deux dans la rue et l’un dans le métro. Des insultes racistes et des saluts nazis, filmés par les caméras de surveillance, ont accompagné les coups. Un exemplaire de Mein Kampf et des carnet ornés de croix gammés ont été retrouvés aux domiciles des auteurs, âgés de 21 à 23 ans.

Ces quatre derniers ont été condamnés à des peines de trois ans à trois ans et six mois de prison, notamment pour violences aggravées.

Cellules décentralisées

Agés de 21 à 23 ans, les agresseurs appartiennent à un "Active club", des groupes dont les membres se partagent entre exaltation de l'exercice physique et idéologie fasciste et néonazie. Ces nouvelles formes de fight clubs remontent à 2017 et sont l'œuvre du néonazi américain Rob Rundo. Fondateur du mouvement suprémaciste Rise Above Movement, impliqué dans les violences meurtrières de Charlottesville, en 2017. Rundo, condamné à vingt-quatre mois de prison dans une autre affaire fin 2024, avait ensuite opté pour la mise en place de ces cellules décentralisées, plus difficiles à repérer par les autorités, et plus difficiles à décapiter. Elles prolifèrent depuis aux Etats-Unis, mais aussi au Canada, en Australie, en Amérique du Sud et dans de nombreux pays d’Europe.

En France, une première section aurait vu le jour en Normandie en 2022. Il y en aurait aujourd’hui plus d’une vingtaine réparties dans l’Hexagone, dont les membres, comme le révélait Libération, sont de toutes les opérations coups de poing à caractère raciste, telles que la descente punitive de Romans-sur-Isère en novembre 2023 ou les manifestations anti-immigrés à Saint-Brévin en avril de la même année. Ses adeptes s’affichent sur les réseaux sociaux entre sports de combat, randonnées, et activités de bénévolat ou de nettoyage, voulant renvoyer l’image d’une jeunesse fréquentable et disciplinée. Mais des références nazies plus ou moins voilées apparaissent également sur certaines photos ou vidéos (drapeaux en forme de croix blanche, saluts à trois doigts...). Nos voisins suisses ne sont pas épargnés, comme le montrent nos confrères du Temps, qui ont repéré quatre factions actives sur leur sol.

Suivis par les services de renseignement

Les membres des "Active clubs" exaltent de vieilles valeurs du fascisme, et notamment le culte du corps, et espèrent ainsi attirer dans leurs filets de jeunes hommes déjà attirés par le masculinisme. Leur voeu de discrétion semble toutefois avoir fait long feu, puisqu'ils sont désormais surveillés de près par les services de renseignement occidentaux, qui les considèrent comme une menace de plus en plus concrète. "Les agences de renseignement veulent être informées des réseaux extrémistes qui existent dans leur pays, de leur potentiel niveau de violence actuel ou futur, et des liens qu'ils peuvent avoir avec d'autres mouvements et individus, tant au niveau national qu'international", a déclaré au Guardian Joshua Fisher-Birch, analyste spécialisé dans le terrorisme au Counter Extremism Project.

© ALFREDO ESTRELLA / AFP

Les membres des "Active clubs" entendent "reconquérir leur masculinité par la violence", selon un document du Centre de lutte contre l'extrémisme violent (CVE).
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Mario Draghi, l’homme que nous devrions écouter : dans la fabrique d’un "super pompier" européen

Deux mois avant d’être officiellement nommé à la présidence de la Banque centrale européenne, le 24 juin 2011, Mario Draghi faisait la couverture du tabloïd allemand Bild, en costume cravate et ridiculement affublé d’un casque à pointe semblable à celui du chancelier impérial Bismarck, posé un peu de traviole sur sa tête. Avec ce titre aussi persifleur que réellement admiratif, venant de ce magazine populiste : "Tellement allemand !"

La Une de Bild marquait une étape de sa victoire et la preuve que le candidat à la BCE avait su comment s’y prendre pour séduire les élites de Francfort et de Berlin. Au pays qui a fait de la dette publique un crime moral et de la rigueur intégriste une vertu, celles-ci n’étaient pas rassurées à l’idée de voir un Italien se mêler de leurs finances. Mario Draghi avait veillé à les attendrir en donnant une interview au grand quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung. Il y déclarait : "Nous devrions tous suivre l’exemple de l’Allemagne. L’Allemagne a amélioré sa compétitivité en mettant en œuvre des réformes structurelles. Ce doit être le modèle à suivre." L’article de couverture de Bild, paru peu après, attestait son orthodoxie à l’allemande et son attachement à l’ordolibéralisme, tout Italien qu’il était. Le plus dur était fait.

Il se rend discrètement à l'Elysée

Parallèlement, le candidat à la BCE s’était rendu discrètement à l’Elysée, en passant par la porte arrière du palais, pour expliquer à Nicolas Sarkozy qu’il saurait être un peu français aussi, c’est-à-dire favorable si besoin à une utilisation de l’endettement public. Il fit ce qu’il fallait pour convaincre le président français et surtout obtenir de lui qu’il plaide en sa faveur avec énergie auprès d’une Angela Merkel réticente. Une fois la chancelière allemande dans sa poche, c’était gagné. Sa participation à la rédaction du traité de Maastricht et à la création de l’euro lorsqu’il dirigeait le Trésor italien, la fine compréhension des marchés qu’il s’était forgée en tant que vice-président de Goldman Sachs et le prestige qu’il avait acquis à la tête de la très influente Banque centrale italienne (qui est, avec la diplomatie, l’ossature de l’Etat) firent le reste.

Il est sans doute un des hommes les plus intelligents que j’ai rencontrés

François Villeroy de Galhau

Tout Mario Draghi est dans ce mélange : un animal politique muni d’une autorité scientifique, assez entêté pour imposer ses convictions, assez souple pour y parvenir par une habileté de caméléon. François Villeroy de Galhau peut en témoigner. "Il crée la crédibilité dans le domaine où il faut, et il utilise cette crédibilité au moment où il le faut", remarque l’actuel gouverneur de la Banque de France, qui a participé aux réunions des banquiers centraux et vécu en direct les bras de fer entre Draghi et le président de la Bundesbank, Jens Weidmann. Ajoutant : "Il est sans doute un des hommes les plus intelligents que j’ai rencontrés. Sa marque, c’est d’allier compétence économique, prospective de la vision et sens tactique et politique sur l’exécution de ses quelques objectifs prioritaires. Une fois qu’il a pris une orientation, il sait mobiliser toutes ses ressources."

"Super Mario", ainsi que l’ont baptisé les médias internationaux, s’est fait une spécialité d’être le super pompier qu’on appelle quand tout l’immeuble brûle sérieusement. Celui à qui les chefs d’Etat et de gouvernement européens laissent les rênes de la BCE le 1er novembre 2011, au moment où la crise financière mondiale déclenchée en 2007 entrait dans une phase spécifique, dite "crise de la zone euro" en raison de la gravité du poids des dettes souveraines en Grèce, en Irlande, au Portugal, en Espagne, en Italie. Celui dont l’autorité morale est telle qu’il fut capable de sauver l’euro par le seul fait de prononcer ces trois mots restés célèbres : "Whatever it takes [quoi qu’il en coûte]".

Celui, aussi, que le président italien, Sergio Mattarella, va chercher pour prendre la tête du gouvernement en février 2021, après l’éclatement de la coalition d’un Giuseppe Conte, largué face à la pandémie de Covid. Celui qui sut fédérer, malgré ou grâce à son appartenance à aucun parti, une large coalition d’unité nationale totalement hétéroclite où se retrouvaient ensemble les pires ennemis politiques d’Italie (le Mouvement 5 étoiles, la Ligue, le Parti démocrate, Forza Italia et divers groupes centristes)… même si l’affaire ne dura qu’un an et cinq mois, jusqu’à sa démission et l’arrivée de Giorgia Meloni.

Celui, encore, à qui la présidente de la Commission européenne confie à l’automne 2023 la mission d’un rapport, après celui de l’ancien président du Conseil ­italien Enrico Letta consacré au marché intérieur, sur la compétitivité européenne. Le rapport Draghi aux 400 pages, qui aurait pu vivre sa vie pépère aux côtés de millions d’autres dossiers placardisés, fait au contraire l’effet continu d’une sirène d’ambulance depuis sa publication, le 9 septembre 2024. Le diagnostic alarmant que dresse Draghi d’un déclassement de l’Europe face à la compétition globale intense des Etats-Unis et de la Chine, autant que son appel à un tournant stratégique européen d’envergure pour lutter contre le déclin économique et géopolitique, ont la force de l’évidence. Même si les dirigeants européens font l’autruche pour le mettre en œuvre – les Français tiquent sur la nécessité d’une intégration plus poussée et d’une gouvernance économique commune, les Allemands sur le grand emprunt commun géant pour financer des investissements stratégiques –, le rapport Draghi est dans toutes les têtes et sur toutes les lèvres, tel une bible que l’on vénère à peu de frais.

Au point que Draghi est devenu un nom commun. Un concept, un fantasme. On parle d’un Draghi pour désigner une personnalité providentielle capable de trouver une solution aux crises, aux blocages, à tous les grands bazars. L’exercice du pouvoir par la compétence. Quoi d’autre qu’un Draghi pour sauver l’Europe, s’il a su sauver l’euro de la mort annoncée, l’Italie du chaos et Giorgia Meloni de son europhobie ? Et pourquoi pas un Draghi pour soigner un pays en pleine dépression nerveuse ? "Il nous faudrait un Draghi", murmurent quelques observateurs désespérés par le spectacle de pitrerie qu’offre la scène politique française. Pour dénouer l’impasse de nos trois blocs sans majorité à l’Assemblée nationale, "pourquoi ne pas faire appel à l’Européen Mario Draghi ?", s’interrogent dans Le Monde les chercheurs Sylvain Kahn et Nicolas Roussellier, appelant à la création d’un comité d’experts placé sous la houlette, pourquoi pas, d’un Draghi.

Un libéral européen et imaginatif

Le résumé sommaire d’un Draghi, c’est un libéral européen et imaginatif, un financier international passé par la banque Goldman Sachs et la haute fonction publique, un expert en technocratie qui se place au-dessus des partis et des clivages politiques pour entreprendre les réformes nécessaires au nom du seul bien de l’Etat. Est-ce la baguette magique qu’il faudrait à la France ? "Celle-là, on l’a déjà essayée, et ça n’a pas fonctionné !", ironise aussitôt François Hollande, soucieux de balayer toute esquisse de comparaison entre Mario Draghi et Emmanuel Macron, qui s’entendent à merveille et se ressemblent par bien des points. "Il y avait dans l’aspiration à Macron en 2017 quelque chose qui pouvait ressembler à Draghi, poursuit l’ancien ­président de la République. Sauf que la méthode Draghi est bien différente. Il apprécie de travailler en équipe. Il ne cherche pas la concentration du pouvoir. Il a une connaissance approfondie du système politique des pays européens. Il est toujours en train de discuter, de négocier, de parlementer, de rechercher le consensus. Il est en cela très italien, et très européen. Tandis qu’Emmanuel Macron n’a jamais raisonné en termes de coalitions et de compromis, jusqu’au moment où la dissolution l’a confronté à une situation inédite."

Il pourrait être le Saint-Simon des réunions européennes

Mario Draghi est un taiseux. Sa réserve fascine autant que le soin immense qu’il porte à ses chaussures, toujours impeccablement cirées. Il sourit souvent mais rit rarement. Il s’agace quand on lui résiste mais ne se met jamais en colère. Il est franc mais courtois. Il parle peu mais convainc beaucoup. "Underpromise, overdeliver [promettre moins, en faire plus]" est la formule qu’on lui prête pour expliquer son souci de ne pas décevoir. Sa capacité d’observer les personnes et de les décrire avec humour réjouit autant ses interlocuteurs qu’elle leur fait craindre d’être à leur tour l’objet de ses railleries affables. "Il pourrait être le Saint-Simon des réunions européennes", s’amuse l’un d’eux.

Sa méthode de négociation, comme jadis Angela Merkel, ne passe pas par des effets de manches en réunion, mais par des échanges bilatéraux au téléphone. "Mario" passe son temps sur son portable. "Peut-on se parler un moment ? Ecoute, j’ai avec toi une relation forte et particulière. Je voudrais partager avec toi quelques idées que je ne livre qu’à toi…" Ainsi opère le négociateur, tout en douceur, qui lui permet d’être parcimonieux en réunion : les différents ont été réglés en amont. Et quand devant une assemblée il lance un "Puis-je me permettre une remarque ici ?", tout le monde écoute.

Une adolescence à devoir payer les factures

Il a très vite appris à être "l’adulte dans la pièce", ayant perdu son père, banquier, et sa mère, pharmacienne, quand il avait environ 15 ans. Dans un entretien donné au journal allemand Die Zeit, en 2015, le seul de sa carrière où il ait livré un peu de sa vie privée, il parle de cette adolescence particulière à devoir payer les factures et mener seul sa vie d’étudiant. Né le 3 septembre 1947, à Rome, formé dans un lycée jésuite réputé de la capitale, il passe ses 20 ans dans le climat de violence politique qui annonce les attentats terroristes des "années de plomb". A l’université La Sapienza de Rome, il trouve son premier père intellectuel : l’économiste keynésien Federico Caffè, qui supervise son mémoire de licence et le recommande à Franco Modigliani, Prix Nobel d’économie, pour diriger sa thèse au très prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), aux Etats-Unis. Mario Draghi s’y installe avec son épouse, Serena Cappello, experte en littérature anglaise.

La promotion du MIT de ce début des années 1970 est exceptionnelle. Autant les professeurs que les élèves se retrouveront chacun au cœur des grandes évolutions qui fonderont la nouvelle macroéconomie keynésienne. Parmi les professeurs, outre Franco Modigliani : Stanley Fischer et une pelletée de Prix Nobel, dont Robert Solow et Lawrence Klein. Parmi les élèves, outre Mario Draghi lui-même, les futurs Prix Nobel Robert C. Merton, Robert Mundell ou Ben Bernanke, qui deviendra président de la Réserve fédérale américaine, ou Olivier Blanchard, qui fut notamment ­économiste en chef au FMI.

Il reste, comme moi, très marqué par ces années américaines au MIT, où l’atmosphère intellectuelle était excitante car tout était à reconstruire

Olivier Blanchard

"C’était un moment extraordinaire, avec des gens extraordinaires", se souvient son camarade de "promo" Olivier Blanchard. "Mario était une année devant moi. Il reste, comme moi, très marqué par ces années américaines au MIT, où l’atmosphère intellectuelle était excitante car tout était à reconstruire. La technologie évoluait, les ordinateurs étaient plus puissants, la macroéconomie était repensée autour de la macroéconomie keynésienne traditionnelle et les nouvelles approches microéconomiques. C’est là que nous avons forgé notre pensée économique, le nouveau keynésianisme." L’idée que "les marchés sont utiles mais qu’ils peuvent susciter des réactions coûteuses, humainement et socialement. Qu’alors l’intervention d’une politique budgétaire et monétaire est nécessaire. Beaucoup de pragmatisme aussi, comme il l’a montré avec le "quoi qu’il en coûte". Autrement dit, Draghi est un empirique, sans tabou idéologique.

Mario Draghi avait consulté Olivier Blanchard juste avant son discours historique, prononcé à Londres le 26 juillet 2012, devant un parterre d’investisseurs inquiets, au pire de la crise des dettes souveraines dans la zone euro. "Dans le cadre de son mandat, dit-il, la BCE est prête à tout faire, quoi qu’il en coûte, pour préserver l’euro." Ajoutant une dernière phrase improvisée : "Et croyez-moi, cela suffira." Le soir même, il dînait avec son ami Alain Minc, sans vraiment mesurer l’extraordinaire déflagration qu’allaient provoquer ces quelques mots iconoclastes. "Il était satisfait d’avoir été clair et ferme, mais il ne pensait pas avoir causé une révolution, raconte le financier et essayiste. Or la révolution est apparue dans les marchés le lendemain. L’euro était sauvé sans que la BCE ait eu à dépenser un centime. Par la seule crédibilité de Mario Draghi, par son habileté à convaincre en amont les pays frugaux, Allemands en tête, de se rallier à ses mesures – et sans oublier la contribution active de François Hollande."

Le président français avait en effet préparé le terrain en obligeant Angela Merkel à désavouer son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, qui plaidait pour une sortie de la Grèce de la zone euro. Le "whatever it takes" n’aurait pas été possible sans le Conseil européen de juin 2012, où François Hollande ainsi que l’Italien Mario Monti et l’Espagnol Mariano Rajoy avaient convaincu leurs homologues "frugaux" d’accepter une intervention de la BCE similaire à celle de la Fed aux Etats-Unis pour stabiliser une zone euro au bord de l’abîme. Ils avaient monté tous ensemble les mécanismes de soutien et de prêts. Les dirigeants politiques ayant évolué, Mario Draghi avait les mains libres pour actionner sa bombe.

Sortir l’Italie de la crise sanitaire

C’est en pleine gloire qu’il quitte la BCE fin octobre 2019, et qu’il est appelé par le président Mattarella, quinze mois plus tard, pour une autre mission impossible : sortir l’Italie de la crise sanitaire, sociale, politique et économique engendrée par la pandémie de Covid, et diriger la mise en œuvre d’un plan de relance européen massif. "Sa toute première décision lui a fait gagner la considération des Italiens, analyse le politologue Nando Pagnoncelli, président d’Ipsos Italia. Alors qu’il y avait de gros doutes sur la possibilité de vacciner toute l’Italie, il a nommé un général de l’armée pour organiser la logistique. Ni un ministre ni un médecin, mais un militaire. C’était un coup de génie." En deux à trois mois, tout le monde était vacciné, dans un pays où l’épidémie était plus forte ­qu’ailleurs.

"Avec cette réussite, ajoutée à la croissance spectaculaire de 2021, Mario Draghi a touché l’orgueil des Italiens, il leur a donné une fierté internationale qu’ils n’imaginaient plus, explique le sondeur. Sa cote de popularité n’a jamais fléchi. Dans notre sondage d’octobre, alors qu’il n’est plus au pouvoir, elle dépasse 60 %." Mais même Draghi ne résistera pas à l’ascension des bruyants tribuns qui emportent ­l’enthousiasme des foules actuelles. "Le Mouvement 5 étoiles et Frères d’Italie, de Giorgia Meloni, ont critiqué son absence d’empathie affichée et sa négligence des mesures sociales, analyse l’historien Marc Lazar. Or le pouvoir d’achat et les factures d’énergie ont été au cœur de la campagne de Meloni en 2022, et c’est ce point faible de Draghi qui lui a permis de gagner." Le 14 juillet, "Super Mario" démissionne.

