L’IA est là : la conclusion en questions-réponses
Pour clore notre grande saga de l’été « L’IA est là », nous donnons la parole à son auteur, Jean-Baptiste Leheup. Après plusieurs ouvrages grand public (C’est décidé, je me mets à l’IA !, 1000 questions à poser à ChatGPT (et aux autres IA), 21 secrets pour utiliser ChatGPT comme un pro…), il a signé pour le Club iGen une série de neuf articles où il décortique les IA génératives. Dans cet entretien, Jean-Baptiste partage son analyse de cette nouvelle révolution numérique.

MacGeneration : On te connaissait spécialiste de l’histoire d’Apple à travers ton site L’Aventure Apple. Dernièrement, tu t'es mis à écrire des livres sur l'intelligence artificielle et une série sur l'IA pour le Club iGen, la formule premium de MacGeneration. Es-tu devenu superintelligent depuis que tu utilises toutes ces nouvelles technologies ?
Jean-Baptiste Leheup : Ah non, pas du tout, ça n'a rien à voir ! Pas plus qu'un marteau et un burin ne font un sculpteur de pierre, ou qu'un seau d'enduit et une spatule font un bon plaquiste. L'IA ne rend pas plus intelligent. Et je le dis tout de suite, avant que les lecteurs ne le disent en commentaire, elle ne rend pas plus bête non plus. C'est comme la voiture : ce n'est pas elle qui rend fainéant. On peut avoir une voiture, s'en servir, et continuer de courir, faire du vélo, marcher et être en pleine santé. D'ailleurs les humains n'ont pas attendu l'IA pour être idiots, entre nous. L'IA n'interdit ni de lire des livres, ni de philosopher, ni de réfléchir, ni de construire des plans de rédaction soi-même, ni de chercher des réponses aux questions ou des solutions aux difficultés. En revanche, bien utilisée, elle peut proposer de nouvelles suggestions, élargir les débats, proposer des pistes de réflexion…
Ce que j'aime le plus, c'est cette possibilité de donner du contexte aux chatbots avec lesquels on interagit. C'est du jamais vu dans l'histoire de l'informatique. Jamais Google ou Wikipédia ne se sont approchés de cette idée. Dire « OK ChatGPT, donne-moi des arguments sur lesquels des hommes politiques français pourraient s'appuyer pour soutenir ou combattre le revenu universel », et c'est parti. Je ne demande pas à ChatGPT de me dire s'il faut ou pas mettre en place le revenu universel, mais je peux lui demander de m'expliquer le concept, d'apporter des éléments de discussion, de comparer avec d'autres pays ou d'autres époques… C'est juste extraordinaire. Toutes les connaissances du monde accessibles dans une fenêtre, et même depuis quelque temps en discutant à haute voix.
On a l'impression que ChatGPT et consorts marquent un nouveau départ dans l'IA, pour le grand public en tout cas. Est-ce que tu te souviens de ton premier contact avec ces IA génératives ? Est-ce que tu as eu l'impression de vivre un moment important comme quand on a vu le premier iPhone par exemple ?
J'ai découvert l'IA un peu comme tout le monde, parce qu'on parlait de ChatGPT ici et là, alors j'ai cliqué sur un lien dans un article et j'ai essayé. Évidemment, j'ai commencé par lui demander « Qui est Jean-Baptiste Leheup » et la version d'alors, ça devait être GPT-3.5, m'a dit que c'était un poète français contemporain de Louis XIV ou quelque chose de ce genre-là. Je me suis dit « OK, donc c'est une sorte de Wikipédia, mais qui dit des conneries », j'ai laissé tomber un moment, puis j'ai vu passer tous ces articles sur des gens qui l'utilisaient non pas pour poser des questions de culture générale, mais pour réaliser des tâches : résumer, proposer, imaginer, simplifier, compléter, corriger, réorganiser, traduire… Et là, j'ai vraiment compris que si je ne m'y remettais pas, j'allais passer à côté d'une révolution.
