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"Donald Trump ou la peur désorientée d’un homme blanc vieillissant" : sa croisade anti-Europe vue de l’étranger

C’est une nouvelle escalade dans l’offensive médiatique menée par Donald Trump contre le Vieux Continent. Dans une interview accordée à Politico le 8 décembre, le 47e président des Etats-Unis ne manque pas d’imagination pour déverser son mépris de l’Europe. Des pays "en décrépitude" dirigés par des "faibles", a-t-il éructé. Quant à la guerre en Ukraine ? "La Russie a l’avantage" et Volodymyr Zelensky "va devoir se bouger et commencer à accepter les choses […] Parce qu’il est en train de perdre".

Et cette charge frontale n’est que la dernière en date d’une longue série. Quelques jours auparavant, Washington dévoilait sa nouvelle "stratégie de sécurité nationale", un document d’une rare brutalité. Critique de la politique "d’immigration", des "personnels politiques" et des "dépenses militaires", soutien aux "partis politiques patriotes européens"… ici aussi, l’Europe en prend pour son grade. Un rapport accueilli plus que chaleureusement par le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, qui a applaudi un développement "conforme à notre vision".

Une crise profonde

Une crise d’ampleur s’annonce entre les Etats-Unis et l’Europe, et elle pourrait bien se révéler la pire de notre histoire commune. Le titre britannique The Guardian, perçoit un risque d’entaille "profonde pour l’atlantisme, la doctrine de sécurité qui a soutenu la paix et la démocratie en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale". Et le quotidien d’ajouter : Donald Trump "a désormais adopté une vision plus alarmante".

Une analyse partagée par le New York Times, qui définit ce rapport comme une copie "tamponnée par le président, dénigrant ouvertement l’alliance transatlantique".

Car si le président des Etats-Unis n'est pas avare de réprimandes, les dirigeants européens, eux, ne haussent pas le ton. Plus que tempérée, Kaja Kallas, cheffe de la diplomatie européenne, s’est contentée de réitérer que les Etats-Unis demeurent "le plus grand allié de l’Union européenne", en guise de réponse au rapport de la Maison-Blanche. Un calme olympien qui fait penser au New York Times que les leaders européens se sont "habitués aux caprices de Donald Trump".

Un accès de colère favorable à la Russie

En s’en prenant ouvertement à l’Europe, Washington joue le jeu de Vladimir Poutine. Pour le média américain CNN, la nouvelle stratégie de sécurité nationale, "donne à Moscou davantage de cartouches dans une guerre de l’information visant à influencer l’opinion publique aux Etats-Unis et en Europe". Car l’objectif de Moscou est affiché : affaiblir l’UE, ou du moins lui en donner l’air. Un exercice parfaitement exécuté par Donald Trump qui, en traitant l’Europe de faible, "expose les divergences entre Washington et l’Europe" et "aide Poutine […] tout en niant que cela soit de sa faute", analyse le New York Times.

Quant au soutien exprimé aux partis "patriotes", le quotidien belge Le Soir s’alarme de voir naître "un axe Washington-Paris-Moscou, passant par Budapest, qui ne ferait plus qu’une bouchée de l’Union européenne", et ce à une "échéance proche". Une question demeure alors : "Qui pour élaborer et qui pour porter cette réponse économique et militaire européenne forte, solidaire et coordonnée ?"

Pourquoi tant de "haine" ?

D’où vient cette hostilité à l’égard de l’Europe ? Pour de nombreux journalistes, cet esclandre n’est pas sans rappeler les précédents de l’administration Trump, particulièrement de son vice-président. "Et donc non, le discours choc prononcé en février à Munich […] par J.-D. Vance n’était pas une sortie de route", plaide Le Soir. L’hiver dernier, le numéro deux des Etats-Unis alertait sur le supposé "déclin économique" du continent, et son "effacement civilisationnel". Selon les experts sondés par le journal belge, il faudrait ici voir un "mouvement de fond, organisé, qui veut nourrir et soutenir la subversion en Europe".

Mais quant aux attaques sur le supposé déclin de notre civilisation, le Financial Times ironise : "le wokisme ce n’était pas notre idée les gars". Derrière le ton humoristique, un fait implacable : cette vision progressiste du monde s’est créée aux Etats-Unis. Alors pourquoi le reprocher et pourquoi cette "haine" envers l’Europe ? Selon le titre britannique, "peut-être qu’après avoir perdu tant de batailles culturelles chez soi, il est plus facile pour l’ego de chercher à l’étranger des sociétés à sauver. L’offensive contre l’Europe est un reproche déguisé qu’il s’adresse à lui-même".

Même son de cloche pour The Guardian qui perçoit en l’irruption du président "la peur désorientée d’un homme blanc vieillissant".

© afp.com/ANDREW CABALLERO-REYNOLDS

Le président américain Donald Trump à la Maison-Blanche le 8 décembre 2025.
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L’Australie interdit les réseaux sociaux aux moins de 16 ans : tout comprendre à cette première mondiale

C’est une première mondiale. Depuis ce mercredi matin en Australie, les jeunes âgés de moins de 16 ans sont officiellement interdits d’accès à de nombreux réseaux sociaux. Objectif : les protéger du harcèlement ainsi que d’algorithmes qui, selon les autorités australiennes, les exposent à des contenus violents et sexuels. Une mesure saluée par de nombreux parents australiens, mais qui laisse sceptique bon nombre d’adolescents. Retour sur les modalités de cette interdiction.

Comment fonctionne le contrôle de l’âge ?

Seront concernés tous les internautes soupçonnés de ne pas avoir 16 ans. Pour estimer si un internaute est trop jeune ou non, plusieurs plateformes ont annoncé qu’elles recourraient à l’intelligence artificielle et déduiraient l’âge à partir d’un selfie.

Pour des questions de confidentialité des données, les autorités ont toutefois notifié aux plateformes qu’elles n’étaient pas en droit de demander la présentation d’un document d’identité, même en cas de doute sur l’âge des internautes. Les utilisateurs de Snapchat pourront en revanche décider d’eux-mêmes de fournir ces documents s’ils le souhaitent ou prouver leur âge en montrant qu’ils possèdent un compte en banque australien.

Quelles plateformes sont concernées ?

Les géants Facebook, Instagram, YouTube, TikTok, Snapchat ou encore Reddit ont désormais obligation de bannir les utilisateurs australiens âgés de moins de 16 ans. Les plateformes de streaming Kick et Twitch, ainsi que les réseaux sociaux Threads et X, sont aussi concernés. Sans mesures "raisonnables" prises pour faire respecter la loi, les plateformes concernées risquent des amendes pouvant atteindre une trentaine de millions d’euros en vertu de cette obligation, dont l’application sera scrutée par de nombreux pays.

Pour l’heure, la plateforme de jeux en ligne Roblox, le réseau Pinterest ou encore la messagerie WhatsApp sont épargnés par le dispositif. Mais cette liste pourra évoluer, a averti le gouvernement. Les applications Lemon8 et yope, qui ne sont pas concernées par l’interdiction non plus à ce stade, ont grimpé en flèche dans les classements des téléchargements en Australie.

Qu’en disent les réseaux sociaux ciblés ?

Meta, YouTube et d’autres géants de la tech ont condamné l’interdiction. Tous ont cependant accepté de s’y plier, à l’instar de Meta (Facebook, Instagram, Threads) qui a annoncé dès jeudi dernier avoir commencé à supprimer les comptes des utilisateurs concernés. "Nous respecterons nos obligations légales, mais nous restons préoccupés par le fait que cette loi affaiblira la sécurité des adolescents", a affirmé Meta mercredi dans un communiqué.

Selon l’entreprise, de nombreuses applications n’offrent pas les mêmes fonctionnalités de sécurité que les siennes, comme les comptes dédiés aux adolescents. "Nous avons constamment fait part de nos inquiétudes quant au fait que cette loi mal conçue pourrait pousser les adolescents vers des plateformes ou des applications moins réglementées. Nous voyons maintenant ces inquiétudes devenir réalité", s’est alarmée l’entreprise.

YouTube a pour sa part jugé "précipitée" la loi australienne, estimant qu’elle "ne tiendra pas sa promesse de mettre les enfants plus en sécurité en ligne".

Quels pays pourraient faire de même ?

Le succès ou non de la décision australienne sera scruté de près. La Nouvelle-Zélande voisine mais aussi la Malaisie réfléchissent à des restrictions similaires. En Europe, Emmanuel Macron a déjà fait part de sa volonté de créer une "coalition" avec d’autres chefs d’Etat et de gouvernement pour faire émerger une majorité numérique permettant d’accéder aux réseaux - fixée à 15 ans en France - au niveau européen. La Grèce, l’Espagne, Chypre, la Slovénie et le Danemark se sont déjà inscrits dans le mouvement, selon l’Elysée.

De son côté, le gouvernement australien a reconnu que l’interdiction serait imparfaite à ses débuts et que des adolescents trouveraient sûrement un moyen de continuer à utiliser les plateformes.

© afp.com/Saeed KHAN

L'Australie interdit l'accès aux réseaux sociaux aux jeunes adolescents depuis ce 10 décembre 2025
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Les prix baissent-ils "énormément" aux Etats-Unis ? La réalité derrière les déclarations de Donald Trump

Pour un président habitué à tordre les faits afin qu’ils correspondent à ses vues ou à ses envies, il s’agit certainement du défi ultime : celui de l’inflation. Une problématique dont la réalité ne peut échapper même à ses partisans les plus zélés au moment de passer à la caisse du supermarché. Une problématique, également, qui vaut à Donald Trump d’être au plus bas dans les sondages depuis son retour à la Maison-Blanche en janvier. Selon une enquête de la chaîne conservatrice Fox News réalisé en novembre, environ 61 % des Américains estiment que sa politique a "aggravé la situation économique du pays". Les Américains lui font peut-être payer ses promesses de campagne, qui l’avaient notamment vu affirmer en août 2024 : "Dès le jour où je prêterai serment, je ferai rapidement baisser les prix et nous rendrons l’Amérique à nouveau abordable".

+ 14,2 % pour le bœuf haché cru

C’est pourquoi le milliardaire a décidé de prendre le taureau par les cornes et de redescendre dans l’arène, en l’occurrence celle du complexe hôtelier du Mount Airy Casino, en Pennsylvanie. Il y a discouru mardi 9 décembre pendant près d’une heure et demie devant un slogan placardé en grandes lettres blanches sur fond bleu : Lower Prices/Bigger Paychecks ("Des prix en baisse/Des salaires en hausse"). Il a ainsi affirmé que les prix baissaient "énormément" et prétendu que l’inflation était une "supercherie" inventée par les démocrates. "Les démocrates qui parlent de 'coût de la vie’, c’est comme si Bonnie et Clyde parlaient d’ordre public", a-t-il lancé, avant de revenir à ses thèmes de prédilection, comme l’immigration ou les attaques contre son prédécesseur, Joe Biden.

Le problème avec les prix, c’est qu’il ne suffit pas de dire qu’ils baissent pour qu’ils le fassent réellement. Car tous les chiffres disent le contraire. En septembre, date des dernières données disponibles, l’inflation demeurait à 2,8 %. Les prix moyens des produits alimentaires étaient 1,4 % plus hauts qu’en janvier, avec certains particulièrement touchés : le bœuf haché cru avait grimpé de 14,2 %, les rôtis de bœuf crus de 13,6 %, le café de 15,3 %, les bananes de 7,9 %… Seuls les produits laitiers et les œufs étaient en baisse, ainsi que le prix du gaz et des produits pharmaceutiques, comme le détaille la presse américaine. Mais le coût de l’électricité a bondi de 11 %. Les prix des services de streaming montent également.

Les prix risquent d’exploser dans le domaine de la santé

En cause, la politique d’augmentation des droits de douane menée par Donald Trump depuis janvier, qui a considérablement fait grimper le coût des matières premières et des composants qu’utilisent les usines américaines. Sans compter le manque de visibilité due à ses changements constants sur ces surtaxes, un jour décidées, l’autre suspendues, le suivant rétablies. En cause également, sa politique d’expulsion de travailleurs immigrés qui fournissaient une main-d’œuvre bon marché aux exploitations agricoles américaines.

Certains partisans de Donald Trump interrogés par l’AFP en Pennsylvanie continuent pourtant de croire en des jours meilleurs. "Oui, les prix sont élevés en ce moment… mais les choses doivent empirer avant de s’améliorer, estime ainsi Brianna Shay, 26 ans, administratrice dans l’éducation publique. Il est président depuis moins d’un an. Vous savez, il ne peut pas tout régler en moins d’un an." "Les choses sont un peu difficiles, les gens ont du mal", admet quant à lui Tevin Dix, technicien en climatisation.

Les prix pourraient toutefois continuer de grimper. Notamment dans le domaine de la santé. Les subventions de l’Affordable Care Act (l’ObamaCare) arrivent à expiration, ce qui entraînera un doublement des primes pour de nombreux Américains l’année prochaine. Et si le Congrès ne prolonge pas les crédits d’impôt mis en place pendant la pandémie, les restes à charge des assurés devraient augmenter en moyenne de 114 %. Et ce alors que 2026 sera l’année des midterms, et que les démocrates viennent d’engranger les succès électoraux en surfant sur le thème du pouvoir d’achat.

Pas de quoi inquiéter le locataire de la Maison-Blanche, cependant. Interrogé hier par Politico sur la note qu’il s’attribuerait en matière d’économie, le président a répondu : "A + + + + + + ".

© afp.com/ANDREW CABALLERO-REYNOLDS

Le président américain Donald Trump lors d'un meeting sur l'économie devant ses partisans, à Mount Pocono (Pennsylvanie), aux Etats-Unis, le 9 décembre 2025
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Limiter la folie dépensière : sage comme un Suisse (épisode 2), par Eric Chol

On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. 2008-2025 : la France traîne derrière elle dix-sept années de creusement intensif de sa dette, passée de 1 300 à 3 400 milliards d’euros (de 68,1 % à 115 % du PIB) ; dix-sept années à jouer avec les règles de Bruxelles sans jamais les respecter.

Dépenses à gogo, impôts à foison : ce qui caractérise nos finances publiques, c’est d’abord le laxisme avec lequel nos dirigeants successifs les traitent. La France mérite son bonnet d’âne. Les préconisations de bonne gestion s’accumulent, depuis la Cour des comptes jusqu’aux notes de Terra Nova ou de l’Institut Montaigne, mais rien n’y fait. Le gouvernement Lecornu n’échappe pas à la règle, en feignant de croire qu’un retour du déficit public sous la barre des 3 % du PIB est encore possible, alors qu’il n’en sera rien.

Nos élus sont de grands irresponsables

La France n’a jamais été sérieuse en matière de finances publiques, et ce ne sont pas les députés actuels qui nous feront croire l’inverse. Nos compatriotes, qui, courageusement, tentent de suivre la saga du budget 2026 le savent : nos élus sont de grands irresponsables.

Des accros à l’argent public, du RN à LFI en passant par les socialistes. Même ceux issus des formations dites raisonnables ne se montrent guère plus enclins à la vertu budgétaire. Abandonner du jour au lendemain une réforme des retraites indispensable pour rester quelques mois de plus à Matignon : ça fait cher le plat de lentilles !

Nos députés ne sont pas sérieux, et ils le sont d’autant moins qu’en l’absence de majorité, le gouvernement, très vulnérable, n’a que le mot compromis à la bouche, synonyme de nouvelles concessions. Entendre Bercy se féliciter d’une croissance de 0,8 % au lieu de 0,7 % en 2025, ou d’un déficit ramené à 5,3 % du PIB au lieu de 5,4 % projeté a de quoi déclencher une crise de fou rire. A croire qu’on n’est pas sérieux même quand on est à Bercy. Mais qui l’est, alors ?

La sagesse budgétaire existe ailleurs en Europe. Nos voisins ne sont pas spécialement des surdoués ou des maniaques des excédents des comptes publics. Mais ils connaissent les faiblesses d’un personnel politique plus enclin à taper sur la touche des plus que sur celle des moins en matière de dépenses publiques.

C’est pourquoi les Suisses se sont dotés, en 2003, d’un frein à l’endettement, inscrit dans la constitution fédérale. Sage décision : "leur taux d’endettement, qui atteignait les 25 % du PIB en 2002 a été ramené à 17 % en 2024. Ce dispositif, adopté par référendum, oblige les gouvernements, quelque que soit leur couleur politique, à ne pas faire de déficit en période de croissance, et à constituer des réserves utilisables en période de récession. D’autres pays ont suivi, mais cela exige un minimum de consensus politique chez les élus", commente François Facchini, professeur des Universités de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. C’est précisément le genre de garde-fous qui mettrait la France à l’abri des manies dépensières de nos politiques, sans pour autant entamer le pacte démocratique qui régit l’adoption d’un budget.

© afp.com/Fabrice Coffrini

Un drapeau suisse sur les bords du lac de Genève, en 2013
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Immigration : ces pays qui appellent à revoir la Convention européenne des droits de l’Homme

Alors que s’ouvre ce mercredi 10 décembre une réunion des ministres de la Justice des pays signataires de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) sur l’immigration et le rôle de la Convention, le Premier ministre britannique et son homologue danoise appellent dans le Guardian à moderniser ce traité et son interprétation. Ils déplorent un texte "d’une autre époque" et appellent à durcir le ton face à l’immigration, pour "répondre aux attentes des citoyens européens" et enrayer ainsi la montée de l’extrême droite.