A 78 ans, Mario Draghi est toujours en réserve. Sa critique de l’absence d’avancées depuis son rapport, lors d’un discours au Parlement de Strasbourg, en septembre, laissait deviner qu’il ne lui déplairait pas de prendre la place de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, si l’occasion se présentait. Il a aussi exprimé sa disponibilité pour la présidence de la République italienne, sans avoir voulu s’exposer au risque de se porter candidat en janvier 2022, et tout en espérant qu’on l’y appelât. La prochaine est en 2029. En attendant, Mario Draghi ne lâche pas son téléphone ni ses recettes pour convaincre. "Je voudrais partager avec toi quelques idées, que je ne livre qu’à toi…" Il n’est pas étranger au fait que la nationaliste et conservatrice Giorgia Meloni ait renoncé à ses diatribes eurosceptiques au moment de la passation de pouvoir et de ses échanges avec son prédécesseur. Dans les médias comme dans son premier discours de politique générale devant le Parlement, elle a insisté pour ­rappeler que son pays est "fondateur de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique", et s’est prononcée clairement en faveur du maintien de l’Italie dans l’UE, dans l’euro, dans l’Otan. Esprit Draghi, es-tu là ?

© Justin Metz

Mario Draghi semble aujourd'hui être le seul adulte dans la pièce européenne.
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Outrancier, fan de réseaux sociaux... Qui est le petit-fils de Kennedy qui se présente au Congrès américain ?

Un playback improvisé en extérieur sur une vieille chanson de Taylor Swift. Un selfie capturé aux toilettes, urinoirs en arrière-plan. Une vidéo tournée face caméra, façon débriefing des actualités des derniers jours. Avec de telles publications, le compte Instagram de Jack Schlossberg ne ressemble pas franchement à celui d'un candidat comme un autre au Congrès américain. Cet homme de 32 ans, 787 000 abonnés au compteur sur le réseau social, vient pourtant d'annoncer sa candidature aux élections de mi-mandat l'an prochain pour devenir le nouveau représentant d'une des circonscriptions de New York.

Une figure anti-MAGA

Mais la tonalité atypique de son contenu sur les réseaux sociaux n'est pas la seule raison de la médiatisation outre-Atlantique de son entrée en campagne : Jack Schlossberg n'est autre que le petit-fils de l'ancien président des Etats-Unis John Fitzgerald Kennedy, assassiné à Dallas en 1963. Forcément, avec un tel pedigree, les médias américains se sont penchés sur le profil de ce nouveau venu en politique. Son entrée en campagne a été officialisée début novembre à travers une vidéo, diffusée sur ses réseaux sociaux. Sa volonté en se présentant ? Répondre à la "crise" traversée "à tous niveaux" par son pays. Dans sa prise de parole, il regrette entre autres "les coupes historiques dans les programmes sociaux dont dépendent les familles travailleuses (santé, éducation, garde d'enfants)" et la "corruption" aux Etats-Unis.

Politiquement, Jack Schlossberg tente de s'afficher comme l'anti-MAGA ("Make America Great Again"), le mouvement des supporters du président républicain Donald Trump. Il considère d'ailleurs le milliardaire comme un "homme dangereux", n'hésitant pas à "réduire ses critiques au silence". Récemment, le petit-fils de JFK tente aussi de surfer sur la victoire du socialiste Zohran Mamdani, tout juste élu à la mairie de New York. Tous deux sont membres de l'aile gauche du Parti démocrate, incarnée notamment par une autre représentante de la mégapole de la côte est, Alexandria Ocasio-Cortez. Durant la campagne présidentielle de 2024, Jack Schlossberg avait néanmoins soutenu l'ex-président Joe Biden, avant que ce dernier ne se retire de la course à la Maison-Blanche.

Originaire des quartiers huppés de New York, où il a vécu enfant, le jeune homme n'était pas nécessairement destiné à la politique. Après des études à Yale et Harvard, il conclut son cursus de droit par le passage de l'examen du barreau – réussi selon lui avec un score exceptionnel. Un temps, il espère devenir acteur, à l'instar de son cousin Patrick Schwarzenegger, vu par exemple dans la série à succès "The White Lotus" et fils de l'ex-star de Hollywood Arnold Schwarzenegger, qui fut lui-même gouverneur républicain de Californie. Sans succès pour Jack Schlossberg.

Dérapages semi-contrôlés sur les réseaux

Malgré cet échec, il se construit peu à peu sur les réseaux sociaux une communauté. Sur ses comptes Instagram, TikTok et X (ex-Twitter), il commente, acerbe, l'actualité politique. Quitte à créer la polémique en se montrant volontairement provocateur, en particulier vis-à-vis de l'administration Trump. Lors de l'investiture du président républicain, en janvier dernier, il compare sur X sa grand-mère, Jackie Kennedy, à Usha Vance, l'épouse du vice-président américain, J.D. Vance. "Vrai ou faux : Usha Vance est bien plus sexy que Jackie O", demande-t-il alors à ses abonnés. Un dérapage suivi d'un second tweet au printemps, lorsque Jack Schlossberg annonce, de façon sarcastique, qu'il compte avoir un enfant avec la femme du responsable républicain.

Simple ironie mal avenue ou plan de communication savamment orchestré ? Jack Schlossberg revendique son usage outrancier des réseaux sociaux comme une arme pour attirer un public plus large que l'électorat classique des démocrates. "Premièrement, si quelqu’un pense que je suis fou parce qu’il a vu une de mes vidéos, cela signifie qu’il a vu une de mes vidéos, et donc qu’il a obtenu des informations sur l’administration Trump et la politique qu’il n’aurait peut-être pas obtenues autrement", justifiait-il en février dernier, lors d'un entretien sur MSNBC. "Deuxièmement, je fais confiance aux gens. Je suis convaincu que les gens comprennent ce qui se passe."

Son cousin RFK Jr. comme principale cible

Sa mère, l'ex-ambassadrice Caroline Kennedy, le soutient aussi dans sa démarche sur les réseaux sociaux. "Je suis impressionnée qu'il ait réfléchi aux différentes manières d'aborder la question et qu'il soit prêt à en assumer les conséquences lorsqu'il prend un risque qui pourrait offenser certaines personnes", a expliqué l'ancienne diplomate au New York Times, qui vient de consacrer un long portrait à Jack Schlossberg. Parmi ses principales cibles ? Son propre cousin, Robert Francis Kennedy Jr., dit "RFK Jr.", actuellement en poste dans l'administration Trump en tant que secrétaire à la Santé.

Connu pour ses théories fantasques, ses décisions farfelues et sa méfiance à l'égard du consensus scientifique, le neveu de JFK est sans cesse moqué par le candidat au Congrès sur ses différents canaux. Pour Halloween, Jack Schlossberg a ainsi partagé sur Instagram une photo de RFK Jr. en guise de déguisement de "MAHA Man", en référence à l'expression "Make America Healthy Again" promue par ce dernier et dérivée de la formule MAGA. Il y a quelques jours, le New-Yorkais a aussi qualifié le secrétaire à la Santé de "chien enragé". "[Donald Trump] a mis un collier à mon cousin, RFK Jr., et le laisse aboyer, répandre des mensonges et de la désinformation", a-t-il attaqué. Des propos qui lui ont valu une réprimande de la part de la Maison-Blanche. "Je ne pense même pas que de tels commentaires ridicules méritent une réponse", a réagi sa porte-parole, Karoline Leavitt.

Un style volontiers transgressif, des formules chocs et une utilisation des outils numériques pour asseoir sa popularité : la méthode employée par Jack Schlossberg ne rappelle-t-elle par les pratiques... trumpistes ? "Internet est une machine à détruire les nuances – il n'y a jamais de place pour nuancer quoi que ce soit", se défendait l'intéressé en février, toujours sur MSNBC. "Il faut être très controversé pour percer." Mais cette communication trash pourrait ne pas suffire pour être élu à la Chambre des représentants.

Dans une circonscription regroupant notamment Times Square, Central Park et le siège des Nations Unies, Jack Schlossberg devra faire face à plusieurs candidats, y compris au sein des démocrates. En septembre, tandis que des bruits de couloirs faisaient état de sa possible candidature, le parlementaire sortant, Jerry Nadler, avait balayé toute volonté de le soutenir. Celui-ci, réélu depuis plus de 30 ans à Washington, avait incité sur CNN les New-Yorkais à élire un responsable "ayant une expérience du service public, une expérience de réalisations publiques". Or, selon lui, Jack Schlossberg "n'en a aucune".

© Mandel NGAN / AFP

Ici photographié le 20 août 2024 à Chicago (États-Unis), Jack Schlossberg, petit-fils de l'ex-président Kennedy, se présente pour devenir représentant de New York au Congrès américain.
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Giuliano da Empoli face à Anne Rosencher : "L'Europe ne comprend pas Donald Trump"

Dans cette toute nouvelle émission proposée par L’Express, Anne Rosencher reçoit Giuliano da Empoli, auteur de L’Heure des prédateurs et du très remarqué Mage du Kremlin. L’ancien stratège du président du Conseil italien Matteo Renzi y dissèque les mécaniques du pouvoir, la montée en puissance de leaders comme Donald Trump et les limites de l’approche européenne face à cette nouvelle donne mondiale. Une discussion à découvrir en vidéo sur YouTube et Dailymotion, mais aussi en audio sur Apple Podcasts, Spotify, Deezer, Castbox ou encore Podcast Addict.

Ce qui suit est la transcription de l'épisode :

Anne Rosencher : Bonjour, bienvenue dans cette nouvelle émission proposée par L'Express. Tous les quinze jours, j'interviewerai pour vous une personne pertinente sur un sujet ou un thème en particulier, en prenant, c'est important, le temps d'approfondir. Les Chinois disent du pouvoir que c'est un dragon dans le brouillard, le traquer c'est être confronté chaque jour à la futilité, à l'approximation, à la contradiction. Ces phrases, je les emprunte à notre premier invité, qui s'est fait lui-même une spécialité d’observer le pouvoir. Au fil de ses livres, romans ou essais, il en dissèque les mécanismes. Giuliano da Empoli, traqueur de dragon dans le brouillard, nous fait l'amitié d'inaugurer cette émission.

Avec lui, nous allons pouvoir parler de pouvoir, donc, de ceux qui l'exercent, notamment ces nouveaux maîtres du monde, qui ressemblent davantage aux César des temps anciens et laissent tant de leurs contemporains démunis. Comment Donald Trump, par exemple, qui se targue de ne jamais rien lire, pas même la moindre note d'un conseiller, parvient-il autant à résonner avec l'esprit de l'époque ? Et quel est-il cet esprit justement ? Et d'où vient que l'Europe, à l'heure des prédateurs, semble parfois tellement à côté de la plaque ? C'est de tout cela dont nous allons parler aujourd'hui. Bonjour Giuliano da Empoli.

Giuliano da Empoli : Bonjour.

Anne Rosencher : Et pour commencer, je voudrais vous poser une question "hibernatus". On se dit qu'un étudiant en sciences politiques, qui aurait été congelé dans les années 1990 ou même 2000 et que l'on décongèlerait aujourd'hui, aurait un sacré choc de voir à quel point le monde qu'il a connu a basculé en peu de temps. Quelle est cette bascule à laquelle nous assistons ? Quelle est cette ère du temps selon vous ?

Giuliano da Empoli : Oui, c'est un peu le paradoxe en effet, parce que si votre étudiant des années 1980, il aurait beaucoup de mal s'il était décongelé, alors qu'un de mes ancêtres de l'ancienne Rome, surtout par exemple de la période de transition entre la République et l'Empire, si on le décongelait aujourd'hui, qu'on le mettait face à l'actualité des maîtres du monde actuel, je pense qu'il se trouverait parfaitement à l'aise. Il aurait peut-être quelques difficultés d'adaptation en termes de technologie, mais sinon ça se passerait très bien, parce qu'au fond, ce qui caractérise l'époque, je crois, d'une certaine façon, c'est le retour d'une primauté de l'agresseur. C'est quelque chose que les historiens de la technologie, militaires surtout, ont beaucoup étudié. Il y a des phases de l'histoire où ce sont plutôt les technologies de défense qui se développent. Ce sont des phases plus pacifiques, par exemple encore une fois en revenant à l'Histoire italienne. Tout le début de la Renaissance, vous avez ces villes de la Renaissance qui se protègent à travers des forteresses, des fortifications qui donnent un avantage à la défense.

Et puis quand l'artillerie lourde débarque avec des canons, avec des fusils qui sont capables d'abattre ces forteresses, et bien l'avantage revient à l'agresseur. Et aujourd'hui, d'une certaine façon, je pense que nous vivons dans un monde où on le voit du côté de la technologie militaire, évidemment, avec les drones, avec des agressions, etc. Mais on le voit encore plus dans notre vie civile et dans notre vie politique, dans le numérique, l'avantage passe à l'agresseur, ce sont des techniques de disruption, d'agression, de captation d'attention, d'hypnose qui prennent le dessus, et donc des personnages, des personnages qui vont avec.

Anne Rosencher : Et justement alors, un de ces personnages, Donald Trump, vous dites dans votre dernier essai L'Heure des prédateurs qu'il illustre selon vous un principe immuable de la politique, à savoir qu’il n'y a pratiquement aucune relation entre la puissance intellectuelle et l'intelligence politique. Qu'est-ce que ça veut dire, ça ?

Giuliano da Empoli : Oui mais ça je pense que, effectivement, c'est un principe assez éternel, si premièrement il y a différentes formes d'intelligence bien entendu mais la puissance intellectuelle, la culture, le fait d'avoir développé tout un apparat de réflexion, d'être premier de la classe. En général, même si en France vous avez fait des efforts, parce que vous avez essayé de coder tout ça à travers les classements de l'ENA, etc. Donc vous êtes allés assez loin dans la tentative de faire coïncider les deux, le succès scolaire avec ensuite un succès en politique et dans les affaires publiques. Mais même vous, en réalité, vous n'avez pas pu dépasser le principe. Ce sont vraiment deux logiques très différentes. L'intellectuel et l'intelligent même, au sens intellectuel du terme, est quelqu'un qui va sûrement être capable de faire beaucoup de choses remarquables, mais difficilement il va être capable d'exercer le métier politique. Il va plutôt être handicapé par son bagage intellectuel. Et ça, je pense que c'est quelque chose qu'on a vu à toutes les époques.

Après, il y a des époques où les deux coïncident un peu plus, et des époques et des époques comme l'époque actuelle, où on voit très bien que c'est plutôt un handicap d'être trop structuré intellectuellement, parce que ce qu'il faut faire, c'est constamment créer la sensation, la surprise, non seulement prendre des décisions, être dans l'action, mais être dans une forme d'action irréfléchie, parce que c'est ça qui permet aujourd'hui de créer votre propre réalité et d'emmener les gens dans ça. Et pour ça, vous n'avez vraiment pas besoin d'avoir un bagage intellectuel cohérent.

Anne Rosencher : Mais parfois ça ne l'a pas empêché. C'est-à-dire que le paradoxe, c'est qu'aujourd'hui on a le sentiment que le bagage intellectuel l'empêche presque. Je voulais vous soumettre une phrase que j'ai lue dans la célèbre biographie de Churchill par François Kersaudi. Il dit à propos de la bataille d'Angleterre, il dit "Churchill a gagné la bataille d'Angleterre parce qu'il a agi impulsivement en stratège amateur et Hitler l'a perdue parce qu'il a réagi de même". Cette façon impulsive, presque instinctive de gouverner, est-ce la seule façon, est-ce la seule politique possible dans des temps troublés de tempête ?

Giuliano da Empoli : C'est exactement ça. Je pense que quand vous avez une situation plus stable, vous pouvez imaginer que par contre, ce soit le moment où des personnalités politiques plus réfléchies, plus structurées, presque des technocrates d'un certain point de vue, qui en plus sont capables éventuellement de négocier pour atteindre un compromis, pour chercher des consensus, etc. Vous pouvez imaginer que ces figures-là, au fond, soient plus adaptées à l'époque. Mais quand vous êtes dans une situation typiquement machiavélienne, ce qu'il y a de fascinant dans Machiavel, c'est qu'il écrit pour une époque trouble où personne n'est véritablement légitime. Machiavel, c'était vraiment le manuel de l'usurpateur, de celui qui gouverne dans une situation où il n'y a pas de légitimité, où tout est en mouvement constamment, etc.

Dans ces situations-là, la primauté, en effet, est plutôt celle non seulement de l'action, mais d'une action un peu irréfléchie, parce que, au fond, si on veut aller un peu à l'origine et à la racine du pouvoir, une décision ou une action qui serait mûrement réfléchie n'est pas un acte de pouvoir. C'est quelqu'un que n'importe qui, vous prenez n'importe quel bureaucrate, n'importe quel technocrate, il va pouvoir étudier un dossier longuement et ensuite prendre la décision qui s'impose. Ça, ce n'est pas un acte de pouvoir. L' acte de pouvoir, c'est au contraire, la décision rapide de quelqu'un qui n'a pas véritablement réfléchi jusqu'au bout. C'est pour ça que dans mon livre, je cite ce Duc de Saxe que ses conseillers priaient de réfléchir, de considérer, qui dit "mais je ne veux ni réfléchir ni considérer sinon pourquoi serais-je Duc De Saxe ?"

Anne Rosencher : Mais alors justement... On a le sentiment que ces prédateurs que vous décrivez dans votre livre ont bien compris cela. Et alors, en contrepoint, il y a l'Europe dont vous dites que c'est un monde technocratique dans lequel évolue la quasi-totalité de l'Europe, pas seulement Bruxelles, dites-vous. Aussi les capitales, la plupart des capitales européennes qui ignorent complètement la dimension politique, idéologique, des principes et de tout ce qui n'est pas quantifiable. Est-ce de cela que souffre l'Europe ? Est-ce que c'est cela qui cloche chez nous ?

Giuliano da Empoli : Oui, alors c'est paradoxal parce que, vous voyez, moi je suis convaincu du fait qu'il y a historiquement du génie dans le fait d'avoir construit l'Europe à travers l'ennui. C'est-à-dire, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe est détruite, mais les peuples n'ont quand même pas envie de s'unir, ils sont épuisés par la guerre, mais ils n'ont pas du tout envie d'une Europe unie. Et donc nos Pères fondateurs de, voilà, les Jean Monnet, les Schumann, etc., pour fédérer l'Europe, se disent, on va le faire, ils ne le disent pas comme ça, mais moi je pense qu'ils se sont dit, on va le faire de façon très ennuyeuse.

C'est-à-dire, on va partir de sujets concrets, stratégiques, le charbon et l'acier au départ, mais surtout après, on va construire toute une toile de règles, de choses, on va mettre en commun toutes sortes d'intérêts, on va réguler toutes sortes de sujet très très ennuyeux, etc. Et à la fin, tout ça va créer sans même, au fond, que les peuples l'aient voulu, avec une sorte de... En italien, on dit silenzio assenso, c'est un terme juridique de silence, consentement, ça doit exister dans le droit français aussi.