Pour moi, ça a été un choc. Le même genre de choc que la première fois que j'ai envoyé et reçu un e-mail, il y a bientôt trente ans, ou quand j'ai essayé Google en version bêta à la place des moteurs de recherches qu'on utilisait à peu près à la même époque, quand j'ai utilisé un réflex numérique alors que je ne jurais que par mon réflex à pellicule 24x36, quand j'ai utilisé le premier iPhone, ou à une moindre échelle quand j'ai eu entre les mains le premier iPhone à écran Retina. Le sentiment qu'un truc se passait. L'idée que « ça, ça ne disparaîtra plus jamais, on ne reviendra pas en arrière ». Parce qu'à un moment, il faut quand même regarder les choses en face : tout n'est pas parfait, évidemment, mais cette technologie qui est publique depuis quoi, deux ans, trois ans, fait des trucs qu'on n'avait jamais réussi à faire faire correctement à un ordinateur au cours des cinquante dernières années. Et tous les mois, on passe de nouvelles étapes, à une vitesse totalement sidérante.

Ces outils d'IA, ça va être comme internet. Il y aura ceux qui sont nés avec et ceux, comme nous, qui vont devoir apprendre à vivre avec. Hormis la lecture de tes livres et de nos séries, quels sont les conseils que tu pourrais donner à qu'un qui veut s'y mettre, progresser, s'en servir au quotidien ?
En 2024, je me suis aperçu que beaucoup de mes collègues chez Amazon, où je travaillais à l'époque, n’utilisaient pas du tout ChatGPT ou Cedric, le LLM interne dont les salariés de l'entreprise disposent. Comme tous les cadres, on était tous débordés, et souvent occupés par des tâches répétitives ou à faible valeur ajoutée. Résumer un échange de mail pour un N+1, récupérer des données dans un document, un tableur, mettre à jour un PDF avec les infos du dernier trimestre, des trucs comme ça. ChatGPT, Cedric et tous les autres sont capables de faire 90% du travail en 1% du temps, mais tout le monde continuait de copier-coller, remettre en forme, vérifier, sortir la calculette, refaire un tableau croisé dynamique, copier-coller à nouveau, et recommencer pour la page ou la feuille de calcul suivante. C'est ce qui m'a donné l'idée de mon premier ouvrage sur le sujet, C'est décidé, je me mets à l'IA, avec une couverture toute mignonne et grand public alors que les bouquins sur le sujet utilisent généralement des images de robots, de cerveaux en 3D ou des trucs comme ça qui font un peu peur. Donc lire ce petit livre, qui n'a pas d'autre prétention que de montrer que l'IA peut servir à plein de choses, c'est un très bon début.
Ensuite, je donnerai un seul conseil : se souvenir que l'IA est un outil, ou plutôt un ensemble d'outils. Je n'ai jamais espéré qu'une perceuse fasse un trou toute seule. C'est moi qui vise et qui oriente la mèche, c'est moi qui appuie sur le bouton, c'est moi qui arrête, c'est moi qui contrôle. Avec l'IA, c'est la même chose. Si je demande à ChatGPT de résumer un échange de mails pour mon directeur, je lui donne toutes les indications nécessaires, je contrôle, et je maîtrise. Si je ne sais pas de quoi parlait l'échange d'e-mails, je ne peux pas contrôler, je risque de laisser l'IA dire n'importe quoi, donc je ne fais pas bien mon boulot et je ne mérite pas mon salaire.
Il y a beaucoup de craintes autour de l'IA. Tout d'abord par rapport à ses hallucinations. Le cerveau des humains a la mémoire très sélective. On se souvient plus volontiers des échecs, comme l’IA de Google qui recommandait de mettre de la colle dans une pizza, que des réussites. Qu'est-ce que tu as à dire sur ça ?
Suivre les conseils d'une IA aveuglément, c'est aussi stupide que lire un forum pour savoir si on a un cancer ou lire la page Wikipédia du conflit israélo-palestinien pour savoir qui a tort et qui a raison. L'IA n'est pas faite pour ça. L'IA — j'utilise le terme pour désigner les chatbots grand public — est là pour écrire des phrases qui sont statistiquement correctes. Le choix des mots, la grammaire, l'organisation des idées, n'est que le résultat de probabilités statistiques d'une complexité inimaginable. C'est déjà stupéfiant et merveilleux, car tout cela n'est produit que par une machine qui aligne des 0 et des 1, ne l'oublions pas.