Cette tribune, co-signée par deux chefs de gouvernement travaillistes ayant fortement durci leur politique migratoire, paraît quelques jours seulement après les dernières sorties de Donald Trump, qui a déploré que l’Europe "se délabre" en ne luttant pas suffisamment contre l’immigration. Selon Keir Starmer et Mette Frederikssen, réformer la CEDH serait le "meilleur moyen de lutter contre les forces de la haine et de la division" sur le Vieux Continent.

Durcissement de la politique migratoire

La Convention européenne des droits de l’Homme est un traité signé par les quarante-six Etats membres du Conseil de l’Europe, qui garantit le respect des libertés fondamentales. Sa bonne application est contrôlée par la Cour européenne des droits de l’homme.

Au Royaume-Uni, la CEDH est vivement critiquée, en particulier par les conservateurs et le parti anti-immigration Reform UK, qui veulent tout simplement en sortir. Mais comme le montre la tribune publiée mardi, les travaillistes ne sont pas en reste : sans vouloir s’en défaire, Keir Starmer est déterminé à réduire son champ d’application en matière de droit d’asile et à stopper les migrations économiques. "Nous protégerons toujours ceux qui fuient la guerre et la terreur, mais le monde a changé et les systèmes d’asile doivent également changer", fait-il valoir dans le Guardian.

Les discussions de cette semaine à Strasbourg devraient notamment porter sur la lutte contre les passeurs, mais aussi aborder certaines questions très controversées, comme la création de "hubs de retour" et l’externalisation de la gestion des demandeurs d’asile hors du Vieux Continent.

Attaques répétées contre la CEDH

Selon la BBC, les États partie au traité ont pour objectif de parvenir à un accord d’ici le printemps, qui fixerait les nouvelles modalités d’application de la Convention européenne des droits de l’homme dans les affaires liées à l’immigration. Si une telle révision était conclue, elle marquerait un changement sans précédent en 75 ans dans la législation européenne.

Inquiets d’une telle évolution, de nombreux juristes tentent de remettre les chiffres au cœur des discussions. "En dix ans, les affaires liées à l’immigration ont représenté moins de 2 % des 420 000 requêtes traitées par la Cour. Sur cette période, plus de 90 % des requêtes ont par ailleurs été rejetées, parce qu’elles étaient irrecevables ou qu’il n’y avait pas de violation", explique au Monde Peggy Ducoulombier, professeure de droit à l’université de Strasbourg.

La tribune publiée hier est loin d’être la première remise en cause de la CEDH : en mai déjà, plusieurs pays, emmenés par le Danemark déjà, et l’Italie de la première ministre postfasciste Giorgia Meloni - auxquels la France n’avait pas souhaité s’associer -, avaient signé une lettre pour appeler à une réinterprétation du texte. Ce courrier, également signé par les dirigeants de l’Autriche, la Belgique, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la République tchèque, prenait à partie la Cour européenne des droits de l’homme pour sa jurisprudence qui, selon les auteurs, poserait "trop de limites à la capacité des Etats à décider qui expulser de leur territoire". "Nous croyons que l’évolution de l’interprétation de la Cour a, dans certains cas, limité notre capacité à prendre des décisions politiques dans nos propres démocraties", écrivaient les signataires.

Le Conseil de l’Europe leur avait immédiatement opposé un refus : "Face aux défis complexes de notre époque, notre rôle n’est pas d’affaiblir la Convention mais au contraire de la garder solide et pertinente", avait alors déclaré dans un communiqué le secrétaire général du Conseil de l’Europe, Alain Berset.

© afp.com/FREDERICK FLORIN

Au Royaume-Uni, la CEDH est vivement critiquée, en particulier par les conservateurs et le parti anti-immigration Reform UK, qui veulent en sortir.
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Ukraine : les déclarations de Donald Trump sont "conformes" à la vision de Moscou, dit le Kremlin

Mis sous pression par Donald Trump, Volodymyr Zelensky a assuré mardi 9 décembre être "prêt" à organiser une élection présidentielle en Ukraine, à condition que ses alliés puissent garantir la sécurité du scrutin. "Je demande maintenant, je le déclare ouvertement, aux Etats-Unis de m’aider, éventuellement avec les collègues européens, à garantir la sécurité pour la tenue d’élections", a dit le président ukrainien, en réponse à son son homologue américain, qui l’a accusé d'"utiliser la guerre" pour rester au pouvoir. En Italie, où il a rencontré le pape et la Première ministre Giorgia Meloni, Volodymyr Zelensky a également affirmé qu’une version révisée du plan Trump pour mettre fin à la guerre en Ukraine serait remise aux Américains sous peu, évoquant plus tard une transmission ce mercredi.

Les infos à retenir

⇒ Les déclarations de Donald Trump sont "conformes" à la vision de Moscou, dit le Kremlin

⇒ Une nouvelle réunion de la "coalition des volontaires" prévue jeudi

⇒ Volodymyr Zelensky va remettre à Donald Trump une version révisée de son plan de paix

Les récentes déclarations de Donald Trump sur l'Ukraine sont "conformes" à la vision de Moscou, dit le Kremlin

Le Kremlin a salué ce mercredi les dernières déclarations du président américain Donald Trump qui a notamment soutenu, dans un entretien au site Politico, que la Russie avait "toujours eu" l'avantage militaire sur le front en Ukraine. "À bien des égards, concernant une adhésion à l'OTAN, les territoires, concernant le fait que l'Ukraine perd du terrain, c'est conforme à notre compréhension. À bien des égards, le président Trump a abordé les causes profondes du conflit", a déclaré à la presse le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov. Selon lui, cet entretien du dirigeant américain, publié mardi, est "très important".

Donald Trump y soutient que la Russie, car elle est "bien plus grande" et "plus forte" que l'Ukraine, bénéficie d'une position de négociation supérieure dans les pourparlers visant à mettre fin aux combats. "De façon générale, c'est la taille qui l'emporte", a dit Donald Trump, en répétant qu'il ne souhaitait pas que Kiev rejoigne l'Otan, tout en affirmant que l'armée ukrainienne méritait "un immense respect" pour sa résistance.

Une nouvelle réunion de la "coalition des volontaires" prévue jeudi

Une nouvelle réunion de la "coalition des volontaires", qui rassemble des soutiens de Kiev, se tiendra jeudi pour avancer sur les "garanties de sécurité" pour l'Ukraine, a indiqué mercredi la porte-parole du gouvernement français, le président Zelensky étant la cible de vives critiques de Donald Trump.

"La réunion de la coalition des volontaires demain, coprésidée par la France et le Royaume-Uni, permettra d'avancer sur les garanties de sécurité à offrir à l'Ukraine et la contribution importante des Américains", a déclaré la porte-parole Maud Bregeon.  L’Élysée a ensuite précisé que cette réunion aurait lieu jeudi après-midi en visioconférence.

Les dirigeants français, allemand et britannique ont affiché lundi à Londres leur solidarité avec Volodymyr Zelensky, fragilisé par un scandale de corruption et les piques lancées par Donald Trump. Ils ont aussi travaillé sur la contre-proposition à un plan américain pour l'Ukraine présenté en novembre, vu comme très favorable à la Russie et que Kiev et ses alliés européens tentent de tempérer.

L’aide militaire à l’Ukraine au plus bas, selon le Kiel Institute

L’aide militaire à l’Ukraine pourrait atteindre son plus bas niveau en 2025, a prévenu mercredi l’institut de recherche allemand Kiel Institute, les Européens, qui en fournissent désormais l’essentiel, ne parvenant plus à compenser l’arrêt de l’aide américaine.

"D’après les données disponibles jusqu’en octobre, l’Europe n’a pas réussi à maintenir l’élan du premier semestre 2025", note Christoph Trebesch, qui dirige l’équipe du Kiel Institute qui recense l’aide militaire, financière et humanitaire promise et livrée à l’Ukraine depuis l’invasion russe du 24 février 2022, cité dans un communiqué.

Avant de se désengager, à l’initiative de Donald Trump de retour à la Maison Blanche en janvier 2025, les Etats-Unis fournissaient plus de la moitié de l’aide militaire. Si les Européens sont dans un premier temps parvenus à compenser, ils ont ensuite flanché depuis le début de l’été, selon le Kiel Institute. "Si ce ralentissement se poursuit dans les mois à venir, 2025 deviendra l’année présentant le moins de nouvelles allocations d’aide pour l’Ukraine" depuis 2022, prévient Christoph Trebesch.

Sur les dix premiers mois de 2025, 32,5 milliards d’euros d’aide militaire ont été alloués à l’Ukraine, essentiellement par l’Europe. En seulement deux mois, les alliés de l’Ukraine devraient allouer plus de 5 milliards d’euros pour égaler la plus faible année (37,6 milliards alloués en 2022) et plus de 9 milliards pour s’inscrire dans la moyenne de 41,6 milliards annuels versés entre 2022 et 2024. Or de juillet à octobre, seulement 2 milliards d’euros ont été alloués en moyenne chaque mois.

Volodymyr Zelensky va remettre à Donald Trump une version révisée de son plan de paix

En visite en Italie, où il a rencontré le pape et la Première ministre Giorgia Meloni, Volodymyr Zelensky a affirmé mardi qu’une version révisée du plan Trump pour mettre fin à la guerre en Ukraine serait prochainement remise aux Américains. "Les volets ukrainien et européen sont désormais plus avancés et nous sommes prêts à les présenter à nos partenaires américains", a écrit sur X le dirigeant, évoquant plus tard devant la presse une transmission ce mercredi.

Il a confirmé que la proposition américaine initiale pour une sortie du conflit avait été divisée en trois documents : un accord-cadre en 20 points, un document sur la question des garanties de sécurité et un autre sur la reconstruction de l’Ukraine après la guerre.

Le plan initial de Washington, considéré comme largement favorable à Moscou, fait l’objet d’intenses discussions depuis plusieurs semaines. Il prévoyait notamment que Kiev cède des territoires à la Russie, en échange de promesses de sécurité jugées insuffisantes par l’Ukraine et ses alliés.

Le pape juge "pas réaliste" de chercher la paix en Ukraine sans l’Europe

Le pape Léon XIV a estimé mardi qu’il n’était "pas réaliste" de chercher à obtenir la paix pour l’Ukraine sans l’Europe et que le plan présenté par Donald Trump risquait d’entraîner un "énorme changement" dans l’Alliance atlantique.

Léon XIV, qui a reçu mardi le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans sa résidence de Castel Gandolfo, a dit aux journalistes n’avoir pas lu les propositions américaines dans leur intégralité. "Malheureusement, certaines des parties que j’ai lues apportent un énorme changement dans ce qui était depuis de nombreuses années une véritable alliance entre l’Europe et les Etats-Unis", a-t-il déclaré. "Les remarques qui sont faites par ailleurs dans des interviews récentes à propos de l’Europe tentent de rompre ce que je pense devoir être une alliance très importante aujourd’hui et à l’avenir", a ajouté le pape américain.

"Chercher un accord de paix sans inclure l’Europe dans les discussions n’est, permettez-moi de le dire, pas réaliste", a-t-il poursuivi. "La guerre est en Europe et je pense que l’Europe doit être partie prenante des garanties dont nous avons besoin pour la sécurité, aujourd’hui comme à l’avenir".

© afp.com/ANDREW CABALLERO-REYNOLDS

Le président américain Donald Trump à Maison-Blanche à Washington, D.C., le 3 décembre 2025.
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"Pedro Sanchez est devenu le Viktor Orban du Sud" : l’avertissement d’une leader de l’opposition espagnole

Y a-t-il "quelque chose de pourri" au royaume d’Espagne – comme disait Shakespeare, dans Hamlet, à propos de celui d’Elseneur ? Visiblement, oui. En tout, cas, "quelque chose" cloche "légèrement" au sommet de l’État. L’entourage immédiat, personnel ou politique, du Premier ministre Pedro Sanchez est au cœur de plusieurs affaires de corruption. Un ancien ministre (des Transports, des Mobilités et des Programmes urbains) et son principal conseiller viennent d’entrer en prison. Un haut dirigeant du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) vient d’en sortir. Et le frère du Premier ministre est mis en examen dans une affaire où leur sœur est également entendue par la justice.

Dans ce climat délétère, le Parti populaire (PP, droite) vient d’organiser, le week-end dernier, des manifestations avec ce slogan : "Mafia ou démocratie ?" Figure influente et médiatique de la droite espagnole, l’opposante Cayetana Alvarez de Toledo (PP) a, de son côté, accepté de s’exprimer pour la première fois dans un média français.

Députée de Madrid (PP) élue en 2019 et réélue en 2023, un temps porte-parole adjointe du parti, cette personnalité d’origine française et argentine est aussi une historienne formée à Oxford (Royaume-Uni) doublée d’une ancienne journaliste au quotidien El Mundo où elle écrivait dans les pages Opinions. Bref, cette débatteuse redoutable est une personnalité avec laquelle il faut compter à droite.

Par ailleurs proche de la Vénézuélienne Maria Corina Machado, prix Nobel de la paix 2025, la députée se rend aujourd’hui à Oslo (Norvège) pour accompagner la cérémonie de remise de prix. Soutien inconditionnel de l’opposante vénézuélienne, Cayetana Alvarez de Toledo affirme que le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez suit la pente du populisme déjà empruntée par les Vénézuéliens Hugo Chavez et Nicolas Maduro. Et par Viktor Orban, l’illibéral dirigeant hongrois. Avertissement au lecteur : en Espagne, le débat politique est virulent… comme l’illustre cette interview exclusive.

Cayetana Alvarez de Toledo, députée de Madrid (Espagne) du Parti populaire (PP, droite) dans la capitale espagnole en 2025.
Cayetana Alvarez de Toledo, députée de Madrid (Espagne) du Parti populaire (PP, droite) dans la capitale espagnole en 2025.

L’Express : Pedro Sanchez – et, avec lui la gauche espagnole – se refuse à féliciter la Vénézuélienne Maria Corina Machado pour son prix Nobel de la paix. Que signifie ce silence ?

Cayetana Alvarez de Toledo : C’est simplement la preuve de sa complicité avec Maduro. Qu’un premier ministre espagnol ne félicite pas un récipiendaire latino-américain d’un prix aussi prestigieux est pour le moins suspect. Non seulement Pedro Sanchez se refuse à féliciter Maria Corina Machado mais, de plus, il ment lorsqu’on lui demande pourquoi il ne le fait pas. Il prétend n’avoir jamais félicité aucun prix Nobel par le passé. Des journalistes ont consulté son compte X… et ils ont trouvé au moins six messages de félicitations adressées à différents prix Nobel.

Ses mensonges sont une indication supplémentaire de sa relation étroite avec la dictature vénézuélienne.​​ Songez que lui et son entourage sont incapables de prononcer ces simples mots : "Le Venezuela est une dictature ; Maduro est un dictateur." Nous avons mis au défi les socialistes espagnols de le faire des dizaines de fois à la chambre de députés. Sans résultat. Ce mutisme n’a qu’une explication : ils redoutent la réaction de Maduro au cas où ils le traiteraient de "dictateur". Maduro pourrait se retourner contre eux et révéler des secrets inavouables. C’est très clair à mes yeux : Maduro les tient.

Un portrait du Premier ministre espagnol Pedro Sanchez lors d'une manifestation organisée par le Parti populaire (PP) contre la corruption, le 30 novembre 2025 à Madrid
Un portrait du Premier ministre espagnol Pedro Sanchez lors d'une manifestation organisée par le Parti populaire (PP) contre la corruption, le 30 novembre 2025 à Madrid

Vous allez jusqu’à parler de "complicité" avec la dictature vénézuélienne. N’est-ce pas exagéré ?

Nullement. Mais pour comprendre les liens entre le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et la dictature vénézuélienne, il faut remonter à José Luis Rodríguez Zapatero. L’ex-Premier ministre socialiste espagnol (2004-2011) entretient depuis longtemps une relation étroite avec Maduro. Dans cette affaire, Zapatero joue un rôle clef. Depuis de nombreuses années, il joue le rôle d’agent d’influence pour le Venezuela sur la scène internationale. Il a même servi d’intermédiaire entre le régime et les prisonniers politiques. Il s’est ainsi prêté sans vergogne au chantage qui consiste à s’appuyer sur leur souffrance pour négocier leur sortie de prison et leur silence. C’est d’une grande perversité : il s’agit de se mettre du côté du dictateur pour faire accepter aux prisonniers de conscience une transaction perverse : "Nous te libérons mais, en échange, tu te tais."

Non content de jouer ce rôle, il a aussi été le principal promoteur du "processus de dialogue" bidon [NDLR : qui a duré onze années et échoué, de 2014 à 2025] entre la dictature et les forces démocratiques. Ce processus n’a servi à rien, sinon à gagner du temps et à procurer de l’oxygène à Maduro. De notoriété publique, Zapatero était du côté de Maduro. Par ailleurs, Zapatero joue un rôle méconnu (mais dont des journalistes commencent à parler) de lobbyiste au profit de la dictature de Maduro. Il était la "porte d’entrée" à Caracas pour des entreprises espagnoles désireuses de faire du business au Venezuela, notamment dans le secteur pétrolier. Tout en étant "négociateur" du processus de paix, il faisait des affaires. Soit dit en passant, il joue maintenant ce rôle avec la Chine. Affairiste sans morale, José Luis Rodríguez Zapatero est celui qui a rapproché le PSOE de Maduro.