Anne Rosencher : Qui ne dit mot consent.

Giuliano da Empoli : Voilà, exactement. Avec ce type d'attitude du côté des peuples, on va construire un maillage de règles, de rapports tellement étroits qu'à la fin, l'Europe se sera faite sans même le dire, d'une certaine façon. Et c'est ce qui s'est produit, c'est vrai, ça a marché, c'est un modèle génial. Sauf que, au moment du changement d'époque, et au moment où vous voyez revenir sur la scène des mouvements, des leaders qui proposent la drogue dure par contre, des racines, du sang, du territoire, de la race, de la nation même, etc. Et là, vous avez face à vous un personnel politique et un discours qui ne sont habitués qu'à examiner des sujets techniques, à tout réduire à des questions techniques. Et aujourd'hui, on voit bien que les leaders européens essayent de réduire Trump, par exemple, à une question technique. Ils essayent de décortiquer, de séparer toutes les différentes questions de l'offensive Trump en disant, bon, alors sur ce dossier-là, on va essayer, là on va céder... Et c'est fondamentalement inadapté face à la nature politique, idéologique très profonde de l'offensive qui est en cours.

Anne Rosencher : Une autre façon de le dire, peut-être, ou de le ressentir...

Giuliano da Empoli : Plus courte, peut être ?

Anne Rosencher : Non, non, pas du tout. Non, complémentaire. En face des Trump et des prédateurs, il y a cette tentation de répondre par le technique, comme vous dites, et notamment par les traités, le rappel au traité, les normes, le droit. Il y a dans L'Heure des prédateurs un passage très important sur le droit, sur le fait que le camp adverse, notamment de Trump aux Etats-Unis, a tout misé sur l'inflation du droit et des droits. Qu'est-ce que ça produit ça, au juste, auprès des peuples ?

Giuliano da Empoli : Ce que je pense, c'est qu'au fond, la fascination qu'exercent les prédateurs sur les peuples, elle est liée au fait que nous vivons et nous avons tous la sensation de vivre dans des systèmes qui sont bloqués, qui sont des systèmes où justement le carcan des règles, des choses, des apparats et tout fait qu'on ne peut rien faire. Qu'il y a des problèmes, qu'ils ne sont pas réglés, qu'ils empirent, qu'on peut voter à droite, on peut voter à gauche, ça ne change rien sur le fondement et que donc on est dans un système dans lequel le pouvoir ne s'exerce même plus, on ne sait plus où il est et on ne le sait plus.

Anne Rosencher : C'est le génie de la fameuse formule inventée par Dominic Cummings, le "Raspoutine du Brexit", qui a trouvé ce slogan, qui est peut-être le slogan du XXIe siècle, enfin en tout cas de ce début de XXIè siècle qui est "Take back control".

Giuliano da Empoli : Voilà. Alors après, sur ça, je pense qu'il y a encore autre chose à dire. Mais face à cette situation-là, effectivement, le prédateur promet une forme de miracle. Le miracle en théologie, c'est Dieu qui contourne les règles de fonctionnement du monde, des humains, pour produire un impact et un résultat sur un cas concret. Et le miracle des prédateurs, c'est exactement la même chose. C'est-à-dire, moi je vais contourner ou même briser tout un système de règles, de coutumes, d'usages, de lois, éventuellement. Mais je le fais pour produire un effet sur un problème concret. Alors après, ça dépend. Trump, par exemple, l'immigration illégale, on voit tous les jours ces scènes effarantes d'arrestation souvent illégales dans les rues des villes américaines, etc. Mais en même temps, lui, il dit que c'est la seule façon d'affronter le problème. D'ailleurs, il obtient des résultats. Alors il va y avoir Milei qui va faire la même chose sur l'inflation, il va y avoir Bukele au Salvador qui fait la même chose sur la criminalité en foutant tous les gens tatoués en prison. Mais bon. Et là, si face à ça, vous êtes simplement dans une posture légaliste, dans laquelle vous allez dire, mais non, tu n'as pas le droit de le faire, il y a des lois, il y a des règles, vous avez raison d'une certaine façon, parce que la démocratie c'est des règles, si vous n'avez plus de règles, vous n'avez plus de démocratie. C'est des procédures et des règles. Mais en même temps, vous êtes politiquement faible parce que vous êtes sur la forme. Donc vous êtes en train de dire à quelqu'un qu'il ne peut pas faire quelque chose, alors que lui, il vous dit "je suis sur le fond. On s'en fiche de tout ce qu' il y a autour. Moi, ce qui m'intéresse, c'est traiter le problème."

Anne Rosencher : Au nom de la souveraineté populaire.

Giuliano da Empoli : Au Nom de la souveraineté. Et donc là, forcément, l'approche simplement par les règles, qui après, en plus a d'autres, et vous y faisiez référence, moi je parle aussi de ce légalisme des droits, qui s'est énormément développé aux Etats-Unis et ailleurs, et tout ça fait que je pense une approche simplement formelle d'avocats, j'appelle ça le parti des avocats parce qu'en plus ça part de ce fait incroyable, du fait que les candidats, les tickets de candidats président et vice-président du côté démocrate aux Etats-Unis ne sont que des juristes et des avocats depuis 45 ans, depuis 1980, les gagnants et les perdants. Donc c'est quand même assez extraordinaire. Face à ça, du côté républicain, vous avez un peu de tout. Vous avez des entrepreneurs, des héritiers, des acteurs, des parvenus... Et en effet, dans cette époque, je pense que le parti des avocats, ça ne va plus le faire.

Anne Rosencher : Et sur le "Take back control", vous disiez donc ce slogan inventé par Dominic Cummings pour le Brexit ?

Giuliano da Empoli : Oui, alors là, paradoxalement, je pense qu'il y a quelque chose à creuser. J'essaie de réfléchir un peu au positif aussi, de temps en temps, même si c'est plus difficile, parce que dès que vous êtes dans quelque chose de positif, vous perdez de l'énergie. Je pense que le cerveau humain est programmé pour surtout se concentrer sur le négatif. C'est une question de survie dans la savane. Si vous êtes dans la savane, vous avez plutôt intérêt, s'il y a une petite feuille, un buisson qui bouge, à vous dire qu'il y a peut-être un lion plutôt que de contempler quelque chose de joli. Donc c'est très profondément ancré en nous, cet intérêt pour le négatif, mais ce serait bien quand même de temps en temps de se poser la question du positif aussi. Et là, du coup, je me dis que le "Take back control", il peut peut-être un peu changer de camp. C'est-à-dire que ça devrait faire un peu partie du nouveau discours européen à construire. Par exemple, du discours à construire sur tout le sujet gigantesque du numérique. On y viendra peut-être. Là, je pense qu'il y a un élément de "Take back control" en positif à développer.

Anne Rosencher : Vous, vous dites "take back" le "Take-back-control" pour l'Europe !

Giuliano da Empoli : Oui, après encore une fois il y a le risque de surcompliquer les choses, de tomber dans les pièges des intellectuels et de ne pas y arriver.

Anne Rosencher : Et alors justement sur l'Europe, parce qu'on la compare souvent à un herbivore dans un monde de carnivores, mais quand on vous lit, quand on vous suit, on se dit que le portrait par exemple que vous dressez d'Ursula von der Leyen n'a rien d'un herbivore ou d'une brebis, vous parlez même de "techno-césarisme". Qu'est-ce que c'est que le "techno-césarisme" de Bruxelles ?

Giuliano da Empoli : Non, non, non. Ça c'est nos copains du Grand Continent qui ont une remarquable revue en ligne, qui ont créé ça, et ça s'applique quand même, ça s'applique au côté des prédateurs. Non, mais j'aimerais bien d'ailleurs qu'elle soit un peu plus impériale Ursula von der Leyen, mais je crains en réalité que ,on, qu'elle ait montré, alors elle n'est pas coupable, c'est-à-dire que l'Europe telle qu'il est aujourd'hui reste un mécanisme qui est plutôt gouverné par les grands Etats. Si on lui dit qu'il faut se coucher face à Trump, si l'Allemagne, l'Italie, notamment sur les questions commerciales, lui disent qu' il faut plutôt pactiser, elle, même si elle aurait a priori quelques pouvoirs à exercer, elle ne peut pas le faire, donc elle est un peu liée. Mais par contre, je pense qu'elle y rajoute une dose d'aveuglement technocratique justement, où elle ne donne pas suffisamment d'importance au symbole, c'est-à-dire, encore une fois, l'accord commercial, franchement, où on s'est pris une taxe douanière de 15 %, n'était pas grand-chose en termes de résultat, mais il était peut-être nécessaire, je ne sais pas. Il n'y avait sûrement pas besoin d'aller sur le terrain de golf de Trump, lever le pouce triomphalement. Ça n'a l'air de rien. Mais Trump ne fait que ça. Trump est quelqu'un qui a, parmi ses nombreux instincts d'homme de pouvoir remarquables, il a énormément le sens de la mise en scène, de l'image. C'est toujours, si vous voyez; les rencontres entre les Européens et Trump sont toujours scénarisées d'une façon qui maximise l'humiliation des leaders européens. Je n'ai pas le souvenir, au cours de la dernière année, d'avoir vu une scène dans laquelle ils étaient sur un pied d'égalité, simplement visuellement. Et c'est déjà, d'une certaine façon, un peu la prémisse de tout le reste...

Anne Rosencher : Dans L'Heure des prédateurs, il y a une scène qui, je pense, a marqué vraiment tous vos lecteurs. C'est la scène de l'inauguration de la Fondation Barack Obama qui a lieu à Washington et à laquelle vous assistez. Est-ce que vous pouvez la raconter à ceux qui nous regardent ?

Giuliano da Empoli : Oui ça c'est assez terrible parce qu'en effet ça se passe à l'automne 2017, donc Trump est au pouvoir depuis quelques mois, le premier Trump. Et donc il y a des gens qui débarquent un peu de partout, Obama ne s'est pas beaucoup exprimé jusque-là, mais là finalement il inaugure sa fondation, donc on se dit qu'on va entendre une forme de réponse en tout cas. Et là, par contre, on est tous réunis dans cette grande salle d'un musée et pour le dîner d'ouverture, il y a d'abord des speechs. Donc le premier speech, c'est un speech de l'ancien cuisinier de la Maison-Blanche, qui raconte la force politique du potager de Michelle Obama, le potager bio de Michelle Obama. Qu'on avait effectivement été déjà forcés de visiter, parce qu'on était allé à la Maison-Blanche quelquefois, et à chaque fois vous étiez forcés de faire le tour dans le potager bio. Et donc c'était évidemment quelque chose qu'ils considéraient très important. Puis le deuxième speech, c'est une sorte de consultant d'entreprise qui avait notamment poussé la consommation consciente du chocolat en entreprise, et qui nous raconte donc le moment du repas, c'est un moment de communion, etc. Bon, c'est joli, cest gentil. Les speechs se terminent heureusement, et on est attablé chacun. Il y a la table d'Obama, de Renzi, d'autres leaders. Il y a la table déjà de série B, qui est la mienne, avec plutôt des conseillers, des gens comme ça. Après, il y a encore toute une hiérarchie de tables.

Mais à chaque table, on découvre qu'au lieu d'avoir une conversation libre, il va y avoir un modérateur de conversation. Et donc, le nôtre prend la parole et nous dit "Donc ici, vous ne pouvez pas avoir une conversation normale, il va falloir que vous répondiez à quelques questions", cinq questions, je me souviens plus, mais disons, "pourquoi est ce que je porte ce nom ?", "Qui sont les miens", "Qui ai-je envie d'être", etc. Et donc la personne commence par raconter son histoire et son nom, et on découvre que c'est une personne transgenre, de race mixte, adoptée par une famille de Chicago. Et donc là, on se dit tout de suite, ça va être très difficile de faire mieux, parce que c'est une histoire passionnante qu'elle raconte très bien, mais voilà, ça met la barre quand même assez haut. Mais on arrive plus ou moins à se dépêtrer de toute cette conversation. Mais nous, on a emmené avec nous aussi un capitaine des Carabinieri, qui est le chef de la sécurité de Renzi, qui est aussi assis à une table.

Anne Rosencher : De Matteo Renzi dont vous êtes à l'époque conseiller.

Giuliano da Empoli : Dont je suis à l'époque conseiller, il n'est plus Premier ministre à l'époque, mais bon, il continue à être le chef de la majorité. Et donc, le capitaine, il a du mal à suivre la conversation, et puis surtout, il parle très bien anglais, mais bon ce n'est pas exactement son milieu, mais quand on lui pose la question de savoir qui voudrait-il être, il dit "moi-même". Et là tout le monde lui tombe dessus, parce que c'est une approche narcissique, insensible, etc. Et donc je pense que lui, comme presque n'importe qui, qui n'aurait pas eu une opinion forte de base, il serait ressorti du dîner d'ouverture de la Fondation Obama plutôt trumpiste.

Anne Rosencher : Vous dites qu'il est le seul représentant véritablement du peuple à ce dîner, en tout cas que vous voyez, et que vous pensez, vous ne savez pas...

Giuliano da Empoli : Bah il a été écrasé, c'est-à-dire on a fait que le faire sentir constamment inadapté, alors que lui d'ailleurs, j'ai le souvenir d'avoir des conversations politiques avec lui, c'était plutôt une sorte de centriste, un peu catho peut-être, mais disons très très modéré. Mais il n'avait pas les codes.

Anne Rosencher : Bien sûr.

Giuliano da Empoli : Et c'est un peu le problème, moi je ne suis pas un anti-woke au sens primaire du terme, en plus je pense qu'il y a énormément de mal et d'hypocrisie dans le mouvement anti-woke, donc c'est très problématique. Et je pense que à la racine du woke, il y a quand même une tentative de plutôt d'essayer de contrer des formes de discrimination, donc a priori moi je suis plutôt pour. Mais le problème, c'est quand vous combattez la discrimination en créant de nouvelles discriminations. C'est vraiment là que vous entrez dans une sorte de spirale, en plus où il y a un élément, en plus de classe, de snobisme, mais vraiment avec cette multiplication de discriminations qui produit exactement l'effet contraire par rapport à celui qu'il faudrait produire.

Anne Rosencher : Et sur lequel surfent ces nouveaux dirigeants. En relisant ce passage pour préparer l'émission, ça m'a fait penser à la déclaration phare de Giorgia Meloni pendant sa campagne, celle qui l'a fait, en tout cas en France, percer un peu les écrans radars, quand elle dit alors "je suis Giorgia Meloni, je suis une femme, je suis une mère, je suis italienne, je suis chrétienne", il y a une forme de déclaration, de dire voilà qui je suis, cette espèce de surf sur la blessure narcissique parfois de l'Occident...

Giuliano da Empoli : D'ailleurs, la publicité la plus efficace de Trump pendant la campagne aussi, cétait "Kamala est pour iels et Trump est pour vous". Ça leur facilite beaucoup le travail, d'autant plus qu'effectivement, le système et l'écosystème de communication et médiatique, au fond, n'est fait que pour amplifier les cas les plus extrêmes. Donc ça se répercute des deux côtés. Donc le wokisme est du pain bénit de ce point vu-là, parce qu'il va y avoir forcément un certain nombre de cas complètement ridicules, qui seront peut-être à la limite plutôt marginaux, disons, dans l'équilibre d'ensemble des choses, mais on va pouvoir en faire des arguments très très puissants pour ceux qui s'opposent à ça. Donc c'est très compliqué, mais ça renvoie quand même, à mon avis, après chacun, vous savez, on dit que "si vous êtes un marteau, tout le monde est un clou", moi je crois que je suis peut-être un marteau au sens où je pense que presque tout ce dont on parle renvoie au fonctionnement et au dysfonctionnement de la sphère publique, de l'écosystème du numérique, de la façon dont nous traitons toutes les questions. Que vous parliez de propagande russe, que vous parlez de woke contre anti-woke, que vous parliez de n'importe quel problème, le vrai problème, c'est le réchauffement du climat social et de la sphère de discussion.

Anne Rosencher : Par l'algorithme.

Giuliano da Empoli : Oui, d'ailleurs je raconte cette histoire dans le livre aussi. :c'est le patron de Cambridge Analytica qui quand il rencontre ses clients, leur fait son pitch et son pitch c'est de dire "si vous allez voir une boîte de com' normal et vous devez vendre du Coca dans un cinéma, ils vont vous dire, on fait des publicités, on recrute des acteurs, des actrices. On fait ceci, cela. Moi, si vous voulez vendre des Coca dans un cinéma, je vous dis, une seule solution, on fait monter la température dans le cinéma. Les gens ont soif, ils achètent du Coca". Et ça, bon, Cambridge Analytica, il y a eu des scandales, ça a fermé. Mais c'est le fonctionnement d'ensemble des réseaux sociaux, de l'écosystème numérique, des médias qui leur courent après aussi, évidemment, parce que ça fait partie de la chose. Et c'est ça au fond qu'on est en train de vivre et qui m'inquiète de plus. Parce que ça rend presque impossible de traiter n'importe quel sujet, n'importe quel problème. Ça porte inévitablement les prédateurs à s'affirmer un peu partout et ça devient très compliqué.

Anne Rosencher : Et par ailleurs, ça dépasse, ça déborde les mécanismes traditionnels de la politique, parce que la politique justement, c'est une façon de prendre en charge un débat et de le trancher parmi des différends, parfois extrêmement profonds dans une société. Donc normalement, c'est ce qui empêche de s'entretuer. Ça ne veut pas dire que ça ne va pas avec une certaine violence, mais normalement ça la tempère quand même en la métabolisant, on va dire. Or aujourd'hui on a le sentiment parfois que la politique ne parvient plus à le faire, voire même se retourne et produit de la violence.