Déjà, les modèles récents disent beaucoup moins de bêtise que les précédents, ils sont mieux entraînés, plus prudents. Leurs créateurs les ont mieux cadrés, notamment pour qu'ils soient capables de dire quand ils ne connaissent pas quelque chose, ou quand un sujet fait l'objet de discussions ou de débats. Ils ont accès au web pour vérifier leurs réponses, peuvent donner des sources que l'on peut ensuite aller contrôler, et sont capables d'indiquer un score de confiance si on le leur demande.
Le domaine où je vois l'IA dire les pires bêtises, c'est dans les concepts de droit et la recherche de jurisprudence. C'est vraiment là que l'hallucination devient palpable : l'IA probabiliste mélange toutes les données et finit par s'y perdre. Les jugements se ressemblent tous un peu, ils sont écrits dans un langage tarabiscoté, avec des attendus, des conclusions d'avocats qui sont reprises telles quelles mais contredites parfois plusieurs pages plus loin, c'est un nid à hallucinations ! Mais même sur ce sujet, les choses évolueront. On apprendra aux IA à lire correctement les jugements, comme les étudiants en droit le font, et un jour elles comprendront les choses comme il faut.
Le secret est là : il faut apprendre à utiliser l'outil et non pas le laisser prendre les manettes. Je ne demande pas à ChatGPT de me donner une réponse toute faite, je lui demande de me proposer des arguments, des éléments de réponse ou de contradiction. Il est très fort pour ça. J'écris beaucoup — j’ai un recueil de nouvelles très drôles qui est publié en livre électronique, plusieurs romans qui avancent bien, en plus d’un livre de conseils sur le management qui cherchera bientôt un éditeur —, et ChatGPT m'aide énormément.
Je lui soumets quarante idées, je lui demande de me proposer trois plans en trois parties, et je m'inspire de ses suggestions. Je lui envoie une phrase, je lui demande trois ou quatre synonymes ou reformulations pour un mot, et parfois il tombe juste. Je lui demande des informations, des choses que Google ou Wikipedia ne savent pas trouver, comme « un personnage au tempérament diamétralement opposé à tel roi ou tel écrivain ». Je lui demande des prénoms à la mode au seizième siècle en Bretagne ou une marque de voiture que les collectionneurs anglais affectionnent…
Je lui explique mon idée, je lui demande les meilleurs verbes ou les meilleurs adjectifs pour décrire cette idée, et ensuite je reprends la main. Il peut aussi remettre en forme des paragraphes ou automatiser des tâches comme remplacer des guillemets courbes par des guillemets français ou supprimer des retours à la ligne surnuméraires. ChatGPT est un assistant zélé, très cultivé, jamais fatigué, mais jamais je ne le laisserai écrire à ma place !
Certains disent que l'avènement de l'IA va être à l'origine d'avancée spectaculaires. Dans le même temps, d’autres pointent l'impact écologique lié à l'utilisation de ces outils. Comment on fait ?
L'IA ne va pas être à l'origine d'avancées spectaculaires. Elle l'est déjà. Les technologies à la base de l'IA, comme l'apprentissage profond et ses réseaux de neurones, sont déjà à l'œuvre dans d'innombrables domaines où elles font des merveilles. Elles détectent des maladies, elles anticipent des pannes, elles proposent de nouvelles molécules pour créer des médicaments. Toutes les semaines, on lit des témoignages de chercheurs qui ont vu des années de recherche infructueuse résolues par des IA. Pas par ChatGPT, hein, on est d'accord, mais par les mêmes technologies qui ont donné vie aux chatbots.
Évidemment, un certain nombre de personnes continuent de faire comme si l'IA n'était qu'un jouet, un truc pour discuter de tout et de rien avec un ordinateur ou créer des images de chatons qui font du skateboard. Forcément, vue comme ça, l'IA est un gâchis de ressources, c'est évident. Mais ce n'est pas le cas. L'IA n'est pas un jouet. Pas plus que l'informatique, l'électronique ou l'électricité avant elle. C'est une nouvelle étape dans la capacité qu'ont les humains de faire faire des choses à des machines. Les principes de l'IA débloquent nombre de situations où la programmation et les algorithmes classiques commençaient à montrer leurs limites. Et ce n'est pas tout : la capacité de converser avec la machine en langage naturel va parachever ce que l'interface graphique avait enclenché il y a quarante ans, c’est-à-dire effacer la barrière entre la machine et son utilisateur.