Le 21 juillet 2016 le président vénézuélien Nicolas Maduro(D) aux côtés de l'ancien chef du gouvernement espagnol Jose Luis Rodriguez Zapatero (G) à Caracas
Le 21 juillet 2016 le président vénézuélien Nicolas Maduro(D) aux côtés de l'ancien chef du gouvernement espagnol Jose Luis Rodriguez Zapatero (G) à Caracas

En quoi Pedro Sanchez est-il comptable des agissements de Zapatero ?

Beaucoup de choses restent à découvrir. Mais si le régime de Maduro tombe, préparez-vous à des révélations. En attendant, voici un exemple. Le 20 janvier 2020, en pleine nuit (à 0 h 01 exactement) la vice-présidente vénézuélienne Delcy Rodriguez a atterri dans un avion privé à l’aéroport madrilène de Barajas alors qu’elle était sous sanctions de l’Union européenne depuis deux ans [NDLR : bras droit de Nicolas Maduro, Delcy Rodriguez et dix autres dirigeants sont sanctionnés en raison de la corruption, des crimes et des actes de tortures pratiqués dans les prisons vénézuéliennes]. Or, qui était là, en pleine nuit, pour accueillir cette personnalité interdite d’entrée sur le territoire de l’UE ? Rien moins que José Luis Abalos, alors numéro 3 du PSOE et ministre des Transports, de la Mobilité et des Travaux Publics. [NDLR : Abalos est emprisonné en Espagne depuis le 25 novembre pour soupçons de corruption et autres délits].

Que se sont dit, cette nuit-là, dans un salon privé de la zone de transit, le bras droit de Sanchez et madame Delcy Rodriguez ? Mystère. Certains soupçonnent des négociations secrètes entre le régime vénézuélien et le gouvernement espagnol. D’autres parlent de financement illégal du PSOE avec des fonds chavistes. D’autres encore évoquent un schéma de corruption sur la base de financements issus du pétrole. Bref, aux affinités idéologiques et à la connivence politique s’ajoute probablement une dimension économique.

Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov reçoit la vice-présidente du Venezuela Delcy Rodriguez, le 1er mars 2019 à Moscou
Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov reçoit la vice-présidente du Venezuela Delcy Rodriguez, le 1er mars 2019 à Moscou

N’est-ce pas le parti de gauche radical Podemos qui, le premier, a collaboré avec le régime d’Hugo Chavez et Nicolás Maduro ?

Certes, Podemos a été très proche de Chavez [NDLR : des membres du parti espagnol ont travaillé comme conseillers au Venezuela dès le début des années 2000], mais cette formation, qui compte 4 députés, ne pèse plus grand-chose. Aujourd’hui, les socialistes espagnols sont alliés au parti Sumar.

Cette force d’extrême gauche compte 26 députés et 5 ministres, dont certains sont ouvertement pro-chavistes. Pedro Sanchez lui-même a effectué un virage à 180 degrés à propos du Venezuela. Lorsqu’il était dans l’opposition, il était proche de l’opposition vénézuélienne. Mais tout a changé quand il est entré au Palais de La Moncloa, le siège du gouvernement à Madrid. Il a alors cessé de soutenir les forces démocratiques pour devenir le plus grand allié de la dictature vénézuélienne en Europe.

Quelles leçons tirez-vous du "cas" du Venezuela, pays à la dérive ?

C’est un cas d’école qu’il faudrait, dès maintenant, étudier dans des manuels de sciences politiques. Il s’agit d’un processus de subversion de la démocratie par l’intérieur, non pas à l’aide d’un Cheval de Troie (le cheval a une certaine noblesse) mais d’un "Âne de Trois" (l’âne est un symbole de la bêtise). Ses promoteurs s’appuient en effet sur l’ignorance des honnêtes gens pour atteindre leurs objectifs. Ainsi "l’Âne de Troie" arrive au pouvoir par la voie démocratique, à l’occasion d’élections libres. Mais dès qu’il a conquis le pouvoir, il cherche à s’y perpétuer par tous les moyens, toujours selon le même mode d’emploi. C’est vrai au Venezuela, mais aussi en Espagne.

Dans une première phase, les aspirants à la dictature colonisent les institutions de l’État en y plaçant partout des personnes loyales – non pas loyales à l’État, mais à leur parti. Au Venezuela, c’est évident : les chavistes ont très vite tout "colonisé", y compris l’entreprise pétrolière nationale PDVSA, ce qui d’ailleurs a conduit à sa ruine. Dans un deuxième temps, ils harcèlent et sapent les trois principaux contre-pouvoirs : la presse libre, la justice indépendante et l’opposition parlementaire.

Enfin, troisièmement, ils polarisent délibérément la vie politique afin de "diviser pour mieux régner". En arrivant à la présidence en 1999, Hugo Chavez a mis en œuvre ce mécanisme : politisation des institutions, élimination progressive des contre-pouvoirs, polarisation de la société. Ainsi a commencé la mutation du Venezuela, passé de "démocratie pleine et entière" à "démocratie faillie" puis à "dictature" et maintenant à "narco-État criminel".

Selon vous, l’Espagne suit la même pente que le Venezuela. Qu’entendez-vous par-là ?

En Espagne, nous vivons la première étape de ce processus. Nous sommes en train de passer de démocratie "pleine et entière" à démocratie "faillie". Pedro Sanchez est arrivé au pouvoir par les urnes mais il s’emploie à "coloniser" les institutions (par exemple le Tribunal Constitutionnel, la Cour des comptes ou l’audiovisuel public), à fragiliser et démolir les contre-pouvoirs démocratiques et à polariser la société. Aux élections de juillet 2023, le PSOE est arrivé en deuxième position derrière le Parti populaire (PP, droite).

Pour conserver le pouvoir, il n’a pas hésité une seconde à pactiser avec des partis qui visent la destruction du système constitutionnel espagnol : Euskal Herria Bildu (héritier du mouvement terroriste ETA qui ne condamne pas l’assassinat de plus de 850 Espagnols) ou Gauche républicaine de Catalogne. Pedro Sanchez a aussi négocié avec un fugitif de la justice, Carles Puigdemont. Pour mémoire, ce leader du parti catalan Junts per Catalunya avait tenté un coup d’État en Catalogne en 2017 et se trouve actuellement en Belgique, où il réside, sans possibilité de remettre les pieds en Espagne.

Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez s'exprime lors d'une session plénière au Parlement espagnol à Madrid, le 9 juillet 2025
Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez s'exprime lors d'une session plénière au Parlement espagnol à Madrid, le 9 juillet 2025

Sans vergogne, le Premier ministre lui a proposé de faire passer une loi d’amnistie en échange de ses 7 voix à la chambre de députés : les élus de Junts per Catalunya lui ont permis d’être réinvesti à la tête du gouvernement espagnol. Une telle négociation, avec un fugitif, n’a pas de précédent dans l’UE. Bien sûr, il existe des amnisties politiques, économiques, fiscales. Mais ce qui est unique ici, c’est qu’un politicien efface les délits d’un autre politicien en échange du pouvoir. Heureusement, le Tribunal Suprême s’est en partie opposé à cette amnistie. Et Puigdemont, réfugié en Belgique, ne peut toujours pas rentrer en Espagne.

Comment analysez-vous les scandales de corruption qui touchent l’entourage immédiat de Pedro Sanchez ?

En avril 2024, la presse a commencé à publier des informations et à enquêter sur des affaires qui concernent l’épouse de Pedro Sanchez ainsi que son frère (tous deux soupçonnés de trafic d’influence), mais aussi son bras droit José Luis Abalos (celui qui avait rencontré nuitamment la vice-présidente vénézuélienne à l’aéroport de Madrid) et Koldo García Izaguirre, son plus proche collaborateur et confident, lui aussi accusé de corruption. A l’époque, Pedro Sanchez annonce qu’il se retire cinq jours pour réfléchir à son avenir. Il se présente comme une victime et affirme qu’il envisage d’abandonner la politique. Mais après cinq jours, il entame une campagne de déstabilisation des contre-pouvoirs.

Il traite tout le monde de "facho"

Cayetana Alvarez de Toledo

Hyperagressif, il attaque les médias en les qualifiant de "marchands de mensonges", de "machines de boue", de "laquais du PP et de Vox" [NDLR : Vox est le parti d’extrême droite], de "propagateurs de fake news", de suppôts de la fachosphère", de "fascistes", de "fachos", d'"ultradroitiers", etc. Il cherche aussi à contrôler l’organe qui a autorité sur la télévision publique [NDLR : l’équivalent de l’Arcom française]. La télé nationale se transforme d’ailleurs en organe de propagande pro-Sanchez : servile à l’égard du gouvernement, agressif contre l’opposition. Un peu comme en Hongrie, où Viktor Orban a mis les médias sous sa coupe.

La vie politique en Espagne est de plus en plus polarisée…

Pedro Sanchez s’en prend aussi à la justice. Lui et ses ministres livrent en pâture les noms et prénoms des juges qui enquêtent sur sa famille. Ils dénigrent les tribunaux qui prennent des décisions contraires aux intérêts du Premier ministre. Pedro Sanchez emploie une rhétorique populiste, purement chaviste : il insinue que la vox populi est au-dessus du pouvoir judiciaire, comme s’il y pouvait avoir une démocratie sans loi, ni juges garants d’un contre-pouvoir…

Cette escalade verbale prend des proportions dangereuses. D’autant que Pedro Sanchez politise la justice : il a nommé successivement au poste de "fiscal general" [NDLR : procureur général de l’État espagnol] deux personnalités qui lui sont proches alors que selon la tradition et l’esprit de justice, le titulaire du poste doit être incontestable, impartial et indépendant. Le premier a été condamné par la justice pour avoir divulgué des secrets visant à nuire à une adversaire politique de Sanchez. L’intéressé est resté en fonction pendant toute la durée du procès : il refusait de démissionner tandis que le gouvernement le soutenait ouvertement. Encore un exemple du dévoiement des institutions…

Pedro Sanchez affirme que les accusations contre son entourage ont été lancées par des associations d’extrême droite, notamment Manos Limpias.

C’est son unique ligne de défense… Mais Manos Limpias n’est pas la seule entité à avoir déposé une plainte. Une association d’avocats madrilènes a également entamé une action en justice. Et il y a d’autres exemples. Mais, même si Manos Limpias – avec qui mon parti, le PP, n’a aucun lien – avait été seul à la manœuvre, cela n’absoudrait en rien le Premier ministre. Ce n’est pas "l’ultradroite" qui enquête sur l’entourage de Pedro Sanchez et réclame vingt-cinq ans de prison pour ses deux plus proches collaborateurs. Ce sont la police, la Guardia Civil [NDLR : équivalent de la Gendarmerie française], des procureurs, des juges… Pedro Sanchez a trouvé un argument commode : il affirme que la Justice et les juges sont sous l’emprise du fascisme. D’ailleurs il traite tout le monde de "facho" : moi, bien sûr, mais aussi l’ancien Premier ministre socialiste Felipe Gonzalez ou des dirigeants historiques du PSOE comme Alfonso Guerra ou Nicolas Redondo Terreros.

Pedro Sanchez crée un climat de guerre civile verbale

Cayetana Alvarez de Toledo

Aujourd’hui, si on ne vous traite pas de "facho", vous n’existez pas ! (rires). Aux yeux des socialistes, quiconque défend la démocratie, la vérité, la raison, le vivre-ensemble, le pluralisme politique, l’ordre constitutionnel, la liberté individuelle, l’égalité devant la loi, est un "facho". Seuls les gens servilement soumis au pouvoir ne le sont pas… Se présenter comme la victime de l’extrême droite permet à Pedro Sanchez deux choses : resserrer les rangs de la gauche espagnole et, à l’échelle européenne, se présenter comme la victime de la vague réactionnaire qui touche beaucoup d’autres pays du Vieux continent. En fait, il cherche à créer un climat de guerre civile verbale et, conformément au mode d’emploi vénézuélien, à polariser le pays.

En France, son image et celle du PSOE restent plutôt bonnes, avec une croissance économique de + 3 % et la récente augmentation du salaire minimum de 61 %. Votre commentaire ?

Les Français, mais aussi tous les Européens, devraient ouvrir les yeux sur la dérive extrêmement dangereuse et antidémocratique qui se produit actuellement en Espagne. Je regarde ce qui se passe en Hongrie et je vous affirme qu’il y a actuellement en Espagne un "Viktor Orban du Sud" qui se nomme Pedro Sanchez. Il se déguise en social-démocrate mais il est tout sauf ça. Au contraire, il détruit la social-démocratie, le vivre-ensemble et, in fine, la démocratie. Sachons reconnaître que les menaces contre la démocratie proviennent parfois de la droite, mais aussi de la gauche.

Voilà dix ans, le premier ministre Mariano Rajoy, du Parti populaire comme vous, avait dû quitter le pouvoir à cause du scandale de la "caisse noire" du PP. En matière de corruption, la gauche et la droite se valent ?

La corruption n’a pas de couleur politique. Qu’elle soit de gauche ou de droite, il faut la combattre. A l’époque de Mariano Rajoy, Pedro Sanchez avait d’ailleurs exigé une motion de censure. Il réclamait la démission du Premier ministre parce qu’il avait été cité comme témoin dans une enquête judiciaire. C’est grâce à cette motion de censure qu’il est arrivé au pouvoir en brandissant l’étendard de la lutte contre la corruption. Aujourd’hui, il est cerné par les affaires de corruption. Tout son entourage, personnel ou politique, fait l’objet d’enquêtes. Au reste, lui-même a déjà été cité deux fois comme témoin par la justice. Il devrait appliquer à sa propre personne ce qu’il exigeait de Rajoy naguère. D’autant que son niveau de corruption dépasse de loin l’affaire de la caisse noire du PP en 2017. Pedro Sanchez abîme l’Espagne à un niveau inédit depuis le retour de la démocratie en 1975, après la mort du dictateur Franco.

Parmi "la bande de la Peugeot" [NDLR : en 2016, Pedro Sanchez était reparti à la conquête du PSOE à travers l’Espagne à bord d’une Peugeot 407, avec trois proches amis : José Luis Ábalos, Santos Cerdán y Koldo García], deux sur quatre sont actuellement emprisonnés dans le cadre dans le cadre d’une enquête pour corruption et un troisième, sous contrôle judiciaire, vient d’être libéré après cinq mois derrière les barreaux. Quant à Pedro Sanchez, s’il est aujourd’hui épargné par les scandales, sa sœur et son frère ne le sont pas. La corruption est devenue une manière de faire de la politique afin de conserver le pouvoir. Sanchez n’a qu’une idée en tête : rester au pouvoir à tout prix. Y compris au prix de l’affaissement de la démocratie.

Notre objectif numéro un: empêcher Pedro Sánchez de rester au pouvoir

Cayetana Alvarez de Toledo

Comment vous positionnez-vous par rapport à Vox, le parti anti-immigration qui a percé en 2023, devenant la troisième force politique du pays avec 12 % des voix?

C’est un parti nationaliste qui s’est rapproché de Viktor Orban bien plus qu’il ne le devrait. L’objectif du Parti populaire – mon parti – est de gouverner seul. Entre Vox et le PP, les différences sont importantes, notamment sur l’Europe. Mais nous savons aussi qu’il existe un danger plus grand pour notre démocratie : c’est Pedro Sánchez. Evidemment, le PP aspire à gouverner seul mais le réalisme, c’est de former des alliances, comme nous l’avons déjà fait localement. Notre objectif numéro un est d’empêcher que Pedro Sánchez reste au pouvoir car ce qui est en jeu, c’est la survie de l’ordre démocratique et constitutionnel établi en 1978. L’objectif de Sanchez, à l’inverse, est que Vox progresse encore pour accentuer la polarisation et affaiblir le PP.

En quels termes la question de l’immigration se pose-t-elle en Espagne ?

Le gouvernement est dans le déni. Il ne veut pas reconnaître qu’il existe un vrai problème d’intégration alors même que, en Europe, de nombreux gouvernements de gauche, comme au Danemark, sont en train de changer de pied sur ce sujet. En Espagne, l’immigration est majoritairement composée de Latino-américains qui s’intègrent d’une manière exceptionnelle. Mais il y a aussi une autre immigration qui, par endroits, pose des problèmes, notamment en Catalogne. Dans cette région, un nouveau parti politique se développe à grande vitesse : c’est Aliança Catalana (Alliance catalane), à la fois ouvertement anti-islam et anti-Espagne. C’est un mouvement séparatiste, indépendantiste et ouvertement islamophobe, encore beaucoup plus à droite que Vox.