Giuliano da Empoli : Tout à fait. Je pense qu'elle accompagne aujourd'hui ce mouvement-là, mais simplement parce que tous les incentifs vont dans cette direction-là. Encore une fois, la politique, comme n'importe quelle arène, elle est réglée par des systèmes d'incentifs et selon les époques, c'est plutôt un type de personnalité ou d'attitude qui va prendre le dessus ou un autre. Et là, on revient à l'argument initial, je pense que quand vous êtes dans un système où l'agression et le fait de monter la température est très, très forcément, fortement récompensé, beaucoup plus que n'importe quoi d'autre, parce que, par contre, la cohérence, le fait de dire la même chose un jour après l'autre... pas forcément. On voit bien, Trump, en réalité, qu'est-ce qui est fascinant de Trump ? Pour nous aussi. C'est la rapidité. C'est la rapidité avec laquelle, chaque jour, il pose des choses, il prend une décision, il annonce quelque chose, et ça n'a pas beaucoup d'importance si le jour d'après, avec la même rapidité, il revient dessus, ce qu'on a vu des dizaines de fois sur l'Ukraine, sur les négociations commerciales avec la Chine, avec d'autres, etc. Pas avec nous parce qu'on a cédé tout de suite, donc il n'en a pas eu besoin. Mais presque dans tous les cas où il trouve quelqu'un qui s'oppose à lui, y compris le Brésil, y compris des sujets qui ne sont pas forcément les plus forts du monde, il revient, le Brésil c'est fascinant parce qu'ils ont quand même le courage de s'opposer à lui. Ils ont tout un système de Cour suprême, etc. Ça a fait que ses menaces, et même parfois portées à exécution, n'ont pas marché sur le Brésil. Pourtant le Brésil, c'est un grand pays, mais quand même pas une puissance de la dimension de l'Europe, disons sur le papier au moins. Et là, on voit bien qu'il a changé d'attitude. Alors on verra où ça débouche, mais là, il embrasse Lula quand il le voit, etc. Mais donc, il n'y a pas besoin d'être cohérent, mais il faut produire la sensation à chaque coup. Et ça, lui, le fait. Et donc, il répond parfaitement aux incentifs de l'époque alors que notre façon d'être beaucoup plus sous-marin, technique, discret et tout ça ne répond malheureusement pas aux incitations de l'époque.

Anne Rosencher : Un dernier mot sur la violence. Qu'est-ce qui a changé dans ce réchauffement dont vous parliez, par rapport à il y a quelques décennies ? Il me semble que votre père même avait été victime d'une tentative d'attentat des Brigades Rouges en Italie, donc la violence elle a toujours existé, même parfois de façon telle que celle-là, qu'est-ce qui change selon vous par rapport à cette époque-là?

Giuliano da Empoli : Alors, ce qui change, c'est une bonne question, parce qu'effectivement, on a connu quand même des époques en termes de réchauffement... Bon, nous, on n'était pas là, mais quand même la fin des années 1960, les années 1970, en France, en Italie, ailleurs, ça a quand même été très chaud. Je pense que ce qui change, c'est qu'on est aujourd'hui dans un... Là c’étaient des affrontements idéologiques qui pouvaient devenir très chauds, mais ce n'était pas le climat de surexcitation permanente à tous les niveaux, sur tout, qu' on vit aujourd'hui. C'est-à-dire qu'aujourd'hui on est encore une fois dans une sphère publique dont le principe, pour des raisons publicitaires, au début, est simplement celui de porter à l'extrême, pour obtenir un maximum d'engagement, n'importe quel sujet. Alors que ça n'a pas d'importance le sujet duquel vous partez. Ça peut être quelque chose de politique, mais ça peut être comment fonctionne l'univers, est-ce que la Terre est plate ? Ça peut-être n'importe quel sujet... Il faut une montée à l'extrême et ça je crois que c'est quelque chose, encore une fois au départ c'est simplement une sorte d'effet collatéral d'un modèle de business, parce que les plateformes Internet ont construit leur business sur ça et ce réchauffement au fond n'est qu'un effet collatéral de ce modèle de business qu'on n'a pas réglé. Et on a fini par tous tomber dedans au lieu d'imposer nos règles de fonctionnement, par exemple des médias traditionnels, etc., d'imposer ça à la sphère numérique aussi, c'est le contraire qui s'est produit. C'est cette logique-là de la sphère numérique qui s'est imposée à tout, qui 's'est imposé au Parlement, aux institutions, qui s'est imposée aux médias, c'est cette logique-là. Et cette logique-là, c'est une logique de surexcitation qui n'a pas d'idéologie derrière elle. Après, les idéologies, voilà, les Trump, etc., ils arrivent et ils se greffent dessus. Mais au départ, il n'y a pas du tout de ça. Et donc, je pense que cest assez différent par rapport à ce qu'on a pu vivre à d'autres époques. Mais j'improvise parce que je ne m'étais pas jusqu'ici posé la question de cette façon.

Anne Rosencher : Et une dernière question, on parlait tout à l'heure de la difficulté de l'Europe à appréhender le symbole, l'importance du symbolique. Il y en a une illustration criante dans le portefeuille de tout un chacun, avec les billets, les euros, qui ne représentent que des arches ou des ponts qui n'existent même pas. Quand on regarde par rapport aux Etats-Unis, avec les billets de dollars, la différence est flagrante. Ils ont une mythologie historique, les grands présidents sur les billets, même une métaphysique avec la devise "In God We Trust". Si vous deviez retenir, proposer une personne, une figure historique ou personnalité pour figurer sur les billets, mettons de 20 euros, Giuliano da Empoli, qu'elle serait-elle?

Giuliano da Empoli: Alors moi, je proposerai une dame qui vient de mourir il y a quelques semaines, qui s'appelle Sofia Corradi, et qui était la femme qui a eu l'idée de l'Erasmus, simplement parce qu'elle avait étudié à l'étranger, elle avait fait un master quelque part, en droit, et après elle était rentrée en Italie, elle avait pas eu, voilà, elle n'avait pas pu le faire reconnaître, ça l'a beaucoup embêtée, c'était dans les années 1960, Et à partir de ce moment-là, elle s'est battue pendant trente ans pour que cette idée d'une circulation européenne des étudiants soit quelque chose qui ait lieu. Et au départ elle a commencé et personne ne s'occupait d'elle et puis elle a vraiment réussi, bon pas toute seule, mais c'est elle qui est considérée - il y a même eu, enfin là quand elle est morte je crois que Macron a fait un X - donc c'est relativement reconnu qu'elle a eu ce rôle-là. Et donc je pense que ce serait joli de la mettre sur un billet de banque. Je pense que ce serait bien de mettre des femmes parce que c'est aussi quelque chose qui nous différencie par rapport à ce qui est en train de se passer dans le monde. Trump ne mettra pas de femme sur ses billets de banque, Poutine probablement pas non plus et peut-être même pas Xi Jinping. Je pense qu'il faudrait dans notre offensive idéologique qu'on soit très présents sur ça aussi. Et pourquoi pas elle !

Anne Rosencher : Très bien, merci beaucoup Giulino da Empoli !

Giuliano da Empoli : Merci à vous.

Anne Rosencher : Si cet entretien vous a plu, n'hésitez pas à nous suivre et à nous laisser des commentaires sur les plateformes comme Spotify, Deezer ou encore Apple Podcasts. Sachez aussi que cette émission est disponible en vidéo sur la chaîne YouTube de L'Express. Je vous donne rendez-vous mardi 2 décembre pour un nouvel entretien.

© L'Express

Anne Rosencher et Giuliano da Empoli
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Tentatives d'espionnage de la Chine : le MI5 alerte les parlementaires britanniques

Le service britannique de renseignement intérieur (MI5) a alerté les parlementaires sur des tentatives d'espionnage et de recrutement de la Chine, a annoncé mardi 18 novembre le ministre en charge de la Sécurité, Dan Jarvis, qui a dévoilé un ensemble de mesures visant à mieux protéger les élus. "Un peu plus tôt mardi, le MI5 a émis une alerte espionnage" à destination des parlementaires, "pour les avertir du ciblage en cours de nos institutions démocratiques par des acteurs chinois", a déclaré le ministre devant les députés à la chambre des Communes.

Cette alerte intervient quelques semaines après la polémique soulevée par l'abandon de charges contre deux hommes, dont un travaillant au Parlement britannique, soupçonnés d'espionnage au profit de Pékin. Le gouvernement travailliste a été accusé d'avoir fait échouer leur procès pour ménager ses relations avec la Chine, ce dont il s'est toujours fermement défendu.

Des agents chinois pourraient se faire passer pour des "chasseurs de tête"

Selon le ministre, des agents chinois tentent de "recruter et de cultiver des relations avec des individus ayant accès à des informations sensibles sur le parlement et le gouvernement", par exemple en se faisant passer pour des "chasseurs de tête" externes. Ces tentatives peuvent aussi viser "les assistants parlementaires, des économistes, des employés de think tanks, des consultants en géopolitique ou des fonctionnaires", a-t-il détaillé.

La ministre des Affaires étrangères Yvette Cooper a évoqué ce sujet avec son homologue chinois Wang Yi début novembre et a "été claire (...) sur le fait qu'aucune activité qui menace la sécurité nationale britannique, en particulier en ce qui concerne son Parlement et son système démocratique ne sera tolérée", a ajouté Dan Jarvis.

Pour tenter de "contrer les menaces posées par la Chine et d'autres acteurs étatiques", le ministre a dévoilé mardi un ensemble de mesures, notamment pour protéger le système électoral, avec un renforcement des règles sur les dons aux candidats et partis politiques, et un durcissement des sanctions pour les personnes accusées d'ingérence dans les élections.

Le gouvernement va lancer des campagnes de sensibilisation auprès du personnel politique et parlementaire, ainsi qu'auprès des dirigeants d'universités et du monde des affaires. "C'est dans notre intérêt de long terme de continuer à avoir des relations avec la Chine, (...) mais nous nous défendrons toujours contre tout pays, y compris la Chine, qui tente d'interférer, d'influencer ou de saper l'intégrité de nos institutions démocratiques", a insisté Dan Jarvis.

© PETER NICHOLLS / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP

Le ministre en charge de la Sécurité, Dan Jarvis, a dévoilé un ensemble de mesures visant à mieux protéger les élus.
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Pologne : deux Ukrainiens au service de la Russie suspectés d'avoir saboté une voie ferrée stratégique

"Une limite a été franchie." Ce mardi 18 novembre, Donald Tusk, le Premier ministre polonais, s'adresse aux parlementaires du pays sur un ton grave. Lundi, une portion de la voie ferrée reliant sa capitale, Varsovie, et Lublin, ville proche de la frontière avec l'Ukraine, a été retrouvée détruite par des explosifs, la rendant un temps impraticable. Plus loin sur la ligne, d'autres dégâts ont été constatés sur une caténaire, forçant un train transportant plusieurs centaines de passagers à s'immobiliser. Dans ce second cas, un "collier" en acier a été retrouvé posé sur un rail et était "destiné probablement à faire dérailler un train", assure Donald Tusk. Des faits que les autorités polonaises ont rapidement qualifiés de sabotage, possiblement commis "pour le compte d’un service de renseignement étranger".

Une voie cruciale à l'acheminement de l'aide en Ukraine

Cette voie ferrée est une composante essentielle à l'acheminement de l'aide humanitaire et militaire à l'Ukraine. Chaque jour, 115 trains y circulent. Dès mardi matin, Varsovie n'a pas hésité à faire comprendre que l'ombre de Moscou planait au-dessus de ces incidents. Le porte-parole du ministre polonais des services de sécurité, Jacek Dobrzyński, avait ainsi déclaré que "tout indique" que le renseignement russe serait impliqué dans cette affaire. Devant la Diète, la chambre basse du Parlement polonais, Donald Tusk s'est fait ce mardi midi encore plus précis. Le responsable a annoncé l'identification de deux suspects, des "citoyens ukrainiens qui collaborent depuis longtemps avec les services de renseignement russes", a-t-il déclaré.

Selon Donald Tusk, l'un de ces deux hommes a déjà été condamné à Lviv, en Ukraine, pour de précédents faits de sabotage. L'autre serait originaire de la région du Donbass, en partie occupée par les forces russes. Tous deux auraient franchi la frontière polonaise depuis la Biélorussie. "Nous sommes confrontés à un événement sans précédent", a souligné le Premier ministre. "Ne soyez pas surpris par les réactions émotionnelles qu'il suscite. Il s'agit peut-être de la situation la plus grave de ce type, du point de vue de la sécurité nationale, depuis le début de la guerre en Ukraine." Aucun détail supplémentaire sur l'identité précise des suspects n'a été fournie par Donald Tusk, expliquant que des opérations étaient toujours en cours dans le cadre de cette enquête.

La Pologne en première ligne face à la Russie

Frontalière de l'Ukraine, de la Biélorussie – alliée à Moscou – et de la Russie via son enclave de Kaliningrad, la Pologne se situe en première ligne face à la menace provoquée par le Kremlin à l'est de l'Europe. En septembre, le pays avait déjà connu une situation d'urgence, avec l'incursion d'une vingtaine de drones russes au-dessus de son territoire. L'épisode avait contraint l'Otan à remodeler son dispositif de défense dans la région. Mais ce sabotage risque de marquer un nouvel échelon de la gradation des tensions entre Varsovie et Moscou – et plus généralement entre les puissances du Vieux continent et la Russie. À Bruxelles, la situation a d'ailleurs fait réagir Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne. "L'Europe doit d'urgence renforcer sa capacité à protéger nos cieux et nos infrastructures", a-t-elle exhorté lundi, sur son compte X.

Moscou a-t-il souhaité tester une nouvelle fois les limites des Européens avec un tel sabotage ? "Je doute que quiconque se donne autant de mal juste pour endommager les voies, et non pour faire dérailler un train et tuer des passagers", alerte Michał Piekarski, chercheur à l’Institut d’études internationales et de sécurité à l’université de Wroclaw, auprès de la Gazeta Wyborcza, un des principaux quotidiens polonais. "La question est de savoir si les auteurs visaient un train en particulier, ou s'ils essayaient simplement de faire dérailler n'importe quel train qui pourrait arriver." Dans un article consacré à l'incident, la Gazeta Prawna, un autre média polonais, rapporte que des caméras ont été retrouvées aux abords des rails. De quoi faire suggérer aux enquêteurs qu'une vidéo de propagande aurait pu être filmée sur les lieux du crime pour le compte de Moscou.

Silencieux sur les accusations de Varsovie à son encontre jusqu'ici, le Kremlin a dénoncé mardi après-midi une campagne de "russophobie" de la part de la Pologne. Mais il n'a pas non plus démenti formellement ces mises en cause. "La Russie est accusée de toutes les formes de guerre hybride ou directe qui se produisent et en Pologne, ils font du zèle à ce sujet. La russophobie y fleurit dans toute sa splendeur", a ainsi lancé le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, interrogé par un journaliste russe.

© Wojtek RADWANSKI / AFP

Les enquêteurs examinent les rails d'une voie ferrée endommagée par des explosifs à Mika (Pologne), le 17 novembre 2025.
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Transparence des salaires : les cadres français plus critiques que leurs voisins européens

Communiquer aux salariés les rémunérations de leurs collègues. Cela ne sera plus une option mais une obligation pour les entreprises françaises à partir de 2026. Dès l'année prochaine en effet, une directive européenne en ce sens sera transposée dans le droit national. Une initiative de transparence largement plébiscitée par les cadres français, révèle une étude de l'Apec, d'autant que ces derniers se montrent plus critiques que leurs voisins européens sur la situation actuelle dans leur entreprise.

Un manque de transparence ressenti davantage en France qu'ailleurs en Europe

Près d'un cadre français sur deux (46 %) considère ainsi que la politique salariale de sa société est opaque, contre 38 % des cadres en Allemagne, 33 % en Espagne et seulement 28 % en Italie, selon cette étude publiée ce mardi 18 novembre. En France, cette sensation d'opacité est particulièrement répandue chez les femmes (52 %), mais aussi chez les cadres des grandes entreprises (58 %) et les non-managers (60 %). Les critères d'augmentation des salaires eux-mêmes sont jugés opaques par 49 % des cadres français. C'est là encore plus qu'ailleurs en Europe (38 % en Allemagne, 43 % en Espagne et en Italie).

S'ils sont plus critiques que leurs voisins sur la situation actuelle, les Français aspirent tout autant qu'eux à plus de transparence salariale. En France, environ six cadres sur dix se déclarent ainsi favorables à ce que les salaires de chacun soient connus de tous dans les entreprises, comme en Espagne, en Italie, ou en Allemagne.

Les cadres français "globalement moins informés"

Ces chiffres varient toutefois légèrement en fonction de l'âge. Le besoin de transparence est encore plus fort chez les cadres français de moins de 35 ans avec 71 % de personnes favorables, contre 62 % chez les 35-54 ans, ou 59 % chez les 55 ans et plus. Une autre mesure de la future directive est d'ailleurs censée permettre de répondre à ce besoin accru de transparence : le salaire devra désormais automatiquement être communiqué dans les offres d'emploi.

Une évolution d'autant plus nécessaire que les cadres français disent davantage avoir du mal à situer leur rémunération que leurs homologues européens. En France, 42 % des cadres peinent à situer leur salaire par rapport à ceux des personnes occupant un poste similaire dans d’autres entreprises, contre 35 % en Allemagne, 30 % en Espagne et 29 % en Italie. Et ils sont encore plus (50 %) à éprouver de telles difficultés en interne, dans leur entreprise. En comparaison avec leurs voisins, "les cadres français se considèrent donc globalement moins informés sur ces aspects", note l'étude de l'Apec.

Craintes des managers

Si la directive européenne pour la transparence semble donc largement attendue en France, certains managers craignent toutefois une détérioration du climat social dans leurs équipes. 62 % des managers français estiment ainsi qu’elle pourrait entraîner des conflits. D'autant que la plupart d'entre eux (63 %) admettent qu'ils auraient du mal à justifier certains écarts de rémunération dans leur équipe.

Interrogés sur l'attitude qu'ils adopteraient s'ils apprenaient être moins bien payés qu'un collègue à poste équivalent, 9 cadres sur 10 confient qu'ils chercheraient à renégocier leur salaire et 6 sur 10 songeraient même à changer d'entreprise. Une proportion encore plus importante chez les moins de 35 ans : les trois quarts d'entre eux envisageraient de chercher un emploi ailleurs dans une telle situation, toujours selon l'Apec.

© Shutterstock

Les salariés pourront dès 2026 demander à connaître la rémunération de leurs collègues.
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Gaza : quels pays pour la "force internationale" prévue par la résolution votée à l'ONU ?

Le Conseil de sécurité des Nations unies a voté lundi 17 novembre pour la résolution américaine endossant le plan de Donald Trump pour Gaza, qui prévoit notamment le déploiement d’une force internationale, rejetée par le Hamas. Cette "Force de stabilisation internationale" (ISF) était déjà prévue dans l’accord qui a conduit à un fragile cessez-le-feu le 10 octobre entre Israël et le Hamas palestinien. Selon les termes de cet accord, elle sera composée d’une coalition en majorité composée de pays arabes et musulmans, et déployée à Gaza pour y superviser la sécurité à mesure que l’armée israélienne s’en retirera.

