"On n'a pas eu besoin de se raconter nos vies" : Pierre Lottin et Benjamin Lavernhe au sommet dans En fanfare
En fanfare, la très bonne surprise
Bien souvent, les comédies feel good procèdent avec des grosses ficelles, une caricature de sentiments à traits grossiers mais suffisamment bienveillants pour que la recette fonctionne. En fanfare aurait pu faire partie de ce type courant de productions. Mais le nouveau film d’Emmanuel Courcol y est supérieur en tous points. Sa sélection au Festival de Cannes dans la section Cannes Premières était ainsi une reconnaissance de sa finesse d’écriture et de la performance inspirée de son casting, reconnaissance à laquelle le public s’est unanimement et immédiatement associé.
Cette histoire de deux frères qui se rencontrent, la trentaine bien passée, autour d’un terrible coup du sort et de la musique, est en effet une très belle réussite : drôle, émouvante, et surtout surprenante par la résolution de ses enjeux. Thibault (Benjamin Lavernhe), issu de la bourgeoisie, est un jeune chef d’orchestre accompli et mondialement reconnu. Atteint d’une grave maladie, seule une greffe de moelle osseuse, urgente, peut le sauver. Effectuant une recherche génétique pour que sa soeur puisse lui faire ce don, il découvre alors qu’il a en réalité été adopté. Et qu’il a un frère, Jimmy (Pierre Lottin), employé de cantine scolaire et tromboniste dans la fanfare d’une ville du Nord, adopté par une autre famille alors que tous les deux étaient en bas âge.
Deux frères et deux acteurs au diapason
Évidemment, tout les oppose. Leurs manières, leur situation sociale, leur éducation, leur confort et leur facilité dans la vie. Mais ils ont une chose en commun : la musique. Grâce à cet amour commun et ce don pour l’écouter et en jouer, ils vont s’aider l’un l’autre. N’importe quel autre film aurait fait simplement marcher l’ascenseur social, les deux frères s’aidant : Jimmy sauve Thibault par son don de moelle osseuse, Thibault sauve Jimmy de sa condition précaire. Mais Jimmy veut-il être extrait de sa condition ? Thibault peut-il être sauvé ?
En fanfare ravit et trouve une émotion que sa finesse rend rare. C’est sur un fil que le film avance constamment, entre pure comédie et pur drame, et les joies comme les peines de ce buddy movie sont embrassées avec la même intelligence, la même hauteur, et une grande humanité. Une humanité qui tient en bonne partie à son duo de personnages principaux, incarnés par les formidables Pierre Lottin et Benjamin Lavernhe. On les a rencontrés, pour qu’ils nous racontent leur partition et cette comédie de haut vol.
Qu'est-ce qui fait que, sur le papier, En fanfare a tout de la comédie feel good à clichés et gros sabots, vue et revue, mais qu'au final c'est tout autre chose ?
Pierre Lottin : Parce qu’il a été fait avec la bonne recette. Dans le cinéma français, en particulier dans les comédies, on aime bien tirer des gros clichés, et là on devait juste faire l’inverse.
Benjamin Lavernhe : Mais la recette n’est pas si facile à trouver. C’est sur le fil. Je crois qu’il y a beaucoup de sincérité, qu’Emmanuel a fait le film qu’il voulait. Il n’a pas essayé de faire un film pour plaire au plus grand nombre, un film formaté. En fanfare est pudique, sensible, intelligent dans son écriture, avec beaucoup de vérité…
Pierre Lottin : Et ça ne parle pas du Nord ! C’est une histoire qui se passe dans le Nord. Ça peut paraître étrange de dire ça, mais c’est une vraie nuance. Parce que c’est une histoire qui aurait pu arriver ailleurs, preuve qu’il n’y a pas de clichés.
Benjamin Lavernhe : Je crois que, tout simplement les rebondissements, l’histoire, l’intrigue, au moment où on se dit "ah ça va être facile, on sait à quoi s’attendre", ce n’est pas facile pour les personnages. Il y a des déconvenues, comme dans la vie.
C’est complexe, rien n’est manichéen, et surtout on est surpris. On est toujours cueillis par la dramaturgie, le film va constamment ailleurs que là où on l'attend. C’est ce que nous disent les gens : "Merci, c’est rare, ça fait du bien", parce qu’il y a de l’échec, beaucoup, mais de l’échec qui n’est pas non plus plombant.
Vos personnages sont finement écrits, avec Thibault qui porte une tragédie plutôt solitaire, alors que la tragédie de Jimmy a des contours plus collectifs.
Pierre Lottin : Ça se fait assez rapidement quand on a compris le rôle, quand on sait d’où vient le personnage. On connaît ses origines, et donc les enjeux que ça amène autour de lui. Et sur un tournage, il y a des choses qui arrivent et qui ne sont pas préparées. il faut constamment être attentif à son personnage, avoir ses canaux ouverts pour se nourrir de détails.
Pierre, vous êtes par ailleurs musicien. Dans un film comme En fanfare, est-ce qu'on laisse le musicien prendre le pas sur l'acteur ?
Malheureusement non, l’acteur prend le dessus. Comme mon personnage n’a pas 30 ans de piano, je joue un peu moins bien… Ce qui est frustrant, parce que quand je suis amené à jouer un musicien, généralement le personnage n’a pas ça… Donc comme j’en joue plutôt pas mal, ça fait chier (rires).
C'est une première fois avec Benjamin Lavernhe, comment s'est passée votre collaboration ?
Pierre Lottin : On n’a pas trop le même cursus. Enfin, il a fait du théâtre, c’est ce que les gens pensent, alors qu’il a toujours aussi fait du cinéma. Et moi, j’ai fait Les Tuche. C’est aussi ce que pensent les gens. Mais on a les mêmes références, notamment ce truc cartoon, on vient de là. Ce qui nous faisait vibrer quand on a commencé, ça vient du cartoon network.
On a Jim Carrey en commun, ce qui fait qu’il peut aller partout, moi nulle part, on s’en fout on se comprend. On a ce truc des gars qui arrivent à faire des personnages cartoonesques, Jim Carrey, Gary Oldman dans True Romance, dans Sid and Nancy… Cette chose plus cool que la vie. On s’est vite compris, on n’a pas eu besoin de se raconter nos vies.
Est-ce quand il y a une connexion comme celle-ci, vient le risque d'en faire trop, de perdre la mesure ?
Pierre Lottin : On sait ne pas en faire trop. C’est un peu interdit d’en faire trop, donc on se bride. On se dit qu'on garde ça pour un autre film. Mais, à force de se brider, on en perd un peu, c’est chiant. Peut-être que je suis moins marrant qu’avant…