© afp.com/Javier SORIANO

Le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, lors de son audition devant une commission d'enquête du Sénat, le 30 octobre 2025 à Madrid
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En Ukraine, la Russie accusée de multiplier les exécutions de soldats ayant déposé les armes

Quatre soldats allongés face contre terre, devant une ligne d’arbres calcinés. Un autre qui se place à leurs côtés et les exécute de rafales en pleine tête. Avant de faire de même avec un cinquième qui commençait à ramper, à quelques mètres de là. La scène, glaçante, a été filmée par un drone et diffusée par l’organisation ukrainienne d’analyse militaire Deepstate sur Telegram, le 22 novembre. Selon nos confrères du Temps, elle se serait déroulée près du village de Kotlyne, non loin de Pokrovsk, que les troupes du Kremlin tentent de conquérir depuis des mois et dont Vladimir Poutine a revendiqué la conquête la semaine dernière – Kiev, toutefois, affirme toujours tenir la partie nord de la ville.

La vidéo témoigne d’une recrudescence des exécutions de soldats ukrainiens ayant déposé les armes au cours des derniers mois. "Depuis la mi-novembre, nous avons enregistré une augmentation du nombre de rapports faisant état d’exécutions de militaires ukrainiens capturés par les forces armées russes", explique au Temps Danielle Bell, cheffe de la Mission de surveillance des droits de l’homme des Nations unies en Ukraine (HRMMU).

Crimes de guerre

Deux soldats ukrainiens capturés dans la banlieue de Zatyshshia, dans l’oblast de Zaporijia, auraient été exécutés, selon une autre vidéo de DeepState, publiée le 15 novembre. Le 27, cinq d’entre eux qui venaient d’être faits prisonniers, toujours dans l’oblast de Zaporijia, auraient subi le même sort après avoir été interrogés puis contraints à s’allonger, a indiqué le parquet régional. Un soldat capturé près du village de Hnativka, dans le district de Pokrovsk, aurait également été frappé à la tête avec la crosse d’une mitrailleuse avant d’être abattu. Depuis l’invasion russe en février 2022, la HRMMU a pu "vérifier" l’exécution de 96 prisonniers de guerre ukrainiens et de personnes "hors de combat" par les forces armées russes et juge "crédibles" au moins 119 autres allégations d’exécutions de ce type.

La justice ukrainienne tente de répliquer comme elle le peut. Le 22 novembre, le procureur général de la région de Donetsk a ouvert une enquête pour crimes de guerre à la suite de la vidéo diffusée par Deepstate. Le bureau du procureur général ukrainien a indiqué au Temps avoir, entre le 24 février 2022 et le 2 décembre 2025, suivi 103 procédures pénales relatives au meurtre de 333 militaires de Kiev qui avaient déposé les armes.

Un premier soldat russe vient d'être condamné. Dimitri Kourachov, 27 ans, était accusé d’avoir abattu, le 6 janvier 2024, un soldat ukrainien qui s’était rendu, près du village de Pryioutné, dans l’oblast de Zaporijia. Il avait déclaré à la BBC avoir reçu l’instruction de ses supérieurs de ne faire aucun prisionnier. Reconnu coupable de "violation des lois et coutumes de la guerre" ainsi que "d’homicide volontaire" par un tribunal de Zaporijia, il a été condamné le 6 novembre à la réclusion à perpétuité.

Les organisations internationales tentent de documenter ces exactions, comme l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui a envoyé cette année trois experts sur le terrain. Dans son rapport publié fin septembre, l’OSCE écrit que les exécutions arbitraires, bien que difficiles à démontrer du fait de l’absence de coopération de Moscou, se "produisent régulièrement". Elles concernent aussi les détenus ukrainiens. Au moins 169 d'entre eux auraient trouvé la mort, selon le rapport, qui estime à 6 300 le nombre de soldats ukrainiens toujours en captivité. L’organisation estime que ces pratiques peuvent "constituer des crimes de guerre et, dans certains cas, peut-être des crimes contre l’humanité".

"Exécutez, exécutez et exécutez"

Les exécutions sommaires de militaires désarmés contreviennent au droit international humanitaire, et en particulier aux Conventions de Genève, qui protègent les prisonniers de guerre dès qu’ils déposent les armes et se rendent à l’ennemi ou sont considérés comme "hors de combat". Mais la Russie "refuse systématiquement" aux membres des forces armées ukrainiennes le statut de prisonnier de guerre, poursuit le rapport : son subterfurge consiste à les désigner comme des "personnes détenues pour s’être opposées à l’opération militaire spéciale."

Toujours selon le rapport, les injonctions viennent du plus haut niveau. L’ancien chef d’Etat russe Dmitri Medvedev avait ainsi affirmé sur son canal Telegram : "Pas d’humanité. Pas de pardon. Ils n’ont pas le droit à la vie. Exécutez, exécutez et exécutez." Des enregistrements de conversations radio interceptées puis diffusées par les services de renseignement ukrainiens attestent aussi de ces pratiques. En mai 2025, CNN publiait les ordres d'un commandant russes à ses troupes : "Prenez le commandant en captivité et tuez tous les autres." Un autre enregistrement fin septembre va dans le même sens : "Tirez dessus, on ne fera pas de prisonniers. Partez vite."

Ces pratiques s’inscrivent dans la politique de terreur de Moscou, qui englobe enlèvements d’enfants, tortures de prisonniers, bombardements d’infrastructures énergétiques ou d’habitations depuis bientôt quatre ans, sans relâche.

© afp.com/Sergei GAPON

Tombes de soldats ukrainiens dans un cimetière militaire à Lviv, en Ukraine, le 2 décembre 2025
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L'Australie franchit le pas et interdit les réseaux sociaux aux moins de 16 ans

Les moins de 16 ans d'Australie sont officiellement interdits d'accès à de nombreux réseaux sociaux depuis mercredi matin, une démarche pionnière au niveau mondial qui vise à protéger la jeunesse des algorithmes addictifs d'Instagram, TikTok ou encore Snapchat.

Une mesure accueillie avec soulagement par bien des parents

Des centaines de milliers d'adolescents s'apprêtent à se réveiller déconnectés des applications sur lesquelles ils pouvaient passer plusieurs heures par jour. Sans mesures "raisonnables" prises pour faire respecter la loi, les plateformes concernées risquent des amendes pouvant atteindre 28 millions d'euros en vertu de cette obligation entrée en vigueur mercredi à minuit heure de Sydney et Canberra (13H00 GMT mardi), et dont l'application sera scrutée par les autorités de nombreux pays.

L'Australie devient ainsi un des premiers pays à imposer les mesures les plus radicales dans le monde face aux géants de la tech, parmi lesquels les américains Meta et Google. Les réseaux sociaux "sont utilisés comme une arme par les harceleurs (...), sont vecteurs d'anxiété, constituent un outil pour les escrocs et, pire que tout, sont un outil pour les prédateurs en ligne", a justifié le Premier ministre travailliste Anthony Albanese, à la veille de l'entrée en vigueur de la mesure.

Addiction aux écrans, harcèlement en ligne, violence, contenus sexuels : la mesure est accueillie avec soulagement par bien des parents démunis mais n'enthousiasme que modérément les premiers concernés. "Je ne pense pas que le gouvernement sache vraiment ce qu'il fait et je ne pense pas que cela aura un impact sur les enfants australiens", témoigne Layton Lewis, un Australien de 15 ans, interrogé avant son exclusion officielle des plateformes.

Facebook, Instagram, YouTube, TikTok, Snapchat ou encore Reddit ont désormais l'interdiction de conserver ou de permettre la création de comptes pour les utilisateurs d'Australie âgés de moins de 16 ans. Les plateformes de streaming Kick et Twitch, ainsi que les réseaux sociaux Threads et X, sont aussi concernés. Pour l'heure, la plateforme de jeux en ligne Roblox, le réseau Pinterest ou encore la messagerie WhatsApp sont épargnés par le dispositif. Mais cette liste pourra évoluer, a averti le gouvernement. Certains sites restent accessibles sans compte, à l'image de YouTube.

Parmi les parents partisans de la mesure, Mia Bannister a mis en cause le rôle des réseaux sociaux dans le suicide de son fils adolescent, Ollie, victime de harcèlement en ligne et de vidéos ayant favorisé son anorexie. "J'en ai assez que les géants des réseaux sociaux fuient leurs responsabilités", a-t-elle dénoncé auprès de l'AFP, soulignant qu'en offrant un téléphone à leurs enfants, les parents "leur donnent la pire arme qui soit".

Des travaux de recherche avancent que passer trop de temps en ligne nuit au bien-être des adolescents. Dany Elachi, un père de cinq enfants, approuve : "On doit faire preuve de prudence avant de mettre n'importe quoi d'addictif entre les mains de nos enfants".

La Nouvelle-Zélande réfléchit à des restrictions similaires

Meta, YouTube et d'autres géants de la tech ont condamné l'interdiction, qui doit priver leurs plateformes d'un nombre important d'utilisateurs. La plupart ont cependant accepté malgré elles de s'y plier, à l'instar de Meta (Facebook, Instagram, Threads) qui a annoncé dès jeudi avoir commencé à supprimer les comptes des utilisateurs concernés.

La justice a toutefois été saisie : un groupe de défense des droits des internautes a dit avoir engagé une procédure auprès de la Haute Cour d'Australie. De son côté, Reddit a déclaré mardi ne pas pouvoir confirmer des informations de plusieurs médias australiens, affirmant qu'il chercherait à faire annuler la mesure auprès de cette juridiction.

Le succès ou non de la décision australienne sera scrutée de près. Le pays compte 27 millions d'habitants. La Nouvelle-Zélande voisine mais aussi la Malaisie réfléchissent à des restrictions similaires. Le gouvernement australien a admis que l'interdiction serait imparfaite à ses débuts et que des adolescents rusés trouveraient un moyen de continuer à "scroller" et faire défiler des contenus sur leurs écrans. D'après le texte, les réseaux sociaux visés ont seulement à vérifier que leurs utilisateurs sont âgés de 16 ans ou plus.

Plusieurs plateformes ont annoncé qu'elles recourraient à l'intelligence artificielle (IA) pour estimer l'âge des internautes à partir de leurs photos. Ceux-ci pourraient aussi avoir à transmettre un document d'identité.

© afp.com/Saeed KHAN

L'Australie interdit l'accès aux réseaux sociaux aux jeunes adolescents le 10 décembre 2025
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Pourquoi l’UE a finalement reporté son plan "Made in Europe"

Il aurait dû être présenté ce mercredi 10 décembre. Mais ne le sera finalement qu’en janvier 2026 au plus tôt. Un plan pour "l’accélération industrielle", préparé par le commissaire européen chargé de l’Industrie Stéphane Séjourné, est censé fixer aux industriels des objectifs chiffrés de "Made in Europe", en leur imposant d’utiliser très majoritairement des composants européens pour pouvoir bénéficier d’aides ou de commandes publiques.

Mais les ministres de l’industrie européens n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur les secteurs auxquels il devrait s’appliquer. Au grand dam de la France, qui pousse pour ce projet depuis longtemps.

Un risque d'"étouffer l’innovation"

D’autres pays y voient en effet une menace pour la compétitivité européenne. Au cœur de la controverse : des quotas de contenu domestique, prévus pour certains produits comme les automobiles ou les onduleurs solaires, afin de réduire la dépendance à la Chine, explique le Financial Times. Neuf économies parmi les plus libérales des Vingt-Sept, comme la République tchèque, l’Irlande, ou les pays baltes et nordiques, sont ainsi vent debout contre ce texte. Selon eux, la préférence européenne ne devrait être qu’un "dernier recours", au risque d'"étouffer l’innovation" et de mettre en péril "de potentiels accords commerciaux".

"Si les incitations à la R & D et à l’efficacité sont affaiblies au sein du marché unique, où seules les entreprises européennes opèrent, nous risquons de perdre en compétitivité à l’échelle mondiale et de constater une baisse de la qualité et une hausse des prix au niveau national, notamment dans le cadre des appels d’offres publics. De plus, les entreprises de l’UE ne peuvent pas toujours absorber la demande dans tous les secteurs émergents", fait valoir un document signé par ces neuf pays.

De son côté, l’Allemagne, longtemps opposée au projet, a récemment assoupli sa position, cherchant à enrayer le déclin de son industrie automobile et d’autres secteurs, selon de hauts responsables berlinois.

Craintes pour la compétitivité et la dépense publique

Selon plusieurs personnes au fait de la situation, citées par le FT, si elle était mise en œuvre, cette préférence européenne pourrait coûter aux entreprises de l’UE plus de 10 milliards d’euros par an, en les incitant à acheter des composants européens plus chers. Pour réduire cette facture, les services commerciaux et économiques de la Commission européenne cherchent actuellement des pistes pour édulcorer la proposition. Ils craignent son impact sur la compétitivité de l’UE et le recours accru aux fonds publics pour l’achat de produits européens, tels que les bus électriques et les panneaux solaires.

Malgré tout, les supporters du made in Europe veulent rester optimistes. "Personne n’est opposé sur le principe à la préférence européenne", fait notamment valoir Stéphane Séjourné.

© afp.com/Simon Wohlfahrt

Le vice-président de la Commission, en charge de la stratégie industrielle, Stéphane Séjourné, lors d'une conférence de presse à Bruxelles le 29 janvier 2025
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Gaza : l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair écarté du "comité de la paix" de Donald Trump

Son nom était le seul à circuler dans les médias parmi les potentiels membres du comité de la paix pour Gaza, annoncé par Donald Trump fin septembre. Mais Tony Blair, l’homme qui a dirigé le Royaume-Uni entre 1997 et 2007, a finalement été écarté de l’organe chargé de superviser la transition politique à Gaza à la suite de l’opposition de plusieurs pays arabes, selon les informations du Financial Times. En cause : son passé avec le Moyen-Orient, qui lui avait initialement valu sa place dans la short list de Washington.

Une réticence anticipée par le président de Etats-Unis qui avait déclaré dès octobre : "J’ai toujours apprécié Tony, mais je veux m’assurer qu’il soit un choix acceptable pour tout le monde".

En 2003, le dirigeant travailliste s’était de fait allié à l’invasion américaine de l’Irak. Pendant 6 ans, le Royaume-Uni a déployé 45 000 soldats pour une opération fondée sur de fausses informations : la supposée présence d’armes de destruction massive en Irak. L’offensive qui a coûté la vie à plus de 100 000 Irakiens, a immédiatement provoqué à l’époque un tollé dans l’opinion publique britannique, avec de nombreuses manifestations à travers le pays. Une défiance à l’égard de l’ancien Premier ministre remise à l’ordre du jour en 2016 par la parution du rapport de la commission d’enquête Chilcot. Le texte, particulièrement sévère à l’encontre de Tony Blair, met en lumière le manque de préparation et de discernement du gouvernement britannique lors du lancement de l’offensive.

Après son départ de Downing street, le Britannique a maintenu son cap sur le Moyen-Orient, occupant le poste d’envoyé spécial du Quartet, chargé de superviser la transition politique à Gaza. Depuis plus d’un an, il travaillait, à sa propre initiative, sur des projets concernant Gaza.

"Tony Blair ? Certainement pas"

La participation de Tony Blair au sein du comité de Donald Trump était d’autant plus controversée qu’il était prévu qu’il ait un rôle important au sein de la structure. "Il superviserait un groupe exécutif d’administrateurs et de technocrates palestiniens, chargés de la gestion quotidienne de la bande de Gaza, et transférerait à terme la gouvernance à l’Autorité palestinienne basée en Cisjordanie", développait fin septembre Washington Post. Une déclaration qui avait fait craindre que les Palestiniens soient écartés dans la structure de gouvernance.

Tony Blair est "une figure indésirable dans le contexte palestinien, et lier un quelconque projet à cette personne est de mauvais augure pour le peuple palestinien", avait déclaré à l’époque Husam Badran, membre du bureau politique du Hamas, au micro d’Al Jazeera.

Côté Nations Unies, la mention de Tony Blair avait également provoqué un tollé. "Tony Blair ? Certainement pas. Ne touchez pas à la Palestine", avait cinglé sur X Francesca Albanese, rapporteuse de l'ONU pour la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés.

Tony Blair?
Hell no.
Hands off Palestine.

Shall we meet in The Hague perhaps?

— Francesca Albanese, UN Special Rapporteur oPt (@FranceskAlbs) September 27, 2025

Selon les informations du Financial Times toutefois, Tony Blair ne serait pas définitivement exclu du plan de paix pour l’enclave palestinienne. "Il pourrait encore jouer un rôle dans une autre fonction, ce qui semble probable […] Les Américains l’apprécient, tout comme les Israéliens."

Effectivement, l’ancien Premier ministre n’entretient pas que des mauvaises relations au Moyen-Orient. En septembre, Yossi Cohen, un ancien chef du Mossad, déclarait à la BBC qu’il "adorait" l’idée que Tony Blair prenne la tête de Gaza, le qualifiant de "personne formidable".

© AFP/DANIEL LEAL

Seize ans après sa démission, l'ancien Premier ministre Tony Blair reste une figure impopulaire, même au sein du Parti travailliste.
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Quand Pete Hegseth et Pam Bondi défendaient le droit des militaires à désobéir à des ordres illégaux

La contradiction ne manque pas de piquant. Alors qu’il a qualifié sur X de "méprisable" la vidéo, publiée le 18 novembre, dans laquelle six élus démocrates rappelaient aux membres des forces armées américaines qu’ils avaient le droit de ne pas obéir à des "ordres illégaux" de l’administration Trump, Pete Hegseth, le secrétaire à la Défense, défendait la même position en 2016. A propos de Donald Trump qui plus est.