Si aucune composition n’a été dévoilée, selon des sources diplomatiques à l’AFP, certains pays ont déjà dit qu’ils étaient prêts à participer à cette force de stabilisation internationale, notamment l’Indonésie - qui a dit en septembre être disposée à "déployer 20 000 ou plus de ses fils et filles pour aider à maintenir la paix à Gaza" - mais tiennent à un mandat du Conseil de sécurité pour effectivement déployer des troupes dans le territoire palestinien. Selon Politico, qui citait mi-octobre un officiel de la Défense américaine, et un ancien responsable de la Défense, l’Indonésie, l’Azerbaïdjan et le Pakistan "sont les principaux candidats pour fournir des troupes à une future force de stabilisation dans la bande de Gaza". D’après le Guardian, qui cite "des diplomates", l’Egypte pourrait chapeauter cette force internationale.

La Turquie veut participer, Israël dit non

La Turquie souhaiterait également participer, mais les efforts d’Ankara, qui multiplie les contacts diplomatiques avec les pays de la région et cherche à infléchir la position pro-israélienne des Etats-Unis, sont vus d’un mauvais œil par Israël qui juge la Turquie trop proche du Hamas. Les dirigeants israéliens ont exprimé à plusieurs reprises leur refus de voir le pays prendre part à la force internationale de stabilisation à Gaza. "Nous avons […] clairement indiqué au sujet des forces internationales qu’Israël déciderait quelles forces sont inacceptables pour nous", déclarait Benyamin Netanyahou fin octobre.

L’Allemagne soutient de son côté l’idée d’un mandat de l'ONU pour cette force internationale, qui devra reposer sur "une base légale claire en droit international". "C’est très important pour les pays disposés à envoyer leurs troupes à Gaza, et pour les Palestiniens", a déclaré le ministre allemand des Affaires étrangères Johann Wadephul début novembre.

A date du 10 novembre, la France était quant à elle représentée par trois officiers dans une structure mise en place par les Américains en Israël. Ils "y sont à titre d’observation et de mise à disposition pour pouvoir examiner (une) contribution supplémentaire" possible, selon la présidence française. Comme le souligne le Guardian, "il n’est pas prévu que des troupes européennes ou britanniques soient impliquées", mais la Grande-Bretagne a également "envoyé des conseillers auprès d’une petite cellule dirigée par les États-Unis en Israël".

La Jordanie "trop impliquée" pour participer

Le ministre jordanien des Affaires étrangères, Ayman Safadi, a précisé le 1er novembre que son pays n’enverrait pas de soldats à Gaza : "Nous sommes trop impliqués sur ce sujet et ne pouvons pas déployer de troupes", a-t-il dit, précisant que la Jordanie était toutefois disposée à former la force et à coopérer avec elle. Il souhaite comme l’Allemagne que la force soit mandatée par l'ONU.

Les Emirats arabes unis ne rejoindront "probablement pas" non plus la force de stabilisation prévue dans le plan de Donald Trump pour Gaza. Les Emirats "ne voient pas encore de cadre clair pour la force de stabilisation et, dans ces circonstances, ne participeront probablement pas à une telle force", a déclaré récemment le conseiller présidentiel Anwar Gargash, lors d’un forum à Abou Dhabi. Mais ils "soutiendront tous les efforts politiques en faveur de la paix et resteront en première ligne au niveau de l’aide humanitaire", a-t-il ajouté en affirmant que son pays avait fourni 2,57 milliards de dollars d’aides à la bande de Gaza depuis le début de la guerre entre Israël et le mouvement islamiste palestinien Hamas.

Comme l’a noté un observateur auprès de l’AFP, il pourrait en outre être compliqué pour des troupes de certains autres pays musulmans de se retrouver dans un contexte d’affrontement direct face au Hamas.

© afp.com/Jack GUEZ

Des soldats de l'armée israélienne observent des bâtiments détruits dans la bande de Gaza depuis la frontière avec le territoire palestinien, le 13 août 2025
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Ukraine : la Russie accuse la France d'"alimenter" la guerre en vendant des Rafale à Kiev

En visite à Paris lundi 17 novembre, Volodymyr Zelensky a signé avec Emmanuel Macron une "déclaration d’intention" en vue de l’achat futur de cent avions de combat français Rafale, dont l’Ukraine entend se doter pour la première fois, et de systèmes de défense aérienne. "C’est un accord historique et nous apprécions beaucoup le soutien de la France", a salué le président ukrainien Volodymyr Zelensky. La Russie, elle, a bien sûr vu d’un mauvais œil cette annonce : Moscou a accusé ce mardi Paris d'"alimenter" la guerre en Ukraine.

Les infos à retenir

⇒ La Russie accuse la France d'"alimenter" la guerre en vendant des Rafale à Kiev

⇒ Volodymyr Zelensky en Turquie mercredi pour "raviver" des négociations

⇒ Une attaque de missile russe tue une adolescente dans l’est de l’Ukraine

La Russie accuse la France d'"alimenter" la guerre en vendant des Rafale à Kiev

Moscou a accusé ce mardi la France d'"alimenter" la guerre en Ukraine en signant un accord sur le futur achat par Kiev de 100 avions de combat français Rafale. "Paris ne contribue en aucun cas à la paix, mais alimente au contraire les sentiments militaristes et proguerre", a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, en réponse à une question de l’AFP, lors de son briefing quotidien.

Lundi, les présidents ukrainien, Volodymyr Zelensky, et français, Emmanuel Macron, ont signé à Paris une "déclaration d’intention", qualifiée d'"historique" par Volodymyr Zelensky, portant sur l’achat futur par Kiev de 100 Rafale avec leurs armements associés.

Depuis le début du conflit, déclenché par la Russie en février 2022, Moscou critique à l’envi les pays de l’Otan pour leurs livraisons d’armes à l’Ukraine, en affirmant dans le même temps que celles-ci sont inefficaces sur le champ de bataille. "Peu importe quels avions sont vendus au régime de Kiev, cela ne changera rien à la situation sur le front et cela ne modifiera pas la dynamique du conflit", a ajouté Dmitri Peskov mardi, après avoir critiqué la vente des Rafale à l’Ukraine.

Volodymyr Zelensky en Turquie mercredi pour "raviver" des négociations

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a annoncé mardi se rendre en Turquie mercredi pour tenter de "raviver" des négociations de paix et reprendre les échanges de prisonniers de guerre avec la Russie. "Demain (mercredi), je tiendrai des réunions en Turquie. Nous nous préparons à raviver les négociations et avons élaboré des solutions que nous proposerons à nos partenaires", a-t-il annoncé sur les réseaux sociaux.

Le dirigeant veut notamment "réengager" les Etats-Unis dans les efforts de paix visant à arrêter l’invasion russe de l’Ukraine, a indiqué à l’AFP un responsable ukrainien. "L’objectif principal est que les Américains se réengagent" dans les efforts de paix, a indiqué un responsable ukrainien sous couvert d’anonymat, précisant que Volodymyr Zelensky devait rencontrer à Ankara son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan.

Un responsable ukrainien a précisé peu après que l’émissaire américain Steve Witkoff était attendu à Istanbul. Le Kremlin a en revanche indiqué qu’aucun émissaire russe ne se rendrait en Turquie pendant la visite du président ukrainien.

Une attaque de missile russe tue une adolescente dans l’est de l’Ukraine

Une attaque de missile russe a tué une adolescente et fait au moins neuf blessés dans la région de Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine, ont annoncé les autorités locales tôt mardi.

"L’ennemi a lancé des attaques de missile sur la ville de Berestyn" et "une fille de 17 ans qui avait été grièvement blessée […] est morte à l’hôpital", a écrit le gouverneur régional Oleg Synegoubov sur Telegram. "Il y a à l’heure actuelle neuf blessés recensés, dont sept sont hospitalisés", a-t-il ajouté, précisant que les services d’urgence se trouvaient sur les lieux.

Dans la région voisine de Dnipropetrovsk, le gouverneur Vladyslav Gaïvanenko a fait état d'"incendies" à Dnipro liés à une attaque de drone, mais sans mentionner d’éventuels morts ou blessés.

© afp.com/Christophe Ena

Un avion Rafale, des drones et des munitions exposés à l'occasion de la visite en France du président ukrainien Volodymyr Zelensky, le 17 novembre 2025, à Vélizy-Villacoublay, dans les Yvelines
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Tensions avec le Venezuela : Donald Trump souffle le chaud et le froid face à Nicolas Maduro

Donald Trump a déclaré lundi 17 novembre qu’il parlerait "à un moment donné" au président vénézuélien Nicolas Maduro, qui s’est dit prêt à échanger "en tête-à-tête" avec son homologue, au moment où le déploiement militaire américain au large du Venezuela fait monter les tensions. "A un moment donné, je vais lui parler", a déclaré à des journalistes le président américain dans le bureau Ovale, tout en ajoutant que Nicolas Maduro "n’a pas été bon pour les Etats-Unis".

Mais dans le même temps, interrogé pour savoir s’il excluait l’envoi de troupes américaines au Venezuela, Donald Trump a répondu : "Non, je n’exclus pas cette possibilité, je n’exclus rien."

Nicolas Maduro a déclaré dans la foulée être prêt à discuter "en tête-à-tête". "Aux États-Unis, celui qui veut parler avec le Venezuela (on) parlera (avec lui), 'face to face', en tête-à-tête. Sans aucun problème. Ce qu’on ne peut pas permettre […] c’est que le peuple chrétien du Venezuela soit bombardé et massacré", a-t-il dit.

Les Etats-Unis ont mené ces dernières semaines une vingtaine de frappes contre des embarcations qu’ils accusent - sans présenter de preuves - de transporter de la drogue, faisant au moins 83 victimes. Le déploiement militaire américain dans la région s’est considérablement renforcé avec l’arrivée toute récente du porte-avions Gerald Ford, le plus grand au monde.

"Nous devons simplement nous occuper du Venezuela", a jugé Donald Trump, accusant Caracas d’avoir "déversé des centaines de milliers de personnes issues des prisons dans notre pays". Caracas accuse de son côté Washington de prendre prétexte du narcotrafic "pour imposer un changement de régime" au Venezuela et s’emparer de son pétrole.

Donald Trump n’aurait "aucun problème" avec des frappes au Mexique

Le président américain a ajouté qu’il n’aurait "aucun problème" avec d’éventuelles frappes américaines au Mexique pour lutter contre les cartels. "Il y a de gros problèmes là-bas", a assuré le dirigeant républicain, suggérant de mener des frappes aériennes contre des bateaux suspectés de transporter de la drogue à l’image de ce que fait Washington dans les Caraïbes et le Pacifique.

La Première ministre de Trinité-et-Tobago, fidèle alliée du président Donald Trump, a assuré lundi que Washington "n’avait jamais demandé" à utiliser l’archipel pour lancer des attaques contre le Venezuela alors qu’un contingent de Marines américains effectue des exercices dans ce pays situé à une dizaine de kilomètres des côtes vénézuéliennes. "Les Etats-Unis n’ont JAMAIS demandé à utiliser notre territoire pour lancer des attaques contre le peuple du Venezuela. Le territoire de Trinité-et-Tobago ne sera PAS utilisé pour lancer des attaques contre le peuple du Venezuela", a écrit Kamla Persad-Bissessar à l’AFP via la messagerie WhatsApp à propos des exercices militaires.

Ces manœuvres ont été qualifiées d'"irresponsables" par le président vénézuélien Nicolas Maduro qui considère comme une "menace" le déploiement américain dans les Caraïbes. Elles doivent avoir lieu jusqu’à vendredi. Ce sont les deuxièmes en moins d’un mois entre Washington et le petit archipel anglophone.

Les Etats-Unis ont désigné ou s’apprêtent à le faire en parallèle à leur déploiement militaire plusieurs cartels de la drogue dans la région comme étant des "organisations terroristes étrangères", dont le "Cartel des Soleils" au Venezuela.

© afp.com/Juan BARRETO, ANDREW CABALLERO-REYNOLDS

Combo réalisé en 2025 de portraits de Nicolas Maduro (g) et Donald Trump
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La vendetta judiciaire de Donald Trump contre l’ex-directeur du FBI pourrait bien tourner court

La procédure pénale contre l’ancien directeur du FBI James Comey, désigné par Donald Trump à son ministère de la Justice comme une cible prioritaire, apparaît mal embarquée, après une nouvelle décision d’un juge fédéral de Virginie très sévère pour l’accusation, lundi 17 novembre.

Donald Trump a maintes fois exprimé pendant sa campagne électorale sa volonté de se venger de tous ceux qu’il considère comme des ennemis personnels. James Comey, 64 ans, est devenu fin septembre la première de ces personnalités à être inculpée depuis le retour au pouvoir du milliardaire. Il avait témoigné en 2020 devant le Congrès au sujet de l’enquête du FBI sur les liens supposés entre la Russie et la première campagne présidentielle de Donald Trump en 2016.

Vers un classement sans suite ?

Un juge a relevé dans une décision rendue lundi "une série troublante de faux pas dans la conduite des investigations", susceptible selon lui de motiver une annulation de l’inculpation si la défense en faisait la demande. "L’évaluation du juge d’instance renforce la possibilité croissante que l’affaire Comey soit classée sans suite avant même d’être jugée", explique Politico.

En cause notamment, la présentation par Lindsey Halligan, la procureure choisie par Donald Trump, des éléments du dossier au grand jury - commission de citoyens investie de pouvoirs d’enquête. "Le tribunal a identifié deux déclarations de la procureure au grand jury qui de prime abord apparaissent comme des formulations fondamentalement erronées de la loi qui pourraient compromettre l’intégrité du processus", explique le juge William Fitzpatrick.

De graves erreurs prononcées devant le grand jury

La procureure Lindsey Halligan, ancienne avocate personnelle de Donald Trump qui n’avait auparavant aucune expérience en matière de poursuites judiciaires, a ainsi notamment laissé entendre au grand jury que James Comey ne pourrait pas se prévaloir du 5e Amendement de la Constitution américaine, autorisant tout justiciable à ne pas témoigner à son propre procès. Selon Politico, le juge a également relevé que Lindsey Halligan semblait suggérer à tort aux membres du grand jury que le gouvernement disposait de plus de preuves contre James Comey que celles qui leur avaient été présentées.

En conséquence, le juge a donné satisfaction à la défense, ordonnant à l’accusation de fournir à celle-ci d’ici lundi soir tous les documents présentés au grand jury pour obtenir l’acte d’accusation contre James Comey.

Le bureau de Lindsey Halligan et le ministère de la Justice ont refusé de commenter la décision du juge auprès de NBC News, mais selon la chaîne américaine, les procureurs ont fait appel de la décision et demandé de suspendre l’ordonnance du juge, et donc le transfert des documents du grand jury à l’équipe de la défense.

Un "revers" dans le bras de fer de Donald Trump contre ses opposants

Pour le New York Times, "la décision du juge Fitzpatrick n’est que le dernier revers en date dans les efforts du ministère de la Justice pour poursuivre James Comey". Le quotidien américain rappelle que la décision de poursuivre l’ancien directeur du FBI avait été rejetée par le prédécesseur de Lindsey Halligan, Erik S. Siebert, selon qui il n’y avait pas suffisamment de preuves pour engager des poursuites, et que ce dernier avait alors été limogé par Donald Trump en septembre.

Les avocats de l’ex-directeur du FBI ont introduit une série de recours en annulation des poursuites, faisant notamment valoir qu’elles étaient motivées par la seule "rancune personnelle" de Donald Trump et que la nomination de la procureure était "illégale".

La procureure générale de l’Etat de New York, Letitia James, elle aussi inculpée à la suite de pressions publiques de Donald Trump, a également exercé des recours sur ces mêmes motifs. Lors d’une audience la semaine dernière, une autre juge s’est montrée très sceptique sur la légalité de la désignation de la procureure, promettant de rendre une décision à ce sujet d’ici Thanksgiving, le 27 novembre. Après avoir poussé à la démission le procureur du district est de Virginie en charge de ces dossiers, Donald Trump l’avait aussitôt remplacé à ce poste stratégique par Lindsey Halligan, conseillère à la Maison-Blanche.

© afp.com/Brendan Smialowski

L'ancien directeur du FBI James Comey, le 8 juin 2017 à Washington
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Gaza : Israël affirme que le plan de Donald Trump apportera "paix et prospérité"

Donald Trump a salué lundi 17 novembre l’adoption par le Conseil de sécurité de l'ONU d’une résolution endossant son plan de paix pour Gaza, qui entraînera selon lui "davantage de paix dans le monde". "Cela restera comme l’une des approbations les plus importantes de l’histoire des Nations Unies", a réagi le président américain sur Truth Social, remerciant les pays siégeant au Conseil de sécurité, y compris la Russie et la Chine, qui se sont abstenues. Le texte prévoit notamment le déploiement d'une force de "stabilisation" internationale, et la création d'un "Comité de la paix", organe de "gouvernance de transition" jusqu'à la réforme de l'Autorité palestinienne. Contrairement aux premières versions, l’éventualité d’un Etat palestinien est également mentionnée par cette résolution.

Les infos à retenir

⇒ Le Conseil de sécurité de l'ONU vote pour le plan de paix de Donald Trump

⇒ Un ministre israélien appelle à arrêter Mahmoud Abbas si l'ONU vote en faveur d’un Etat palestinien

⇒ Benyamin Netanyahou dit qu’il va s’occuper "personnellement" des actes de certains colons en Cisjordanie

Israël affirme que le plan de Donald Trump sur Gaza apportera "paix et prospérité" après le vote à l'ONU

Le bureau du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a salué ce mardi le plan de paix du président américain Donald Trump pour Gaza, au lendemain de l'adoption par le Conseil de sécurité de l'ONU de la résolution américaine qui endosse cette feuille de route. 

"Nous pensons que le plan du président Trump mènera à la paix et à la prospérité car il insiste sur la démilitarisation complète, le désarmement et la déradicalisation de Gaza", indique un communiqué du bureau du Premier ministre. "Israël tend la main à tous ses voisins, porteurs de paix et de prospérité, et les appelle à normaliser leurs relations avec Israël et à se joindre à lui pour expulser le Hamas et ses partisans de la région", ajoute-t-il.

Le Conseil de sécurité de l'ONU a voté lundi pour le plan de paix de Donald Trump à Gaza, prévoyant en particulier le déploiement d’une force internationale, sous la pression des Etats-Unis qui mettaient en garde contre le risque d’une reprise de la guerre. Treize de ses membres se sont prononcés en faveur de la résolution.

Réagissant également ce mardi, l'Autorité palestinienne a salué le vote de l'ONU et souligné "l'urgence de mettre immédiatement en œuvre sur le terrain cette résolution".

Le Hamas pour sa part a estimé lundi soir que le texte "ne répond (ait) pas aux exigences et aux droits politiques et humains" des Palestiniens. Il "impose un mécanisme de tutelle internationale sur la bande de Gaza, ce que notre peuple, ses forces et ses composantes rejettent", a écrit le mouvement.