Les faits remontent à mars 2016. Le milliardaire new-yorkais fait alors office de favori à la primaire du camp républicain pour l’élection présidentielle à venir. Lors d’un débat entre les candidats diffusé par la chaîne Fox News, le magnat de l’immobilier, qui a déclaré plus tôt dans la campagne qu’il jugeait les Etats-Unis bien tendres avec les terroristes et suggéré qu’il faudrait également "éliminer leurs familles", se voit interroger par l’un des présentateurs sur son attitude en cas de refus des militaires d’exécuter ses ordres. "Ils ne me désobéiraient pas. Croyez-moi", répond-il. Interrogé sur cette déclaration le lendemain, Pete Hegseth, alors consultant pour la chaîne conservatrice, déclare en plateau, comme vient de l’exhumer CNN : "Vous n’allez simplement pas suivre un ordre s’il est illégal". Puis ajoute : "Voici le problème avec Trump. Il dit : 'Allez-y, tuez la famille. Allez-y, torturez. Allez-y, allez plus loin que le waterboarding.' Mais que se passe-t-il lorsque les gens suivent ces ordres, ou ne les suivent pas ? Il n’est pas certain que Donald Trump les soutiendra." Dans une autre intervention le même mois sur Fox Business, il renchérissait : "L’armée ne suivra pas des ordres illégaux."

Pete Hegseth n’est pas le seul membre de l’administration Trump à tenir cette position. Le New York Times rapporte en effet que dans un mémoire déposé en janvier 2024 devant la Cour suprême en tant qu’avocate de l’America First Policy Institute, un think tank conservateur, Pam Bondi, l’actuelle ministre de la Justice, écrivait : "Les officiers militaires sont tenus de ne pas exécuter des ordres illégaux."

Frappes dans les Caraïbes

La vidéo enregistrée par les élus démocrates Elissa Slotkin, Mark Kelly, Chris Deluzio, Maggie Goodlander, Chrissy Houlahan et Jason Crow, sénateurs ou représentants tous passés par l’armée ou les services de renseignement, a provoqué l’ire de l’administration et de la Maison-Blanche. Dans un post sur son réseau Truth social du 20 novembre, le président Trump a parlé de "COMPORTEMENT SÉDITIEUX, passible de la peine de MORT !". La vidéo survient notamment dans le contexte des frappes menées dans le Pacifique et dans les Caraïbes contre des embarcations, dont l’administration dit qu’elles transportaient de la drogue sans en apporter la preuve. Ces bombardements ont provoqué la mort de 87 personnes, selon le Pentagone.

L’une de ces interventions vaut tout particulièrement des ennuis à Pete Hegseth. Le 2 septembre, alors qu’une première frappe avait détruit une embarcation, une seconde a été dirigée contre deux survivants en mer, en violation des lois de la guerre. "Je n’ai pas vu personnellement de survivants" après la première frappe, a expliqué Pete Hegseth à la commission des forces armées de la Chambre des représentants, invoquant le "brouillard de la guerre". Le chef du Pentagone est également inquiété à la suite de son partage, dans une boucle privée de la messagerie Signal, d’informations relatives à des frappes imminentes contre les houthistes au Yemen, en avril. Une procédure de destitution contre le chef du Pentagone pourrait être lancée par les démocrates, mais elle a peu de chances d’aboutir.

© afp.com/ANDREW CABALLERO-REYNOLDS

Le ministre américain de la Défense, Pete Hegseth, lors d'un Conseil des Ministres à la Maison-Blanche le 2 décembre 2025
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"En Russie, la corruption est omniprésente !" : nos lecteurs réagissent à l’actualité

Corruption : et la Russie ?

Chantal Bourry, Jonzac (Charente-Maritime)

Il me paraît injuste de critiquer la corruption occasionnelle sévissant encore en Ukraine sans évoquer celle, omniprésente, touchant la Russie, État où il n’existe plus de contre-pouvoirs. Tandis que Kiev autorise les institutions et les ONG qui luttent contre la corruption, Moscou les interdit. Elle est pour le Kremlin non seulement un très important moyen d’enrichissement personnel du président et de ses proches, mais également un puissant outil pour écarter certains hauts responsables jugés insuffisamment loyaux. Les dénonciateurs indépendants (citoyens, journalistes, associations…) sont, eux, réduits au silence, à l’exemple d’Alexeï Navalny qui avait créé en 2011 l’Anti-Corruption Foundation. Elle avait été classée "organisation terroriste" par la Cour suprême russe. (Le scandale Midas éclabousse Zelensky, L’Express du 27 novembre)

Service militaire volontaire : oui, mais…

Laurent Opsomer, Saint-Amand-les-Eaux (Nord)

Emmanuel Macron veut instaurer un service militaire volontaire en France. Ce n’est guère surprenant. La guerre en Ukraine est, en effet, une boucherie digne de la Grande Guerre, qui nécessite de la "chair à canon" mais aussi des techniciens très qualifiés. Il pourrait concerner entre 10 000 et 50 000 jeunes gens par an auxquels serait versée une solde de 900 à 1 000 euros par mois. Mais les problèmes sont multiples. La France, comme les autres pays européens (et la Russie), est entrée dans un hiver démographique. Concurrencées par les entreprises, les armées ont déjà du mal à recruter et à conserver leur personnel. Elles auront plus du mal encore à absorber ces jeunes volontaires car elles n’ont plus les cadres nécessaires ni les locaux pour les loger ni les équipements nécessaires… (Service militaire volontaire : les inspirations européennes d’Emmanuel Macron, sur lexpress.fr).

Des retraités dépendants de l’Etat ?

Pierre Renard, Nantes (Loire-Atlantique)

Nicolas Dufourcq, dans son essai sur la dette sociale de la France, affirme que les retraités sont "dépendants de la dépense publique". Pour ma part, ma retraite s’élève à 1 235 euros. J’ai du mal à comprendre en quoi il s’agirait d’agent public alors que j’ai cotisé pendant 42 ans. (1 Français sur 2 vit de l’argent public… Et si c’était ça, le problème ?, L’Express du 27 novembre).

Les pièges du portable

Pierre Zehnacker, Mittelbergheim (Bas-Rhin)

A l’Est, c’est toujours la guerre, l’abomination se perpétue. A l’Ouest, hommes et femmes sont plus ou moins tous asservis à leurs portables. On les voit dans la rue, au supermarché, à la poste, au cinéma, partout, trimbalant l’écran qui les absorbe en les coupant de tout ce qui les entoure, zombies d’un nouveau genre téléguidés vers leur propre vide. Cet instrument censé leur offrir mille et un services a le pouvoir assez inquiétant de les fixer, pour les vouer ainsi à une forme de dépendance mentale on ne peut plus pernicieuse. Ils ne dialoguent plus, ils consultent. Ils ne pensent plus, ils enregistrent. Je prends de haut nos contemporains ? Oui, je les regarde avec commisération, sidéré par leur naïveté. Le portable, dissimulé, hypocrite, s’insinue dans l’esprit pour le séduire, le rend aveugle et amorphe, toute vie intérieure est peu à peu annihilée sous le joug du consumérisme numérisé. Le portable ne nous possède, ne nous subjugue que pour nous mener à notre perte. (Portable interdit au lycée, référé contre les infox… Ce qu’il faut retenir du débat avec Emmanuel Macron, sur lexpress.fr)

Bravo, Louis-Henri de La Rochefoucauld !

France Mauduit, Evreux (Eure)

Je tiens à féliciter mon critique littéraire préféré, qui vient de recevoir le prix Interallié ! A la réception de l’Express, je m’empresse de chercher l’article de Louis-Henri de La Rochefoucauld, source de sourire et parfois de rire aux dépens de certains écrivains) ou de lecteurs snobs. Merci ! (L’Interallié pour Louis-Henri de La Rochefoucauld, L’Express du 27 novembre).

"Protégeons notre économie", le nouveau débat de L’Express

La publication par L’Express, le 6 novembre, de la tribune "Trop, c’est trop !" a rencontré un large écho parmi les chefs d’entreprise. Plus de 2 000 dirigeants ont signé ce texte qui pointe "les dérives du débat budgétaire" en matière fiscale, et ses conséquences sur le tissu économique et l’emploi. Le Premier ministre Sébastien Lecornu s’est efforcé de les rassurer, à travers sa "Lettre aux entrepreneuses et entrepreneurs de France". Pour faire vivre ce débat, crucial pour l’avenir du pays, L’Express réunira les signataires de cette tribune, le 17 décembre à 16 heures, salle Gaveau, à Paris. Le ministre de l’Economie Roland Lescure répondra à leurs questions. Avec les interventions, entre autres, de Patrick Martin (Medef), Nicolas Dufourcq (Bpifrance), Antoine Levy (Berkeley), Sébastien Proto (Elsan) et Agnès Verdier-Molinié (Ifrap).

© afp.com/-

"En Russie, les dénonciateurs indépendants sont réduits au silence, à l’exemple d’Alexeï Navalny", souligne l'une de nos lectrices (ici, un mémorial improvisé en l'honneur de l'opposant russe Alexeï Navalny, en Allemagne).
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Guerre en Ukraine : ces espions russes qui surveillent les Etats-Unis depuis le Mexique

Le Mexique sert-il de tremplin à la Russie pour espionner les Etats-Unis et glaner ainsi des informations sur l’Ukraine ? A en croire les dernières révélations du New York Times, ce scénario n’a rien de fictif. Depuis le début de la guerre en Ukraine, Moscou a intensifié ses activités diplomatiques et d’espionnage depuis le Mexique… qui ne semble pas pressé d’y mettre un terme.

Persuadée que les espions russes utilisent le Mexique pour bénéficier d’une couverture touristique et échapper aux systèmes de surveillance sophistiqués de Washington, la CIA enquête sur leur identité depuis plusieurs années. Au cours de la présidence Biden, l’agence dresse une liste de plus de deux douzaines d’espions russes se faisant passer pour des diplomates. Elle la transmet aux autorités mexicaines de l’époque, qui se refusent toutefois à les expulser. L’élection de Claudia Sheinbaum à la tête du pays l’an dernier n’y change rien. Plusieurs diplomates mexicains vont même jusqu’à affirmer n’avoir jamais eu connaissance de cette liste.

La "Vienne de l’Amérique latine"

Côté américain, l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche en janvier jette un flou sur la position du pays. Alors que le président des Etats-Unis continue de souffler le chaud et le froid avec la Russie, difficile de savoir si Washington continue de faire pression pour des expulsions. Mais les analystes s’accordent sur un point : Donald Trump démontre par ces actions en Amérique latine qu’il cherche à affirmer la suprématie de Washington sur le continent. Son intérêt est donc plutôt d’empêcher des puissances comme la Russie, ou la Chine, de s’implanter dans la région.

La présence russe au Mexique ne date en réalité pas d’hier. Déjà, pendant la guerre froide, le Mexique était surnommé la "Vienne de l’Amérique latine", en raison des activités d’espionnage russe sur son sol. Mais la guerre en Ukraine vient accélérer les choses. Alors que les pays occidentaux, Etats-Unis en tête, décident d’expulser plus de 100 agents du renseignement russe de leurs pays, les diplomates américains et européens assistent ensuite, impuissants, au transfert d’espions de Moscou à Mexico, révèlent huit sources citées par le NYT.

Une relocalisation dans l’intérêt du Kremlin, qui souhaite se renseigner sur les actions américaines, dans le contexte de la guerre en Ukraine, et pour qui le Mexique offre plusieurs atouts : par sa proximité géographique d’une part, mais aussi par le peu de résistance rencontrée par les espions sur place. Les agences de contre-espionnage mexicaines sont en effet davantage concentrées sur les problèmes intérieurs, comme les trafiquants de drogue, que sur les activités d’espionnage étranger.

Opération séduction de Moscou en Amérique latine

Dès mars 2022, le général Glen VanHerck, chef du commandement nord des États-Unis, fait d’ailleurs part de ses préoccupations lors d’une audition publique devant le Sénat. "La plus grande partie des agents du renseignement russe dans le monde se trouve actuellement au Mexique", déclare-t-il alors. "Ce sont des agents du renseignement russe qui surveillent de très près les possibilités d’influencer les opportunités et l’accès des États-Unis".

Plusieurs analystes voient dans la "tolérance" du Mexique envers la Russie le reflet des positions du parti au pouvoir, plutôt hostile aux Etats-Unis. Si ce parti (Morena) rassemble un large éventail de personnalités politiques, son noyau dur est avant tout composé de militants de gauche, profondément méfiants à l’égard des États-Unis en raison de leur passé d’invasions, de coups d’État et de campagnes d’influence en Amérique latine.

De son côté, la Russie semble surfer sur ce ressentiment envers Washington pour courtiser les pays de la région. Lors de sa tournée l’année dernière en Amérique latine, le conseiller de longue date de Vladimir Poutine, Nikolaï Patrouchev, s’est d’ailleurs engagé à aider ces pays à limiter l’influence américaine, affirmant qu’entretenir de bonnes relations avec les gouvernements latino-américains était "l’une des principales priorités de Moscou".

© AFP

Un contingent militaire russe participe au défilé militaire organisé à l'occasion du 213e anniversaire de l'indépendance sur la place Zocalo à Mexico, le 16 septembre 2023.
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Donald Trump enfonce le clou sur l’Europe, accusée de prendre "certaines mauvaises directions"

Quelques jours après la publication par Washington de la nouvelle stratégie de sécurité des Etats-Unis, très offensive à l’égard des Européens, Donald Trump en a remis une couche lundi 8 décembre, avertissant que l’Europe prenait de "mauvaises directions". "L’Europe doit faire très attention", a déclaré le président américain à la presse à la Maison-Blanche, ajoutant : "L’Europe prend certaines mauvaises directions, c’est très mauvais, très mauvais pour les gens. Nous ne voulons pas que l’Europe change autant".

L’administration de Donald Trump avait publié vendredi un document présentant une "Stratégie de sécurité nationale" résolument nationaliste, anticipant l'"effacement civilisationnel" de l’Europe et prônant la lutte contre les "migrations de masse". "Si les tendances actuelles se poursuivent, le continent européen sera méconnaissable dans 20 ans ou moins", affirme-t-il dans le document.

Sont également pointées du doigt les décisions européennes qui, à en croire l’administration Trump, "sapent la liberté politique et la souveraineté, les politiques migratoires qui transforment le continent et créent des tensions, la censure de la liberté d’expression et la répression de l’opposition politique, la chute des taux de natalité, ainsi que la perte des identités nationales." Un discours qui a dans la foulée été massivement relayé par plusieurs figures américaines d’extrême droite. A commencer par Elon Musk qui a carrément jugé que "l’UE devrait être abolie et la souveraineté revenir aux Etats, de manière que les gouvernements puissent mieux représenter leur peuple".

Une "menace d’interférence", selon Bruxelles

L’Allemagne avait été le premier pays à répliquer vendredi, par l’intermédiaire de son ministre des Affaires étrangères Johann Wadephul, en disant n’avoir pas besoin de "conseils venant de l’extérieur". Côté français, son homologue Jean-Noël Barrot n’a lui aussi pas tardé à réagir : "L’internationale réactionnaire a beau s’époumoner, nous ne nous laisserons pas intimider", a-t-il tweeté samedi.

Le président du Conseil européen a également réagi ce lundi. "Ce qu’on ne peut pas accepter, c’est cette menace d’interférence dans la vie politique de l’Europe", a déclaré Antonio Costa lors d’une intervention à l’Institut Jacques-Delors. "Les Etats-Unis ne peuvent pas remplacer les citoyens européens pour choisir quels sont les bons partis et les mauvais partis", a-t-il ajouté. "On a des différences sur notre vision du monde, mais cela va au-delà de ça", a-t-il souligné. "Les Etats-Unis restent un allié important, les Etats-Unis restent un partenaire économique important, mais notre Europe doit être souveraine", a-t-il toutefois conclu. Comme lui, la cheffe de la diplomatie européenne Kaja Kallas avait elle aussi tâché de ne pas froisser Washington, commentant sur X ce week-end que "les Etats-Unis restent notre grand allié".

Les relations entre les deux blocs se sont tendues sur plusieurs dossiers depuis le retour au pouvoir de Donald Trump en janvier, du rapprochement américain avec la Russie au soutien affiché des Etats-Unis aux partis conservateurs ou d’extrême droite en Europe. Dès février dernier, le vice-président américain, J.D. Vance, avait consterné les Allemands et, plus généralement, les Européens, lors d’un discours à Munich, dans lequel il avait affirmé que la liberté d’expression "reculait" sur le continent européen.

© afp.com/Brendan SMIALOWSKI

Donald Trump à une soirée de gala à Washington, le 7 décembre 2025.
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Soudan : la ruée vers l’or, ce funeste business qui alimente la guerre

Les premières averses de la saison des pluies inondent les rues de Port-Soudan. Près de l’eau boueuse, Mustafa* astique minutieusement la vitrine de sa boutique, puis les présentoirs de bracelets, bagues et autres parures. "La production d’or a progressé depuis le début de la guerre, car les gérants d’usines, de pharmacies, d’hôpitaux… Tout le monde a pris la direction des mines", observe le jeune homme, dont la famille possède également une entreprise d’extraction d’or dans le nord du pays. Dans son magasin, les clients se font pourtant rares. "Le prix de l’or a augmenté, alors que beaucoup de Soudanais ont perdu leurs revenus", déplore Mustafa. Le bijoutier accuse le conflit qui oppose les troupes régulières des Forces armées soudanaises (FAS) aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) depuis le 15 avril 2023. Les patrons respectifs des deux camps, Abdel Fattah al-Burhane et Mohamed Hamdan Dagalo, alias "Hemeti", avaient pourtant manœuvré de concert pour renverser, en octobre 2021, le gouvernement d’Abdallah Hamdok, formé après la chute du dictateur Omar el Béchir deux ans plus tôt.

Leur appétit pour le pouvoir, et surtout pour les richesses dont regorge le pays des deux Nils, a fini par plonger la nation tout entière dans une guerre d’une ampleur inédite. Plus de 12 millions d’habitants ont été jetés sur les routes. L'ONU évoque la pire crise humanitaire du monde. Au milieu de ce chaos, la production d’or attire les étudiants qui sont privés d’université, les ouvriers que la guerre a mis au chômage technique et les hommes d’affaires en quête de nouveaux business. La Société soudanaise des ressources minérales (SMRC), entreprise publique supervisant le secteur aurifère, estime que 64 tonnes d’or ont été extraites des mines soudanaises en 2024, dégageant 1,57 milliard de dollars de recettes. Soit une hausse de 53 % comparée à 2022, l’année précédant le déclenchement des hostilités !

L’or, à la fois source et cause du conflit

Derrière cette ruée vers l’or, un sinistre business alimente les combats, avec la complicité de puissances étrangères alliées des deux camps, Emirats arabes unis en tête. Ces parrains peu scrupuleux profitent à plein des failles du secteur minier, accaparé depuis longtemps par des groupes militaires concurrents. "L’or est non seulement devenu une source de financement pour les appareils militaires, mais aussi l’une des causes sous-jacentes du conflit soudanais", observe le chercheur Mohamed Salah Abdelrahman dans un récent article.

Avant les hostilités, déjà, jusqu’à 80 % de l’or soudanais était exporté illégalement, selon un rapport du cercle de réflexion Chatham House, publié en mars dernier. Depuis le printemps 2023, la contrebande atteint des sommets, facilitée par la partition du pays. L’est et le nord du pays sont aux mains de l’armée, l’ouest contrôlé par les paramilitaires des FSR. "Les données officielles de la Société soudanaise des ressources minérales ne concernent que les zones contrôlées par l’armée régulière des FAS", précise Ahmed Soliman, coauteur de cette enquête exhaustive. Ces miliciens contrôlent fermement les sites de production, mais aussi les lieux où l’or est traité et exporté. Les revenus sont directement empochés par la famille du chef des FSR – le fameux "Hemeti", soupçonné de nombreux crimes de guerre -, via notamment leur société, Al-Junaid. Cette dernière a été mise sous sanction par le Trésor américain deux mois après le début de la guerre pour s’être rendue "responsable, complice ou avoir participé directement ou indirectement à des actions ou politiques qui menacent la paix, la sécurité ou la stabilité du Soudan."

Soudan : la ruée vers l’or, ce funeste business qui alimente la guerre
Soudan : la ruée vers l’or, ce funeste business qui alimente la guerre

Le principal point de chute de cet or se trouve à quelque 3 000 kilomètres de là, aux Emirats arabes unis. Sur ce business juteux, les autorités émiraties ne disent pas tout… Il semblerait en effet qu’elles utilisent le Tchad comme intermédiaire pour importer de l’or soudanais. Les données transmises par Abou Dhabi au service statistique des Nations unies UN Comtrade - auxquelles L’Express a eu accès malgré leur retrait de la plateforme - indiquent que le Tchad a exporté 18,6 tonnes d’or aux Émirats en 2024. "Le Tchad ne produit pourtant pas plus de 8 à 9 tonnes par an", souligne Marc Ummel, responsable des matières premières au sein de l’ONG Swissaid. En échange de cette manne, la pétromonarchie apporte un soutien crucial aux FSR. "Les Emirats arabes unis ont facilité l’acheminement d’armes aux FSR via l’aéroport international du maréchal Idriss Déby à Amdjarass, au Tchad, entre juin 2023 et mai 2024, date à laquelle la période de recherche a pris fin", rapportait le 14 octobre 2024 le Sudan Observatory Conflict. Le groupe des experts de l'ONU travaillant sur le Soudan a également documenté ces livraisons d’armes aux paramilitaires soudanais depuis les Emirats… via le Tchad.

Crise diplomatique

Bien que systématiquement nié par Abou Dhabi, cet appui militaire à "Hemeti", chef des FSR, a provoqué une crise diplomatique avec Port-Soudan, siège de l’armée régulière. Début mai, le Soudan a fermé son ambassade aux Emirats. En réponse, la monarchie dirigée d’une main de fer par le président des Emirats arabes unis, Mohammed ben Zayed Al Nahyane, surnommé "MBZ", a suspendu le 6 août les liaisons aériennes avec Port-Soudan. En coulisses, le gouvernement officiel soudanais commerce, lui aussi, avec les Emirats. "C’est l’une des principales contradictions de ce conflit, résume Sara de Simone, chercheuse à l’université de Trente. Les affaires restent les affaires et les autorités officielles soudanaises continuent aussi de vendre leur or, peu importe qui l’achète." Et même si elles essaient de diversifier leurs débouchés en renforçant leurs exportations vers l’Egypte ou la Russie, le métal précieux rejoint le plus souvent, via Le Caire, les Emirats qui, en jouant sans scrupule sur les deux tableaux, sont les grands gagnants de cette guerre…

Mais ils ne sont pas les seuls à profiter de ce commerce opaque. De puissants hommes d’affaires et des responsables politiques de haut rang sont aussi impliqués, tel Mirghani Idris, le directeur du conglomérat Defense Industries System appartenant à l’armée régulière, sanctionné par les Etats-Unis le 24 octobre 2024. Ou le ministre des Finances, Gibril Ibrahim, lui aussi sous sanctions depuis le 12 septembre 2025. "Les individus impliqués dans le trafic d’or ne veulent pas nécessairement que la guerre se poursuive mais ce qu’ils refusent, c’est une nouvelle transition démocratique", tranche Sara de Simone. Et pour cause, la révolution pacifique qui, en 2019, avait renversé le dictateur Omar el-Béchir, avait placé la réforme minière au cœur du programme de réformes institutionnelles et économiques du gouvernement de transition.

Négociations au point mort

Ironie du sort, les Emirats arabes unis - et l’Egypte, qui bénéficie aussi des revenus illicites de l’or soudanais - sont tous deux membres du Quad, le groupe de pays médiateurs cherchant à mettre fin à la guerre, aux côtés des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite. Récemment, le Quad a repris la main sur le processus censé rétablir la paix en tentant de relancer les négociations entre les deux belligérants, au point mort depuis la suspension de processus de Djeddah en décembre 2023. Peine perdue : le chef de l’armée soudanaise a dénoncé une médiation "partiale", tant que les Emirats seront autour de la table. Aucune grande puissance ne semble toutefois vouloir les écarter du jeu. Ni les Etats-Unis, dont Abou Dhabi est un partenaire économique de premier plan, ni la France, l’un des principaux fournisseurs d’armes de ce pays du Moyen-Orient.

Pendant que les deux camps s’entretuent, les petites mains de l’or continuent de turbiner dans des conditions épouvantables. Interrogé dans le lobby d’un hôtel au luxe terni de Port-Soudan, un travailleur contractuel de Managem - entreprise minière marocaine active à une centaine de kilomètres d’Abu Hamad, dans l’Etat du Nord - estime que le nombre d’orpailleurs dans les mines artisanales, majoritaires au Soudan, a été multiplié par six depuis 2023. "Nous voyons travailler des gamins de 13 ans. Parfois, des familles entières arrivent", raconte-t-il, sous couvert d’anonymat. Ce témoin décrit un univers "sans loi", où les forcenés triment nuit et jour dans les fosses. "Ils se relaient pour continuer les travaux et dorment à même le sol. Des pick-up amènent de temps à autre de l’eau, des dattes, du riz et des lentilles. C’est avec ça qu’ils vivent", détaille-t-il.

Un autre homme a accepté de nous en parler : Ahmed Elsadig, qui lance actuellement son entreprise d’extraction dans cette région. Avant la guerre, Ahmed avait déjà essayé d’investir dans le secteur aurifère. Il a finalement préféré se réfugier en Egypte par mesure de sécurité, avant de revenir au Soudan, début novembre. "Beaucoup de personnes déplacées par la guerre se sont tournées vers les mines, explique-t-il au téléphone. Cela a entraîné une augmentation de travailleurs trop importante par rapport au nombre de sites miniers, assure le trentenaire. Cet afflux a déclenché une hausse du taux de criminalité et des vols, tout en poussant les travailleurs à prendre davantage de risques." Les accidents se multiplient inévitablement. Le 29 juin, la SMRC a déploré le décès de onze mineurs dans l’Etat de la mer Rouge, au nord-est du pays. Le 6 septembre, les autorités locales révélaient la disparition de six orpailleurs dans l’Etat du Nil, toujours dans le désert septentrional.

Ravages du mercure

Et que dire des ravages environnementaux et sanitaires du cyanure et du mercure utilisés pour extraire les pépites… "Ces produits chimiques se retrouvent dans le sang et l’urine des riverains. Ils provoquent des augmentations des cas de cancer, d’insuffisance rénale, de maladie d’Alzheimer, de malformations ainsi que de fausses couches à répétition", énumère Dalal Osman, chercheuse en sciences de l’environnement, qui a transmis de nombreuses alertes aux autorités, restées sans réponse. Depuis Atbara, parfois considérée comme la nouvelle capitale économique du pays, une journaliste lanceuse d’alerte sur les dégâts causés par l’orpaillage sauvage, conclut : "La guerre autour de l’exploitation minière est plus dangereuse que celle qui se joue par les armes. Car même quand les armes se tairont, l’exploitation minière, elle, ne s’arrêtera pas."

* Le prénom a été modifié par mesure de sécurité

© AFP

Des responsables soudanais, dont le gouverneur par intérim de l'Etat de la mer Rouge, Fathallah al-Hajj Ahmad (à droite), et des représentants de la Banque du Soudan et d'autres institutions, inaugurent une cargaison d'or destinée à l'exportation, à la succursale de la banque à Port-Soudan, le 23 juillet 2023.
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Fin du vaccin contre l'hépatite B aux Etats-Unis ? Ce que préconisent les autres pays

"Le calendrier vaccinal américain est devenu excessif", a lancé Donald Trump vendredi 5 décembre dans un message sur Truth Social. Selon lui, les nourrissons en parfaite santé se voient imposer 72 doses, un nombre bien plus élevé que dans n’importe quel autre pays. "C’est ridicule !" a-t-il ajouté, soulignant que parents et scientifiques avaient depuis longtemps soulevé des doutes sur l’efficacité de ce calendrier. Le républicain n’a pas précisé comment il comptait ces injections, mais il semble avoir inclus chaque dose des vaccins combinés ainsi que les vaccins saisonniers effectués tout au long de l’enfance. Aux Etats-Unis, la vaccination couvre 17 maladies, nettement plus que dans la plupart des autres pays développés.

Pour y remédier, le président a annoncé la création d’un nouveau calendrier vaccinal après qu'une partie des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), dirigé par Robert F. Kennedy Jr., ait souligné les divergences entre les calendriers de différents pays. Cette décision suit la levée de la recommandation du CDC concernant le vaccin contre l’hépatite B à la naissance : vendredi, ces experts ont décidé de cesser de recommander le vaccin contre l'hépatite B aux nouveau-nés. Une réunion du comité avait notamment mis en lumière le calendrier danois, où l’hépatite B n’est administrée qu’aux nourrissons à risque.

Le Danemark pris comme exemple

Ce n'est pas la première fois que le Danemark est cité par Washington comme un exemple sur le sujet des vaccinations. La Maison-Blanche y avait déjà fait référence dans une note d'information rédigée, sous la directive du chantre du MAGA, qui visait à comparer les approches adoptées dans des "pays développés comparables". Au Danemark, les femmes enceintes sont systématiquement testées pour l’hépatite B. Seuls les bébés exposés reçoivent le vaccin et une injection d’immunoglobuline pour protéger immédiatement leur système immunitaire. Des rappels sont programmés à 1, 2 et 12 mois. Au total, le calendrier danois couvre 10 maladies. Les vaccins contre la varicelle, la grippe ou le VRS ne sont pas systématiques. Résultat : seulement 108 cas d’hépatite B en 2023.

Mais comme l'explique Flor Muñoz, spécialiste en maladies infectieuses, au Washington Post, "il est inutile de calquer le modèle danois sur les Etats-Unis". Et pour cause, contrairement au Danemark, outre-Atlantique, environ une femme enceinte sur cinq n'est pas testée pour le virus selon un rapport du Vaccine Integrity Project.

La vaccination souvent visée par l'administration Trump

En Australie, le calendrier couvre 16 maladies pour les enfants et les adolescents. Le vaccin contre le VRS n’est administré qu’une seule fois aux futures mères, entre la 28e et la 36e semaine de grossesse, tandis que les nourrissons reçoivent le vaccin contre l’hépatite B dans les sept jours suivant leur naissance.

Le Royaume-Uni adopte une approche similaire : 15 maladies couvertes, avec un calendrier progressif. Les bébés reçoivent le vaccin combiné 6-en-1 à 2 mois, puis des rappels à 3 et 4 mois. Celui contre l’hépatite B n’est donné à la naissance qu’aux nourrissons dont la mère est infectée. Sinon, la vaccination est réservée aux enfants exposés à un risque élevé. Le vaccin contre le VRS n’est proposé aux femmes enceintes qu’après 28 semaines, et la vaccination contre l’hépatite A est ciblée en fonction du foyer.

Au Canada, les nourrissons reçoivent le vaccin combiné 6-en-1 ou le vaccin monovalent contre l’hépatite B à 2, 4 et 6 mois, avec des rappels entre 12 et 23 mois. Les enfants à risque ou prématurés peuvent recevoir des doses supplémentaires, jusqu’à quatre injections pour certains cas. Selon les populations, le calendrier couvre 16 ou 17 maladies.

Ce n'est pas la première fois que l'administration Trump s'attaque ouvertement à la vaccination. Robert F. Kennedy Jr. se plaît régulièrement à dénoncer un "calendrier vaccinal explosif", qu’il lie à l’augmentation de maladies chroniques, d’autisme et d’allergies alimentaires. Une position qui va à l’encontre du consensus scientifique. Le comité du CDC a déjà révisé ses recommandations sur le vaccin contre le Covid et la combinaison RORV (rougeole, oreillon, rubéole, varicelle, NDLR), décalant son administration à 4 ans.

© afp.com/Jim WATSON

Le président américain Donald Trump entouré du ministre américain de la Santé Robert F. Kennedy Jr. (droite) et de Jayanta Bhattacharya (gauche), directeur de l'organisme chargé de la recherche médicale (NIH) à la Maison Blanche, le 12 mai 2025.
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Dans les tunnels de Gaza, une guerre souterraine ralentit le processus de paix

A l’est de Rafah, les soldats israéliens progressent mètre après mètre dans un labyrinthe souterrain. L’armée poursuit un travail méthodique : repérer, ouvrir et détruire les tunnels où les hommes du Hamas sont retranchés depuis le début du cessez-le-feu. Des foreuses géantes creusent le sol, les tunnels sont minés, parfois inondés par les troupes israéliennes pour pousser les combattants à sortir. Selon Israël, ses soldats se rapprochent peu à peu des derniers groupes, et plus de quarante d’entre eux auraient été tués ces derniers jours.

Ces opérations se déroulent alors qu’une trêve tient péniblement à la surface, perturbée par des échanges de tirs presque quotidiens. Le cessez-le-feu négocié par Washington en octobre avait laissé ces combattants du Hamas du mauvais côté de la ligne de séparation, enfermés dans un réseau souterrain où les affrontements continuent sans interruption.

Alors que sous terre la situation n’évolue pas, Benyamin Netanyahou a affirmé dimanche 7 décembre vouloir passer "très bientôt" à la deuxième phase de l’accord et prépare une nouvelle rencontre avec Donald Trump en décembre.

Entre 60 et 80 soldats bloqués, selon le Hamas

Dans les tunnels, la situation humanitaire est de plus en plus critique. L’eau et la nourriture s’amenuisent selon des responsables des services de renseignement arabes et de l’armée israélienne, cités par le Wall Street Journal. Au début de la trêve, Israël estimait qu’entre 100 et 200 combattants du Hamas étaient encore retranchés sous Rafah. Le Hamas affirme aujourd’hui qu’il en resterait entre 60 et 80.