Un ministre israélien appelle à arrêter Mahmoud Abbas si l'ONU vote en faveur d’un Etat palestinien

Le ministre israélien de la Sécurité intérieure, Itamar Ben Gvir, figure de l’extrême droite, a appelé lundi à l’arrestation du président palestinien Mahmoud Abbas et à l’assassinat de hauts responsables palestiniens dans le cas où le Conseil de sécurité de l'ONU se prononcerait en faveur d’un Etat palestinien.

"S’ils accélèrent la reconnaissance de cet Etat fabriqué, si l'ONU le reconnaît, vous […] devez ordonner des assassinats ciblés de hauts responsables de l’Autorité palestinienne, qui sont des terroristes à tous les égards (et) ordonner l’arrestation d’Abou Mazen" (surnom de Mahmoud Abbas), a déclaré Itamar Ben Gvir devant des journalistes en apostrophant le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. "Nous avons une cellule dans la prison de Ketziot (dans le sud d’Israël, NDLR) prête pour lui, pour être reçu dans des conditions similaires à celles de tous les terroristes en prison". "Ce peuple, le soi-disant peuple palestinien inventé, ne doit pas avoir d’Etat", a-t-il encore déclaré.

L’Autorité palestinienne, que dirige Mahmoud Abbas, a dénoncé des "propos incendiaires" reflétant "une politique officielle de l’Etat occupant (Israël, qui occupe la Cisjordanie et la bande de Gaza, NDLR), qui substitue la force à l’état de droit, bafoue la légitimité internationale et s’appuie sur l’impunité".

Cisjordanie : Benyamin Netanyahou dit qu’il va s’occuper "personnellement" des actes de certains colons israéliens

"Je prends très au sérieux les émeutes violentes fomentées par une poignée d’extrémistes qui ne représentent pas les colons en Judée-Samarie (la Cisjordanie, ndlr) et qui tentent de se faire justice eux-mêmes", a déclaré le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou dans un communiqué lundi soir. "Je compte m’occuper personnellement de cette question et convoquer les ministres concernés dès que possible pour répondre à ce phénomène grave", a ajouté Benyamin Netanyahou, à la tête d’un des gouvernements les plus à droite de l’histoire d’Israël.

Il a fait ces déclarations après une attaque ayant visé le village palestinien de Jabaa, près de Bethléem, apparemment en riposte à l’évacuation par les autorités israéliennes d’un avant-poste de colons dans la même zone. Un peu plus tôt, l’armée israélienne avait annoncé être intervenue pour tenter d’arrêter des suspects après avoir reçu des informations sur une descente de "plusieurs dizaines de civils israéliens ayant incendié et vandalisé des maisons et des véhicules". Le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU (Ocha) a recensé en octobre un pic des "attaques de colons ayant causé des victimes, des dommages matériels ou les deux" en près de deux décennies de collecte de données en Cisjordanie, territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967.

© Anadolu via AFP

Benyamin Netanyahou à la Maison-Blanche le 29 septembre 2025, lors d'une conférence de presse conjointe avec Donald Trump.
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Guerre en Ukraine : la capture de Pokrovsk, une victoire qui coûterait cher à la Russie

Après des mois d’un inimaginable bain de sang, la bataille pour la ville de Pokrovsk s’approche dangereusement de son épilogue. Confrontées à des infiltrations incessantes de troupes russes par le sud et la menace d’un encerclement par le nord, les forces ukrainiennes apparaissent dans une position de plus en plus précaire pour assurer la défense de la cité. La prise de cette localité - comme celle de la ville jumelle de Myrnohrad avec laquelle elle formait un ensemble d’environ 100 000 habitants avant la guerre - serait la plus importante enregistrée par l’armée russe depuis celle d’Avdiivka en février 2024. Une conquête qui ne manquerait pas d’être mise à profit politiquement par Vladimir Poutine, alors qu’il a fait de la capture du Donbass son objectif numéro un.

Difficile néanmoins de faire abstraction de l’hécatombe consentie par ses forces pour en arriver là. "La conquête de Pokrovsk serait plus une victoire politique que militaire, abonde le général Nicolas Richoux, ancien commandant de la 7e brigade blindée. Sur le plan militaire, c’est un effort disproportionné par rapport aux gains." A Pokrovsk comme dans le reste du pays, les pertes enregistrées par l’armée russe sont abyssales. Rien qu’en octobre, on en compterait au moins 25 000 (morts, blessés, disparus), principalement dans cette ville, a annoncé Volodymyr Zelensky devant la presse le 7 novembre. Quelques jours plus tôt, les renseignements britanniques en recensaient plus de 350 000 dans l’ensemble du pays depuis le début de l’année. Cela, pour une progression d’un peu moins de 3 500 kilomètres carrés - soit environ la moitié d’un département français.

"Militairement, sa valeur s’est fortement réduite"

Sur le plan stratégique, Pokrovsk a en outre vu son intérêt baisser au fil du temps. Autrefois plaque tournante de premier plan pour approvisionner le front grâce à ses nombreux axes logistiques, la ville a vu ce rôle décliner au fur et à mesure de l’avancée russe. "Avec le rapprochement de la ligne de front, c’était devenu un cul-de-sac, confirme le général Richoux. Militairement, sa valeur s’est fortement réduite." Résultat, les Ukrainiens n’ont eu d’autres choix au cours des derniers mois que de trouver des voies d’approvisionnement alternatives, pour couvrir les besoins de leurs troupes engagées dans ce secteur. Réduisant du même coup l’importance du hub constitué par Pokrovsk dans la conduite des opérations.

La capture de la ville n’en resterait pas moins un coup dur pour les forces ukrainiennes, qui continuent résolument à s’y accrocher. Pourrait-elle ouvrir la voie à une brèche plus large dans leurs défenses ? A ce stade, le scénario d’une percée des forces russes au-delà des frontières de la ville semble encore improbable, pointent les observateurs militaires. "Les forces russes manquent d’élan et leur mode de combat actuel ne leur permettra pas d’en gagner, souligne, dans un récent post, Michael Kofman, chercheur principal au Carnegie Endowment for International Peace. L’infiltration [des Russes] permet une offensive progressive, mais ne peut aboutir à des percées opérationnelles significatives." Les Ukrainiens disposent par ailleurs de lignes de défense où se replier et réorganiser leurs forces. "La défense de Pokrovsk avait créé des élongations dans le dispositif ukrainien, ajoute le général (2S) Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue Défense nationale. Un possible retrait des Ukrainiens sur des positions arrières leur permettrait de consolider la ligne de front."

Ceinture de forteresses

De fait, même en cas de prise de Pokrovsk, la route vers la conquête de l’ensemble du Donbass - environ 10 % sont toujours sous contrôle ukrainien - s’annonce encore longue et coûteuse pour les forces russes. Depuis la prise d’Avdiivka en février 2024, à une quarantaine de kilomètres plus à l’est, il leur a fallu pas moins de 21 mois pour parvenir jusqu’à Pokrovsk. Et le plus dur reste à venir. Plus au nord, l’Ukraine dispose encore de sa "ceinture de forteresses", sa principale ligne de défense fortifiée dans l’oblast de Donetsk depuis 2014. Composée de plusieurs villes bastions dont Sloviansk et Kramatorsk, deux cités distantes d’une dizaine de kilomètres l’une de l’autre, qui rassemblaient avant le conflit près de 300 000 habitants, elle constitue encore un obstacle majeur que les Russes n’ont pas les moyens de franchir dans un avenir proche.

Reste une inconnue de poids : l’impact qu’aurait la conquête de la ville sur Donald Trump qui, à plusieurs reprises cette année, n’a pas hésité à faire pression sur l’Ukraine pour la pousser à rendre les armes. "La Russie craint énormément les décisions radicales que pourraient prendre les Etats-Unis en cas d’échec sur le champ de bataille, a résumé Volodymyr Zelensky début novembre. C’est pourquoi il est crucial pour elle de tout faire pour s’emparer de Pokrovsk, quel que soit le moyen, afin de revendiquer une victoire militaire." Un moyen pour le chef du Kremlin d’essayer de renforcer sa position dans les négociations en vue d’un cessez-le-feu réclamé par le président américain. Et peut-être lui faire oublier que la partie est encore loin d’être gagnée.

© afp.com/Iryna Rybakova

Photo prise le 25 mars 2025 et publiée le 26 par le service de presse de la 93e brigade mécanisée des forces terrestres ukrainiennes montrant une vue de la ville de Pokrovsk, sur la ligne de front, en Ukraine
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Gaza : force internationale, Etat palestinien… Ce que dit la résolution américaine adoptée à l'ONU

Le Conseil de sécurité de l'ONU a voté lundi 17 novembre pour le plan de paix de Donald Trump à Gaza, prévoyant en particulier le déploiement d’une force internationale, sous la pression des Etats-Unis qui mettaient en garde contre le risque d’une reprise de la guerre.

Treize de ses membres se sont prononcés en faveur de la résolution. Le président américain s’est félicité d’une "des approbations les plus importantes de l’histoire des Nations Unies". Donald Trump a remercié les pays siégeant au Conseil de sécurité, y compris la Russie et la Chine, qui se sont abstenues.

Plusieurs fois modifiée lors de négociations sensibles, la résolution "endosse" le plan du président américain qui a permis, depuis le 10 octobre, un cessez-le-feu fragile entre Israël et le Hamas dans le territoire palestinien. Le texte, vu par l’AFP, donne mandat jusqu’au 31 décembre 2027 à un "Comité de la paix", organe de "gouvernance de transition" jusqu’à la réforme de l’Autorité palestinienne. Ce comité doit être présidé par Donald Trump.

La résolution "autorise" aussi une "force de stabilisation internationale" (ISF) chargée notamment de la sécurisation des frontières avec Israël et l’Egypte, de la démilitarisation de Gaza, du désarmement "des groupes armés non étatiques", de la protection des civils et de la formation d’une police palestinienne. La composition de cette force n’est pas évoquée.

L’éventualité d’un Etat palestinien mentionnée

Contrairement aux premières versions, l’éventualité d’un Etat palestinien est mentionnée. Après la réforme de l’Autorité palestinienne, "les conditions pourraient finalement être en place pour un chemin crédible vers une autodétermination palestinienne et un statut d’Etat", dit le texte.

Un avenir clairement rejeté par Israël. "Notre opposition à un Etat palestinien sur quelque territoire que ce soit n’a pas changé", a insisté dimanche le Premier ministre Benyamin Netanyahou.

Pour Stéphane Dujarric, le porte-parole du secrétaire général de l'ONU, l’adoption de la résolution américaine est "une étape importante dans la consolidation du cessez-le-feu" à Gaza, ravagée par deux années de guerre provoquée par l’attaque sanglante du mouvement islamiste palestinien du 7 octobre 2023.

Le Hamas a estimé que le texte, soutenu par l’Autorité palestinienne, "ne répond (ait) pas aux exigences et aux droits politiques et humains" des Palestiniens. Il "impose un mécanisme de tutelle internationale sur la bande de Gaza, ce que notre peuple, ses forces et ses composantes rejettent", a écrit le mouvement.

Réticences

Pour la France, qui a voté en faveur de cette résolution, elle "répond aux besoins les plus urgents des populations et permet de soutenir les efforts de paix en cours". "Nous nous sommes assurés que le texte […] inclue des éléments importants pour nous, et notamment des références à la perspective d’un État palestinien", a ajouté une source diplomatique.

La Russie, qui a fait circuler un texte concurrent, avait justifié cette initiative par le fait que la résolution américaine n’allait pas assez loin sur la perspective d’un Etat palestinien, affirmant un "engagement indéfectible" en faveur de la solution à deux Etats. L’ambassadeur russe, Vassili Nebenzia, a regretté que "le Conseil donne son aval à une initiative américaine sur la base de promesses de Washington, accordant le contrôle total de la bande de Gaza au Comité de la paix".

D’autres Etats membres ont exprimé des réticences, s’inquiétant d’un manque de clarté dans les mandats du Comité de la paix et de l’ISF. Face à ce qu’ils ont qualifié de "tentatives de semer la discorde", les Etats-Unis avaient redoublé d’efforts ces derniers jours pour obtenir un feu vert. "Voter contre cette résolution, c’est voter pour un retour à la guerre", a notamment lancé Mike Waltz avant le scrutin.

© Getty Images via AFP

Les membres du Conseil de sécurité de l'ONU votent sur une résolution américaine sur Gaza, le 17 novembre 2025.
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Boualem Sansal libéré : une année dévastatrice… pour l’Algérie

Alger garde la face. En acceptant le transfert de son otage Boualem Sansal en Allemagne, mercredi 12 novembre, le régime présidé par Abdelmadjid Tebboune s’est imaginé réaliser un joli coup diplomatique : le voilà se délestant d’un prisonnier encombrant, sans céder directement à la France, et en faisant, qui plus est, un pied de nez spectaculaire à son meilleur ennemi, l’ancien ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau.

Bien joué ? Pas vraiment. Si l’enchaînement des événements peut donner l’impression d’une habileté géopolitique algérienne, il suffit de reculer le regard pour contempler le désastre. L’affaire Boualem Sansal, détenu pendant presque un an pour délit d’opinion, aura constitué, d’un bout à l’autre, une catastrophe pour l’Algérie. La "nomenklatura" du régime en a pâti personnellement. On désigne ainsi ces familles de dignitaires, quelques centaines de personnes liées au commandement de l’armée, du renseignement et du gouvernement, titulaires de passeports diplomatiques. Le rétablissement des visas les concernant, décidé par Emmanuel Macron le 6 août dernier, conséquence de relations envenimées en partie par l’emprisonnement de Boualem Sansal, est vécu avec amertume à Alger, selon des sources concordantes.

La population algérienne paye fort le prix du bras de fer

Les entourages des gouvernants ne peuvent plus se rendre avec la même fluidité qu’avant à Paris, pour y passer le week-end ou quelques jours de vacances. Comme le quidam, les voilà obligés de faire la queue dans les consulats, où ils courent le risque d’être vus et brocardés. Plus globalement, la crise entre la France et l’Algérie a abouti à une baisse marquée des visas touristiques accordés par Paris, moins 30 %, a signalé le président français dans sa lettre du 6 août. La population algérienne, privée de voyage en France, paye fort le prix du bras de fer entre les deux pays.

Et que dire de l’image de l’Algérie dans le monde ? En emprisonnant pendant un an un écrivain malade, atteint d’un cancer, à cause de ses convictions, Alger a donné à voir un régime liberticide, s’inspirant de l’Iran et de ses Occidentaux emprisonnés sous de faux prétextes, afin d’être utilisés comme des otages valant rançon. Le vote du conseil de sécurité de l'ONU, le 31 octobre, en faveur de la marocanité du Sahara occidental a concrétisé cette débâcle. Achevant probablement de convaincre les stratèges du régime que l’opération Sansal devait prendre fin. On a connu des manœuvres diplomatiques plus maîtrisées.

© afp.com/FRANCOIS GUILLOT

L'écrivain franco-algérien Boualem Sansal à Paris, le 29 octobre 2014
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MBS à la Maison-Blanche : les attentes irréalistes de Donald Trump

A 40 ans, Mohammed ben Salmane ne se déplace pas si facilement. Ces derniers mois, le prince héritier saoudien multiplie les faux bonds : il n’était pas à New York, en septembre, pour la conférence sur la Palestine qu’il coprésidait avec Emmanuel Macron. Il n’était pas non plus à Charm el-Cheikh, en octobre, pour assister à la conclusion du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, aux côtés du gratin des dirigeants arabes et européens. En coulisses, certains diplomates occidentaux lient ses absences répétées à la santé fragile de son père de 89 ans, le roi Salmane, dont la mort pourrait ouvrir une lutte de succession, en l’absence physique de son héritier. Tous s’accordent, aussi, pour désigner MBS comme le plus imprévisible des dirigeants.

Ce mardi 18 novembre, le prince saoudien ne ratera toutefois pas son rendez-vous à la Maison-Blanche. MBS n’a pas remis les pieds aux Etats-Unis depuis le meurtre de Jamal Kashoggi, opposant saoudien et chroniqueur du Washington Post, dans le consulat d’Istanbul en octobre 2018. Les renseignements américains le jugent responsable de l’assassinat, mais son statut de Premier ministre d’Arabie saoudite le protège de toute arrestation à Washington. D’autant que Donald Trump joue de sa proximité avec ce jeune prince si riche, à qui il a réservé le premier voyage de son second mandat, en mai dernier. "MBS revient à Washington avec le statut de pilier de la politique américaine au Moyen-Orient, souligne Michael Wahid Hanna, directeur du programme Amérique à l’International Crisis Group. Il est un interlocuteur clé de l’administration Trump sur de nombreux dossiers prioritaires, dont Gaza, le Liban, la Syrie, l’Iran et le Soudan."

Avec cette visite à Washington, Trump réhabilite en grande pompe ce prince que Joe Biden avait qualifié de "paria" en 2020. Pour l’occasion, MBS se déplace avec une cour de 1 000 personnes, d’après Al-Arabiya, et devrait annoncer des investissements pharaoniques dans l’industrie américaine. Des accords sur le nucléaire civil, l’intelligence artificielle et les avions de chasse F-35 flottent aussi dans l’air. Le souverain saoudien va-t-il, pour autant, satisfaire tous les désirs de son hôte du jour ? Peu probable.

La normalisation Israël-Arabie saoudite, priorité de Trump

Le président américain rêve ouvertement de ce qu’il appelle "le deal du siècle" : la normalisation des relations diplomatiques entre Israël et l’Arabie saoudite, gardienne des lieux saints de l’Islam. Un tel coup diplomatique ouvrirait la voie à une reconnaissance de l’Etat hébreu par l’ensemble du monde arabo-musulman. "C’était déjà un objectif de Trump lors de son premier mandat, ça l’était pour Joe Biden pendant quatre ans et cela reste une priorité du second mandat de Trump, affirme Julie Norman, professeure de relations internationales à l’University College London. Apparemment, les Saoudiens restent ouverts à cette possibilité mais ils y mettent bien davantage de conditions à présent, surtout vis-à-vis des Palestiniens."

Sur ce dossier, comme tant d’autres, le 7 octobre 2023 a tout changé : dans sa guerre contre le Hamas, Israël a rasé 80 % de la bande de Gaza et tué plus de 67 000 personnes (d’après le ministère de la Santé lié au Hamas), mettant à cran les sociétés arabes. MBS, qui caressait l’idée d’un rapprochement officiel avec Israël en septembre 2023 lors d’une interview sur Fox News, a dû faire marche arrière. Après un long silence, le prince saoudien est allé jusqu’à qualifier de "génocide" l’action d’Israël à Gaza. "Avec son optimisme habituel, Trump a annoncé une normalisation Israël - Arabie saoudite d’ici la fin de l’année… De manière réaliste, ce ne sera pas le cas", estime Julie Norman.

La semaine dernière, Michael Ratney, ambassadeur des Etats-Unis à Riyad de 2023 à début 2025, racontait au think tank CFIS comment cette idée avait surtout pris forme en 2022, "alors que les relations américano-saoudiennes étaient au plus bas" : pour relancer le partenariat historique entre les deux pays, il fallait un accord global incluant une défense militaire mutuelle, le développement du nucléaire civil en Arabie saoudite et une reconnaissance saoudienne d’Israël. Mais l’attaque terroriste du 7 octobre et la guerre qui a suivi ont, selon lui, repoussé l’échéance. "Après le début de la guerre à Gaza, qui a imposé cette catastrophe si horrible et si visible aux Palestiniens, il est devenu de plus en plus difficile pour les Saoudiens d’avancer sur cette question, explique le diplomate américain. Bien sûr, la normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite aurait d’énormes avantages pour tout le monde, mais cette idée reste impopulaire chez les citoyens saoudiens, ce que leurs dirigeants savent bien."

Tant que Netanyahou sera là…

Contrairement aux Emirats arabes unis ou à Bahreïn, deux pays du Golfe qui ont normalisé leurs relations avec Israël en 2020, l’Arabie saoudite doit tenir compte de son opinion publique, avec 35 millions d’habitants qui ne sont pas tous millionnaires… Loin de là. "Les Saoudiens ont répété, encore et encore, que ce n’était pas le moment, souligne Michael Ratney. Le cessez-le-feu reste instable à Gaza, le chemin vers la paix est très incertain et les Saoudiens ont des exigences limpides : ils veulent voir l’armée israélienne se retirer complètement de la bande de Gaza — ce qui est loin d’être le cas —, et un engagement clair du gouvernement israélien en faveur d’un Etat palestinien — ce qui n’est pas du tout à l’ordre du jour. Le président Trump a une forte personnalité et une relation personnelle avec MBS suffisante pour que la normalisation avec Israël se produise, mais ce ne sera pas pour bientôt."

Car le principal obstacle à toute normalisation s’appelle Benyamin Netanyahou. Toute sa carrière politique, depuis 1996 et son premier mandat de chef du gouvernement, le Premier ministre israélien a bataillé contre un éventuel Etat palestinien. Il l’a redit dimanche 16 novembre, à la veille de la visite de MBS à Washington : "Notre opposition à un Etat palestinien sur tout territoire à l’Ouest du [fleuve] Jourdain existe, est valable et n’a pas changé d’un iota. Je repousse ces tentatives depuis des dizaines d’années et je continuerai de le faire contre les pressions extérieures et intérieures."

Au-delà de ses propres convictions, la présence de Netanyahou à la tête du gouvernement israélien bloque aussi tout rapprochement de la part de MBS, qui connaît la haine dont le Premier ministre de l’Etat hébreu fait l’objet dans le monde arabo-musulman. "Il n’y aura pas de normalisation avec l’Arabie saoudite tant qu’Israël garde ce gouvernement, dont la politique palestinienne est définie par une poignée d’extrémistes, annexionnistes et suprémacistes, regrette l’ancien diplomate israélien Nimrod Novik. Les leaders du monde arabe savent que leurs populations, en particulier les jeunes, ont été radicalisées par les images de Gaza. Tant qu’Israël ne change pas de direction sur la question palestinienne et ne s’engage pas en faveur d’une solution à deux Etats, il n’y aura pas de normalisation." Donald Trump devra sans doute attendre les prochaines élections israéliennes, dans moins d’un an, pour décrocher son "deal du siècle" dans la région.

© afp.com/MANDEL NGAN

Le prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane (G), rencontre le président américain Donald Trump le 20 mai 2017 à Ryad
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En plein processus de paix, le Hamas suspecté de stocker des armes à l’étranger

Un écueil de plus dans la mise en œuvre du plan de paix de Donald Trump ? Alors que l’une de ses étapes consiste en une démilitarisation du Hamas, le groupe islamiste responsable des attaques du 7-Octobre s’emploierait, selon la télévision publique israélienne KAN, à déplacer des réserves d’armes dans différents pays africains, dont le Yémen. Il tenterait également d’en acquérir de nouvelles.

Voilà qui compliquerait un peu plus une équation déjà ardue alors que le Conseil de sécurité de l’ONU doit voter ce lundi 17 novembre sur un projet de résolution relatif à la force internationale susceptible d’être déployée dans la partie de la bande de Gaza encore contrôlée par le Hamas (soit 47 % du territoire). Alors que le cessez–le–feu est entré en vigueur début octobre, la Maison-Blanche peinerait à obtenir des engagements fermes de la part de ses alliés quant à leur participation à cette coalition, dont l’une des missions consistera en la démilitarisation du territoire, et donc du Hamas.

60 % des tunnels intacts

Ce dernier, bien qu’il ait signé l’accord de paix, semble tout faire pour retarder l’échéance. Le mois dernier, l’un des membres de son bureau politique, Mohammed Nazzal, a ainsi déclaré à Reuters : "Je ne peux pas répondre par oui ou par non [NDLR : sur la question du désarmement]. Franchement, cela dépend de la nature du projet. Le projet de désarmement dont vous parlez, qu’est-ce que cela signifie ? A qui les armes seront-elles remises ?"

De son côté, Israël, qui contrôle 53 % de la bande de Gaza, celle située au-delà de la "ligne jaune", estimait récemment que 60 % des tunnels du Hamas étaient encore opérationnels. Ses troupes s’emploient à leur destruction, soit en les faisant exploser, soit en injectant à l’intérieur du béton liquide. Outre les détails de la démilitarisation du Hamas, la question de la future gouvernance de la bande de Gaza reste un point, pourtant crucial, encore très obscur.

© afp.com/Eyad BABA

Des combattants du Hamas se rassemblent avant la libération de deux otages israéliens à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 22 février 2025
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Une première depuis près de 20 ans : le déficit de l'Espagne sera bientôt moins élevé que celui de l'Allemagne

L'Espagne en pleine forme économique. Pour la première fois depuis près de 20 ans, le déficit public du pays de la péninsule ibérique devrait dépasser celui de l'Allemagne sur l'année 2025. Selon les projections de la Commission européenne publiées ce lundi 17 novembre, d'ici au 31 décembre, ce chiffre atteindrait ainsi 2,5 % du PIB espagnol, soit moins que les 3,1 % du PIB allemand anticipés par Bruxelles. Une situation inespérée pour Madrid, après une longue période d'austérité liée aux crises financière et immobilière dans le pays au tournant des années 2010.

Une forte croissance post-Covid-19

Comment expliquer cette tendance ? Depuis la fin de la pandémie de Covid-19, l'Espagne connaît un véritable renouveau en matière économique. A l'instar d'autres pays aux finances mises à mal par la crise il y a 15 ans (Grèce, Portugal...), la quatrième puissance européenne est portée par une forte croissance. Depuis 2022, celle-ci a grimpé de 3,9 % en moyenne par trimestre... contre 0,3 % en Allemagne. "Nous avons également des perspectives positives jusqu'en 2028, avec une croissance robuste, équilibrée et soutenue sur des bases solides", s'était félicité mi-septembre Carlos Cuerpo, le ministre espagnol de l'Économie.

Cette nouvelle diminution du déficit public constituerait donc la cinquième baisse consécutive en la matière en Espagne. Le résultat d'une longue politique de relance de l'autre côté des Pyrénées, à tous niveaux. Pour combler en urgence ses lacunes financières, Madrid a d'abord emprunté 41 milliards d'euros au sein du fonds de sauvetage mis en place par l'UE au plus fort de la crise de la zone euro. Une décennie plus tard, l'Espagne se retrouve par ailleurs seconde bénéficiaire du plan de relance européen "NextGenerationEU", paquet d'investissements d'un montant de 800 milliards d'euros et destinés à renforcer l'économie européenne après l'épidémie de Covid-19. Au total, le pays doit donc percevoir 163 milliards d'euros de subventions et de prêts dans le cadre de ce projet.

Rôle du blocage politique au Parlement

Outre ces aides européennes, l'Espagne peut aussi compter sur un retour en force démographique. Si, comme observé ailleurs en Europe, sa natalité reste en berne, le gouvernement socialiste de Pedro Sánchez assume un recours massif à l'immigration légale sur le territoire espagnol pour dynamiser le marché du travail. Ainsi, 105 000 nouveaux habitants y ont été recensés au troisième trimestre 2025, faisant approcher la population du pays des 50 millions d'habitants. Sur un autre plan, l'économie espagnole a pu compter sur le retour en force des touristes. Sur les huit premiers mois de 2025, leur fréquentation a atteint des niveaux historiques, avec un total de 66,8 millions de visiteurs étrangers.

Dernier élément, sur le plan politique cette fois : confronté à un Parlement qui ne lui est pas acquis, Pedro Sánchez n'a pas pu faire adopter un nouveau budget depuis 2023. Conséquence : le gouvernement poursuit sa politique sur la base du plan de finances voté il y a deux ans. D'importants investissements publics n'ont de ce fait pas pu être votés... et ne se répercutent pas sur l'ampleur du déficit. Cette fragilité politique n'inquiète pas les investisseurs : face à ses bons résultats économiques, l'Espagne a vu en septembre sa note relevée par l'agence Standard and Poor's de A à A+.

Une dette toujours importante

Malgré ces avancées indéniables, certains points noirs ternissent toutefois le bilan financier espagnol. Avec, en premier lieu, l'état de la dette. Celle-ci culmine toujours à plus de 103 % du PIB, soit bien davantage qu'en Allemagne (plus de 64 % du PIB). Certes, aujourd'hui, les taux d'emprunt espagnols se situent en deçà des valeurs affichées par d'autres grandes puissances, comme la France – elle-même engluée dans un endettement abyssal (plus de 114 % du PIB). Mais le taux d'endettement massif espagnol demeure une fragilité. "Le ratio dette/PIB de l'Espagne reste trop élevé, ce qui réduira considérablement sa marge de manœuvre en cas de récession", explique, auprès du Financial Times, l'ex-ministre espagnol de l'Industrie Miguel Sebastián. "C'est un problème."

Autre paramètre inquiétant : l'augmentation du taux de pauvreté dans le pays. Et ce, en dépit de certaines mesures prises par le gouvernement, comme l'augmentation du salaire minimum, augmenté de 61 % depuis l'arrivée au pouvoir de Pedro Sánchez, en 2018. D'après des chiffres d'Eurostat relayés par El Pais ce lundi, le taux de pauvreté en Espagne aurait grimpé de 11,3 % de la population en 2023 à 13,6 % en 2024, soit 6,7 millions de personnes.

Au niveau global, l'inversion du rapport de force au niveau déficitaire avec l'Allemagne s'explique enfin par les orientations décidées par le gouvernement allemand ces derniers mois. A rebours de la rigueur budgétaire généralement de mise à Berlin, le chancelier Friedrich Merz mise sur d'importants investissements pour relancer la croissance allemande – aujourd'hui atone – financer sa défense et rénover certaines de ses infrastructures, devenues parfois vieillissantes.

© afp.com/Pierre-Philippe MARCOU

Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez lors d'une session parlementaire au Congrès à Madrid (Espagne), le 18 juin 2025
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Guerre en Ukraine : ce que contient l'accord "historique" conclu entre Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky

Le président français a accueilli ce lundi 17 novembre son homologue sur la base de Villacoublay, au sud-ouest de Paris, où des industriels ont présenté les fleurons de l'armement tricolore au dirigeant du pays en guerre depuis 2022 avec la Russie. Ils ont signé une "déclaration d'intention qui porte sur la coopération relative à l'acquisition par l'Ukraine d'équipements de défense français".

100 Rafale et des systèmes de défense aérienne

Selon l'Elysée, l'accord se projette sur un horizon d'une dizaine d'années et porte sur de possibles contrats à venir pour l'acquisition de quelque "100 Rafale", avec leurs armements associés", ainsi que huit systèmes de défense aérienne SAMP-T nouvelle génération, en cours de développement. Sont aussi concernées quatre systèmes de radar, "de nouvelles acquisitions de bombes propulsées (AASM Hammer)", et des drones d'observation, d'attaque ou d'interception, a précisé la présidence française.

Le président ukrainien avait déjà signé le mois dernier une lettre d'intention en vue d'acquérir 100 à 150 avions de chasse suédois Gripen. Ce changement d'approche permet de planifier le renforcement à long terme de la défense ukrainienne après une éventuelle issue du conflit.

S'agissant des drones et des bombes guidées, Emmanuel Macron a évoqué "des engagements de production d'ici à la fin de l'année et sur les trois années qui viennent". Sur les Rafale, les délais s'annoncent plus longs, en raison des temps de négociation des contrats, de production et de formation des pilotes. S'agissant du financement, il reste à clarifier mais la France compte avoir recours à la fois à sa propre contribution budgétaire et aux mécanismes européens. Le président français a d'ailleurs relancé la piste de "l'endettement commun" pour que l'Union européenne puisse "continuer d'apporter à l'Ukraine un soutien financier prévisible et stable à long terme" - malgré la résistance allemande.

Cette neuvième visite du dirigeant ukrainien en France depuis le début de la guerre en février 2022 intervient alors que la situation sur le front est compliquée pour son pays, à l'orée de l'hiver. Dans la nuit de dimanche à lundi, des frappes russes ont tué au moins cinq personnes dans l'est de l'Ukraine, selon les autorités locales. Elle a lieu aussi au moment où l'Ukraine est ébranlée par un scandale de corruption ayant poussé deux ministres à la démission et forcé Volodymyr Zelensky à prendre des sanctions contre l'un de ses proches.

Visite de l'état-major de la "force multinationale Ukraine"

Après cette visite à Villacoublay, Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky se sont rendus au mont Valérien, à l'ouest de Paris, visiter l'état-major de la "force multinationale Ukraine" que Paris et Londres préparent pour qu'elle puisse être déployée dans le cadre d'un éventuel accord de cessez-le-feu et des "garanties de sécurité" à fournir à Kiev. Mis en place par la "coalition de volontaires", à laquelle participent, selon l'Elysée, 35 pays en incluant l'Ukraine, cet état-major "fonctionne" et est "dès à présent" capable "de déployer une force dès le lendemain d'un cessez-le-feu", assure-t-on côté français.

Les garanties de sécurité envisagées pour l'Ukraine, échafaudées depuis des mois par cette coalition, comprennent un soutien à l'armée de Kiev et des volets terrestre, maritime et aérien. Mais leur mise en œuvre reste conditionnée à un très hypothétique arrêt des combats.

Dans l'après-midi à l'Elysée, les deux dirigeants participeront à un "forum drones franco-ukrainien". Kiev entend utiliser cette année plus de 4,5 millions de drones, qui sont responsables de 70 % des destructions de matériels ennemis sur le front. Le pays a développé pour cela un agile réseau de production. L'Ukraine utilise également des drones pour abattre les drones Shahed lancés chaque nuit contre elle.

© afp.com/Sarah Meyssonnier

Le président français Emmanuel Macron, à droite, et le président ukrainien Volodymyr Zelensky, à sa gauche, le 17 novembre 2025, à Paris
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Corruption en Ukraine : l’Europe doit envisager l’après-Zelensky

En pleine guerre, des amis du président pillent le pays en détournant des sommes astronomiques ; pendant ce temps, les citoyens souffrent comme jamais sous les bombardements de l’agresseur russe. Le nouveau scandale de corruption qui secoue l’Ukraine est dévastateur pour Volodymyr Zelensky. Plusieurs inculpés sont des proches, voire des intimes du chef de l’Etat. L’Office national anticorruption leur reproche d’avoir amassé quelque 100 millions de dollars (85 millions d’euros) en contraignant les fournisseurs de compagnies publiques d’énergie à leur verser des pots-de-vin.

C’est ainsi que l’argent censé servir à réparer les centrales et les réseaux électriques attaqués sans relâche par l’armée russe a contribué à édifier des villas luxueuses pour des hommes gravitant autour du président. Les militaires meurent au front par milliers pour défendre quelques kilomètres carrés du territoire national. Leurs familles endurent des coupures incessantes d’électricité, de chauffage et d’eau courante à l’orée de l’hiver. Et quelques puissants bien connectés détournent les investissements destinés à protéger les infrastructures essentielles ! Ces révélations ont abasourdi la population.

Le scandale n’est pas seulement du pain bénit pour les campagnes de désinformation menées par la Russie. Il met en danger la position de Zelensky sur la scène politique intérieure. Rien n’indique, à ce stade, qu’il aurait lui-même profité des détournements de fonds mais au minimum, son manque de constance dans la lutte contre les malversations et ses erreurs de jugement dans les nominations de ses proches à des postes de responsabilité constituent des fautes lourdes. Pire, il semble qu’il a voulu protéger les criminels en tentant, au mois de juillet, de démanteler les institutions anticorruption créées dans la foulée de la révolution de Maidan en 2014. A l’époque, il a fallu les protestations indignées de la population et une levée de boucliers de plusieurs dirigeants européens pour le forcer à renoncer.

Zelensky a cherché à préserver sa réputation la semaine dernière en poussant deux ministres à démissionner et en sanctionnant son ancien associé d’affaires Timour Minditch, accusé d’être le cerveau du réseau ; manifestement alerté, l’homme a fui le pays juste avant le coup de filet du 10 novembre pour se réfugier en Israël. Le président a également annoncé une réforme de fond en comble de la gouvernance des énergéticiens ukrainiens et un audit complet de leurs finances.

Il en faudra beaucoup plus cependant au chef de l’Etat pour regagner la confiance de ses concitoyens, lui qui s’était fait élire en 2019 sur un programme d’éradication complète de la corruption qui ronge le pays depuis son indépendance en 1991. Alors que la septième année de sa présidence est déjà bien entamée - il a été élu pour cinq ans mais la constitution et le code électoral proscrivent les élections en période de loi martiale - c’est désormais sa survie politique qui est hypothéquée.

Complaisance coupable

L’affaire inquiète au plus haut point ses soutiens à l’étranger. Elle ne pouvait pas plus mal tomber au moment où l’Union européenne tergiverse sur l’octroi d’un méga prêt à l’Ukraine gagé sur les actifs russes gelés dans l’UE. Les caisses de Kiev sont censées être vides d’ici à quelques mois et le flux d’aide militaire occidentale a fondu depuis que Donald Trump a stoppé l’assistance américaine.

Signe de l’inquiétude européenne, le chancelier Friedrich Merz a appelé le président ukrainien à "poursuivre vigoureusement" le combat anticorruption. Désormais fournisseur numéro un d’aide financière et militaire à l’Ukraine (11,5 milliards d’euros prévus dans le budget 2026), le gouvernement allemand est sous le feu des critiques de l’opposition d’extrême droite qui lui reproche de dilapider l’argent public en le donnant à Kiev. Dans d’autres pays européens aussi, le soutien populaire à l’Ukraine est fragile.