Ces hommes sont désormais face à un dilemme : rester dans les tunnels, où ils sont susceptibles d’être tués par l’armée israélienne, ou tenter de fuir en direction du territoire contrôlé par le Hamas, au risque d’être repérés avant d’y parvenir. Ces dernières semaines, plus de 40 d’entre eux ont été tués par les troupes israéliennes. Quelques-uns ont été arrêtés vivants.

Mais les opérations sont dangereuses pour les soldats israéliens eux-mêmes : des combattants peuvent surgir par surprise des tunnels. Ce mercredi 3 décembre, quatre militaires israéliens ont été blessés lorsque plusieurs hommes du Hamas sont soudainement sortis d’un passage et ont tiré sur un véhicule blindé.

Depuis le mois de mai, Israël a donc décidé de resserrer l’étau. L’objectif : détruire complètement le réseau souterrain utilisé par le Hamas depuis le début de la guerre. Des responsables militaires expliquent au Wall Street Journal que la stratégie consiste à isoler les tunnels les uns des autres. Cela empêche ainsi les combattants de se déplacer et réduit leur capacité à s’organiser.

Se rendre ou être tué

Le sort des combattants coincés sous Rafah est désormais au centre des discussions diplomatiques sur la suite du cessez-le-feu. Le Hamas tente d’obtenir un accord qui permettrait à ses hommes de rejoindre son territoire sans être tués. Une demande à laquelle a répondu Israël en promettant que si les soldats se rendaient, ceux-ci ne seraient pas abattus. Mais le Hamas s’oppose fermement à cette idée. Un haut responsable du mouvement, Hossam Badran, a déclaré dans un communiqué que les hommes ne poseront jamais leurs armes et ne se rendront pas "à l’occupation".

L’accord de trêve lui-même exigeait du Hamas qu’il se désarme et renonce à tout rôle dans la gouvernance de Gaza. Des lignes rouges que le mouvement refuse d’accepter. Mercredi 3 décembre, Donald Trump a annoncé qu’une nouvelle phase du processus de paix se profilait, incluant la création d’institutions civiles et sécuritaires pour remplacer le Hamas et préparer la reconstruction. Washington espérait que la gestion du sort des combattants piégés à Rafah offrirait un modèle de désarmement progressif. Mais l’inverse se produit : l’impasse actuelle refroidit les capitales arabes et occidentales, peu disposées à financer la reconstruction ou déployer des forces alors que les combats persistent et que le Hamas refuse toute concession.

Les discussions avaient pourtant commencé dès les premiers jours du cessez-le-feu. Les Etats-Unis avaient même suggéré de laisser sortir les combattants par l’intermédiaire de la Croix-Rouge. Israël s’était montré ouvert à cette proposition, mais exigeait qu’ils abandonnent leurs armes et conditionnait cette évacuation à la restitution d’autres dépouilles d’otages. Une position immédiatement critiquée par des élus israéliens, poussant Benyamin Netanyahou à durcir on ne peut plus son discours : désormais, martèle-t-il, ces hommes devront se rendre ou être tués.

© afp.com/Bashar TALEB

Des combattants armés et cagoulés du Hamas transportent un corps retrouvé dans un tunnel au nord de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 28 octobre 2025.
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Financement de l’Ukraine : l’Europe doit rapidement sortir de sa frilosité

La diplomatie européenne ne sait plus où donner de la tête. Trois jours après la publication par Washington de sa "stratégie de sécurité nationale", dans laquelle la Maison-Blanche prononce son divorce avec l'Europe, les dirigeants français, britannique, allemand et ukrainien ont tenté, ce lundi 8 décembre à Londres, de coordonner leur position dans les négociations de paix en cours. En marge de ces tractations, ils ont pu évoquer un autre dossier clé qui ne leur donne pas moins de maux de tête : celui des avoirs russes gelés.

Retour en arrière. Le 3 décembre, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a dévoilé son grand plan visant à assurer le financement de l’Ukraine pendant les deux prochaines années. Problème, parmi les deux options retenues, celle d’un "prêt de réparation" de quelque 137 milliards d’euros à Kiev, garanti par les avoirs russes gelés, se heurte à l’opposition farouche de la Belgique, où dort la majeure partie de ces fonds (la société belge Euroclear détient 210 milliards d’euros, dont 185 mobilisables). Sa crainte ? Devoir faire face seule à des représailles russes et un éventuel remboursement.

Dans une ultime tentative de sauver ce plan, le chancelier allemand Friedrich Merz s'est rendu en urgence en Belgique dans la soirée du vendredi 5 décembre pour un dîner avec son Premier ministre Bart De Wever. L'objectif : tenter de le convaincre de ne plus freiner des quatre fers.

Risque de débâcle

Depuis, l’affaire tourne à l’épreuve de force. Qui en sortira vainqueur ? Réponse lors du prochain Conseil européen, les 18 et 19 décembre prochains. Faute de parvenir à s’entendre, ce qui devait être une démonstration de force des Européens pourrait se transformer en terrible débâcle.

Le risque est bien réel. Lors du dernier sommet à Bruxelles en octobre dernier, les Vingt-Sept avaient déjà échoué à parvenir à un accord sur fond des mêmes réticences belges. Toute l’ingénierie juridique et financière déployée par la Commission, comme les garanties proposées à la Belgique depuis lors n’y ont rien changé. La proposition "ne répond pas à nos inquiétudes", a martelé mercredi son chef de la diplomatie Maxime Prévot.

Pendant ce temps, l’Ukraine - qui réclame à cor et à cri une utilisation des avoirs russes gelés depuis 2022 - continue de brûler. Et les options de secours sont minces. La seconde proposition, moins ambitieuse, proposée par la Commission consiste en un emprunt commun au profit de Kiev. Mais il sera difficile d'avoir l'unanimité dans un contexte de rigueur budgétaire, certains Etats membres comme la Hongrie de Viktor Orban s'opposant même frontalement à toute aide supplémentaire à l'Ukraine.

"Moment crucial et décisif pour l’Europe"

Pourtant, il y a urgence. Les dépenses de l'Etat ukrainien ne sont couvertes que jusqu'en mars 2026. Ensuite "si l’Europe échoue à fournir ce soutien financier, ce sera un immense signal de faiblesse envoyé à la Russie, ajoute Nigel Gould-Davies, ancien ambassadeur britannique en Biélorussie aujourd’hui chercheur à l’International Institute for Strategic Studies. In fine, elle pourrait n’en devenir que plus agressive." A l’inverse, doter l’Ukraine d’un financement stable et pérenne enverrait un solide message de détermination au Kremlin, tout en éloignant le spectre d’une victoire rapide pour les Russes.

L'occasion aussi pour les Européens de reprendre la main dans ces pourparlers dont ils ont été largement exclus jusqu’à présent. Le sujet est d’autant plus prioritaire que l’administration américaine lorgne elle aussi sur les actifs russes. Dans son plan en 28 points négocié avec Moscou, Washington envisage de capter 100 milliards de dollars d’avoirs gelés pour participer à la reconstruction de l’Ukraine.

A trop tergiverser, les Vingt-Sept prennent le risque que le match continue de se jouer sans eux. "C’est un moment crucial et décisif pour l’Europe, résume l’ancien ambassadeur Nigel Gould-Davies. Une défaite de l'Ukraine serait infiniment plus coûteuse pour les Européens que les efforts qui leur sont actuellement demandés." Pour les Européens, il est impératif de changer de logiciel.

© afp.com/Adrian DENNIS

Le chancelier allemand Friedrich Merz, le Premier ministre britannique Keir Starmer, le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le président français Emmanuel Macron lors d'une rencontre au 10 Downing Street, le 8 décembre 2025 à Londres.
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Bydgoszcz, la capitale polonaise de l’Otan qui se prépare à faire face à la Russie

"Bydgoszcz". Pour beaucoup, ce nom de ville à seulement deux voyelles peut sembler bien exotique. Voire faire sourire. Mais les initiés aux enjeux de sécurité euroatlantique le savent : cette métropole située au centre de la Pologne est l’un des cœurs discrets mais stratégiques de la transformation de l’Otan.

A première vue, rien ne le laisse deviner. Emmitouflées dans des manteaux épais et coiffées de bonnets, les familles flânent paisiblement le long des artères rectilignes du centre-ville, héritage de l’occupation prussienne des siècles passés. Ici et là, des bâtisses en brique rouge et des clochers aux contours dorés donnent du relief à la trame urbaine, entre les immeubles néorenaissance et art nouveau, en passant par les constructions brutalistes des quartiers périphériques.

"Nous sommes une ville industrielle, longtemps perçue comme grise et quelconque. Aujourd’hui, nous sommes devenus un lieu où il fait bon vivre", se targue Rafal Bruski, le maire, observant du coin de l'œil, par la fenêtre, l’installation du marché de Noël sur le parvis de l’hôtel de ville. Chargé d’administrer plus de 300 000 habitants, l’édile est en poste depuis quinze ans. Et il admet d’emblée : au-delà des fonds européens, la ville doit son développement à son rôle névralgique pour l’Alliance Atlantique. "La présence de forces otaniennes sur place façonne Bydgoszcz depuis plus de 20 ans, relate le maire. Cela explique les investissements accrus dans les routes, les hôpitaux et l’infrastructure aéroportuaire".

"Faire face à n’importe quel type de conflit"

A moins de deux kilomètres de l’hôtel de ville, sur le côté d’une large route de bitume empruntée par des centaines d’automobilistes chaque jour, la ville héberge depuis 2004 le seul centre d’entraînement de l’Otan en Europe centrale et orientale : le Joint Forces Training Center (JFTC). D’extérieur, le site paraît banal. Des immeubles d’habitation à proximité immédiate, un arrêt de bus qui dessert les riverains, et un hypermarché de l’autre côté de la chaussée. Mais les grillages surmontés de barbelés, les caméras de surveillance, et le garde en uniforme ne laissent aucun doute : c’est bien ici que se trouve l’un des points cardinaux de la préparation opérationnelle de l’Otan.

Une fois passés les contrôles de sécurité, le complexe, composé de plusieurs bâtiments bas aux couleurs pâles, est égayé par les drapeaux des 32 pays membres de l’Otan qui surplombent la cour centrale. Les soldats en treillis déambulent, badge national flanqué sur leurs épaules. Aucun appareil électronique n’est évidemment autorisé lorsque l’on pénètre dans le bureau du général Rycerski, qui dirige le centre. "Sur le plan tactique, nous sommes prêts à faire face à n’importe quel type de conflit, assure le gradé. Installé dans son fauteuil en cuir, il explique que sa structure forme le commandement des membres de l’Alliance à la guerre de demain : "Nous sommes une plateforme d’expérimentation pour nos nouveaux concepts et nos technologies disruptives".

La Russie au cœur des wargames

Avec environ 170 soldats issus d’une vingtaine de pays en période creuse, l’enceinte accueille jusqu’à 3 000 militaires lors de ses entraînements les plus importants. Appelés "CWIX", ils réunissent pendant plusieurs semaines des participants venus d’une quarantaine de nations différentes, rivés aux écrans d’ordinateur dans les salles à disposition et même au-delà : d’immenses tentes pouvant contenir 500 personnes chacune sont installées temporairement pour pouvoir accueillir tout le contingent pendant la période. "L’objectif est de tester nos standards en matière d’interopérabilité digitale" énonce le général. Autrement dit, il s’agit de vérifier le niveau d’intégration entre les différents systèmes utilisés par les membres de l’Otan.

Autre levier important dans la formation des chaînes de commandement de l’Alliance : la conduite de "wargames", durant lesquels deux équipes s’affrontent virtuellement. Sans surprise, la Russie est la menace inspirant la grande majorité des scénarios en place. "Les données venant du front ukrainien, de notre déploiement terrestre le long du flanc oriental, des missions de police de l’air et liées aux menaces hybrides sont utilisées", liste le général Rycerski. "Nous vérifions la capacité des soldats à prendre les bonnes décisions suivant différentes dynamiques de conflit, en introduisant des contraintes temporelles et des dilemmes complexes". Dans les prochains mois, l’intelligence artificielle est censée venir enrichir ces scénarios et augmenter les capacités de décision des soldats.

Quelques mètres plus bas, à un autre étage de l’édifice, le Battle Lab abrite une dizaine d’écrans géants et une trentaine d’ordinateurs. C’est entre ces quatre murs que les logiciels de simulation sont enrichis. "Nous ajoutons des difficultés logistiques de manière plus réaliste, notamment la nécessité de réapprovisionner les ressources après une attaque contre un convoi ou la gestion de véhicules immobilisés" révèle Tomasz Rogula, chef de la section Développement de concepts et Expérimentation. "A partir de l’année prochaine, les soldats exploiteront des vues de drones de manière bien plus systématique" ajoute-t-il avec gravité.

Les leçons du front ukrainien

Si le JFTC est l’épicentre de l’activité otanienne à Bydgoszcz, cette dernière est la pièce maîtresse d’un puzzle plus vaste : la ville comporte cinq autres unités de l’Alliance. L’une d’elles, le 3rd NATO Signal Battalion, contribue à ce que les communications des forces soient sûres et fiables. "Si les systèmes de communication et d’information ne fonctionnent pas, vous n’êtes plus en mesure de contrôler vos forces" rappelle le lieutenant-colonel Pavel Matuszek, en charge du commandement de cette unité de 500 personnes. Ses hommes sont notamment mobilisés pour sécuriser les communications entre l’Otan et l’Ukraine, dont certaines sont menées depuis la base de Wiesbaden, en Allemagne, et le centre logistique de Rzeszow, en Pologne. "Nous contribuons aussi, 24h/24 et 7 j/7, à la lutte contre les cyberattaques pouvant perturber les systèmes" complète-t-il."Alors que les enseignements tirés du théâtre ukrainien infusent déjà les états-majors de l’Alliance, l’enjeu est désormais qu’ils soient adaptés plus rapidement.

En février dernier, un tournant a été franchi :" la première structure de coopération civile et militaire liant l’Otan à l’Ukraine a été inaugurée ici, venant densifier l’écosystème stratégique de Bydgoszcz. L’une des missions principales de ce nouveau centre, le Joint Analysis, Training and Education Centre (Jatec), est de transmettre les leçons du front ukrainien au commandement de l’Otan pour transformer durablement l’organisation. "La guerre qui se déroule à nos portes […] nous oblige à apprendre chaque jour, à nous adapter sans relâche", déclarait lors du lancement de JATEC l’amiral Pierre Vandier, chargé, en tant que Commandant Suprême Allié pour la Transformation de l’Otan, d’anticiper la préparation de l’Alliance à horizon vingt ans.

Neuf mois se sont écoulés depuis l’ouverture de Jatec. Et l’urgence d’agir vite, collectivement, se fait ressentir. "Sommes-nous prêts à nous battre si la guerre éclate demain ?", interroge Piotr Wojtas, le porte-parole du centre, tout en montant les marches de l’édifice au trot. "Il ne s’agit plus de tenir une ligne de front autour de tranchées, mais d’épargner de véritable 'zone de destruction' large de plusieurs kilomètres, dans lesquelles les drones s’infiltrent." pointe-t-il. "Pour y faire face, l’Ukraine raisonne bottom-up : dès qu’une solution prouve son efficacité sur le terrain, elle est déployée à grande échelle en six semaines", poursuit-il avec admiration. Jatec entend s’inspirer de cette approche via le NATO Innovation Challenge, dont le principe est simple : un besoin identifié sur le front ukrainien est présenté aux start-up issues des pays de l’Alliance, qui sont invitées à y répondre, et les projets les plus prometteurs sont ensuite présentés aux militaires, qu’il s’agisse de technologies antidrones ou de solutions d’évacuation médicale.

La menace des drones

"Mes équipes et moi avons ardemment milité pour obtenir l’ouverture de Jatec en Pologne", confie Tomasz Szatkowski, ambassadeur polonais auprès de l’Otan de 2019 à 2024. Un succès politique qu’il est nécessaire d’exploiter davantage, estime cet ancien diplomate, aujourd’hui affilié au Centre for Security, Diplomacy and Strategy, un think tank bruxellois. Le contexte est propice : l’incursion récente de drones russes dans l’espace aérien allié, dont celui de la Pologne, suscite de vifs débats dans la région, tant l’utilisation de chasseurs ultramodernes, tels que les F-35, pour neutraliser une vingtaine d’engins sans pilote peu onéreux, semble intenable. "Les recommandations de Jatec doivent désormais se traduire par un impact structurel au sein de l’Otan, et a fortiori du ministère de la Défense polonais", exhorte l’expert.

Une chose est sûre : la présence militaire de l’Otan ne passe pas inaperçue à Bydgoszcz. "Les hôtels sont pleins à craquer avec un an d’avance au mois de juin, pendant les jours de formation les plus importants", sourit une employée du kiosque de la gare. Tout au long de l’année, par ailleurs, quelques centaines de soldats sont installés à Bydgoszcz pour des contrats trisannuels, souvent accompagnés de leur famille. Leurs enfants bénéficient d’une place à l’Ecole Internationale de Bydgoszcz, un établissement anglophone allant du primaire au Baccalauréat international. Dans ses couloirs aux couleurs vives, 370 élèves se croisent chaque jour. "Plus d’un tiers sont des enfants du personnel de l’Otan", précise la directrice, Imislawa Bugeja, en guidant la visite.