Zelensky a montré qu’il avait du courage et de la détermination à revendre. Mais sa fermeté dans la guerre contre l’envahisseur russe s’est accompagnée d’une complaisance coupable dans l’autre combat essentiel, celui destiné à préserver l’intégrité de la démocratie ukrainienne. L’intérêt stratégique des Européens est d’empêcher une défaite de Kiev, qui donnerait les mains libres à Vladimir Poutine pour poursuivre ses agressions. Dans cette perspective, l’avenir de l’Ukraine indépendante et démocratique est un enjeu infiniment plus important pour le continent que le sort politique personnel de Volodymyr Zelensky.

© afp.com/JOHN THYS

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky fait une déclaration à la presse à son arrivée au sommet des dirigeants de l'Union européenne à Bruxelles, le 23 octobre 2025
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Derrière la rupture entre Donald Trump et Marjorie Taylor Greene, l’inquiétude de la base Maga

C’était l’une de ses plus ardentes supportrices, celle qui l’avait défendu contre vents et marées, embrassant toutes ses théories conspirationnistes et notamment le vol de l’élection présidentielle de 2020. Donald Trump a pourtant rompu avec fracas la semaine dernière avec l’élue de Géorgie Marjorie Taylor Greene. "Je ne sais pas ce qui arrive à Marjorie, c’est une femme bien. Je pense qu’elle s’est égarée", a-t-il déclaré dans le bureau Ovale avant d’ajouter sur son réseau Truth Social qu’il soutiendrait volontiers un candidat contre elle dans une primaire pour les élections de mi-mandat de 2026, lors desquelles tous les sièges de la Chambre des représentants seront remis en jeu. Et d’ajouter : "Maggie 'la Dingue' ne fait que SE PLAINDRE, SE PLAINDRE, SE PLAINDRE".

L’ombre du dossier Epstein

Le grief du président envers cette alliée des plus zélées, incarnation de la droite la plus radicale, tient pour partie à son insistance à ce que soit publiée l’intégralité du dossier Epstein - Marjorie Taylor Greene fait partie des quatre républicains ayant ajouté leurs voix aux démocrates pour que la Chambre des représentants examine cette semaine une proposition de loi forçant le ministère de la Justice à cette publication. Longtemps rétif à rendre publics ces dossiers relatifs aux abus sexuels perpétrés par le financier new-yorkais, qui s’est suicidé en prison en 2019 et dont il a longtemps été proche, Donald Trump a finalement effectué dimanche l’un de ces revirements dont il est coutumier : "Les républicains de la Chambre devraient voter pour publier le dossier Epstein, parce que nous n’avons rien à cacher et qu’il est temps de mettre ce canular démocrate derrière nous", a-t-il écrit sur Truth Social. "Certains 'membres' du Parti républicain sont 'utilisés', et on ne peut pas laisser cela se produire".

Cette décision apaisera-t-elle la base Maga ? C’est à voir. Car si le dossier Epstein agite celle-ci depuis longtemps, et cristallise ses doutes, il n’est pas le seul. Marjorie Taylor Greene accuse en effet depuis plusieurs semaines le président de consacrer trop de son temps aux questions de politique internationale, au détriment des problématiques des Américains. Une position soutenue par d’autres figures de la base trumpiste, dont l’influent ancien conseiller Steve Bannon, qui notait il y a quelques jours que le président avait reçu la semaine passée des officiels d’Asie centrale, de Hongrie et de Syrie. "Je n’ai pas de problème avec le fait qu’il reçoive le président syrien, mais ensuite, il aurait dû [consacrer une réunion] aux questions domestiques", a-t-il déclaré au New York Times.

Haro sur les visas aux étudiants chinois

D’autres mesures ne passent pas, notamment les visas octroyés à des milliers d’étudiants chinois, alors que Donald Trump avait fait campagne sur la priorité à l’emploi donnée aux Américains. Ce programme, appelé H-1B, a été mis sur pied à la demande d’entreprises de la tech, qui disent ne pas trouver les profils dont elles ont besoin. Donald Trump a à nouveau affirmé la semaine passée qu’il pourrait accorder jusqu’à 600 000 visas par an aux étudiants chinois, faisant réagir le gouverneur de Floride Ron DeSantis : "Pourquoi importerions-nous des travailleurs étrangers alors que nous avons notre propre population dont nous devons prendre soin ?" a-t-il déclaré à des journalistes, selon Florida Politics. Un autre cri d’indignation est venu de… Marjorie Taylor Greene, qui a écrit sur X que ces étudiants prendraient des opportunités aux étudiants américains.

Même discorde quant à l’aide accordée à l’Argentine. Le président a approuvé un plan d’aide de 20 milliards de dollars destiné à stabiliser le peso argentin et déclaré que les États-Unis achèteraient du bœuf argentin, provoquant l’inquiétude de nombreux éleveurs de bétail américains.

Un autre élu républicain dont Marjorie Taylor Greene est proche, Thomas Massie, représentant, comme elle, d’un Etat rural du Sud, le Kentucky, a été le plus virulent, déclarant la semaine dernière sur CNN : "Quand ils protègent les pédophiles, quand ils gaspillent notre budget, quand ils déclenchent des guerres à l’étranger, je suis désolé, mais je ne peux pas être d’accord avec cela." Comme pour Marjorie Taylor Greene, le président s’active pour le défaire lors des élections de mi-mandat.

© Getty Images via AFP

Marjorie Taylor Greene lors d'un meeting de campagne de Donald Trump, le 15 octobre 2024 à Atlanta.
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Chili : l’extrême droite se rapproche du pouvoir, 35 ans après la fin de la dictature de Pinochet

La communiste modérée Jeannette Jara et son rival d’extrême droite José Antonio Kast s’affronteront au second tour de la présidentielle chilienne, après être arrivés en tête dimanche 16 novembre du premier tour lors d’un scrutin dominé par les inquiétudes liées à la criminalité.

La candidate de la coalition de centre gauche au pouvoir recueille 26,71 % des suffrages, contre 24,12 % pour son rival ultraconservateur, selon des résultats officiels portant sur près de 83 % des bulletins dépouillés. Ils s’affronteront le 14 décembre. Avant le premier tour, les sondages ont toutefois prédit la défaite de Jeannette Jara au second tour en cas de qualification face à un candidat de droite ou d’extrême droite, en raison du report des voix.

Ces résultats "sont une très mauvaise nouvelle pour Jeannette Jara", commente pour l’AFP Rodrigo Arellano, analyste à l’Université du Développement du Chili. "Toutes les projections de son équipe tablaient sur plus de 30 %", explique-t-il, soulignant que "l’ensemble des candidats de l’opposition la devancent de près du double".

"Ne laissez pas la peur endurcir vos cœurs"

L’ancienne ministre du Travail a exhorté les électeurs à ne pas laisser la montée de la criminalité les pousser vers l’extrême droite. "Ne laissez pas la peur endurcir vos cœurs", a-t-elle déclaré.

Pour la première fois depuis la fin de la dictature d’Augusto Pinochet en 1990, la droite radicale pourrait revenir au pouvoir. "Nous allons reconstruire" le pays, a lancé José Antonio Kast.

L’extrême droite était aussi représentée par le député libertarien Johannes Kaiser, souvent présenté comme la version chilienne du président argentin Javier Milei. Il recueille 13,93 % des suffrages. L’économiste iconoclaste Franco Parisi a lui créé la surprise en terminant troisième avec 19,42 %, tandis que la candidate de la droite traditionnelle Evelyn Matthei obtient 12,70 %.

Bien que le pays, riche en cuivre et en lithium, demeure l’un des plus sûrs du continent, la criminalité y a sensiblement augmenté. Le taux d’homicides a augmenté de 2,5 à 6 pour 100 000 habitants en dix ans et 868 enlèvements ont été recensés l’an dernier, en hausse de 76 % par rapport à 2021, selon les autorités.

Cette poussée de la violence a éclipsé les aspirations de changement qui avaient porté au pouvoir en 2022 le président de gauche Gabriel Boric et sa promesse, finalement avortée, d’une nouvelle Constitution pour remplacer celle héritée de Pinochet.

Mur à la frontière

L’inquiétude des Chiliens tient notamment à l’arrivée de formes de criminalité organisée "jusque-là inconnues dans le pays, comme les assassinats commandités", note Gonzalo Müller, directeur du Centre d’études politiques du Chili. "Il manque de la poigne au Chili, on est trop laxistes […] Il faut fermer la frontière et renvoyer tous les sans-papiers", a déclaré à l’AFP Raul Lueiza, un ouvrier du bâtiment de 64 ans, après avoir voté dans un quartier populaire de Santiago.

La campagne a été dominée par les discours sécuritaires, auxquels Jeannette Jara elle-même s’est ralliée, sans vraiment convaincre. Membre du Parti communiste depuis l’adolescence, l’ancienne ministre du Travail de 51 ans a assuré pendant sa campagne n’avoir "aucun complexe en matière de sécurité", défendant notamment un contrôle migratoire renforcé.

José Antonio Kast, 59 ans, fils d’un ancien soldat allemand qui a servi pendant la Seconde Guerre mondiale puis a émigré au Chili, brigue la présidence pour la troisième fois. Son discours cible les 337 000 étrangers en situation irrégulière, en majorité des Vénézuéliens, dans un contexte d’inquiétude face à l’arrivée de groupes criminels étrangers. Une majorité de Chiliens associe la montée de la criminalité à l’immigration irrégulière. Il promet des expulsions massives, la construction d’un mur à la frontière, le renforcement de l’armement de la police et le déploiement de l’armée dans les zones critiques.

Plus de 15,6 millions d’électeurs étaient appelés à départager huit candidats, ainsi qu’à renouveler la Chambre des députés et la moitié du Sénat.

© Getty Images via AFP

Le candidat à la présidence Jose Antonio Kast s'adresse à ses partisans après le premier tour de l'élection présidentielle, le 16 novembre 2025, à Santiago, au Chili.
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L'Ukraine aura besoin de 70 milliards d'euros en 2026, l'UE présente ses options

A l’approche de l’hiver, l’armée russe continue de gagner du terrain sur le front ukrainien, en particulier dans la région de Zaporijia, au sud du pays, partiellement occupée par Moscou, où la Russie a revendiqué dimanche la prise de deux nouveaux villages. Mais la bataille a aussi lieu dans les airs : Moscou multiplie les attaques de missiles et de drones, comme cette nuit à l'est de l'Ukraine, où cinq personnes sont mortes. Les infrastructures énergétiques sont également en première ligne des frappes russes.

Volodymyr Zelensky et Emmanuel Macron se retrouvent ce lundi 17 novembre à Paris pour discuter des besoins militaires de Kiev et signer un accord de coopération en matière de défense aérienne. C’est la neuvième visite du président ukrainien en France depuis le début de la guerre. Elle intervient alors que Zelensky est affaibli en interne par un scandale de corruption, qui l’a forcé à prendre des sanctions contre l’un de ses plus proches collaborateurs.

Les infos à retenir

⇒ Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky signent une lettre d'intention pour l'achat futur par Kiev de jusqu'à 100 Rafale

⇒ L'Ukraine aura besoin de 70 milliards d'euros en 2026

⇒ La Russie continue de progresser dans l'est de l'Ukraine

L'Ukraine aura besoin de 70 milliards d'euros en 2026, l'UE présente ses options

L'Ukraine aura besoin l'an prochain de plus de 70 milliards d'euros pour financer sa guerre contre Moscou, que les 27 devront prendre en charge pour l'essentiel, selon un document de la Commission européenne détaillant trois options pour y parvenir. "L'ampleur du déficit de financement de l'Ukraine est significative", avertit la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, dans une lettre accompagnant ce document, consulté lundi par l'AFP.

L'Union européenne s'est engagée lors d'un sommet de ses dirigeants en octobre à financer l'effort de guerre de l'Ukraine pour la période 2026-2027. Selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI), citées dans ce document, les besoins de financement de l'Ukraine vont atteindre, au total, au cours de cette période quelque 135,7 milliards d'euros, dont 51,6 milliards en soutien militaire pour la seule année 2026. Faute de soutien européen, l'Ukraine se retrouvera à court d'argent dès la fin du premier trimestre de l'an prochain, a averti la Commission européenne.

Face à l'urgence, Bruxelles propose trois options, dont une utilisation des avoirs gelés russes dans l'UE, clairement favorisée par plusieurs pays, dont l'Allemagne, en raison de son impact nul sur les finances publiques. Quelque 210 milliards d'euros d'avoirs de la banque centrale russe sont actuellement sous la garde de la société Euroclear, basée à Bruxelles. La Commission propose d'en utiliser quelque 140 milliards pour financer un prêt du même montant à l'Ukraine, qu'elle ne remboursera que si la Russie lui paie des réparations. Totalement inédite, cette solution se heurte toutefois à l'hostilité de la Belgique, qui redoute de se retrouver seule à payer les pots cassés en cas de problème, et à l'extrême méfiance ce la Banque centrale européenne (BCE), qui redoute ses effets sur les marchés financiers.

Les deux autres options n'ont pas cet inconvénient mais elles représentent un "impact" beaucoup plus important pour les Etats membres. La Commission européenne propose ainsi que les pays de l'UE financent directement l'Ukraine sous forme de dons, en fonction de leur propre Produit intérieur brut (PIB). Dans ce cas, un minimum de 90 milliards d'euros d'ici 2027 sera nécessaire, à condition que la guerre prenne fin en 2026, et que les autres pays alliés de l'Ukraine assument le reste, indique la Commission.

Autre solution, un emprunt européen, qui aurait l'avantage de limiter l'impact direct sur les budgets nationaux. Mais, avertit Bruxelles, les intérêts de cet emprunt devront être payés par les Etats membres. Ils devront également apporter des garanties solides, et donc représentant un coût pour leurs budgets, au cas où l'Ukraine ne serait pas en mesure de rembourser ce prêt, a précisé la Commission.

Le document présentant ces options sera sur la table des 27 lors d'un sommet crucial les 18 et 19 décembre à Bruxelles. La Belgique est sous pression de la part des autres pays de l'UE, et de la Commission européenne, pour accepter la solution la moins coûteuse, mais rien ne dit qu'elle cédera d'ici là. Un compromis pourrait alors être de mélanger les différentes solutions, au moins à court terme, en ayant recours à des dons directs et à un emprunt limité, indique encore ce document.

Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky signent une lettre d'intention pour l'achat futur par Kiev de jusqu'à 100 Rafale

En visite à Paris, Volodymyr Zelensky a signé ce lundi avec Emmanuel Macron une "déclaration d'intention" qu'il a qualifiée d'"historique", en vue de l'achat futur d'avions de combat français Rafale, de l'ordre d'une centaine, dont l'Ukraine se doterait ainsi pour la première fois, et de systèmes de défense aérienne nouvelle génération.

Selon l'Elysée, cet accord, qui se projette "sur un horizon d'une dizaine d'années", prévoit de possibles contrats à venir pour "l'acquisition par l’Ukraine d'équipements de défense français" neufs : "de l'ordre de 100 Rafale, avec leurs armements associés", ainsi que d'autres armements, dont le système de défense aérienne SAMP-T nouvelle génération en cours de développement, des systèmes de radar et des drones.

Volodymyr Zelensky avait renouvelé samedi son appel pour obtenir davantage de systèmes de défense aérienne, au lendemain de nouvelles frappes russes massives contre son pays. Le président ukrainien a déjà signé le mois dernier une lettre d’intention en vue d’acquérir 100 à 150 avions de chasse suédois Gripen.

Moscou revendique la prise de trois nouveaux villages dans l'est de l'Ukraine

Moscou a revendiqué lundi la prise de trois nouveaux villages sur la ligne de front orientale en Ukraine, où l'armée russe poursuit sa lente progression face à des forces ukrainiennes moins nombreuses. Le ministère russe de la Défense a déclaré sur Telegram que les forces russes avaient pris le contrôle des villages de Platonivka dans la région de Donetsk, de Dvoritchanské dans la région de Kharkiv et de Gaï dans celle de Dnipropetrovsk.

Dimanche, l’armée russe avait déjà revendiqué la prise de deux villages dans la région de Zaporijia, dans le sud de l’Ukraine, où la Russie continue également d’avancer, bien que le front y soit beaucoup moins actif que celui de l’Est, où se concentrent des combats.

L'Europe n'est pas prête à une attaque russe de drones, selon un commissaire européen

L'Europe n'est pas prête à faire face à une attaque massive de drones russes et doit impérativement intégrer les capacités ukrainiennes sous peine de faire une "erreur historique", a assuré lundi le commissaire européen à la Défense Andrius Kubilius. "Nous ne sommes pas prêts à détecter et neutraliser les drones russes", a-t-il déploré dans un discours à Vilnius. "Les Russes apprennent vite. Et nous ?", s'est-il interrogé.

La guerre en Ukraine a bouleversé les règles du combat, a-t-il encore souligné. "Les guerres de demain ne se gagneront pas avec des chars et de l'artillerie, mais avec des drones et des missiles", a-t-il ainsi assuré, appelant à apprendre de l'expérience ukrainienne.

La défense à l'est de l'Europe et dans les pays baltes doit dans ces conditions se faire avec l'Ukraine, a-t-il encore expliqué. "C'est la seule façon pour nous d'apprendre de l'Ukraine, non seulement comment fabriquer des drones, mais aussi comment construire tout un 'écosystème'", a-t-il martelé.." "Si nous ne faisons pas cela, nous commettrons une erreur historique, qui nous affaiblira, et qui affaiblira l'Ukraine", a averti le commissaire européen.

Une attaque russe fait cinq morts dans l’est de l’Ukraine

Des frappes russes ont tué au moins cinq personnes dans l'est de l'Ukraine, ont annoncé les autorités locales lundi 17 novembre, faisant état d'importants dégâts dans des zones résidentielles, notamment dans une école maternelle.

Trois personnes sont décédées dans des frappes nocturnes de missile sur la ville de Balakliya qui ont endommagé une école maternelle, des immeubles résidentiels et des véhicules, a affirmé lundi sur Telegram le gouverneur de la région de Kharkiv (nord-est), Oleg Synegoubov. "A l'heure actuelle, nous savons que trois personnes ont perdu la vie. Quinze autres personnes ont été blessées, dont quatre enfants", a-t-il indiqué à la mi-journée.

Des photos publiées par les services de secours ukrainiens montrent un sol jonché de débris et des pompiers tentant de contrôler les flammes qui s'échappent de la façade d'un immeuble. Deux personnes ont également été tuées à Nikopol dans le sud-est du pays dans des frappes d'artillerie russes

© afp.com/Anatolii STEPANOV

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président ukrainien Volodymyr Zelensky lors d'une conférence de presse à Kiev, le 20 septembre 2024
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