L’heure des cours est passée, mais l’établissement bruisse encore d’activité : les plus grands s’affairent dans la salle de biologie en blouses blanches, d’autres suivent un cours de français, certains s’entraînent au judo dans un gymnase flambant neuf, tandis que les plus jeunes se regroupent devant un dessin animé. Les élèves travaillent selon des méthodes adaptées à leur profil - visuel, écrit, auditif - et la relation avec les enseignants est personnalisée. "Les exercices d’évacuation incendie peuvent être éprouvants pour certains élèves, notamment les enfants ukrainiens qui ont connu la guerre", dit-elle. Par mesure de sécurité, le site est surveillé en permanence, tandis que le personnel enseignant est constamment formé aux procédures de confinement en cas d’attaque.

"Bydgoszcz est une cible de choix"

Car la lumière apporte toujours son lot d’ombres. En juin, l’Agence de sécurité intérieure a arrêté dans la ville un espion de nationalité polonaise qui travaillait pour le compte de la Russie. Loin d’être une première. "Au vu des informations qui circulent ici, Bydgoszcz est une cible de choix pour les services de renseignement étrangers", confirme Kamila Sierzputowska, professeure en sécurité internationale à l’Université Kazimierz Wielki. Le maire, lui, préfère positiver : "Plus notre ville est jugée stratégique, plus le niveau de sûreté est élevé", veut croire Rafal Bruski.

Pour ce dernier, il est hors de question de se laisser déstabiliser par le spectre de Moscou. Tandis que la guerre fait toujours rage aux portes de la Pologne, la confiance des Polonais dans l’Alliance a progressé par rapport à l’an dernier, atteignant 75,7 %. Ce sentiment est particulièrement palpable ici. "Notre pique-nique annuel présentant le matériel militaire et les différents régiments a rassemblé 15 000 visiteurs sur une seule journée, se réjouit le maire, Rafal Bruski. Et ce n’est pas près de s’arrêter !"

Et pour cause : le site du JFTC doit accueillir dans les prochaines années un nouvel édifice capable d’accueillir 30O soldats supplémentaires, tandis que Jatec, l’institution Otan-Ukraine, devrait elle aussi voir ses effectifs consolidés d’ici l’été 2026. Bref, Bydgoszcz, la "capitale polonaise de l’Otan" semble promise à faire parler d’elle bien au-delà des frontières nationales. Il n’est pas trop tard pour apprendre à épeler son nom.

© NurPhoto via AFP

Dans la ville polonaise de Bydgoszcz, des soldats de l'Otan célèbrent le 20e anniversaire de l'entrée du pays au sein de l'Alliance atlantique, en 2019.
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Un an après le rapport Draghi, l’attractivité de l’Europe toujours en berne

Un certain désenchantement. Un an après le rapport Draghi qui préconisait la mise en place urgente d’un ensemble de mesures à même de redonner de la compétitivité à l’Europe, les patrons européens estiment que le compte n’y est pas, selon le sondage bi-annuel de la Table ronde des industriels européens, un lobby regroupant une soixantaine de PDG de grandes entreprises européennes, fondé en 1983. Le climat est morose, mais légèrement moins qu’il y a quelques mois : l’indice de confiance des PDG envers l’Europe est remonté à 44 %, après être descendu à 27 % au printemps. Il demeure toutefois sous la barre des 50 % pour la troisième fois de suite, ce qui n’était jamais arrivé depuis la mise en place du sondage, en 2017.

L’un des principaux enseignements du sondage tient surtout au décrochage du Vieux Continent, qui perd du terrain sur le plan de l’attractivité au profit des Etats-Unis. Le chiffre est édifiant : seuls 8 % des PDG interrogés ont prévu d’augmenter leurs investissements en Europe par rapport à ce qu’ils projetaient six mois en arrière. 24 % pensent au contraire les baisser, et 45 % les augmenter aux Etats-Unis.

Simplifier les normes, une priorité largement partagée

Voilà un an de cela, le rapport Draghi avait suscité une adhésion massive des PDG européens, qui assuraient pour 80 % d’entre eux que si ses recommandations devenaient réalité, ils investiraient davantage en Europe qu’ailleurs. Aujourd’hui, 76 % d’entre eux jugent que celles-ci sont restées lettres mortes, notamment dans les domaines clés que sont la simplification réglementaire, la réforme des politiques de concurrence et le coût de l’énergie. La simplification des normes recueille la quasi-totalité de leurs suffrages (90 % y sont favorables), tandis qu’une majorité juge essentiel de protéger les industries stratégiques et de revoir la législation afin d’accélérer l’adoption de l’IA et des technologies de pointe.

"Les résultats de cette dernière enquête mettent en évidence les problèmes souvent reprochés à Bruxelles : un manque de rapidité et d’attention à l’intérêt collectif européen", estime Anthony Gooch Gálvez, le secrétaire général de la Table ronde des industriels européens. […] compte tenu de la situation géopolitique et économique actuelle, l’Europe n’a pas de temps à perdre pour restaurer sa compétitivité et sa prospérité. […]. Aucun pays de l’Union européenne ne peut à lui seul faire face au climat géopolitique et économique actuel. Et le modèle européen ne pourra être maintenu que si, en tant que communauté, nous renouons avec la croissance économique."

Les institutions de l’UE, à cet égard, sont jugées sévèrement par les sondés, et notamment la Commission, qui déçoit 60 % d’entre eux. Mais les instances étatiques sont bien loin de les consoler, 74 % d’entre eux les estimant également en deça de leurs attentes. A cet égard, la situation de la France, qui tente depuis des mois d’adopter un budget sur fond d’instabilité gouvernementale, ne doit guère les rassurer.

© AFP

L'ancien Premier ministre et économiste italien Mario Draghi (à gauche) alerte sur la perte de compétitivité européenne (ici avec la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen).
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Syrie : en exil, d’anciens proches de Bachar el-Assad complotent contre le nouveau gouvernement

Un an après la chute de Bachar el-Assad en Syrie, une enquête de Reuters dévoile que d’anciens proches de l’ancien dictateur, exilés en Russie depuis sa chute et désireux de retrouver une influence perdue, fomenteraient chacun de leur côté des soulèvements contre le nouveau gouvernement de Syrie. Ils auraient pour cela dépensé des millions de dollars, notamment pour financer des combattants.

Il s’agit de l’ancien chef des services secrets, Kamal Hassan, et du cousin de Bachar el-Assad, Rami Makhlouf. Selon Reuters, les deux hommes se disputent également "le contrôle d’un réseau de 14 salles de commandement souterraines remplies d’armes et de munitions, construites dans les derniers jours de la dictature". Deux officiers et un gouverneur régional syrien ont confirmé l’existence de ces salles à l’agence britannique, qui a par ailleurs recueilli le témoignage de 48 personnes sous couvert d’anonymat, examiné des documents financiers et opérationnels, ainsi que des messages vocaux et écrits.

Après sa chute, Bachar el-Assad s’est enfui en Russie en décembre 2024, où selon quatre personnes proches de la famille contactées par l’agence de presse, il se serait "largement résigné à l’exil à Moscou". "Mais d’autres personnalités de son entourage proche, dont son frère, n’ont pas accepté de perdre le pouvoir" au profit du nouveau gouvernement dirigé par Ahmed al-Charaa.

Kamal Hassan et Rami Makhlouf cherchent ainsi à former des milices sur la côte syrienne et au Liban, composées "de membres de la secte minoritaire alaouite, longtemps associée à la famille el-Assad". Ils sont aidés, affirme Reuters, par des adjoints depuis la Russie, le Liban et les Émirats arabes unis. Les Alaouites sont une minorité musulmane qui représente environ 10 % de la population syrienne. Plusieurs commandants anonymes ont déclaré à Reuters avoir accepté de l’argent des deux camps, arguant qu’il "n’y a rien de mal à accepter de l’argent de ces requins qui nous ont saignés à blanc pendant des années."

Des milices concurrentes

Rami Makhlouf, milliardaire, avait soutenu Bachar el-Assad pendant la guerre civile qui a éclaté en 2011 en finançant notamment des milices alliées, avant que le dirigeant, après sa victoire en 2019, ne l’assigne à résidence. Le milliardaire s’était alors enfui au Liban, avant de rejoindre Moscou en Russie. Il se présenterait aujourd’hui "comme une figure messianique" chargée "d’une mission divine pour aider les Alaouites." Selon des documents financiers et des sources contactées par Reuters, Rami Makhlouf a dépensé au moins 6 millions de dollars en salaires et équipement pour 54 053 combattants volontaires, dont 18 000 officiers, organisés en 80 bataillons.

L’ancien chef des services secrets syriens Kamal Hassan, lui, dirigeait le système de détention militaire de la dictature de Bachar el-Assad. Il s’est enfui en Russie en décembre 2024. D’après un témoignage, il a dépensé 1,5 million de dollars depuis mars pour financer 12 000 combattants en Syrie et au Liban. Cet été, il a également recruté des pirates informatiques pour mener des cyberattaques contre le nouveau gouvernement. Kamal Hassan souhaiterait en outre obtenir le soutien de Maher el-Assad, le frère de l’ancien dictateur, qui contrôlait "l’unité la plus puissante de l’armée syrienne, la 4e division blindée", et souhaiterait "toujours exercer une influence en Syrie", selon des sources à Reuters.

Le gouvernement syrien serait au courant

Face aux conspirateurs, le nouveau gouvernement syrien a de son côté demandé à Khaled al-Ahmad, un autre ancien fidèle contre lequel Bachar el-Assad s’était également retourné à la fin de la guerre civile, de convaincre les anciens soldats et civils alaouites de laisser tomber toute velléité de renverser le gouvernement, selon des messages consultés par Reuters. Khaled al-Ahmad est aussi un ami d’enfance du nouveau président Ahmed al-Charaa, dont le nouveau gouvernement, dominé par les sunnites, a pris le pouvoir l’an dernier après avoir remporté la guerre civile.

Contacté par Reuters, le gouverneur de la région côtière de Tartous, Ahmed al-Shami, a déclaré que les autorités syriennes étaient au courant de ces plans de conspiration et que des arrestations avaient déjà été menées. Concernant les salles de commandement remplies d’armes, il a reconnu leur existence mais déclaré qu’elles avaient "été considérablement affaiblies depuis la libération".

Si les personnes "proches des conspirateurs" ont déclaré à Reuters être conscientes que "des dizaines de milliers d’Alaouites syriens pourraient faire l’objet de violentes représailles" en cas de rébellion, l’un d’entre eux a déclaré que les combats étaient le seul moyen de restaurer la dignité des Alaouites. Après l’échec d’un soulèvement en mars dans une région côtière alaouite, près de 1 500 civils ont été tués en représailles par des forces affiliées au gouvernement.

© afp.com/Sameer Al-DOUMY

Des impacts de balles sur une peinture murale représentant le président syrien déchu Bachar el-Assad dans la ville d'Adra,près de Damas, le 25 décembre 2024
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Guerre en Ukraine : ces milliards d’euros d’avoirs russes gelés détenus en France

La Belgique n’a pas l’exclusivité des avoirs russes gelés en Europe. Si Euroclear, la société internationale de dépôt de fonds basée à Bruxelles, possède quelque 180 milliards d’euros, environ 18 milliards se trouvent dans les coffres de banques françaises, ce qui fait de la France la deuxième réserve de fonds russes gelés dans l’Union européenne. Mais leur localisation précise est un secret bien gardé, comme le rapporte le Financial Times ce lundi 8 décembre : Paris refuse depuis deux ans de révéler à ses partenaires européens le nom de ces établissements, qui seraient au nombre de quatre, selon des sources du FT, le principal étant BNP Paribas.

"Il s’agit d’informations sensibles pour le marché, c’est comme si des médecins discutaient publiquement de dossiers médicaux", a déclaré Olof Gill, porte-parole de la Commission, au quotidien britannique, qui n’a obtenu de commentaires ni des banques françaises, ni de l’Elysée, ni de Bercy ou du Trésor, preuve de la sensibilité du sujet. L’utilisation des intérêts dégagés par ces avoirs est également tenue secrète par Paris. Seule certitude, elle n’obéit pas aux mêmes règles que celle des intérêts des avoirs d’Euroclear, qui sont versés à l’Ukraine sous forme de prêt et représentaient 4,5 milliards d’euros en 2023.

Contactée par L'Express, BNP Paribas assure "ne détenir aucun actif en France appartenant à des entités publiques russes, y compris la Banque centrale de Russie".

Intenses tractations

Les avoirs russes gelés au lendemain de l’invasion de l’Ukraine font l’objet depuis plusieurs mois d’intenses tractations au sein de l’Union européenne, qui cherche une façon de compenser la fin de l’aide américaine à Kiev, entérinée par Donald Trump. Les besoins de financement de l’Ukraine vont atteindre quelque 135,7 milliards d’euros pour les deux prochaines années, dont 51,6 milliards de besoins militaires en 2026, selon les estimations du Fonds monétaire international. Un prêt dit "de réparation" a été proposé par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, en septembre : les fonds russes détenus d’Euroclear seraient transférés sous forme d’un prêt sans intérêt à la Commission européenne, qui les transférerait ensuite à l’Ukraine. Un nouveau plan présenté début décembre envisage d’utiliser tous les avoirs gelés en Europe, y compris ceux détenus en France donc, et non plus uniquement ceux d’Euroclear.

Le Premier ministre belge Bart De Wever a adressé une fin de non-recevoir au plan initial et campe depuis sur ses positions. La Belgique, dont les banques commerciales possèdent par ailleurs 7 milliards d’euros d’avoirs russes selon le Financial Times (en plus des fonds placés chez Euroclear donc), craint de se retrouver seule face aux représailles russes et milite notamment pour que les actifs situés en France et dans d’autres pays soient également mobilisés. La dernière proposition ne l’a pourtant pas convaincue non plus, le ministre belge des Affaires étrangères critiquant même "la pire des options".

De leur côté, les autorités françaises, qui soutiennent le concept du prêt de réparation, ne montrent guère de zèle sur le dossier des actifs détenus par les banques commerciales hexagonales. Et arguent que ces dernières sont soumises à des obligations contractuelles différentes de celles d’Euroclear. Une pièce supplémentaire dans le vaste casse-tête du financement de Kiev, alors que le prochain Conseil de l’Europe, les 18 et 19 décembre, sera la dernière occasion d’obtenir un accord cette année.

© afp.com/Evgenia Novozhenina

Le président russe Vladimir Poutine au Kremlin à Moscou le 31 juillet 2025
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Algérie : pourquoi Christophe Gleizes est plus difficile à faire libérer que Boualem Sansal

La déception est immense. Ce jeudi 3 décembre, le journaliste Christophe Gleizes, emprisonné en Algérie depuis juin, n’a pas été libéré. Sa condamnation à sept ans de prison pour apologie du terrorisme a au contraire été confirmée en appel. Tout ça pour rien, ou presque ; avoir fait du journalisme avec un visa de touriste et avoir parlé à des dirigeants de la JS Kabylie, le club mythique de Tizi Ouzou. "Mon analyse, c’est que pendant le temps du délibéré, les magistrats ont reçu une commande", a expliqué son avocat, Emmanuel Daoud, dans l’émission Pour tout dire de T18, ce vendredi 5 décembre.

Nouvelle surprise, tant la relation entre la France et l’Algérie avait paru s’améliorer ces dernières semaines, les deux parties trouvant un intérêt commun à mettre en scène une entente nouvelle sur le dos de l’ex-ministre Bruno Retailleau. La libération de l’écrivain Boualem Sansal, le 12 novembre, a concrétisé cette embellie.

"Nous sommes plus optimistes pour Christophe Gleizes que pour Boualem Sansal", a souvent répété le quai d’Orsay aux journalistes ces derniers mois. Et pourtant. La libération de Boualem Sansal a montré que le régime algérien souhaitait se débarrasser d’un prisonnier âgé, en mauvaise santé, très défendu par le monde intellectuel. Ce "bougé" a rendu plus complexe la gestion du cas Gleizes, Alger optant manifestement pour le cynisme : en se délestant de ses deux prisonniers politiques français, le régime se serait privé d’un levier utile dans ses négociations, notamment migratoires et mémorielles, avec la France.

L’affaire Gleizes relève, aussi, pour partie, de la politique intérieure algérienne. Depuis le Hirak, en 2020, le régime traque toute voix dissonante. En mai 2021, le mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), auquel appartiennent certains cadres de la JS Kabylie, a été reconnu comme terroriste.

Dernier éléphant dans la pièce : l’opacité des circuits de décision algériens. "Pour nous, ce sont des Nord-Coréens qui parlent français", soulignait, il y a quelques mois, un haut responsable gouvernemental, pour expliquer à quel point la France ne comprend pas toujours les inflexions d’Alger. Tout espoir n’est pas perdu : la possibilité d’une grâce demeure entre les mains du président Abdelmadjid Tebboune. Il faudra plaider l'humanité ; Christophe Gleizes aimerait revoir sa grand-mère Georgette. Elle a bientôt 102 ans.

© afp.com/Handout

Le journaliste Christophe Gleizes, sur une photographie sans lieu ni date, diffusée le 30 janvier 2025 par sa famille
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