À ce titre, l'impact énergétique de l'IA doit aussi être calculé sur le long terme. Une image créée par l'IA est bien plus économe en ressources que son équivalent calculé dans un vrai logiciel 3D. Une prévision météorologique — encore un domaine où l'IA fait des merveilles — est calculée des centaines de fois plus vite par l'IA qu'avec les algorithmes abominablement compliqués qu'on utilisait jusqu'alors, et avec davantage de précision, sur une même machine.
Ce que je pense, c'est qu'il y aura toujours des gens pour nous faire culpabiliser — à tort ou à raison, avec mesure ou excès — dans tous nos usages des ressources de la planète. La viande, les voitures, les avions, les e-mails, Netflix, le chauffage, le transport, les jeux en streaming, tout cela consomme des ressources qu'il faut pourtant économiser. Je pense juste que taper sur l'IA en permanence alors que notre société est encore incapable de réduire l'usage de l'avion — honnêtement évitable dans l'immense majorité des cas, qu'on parle de réunions inutiles à l'autre bout du monde ou de vacances qui n'ont rien de vital —, c'est d'une grande hypocrisie. Je ne suis pas climatosceptique, bien au contraire. Mais faisons d'abord la chasse à des choses bien plus évitables et bien plus impactantes, avant de vouloir tuer dans l'œuf une science qui n'en est encore qu'à ses balbutiements et dont l'avenir ne passe pas forcément par davantage de consommation d'énergie, mais par davantage d'efficience et de nouvelles pistes à explorer, de l'IA locale aux IA spécialisées, des petits modèles de langage aux puces d'inférence.
On va mélanger tes deux sujets de prédilection que sont l'IA et Apple. Apple fait de l'IA depuis très longtemps, mais on a l'impression que pour ce qui est de Siri, elle n'y arrive pas. On a l'impression qu'elle est frappée de la même malédiction qu'avec ses systèmes à l'époque de System 7 où elle était incapable de mettre au point un système d'exploitation moderne.
Oui, il y a de ça. Pour les besoins d'articles sur l'Apple des années 80-90 sur MacG, j'ai beaucoup relu la presse de l'époque. On voyait Microsoft et IBM faire des bonds de géants avec Windows et OS/2, et Apple restait à la traîne. Elle promettait, elle essayait, elle abandonnait, elle passait à autre chose… Par certains aspects, ce qui se passe actuellement ressemble beaucoup à cela, car malgré les communications rassurantes, on voit bien qu'en coulisses, notamment avec les départs de nombreux cadres, les choses ne sont pas correctement gérées. Plus le temps passera, plus on apprendra par des indiscrétions et des témoignages à quel point Apple a perdu la main en 2024-2025 sur ce sujet.
Mais il y a tout de même quelques différences importantes. Tout d'abord, les bases d'Apple sont saines aujourd'hui. C'est une machine à cash comme on n'en a jamais connu et elle offre ce qui se fait de mieux au niveau matériel et au niveau logiciel. On n'a aucune inquiétude sur sa pérennité à court, moyen et long terme. À la Fnac, dans les années 90, les gens voyaient un PC sous Windows 95 et à côté, un Performa sous Système 7, et ils achetaient le PC. Aujourd'hui, personne n'achète un PC au prétexte qu'il a Copilot ou Gemini préinstallé. Même du côté du téléphone, on voit bien que Samsung a par exemple des outils d'IA bien plus performants pour la retouche d'image, mais pour autant, ce n'est pas encore suffisant pour déclencher une décision d'achat face à un iPhone, sur lequel on peut disposer de toutes les IA du monde sous forme d'applications.
Je ne parierais pas que tout cela se terminera forcément par le rachat d'un grand acteur du secteur. L'IA est un domaine particulier, dont la plupart des concepts sont libres car issus de recherches universitaires ou publiques. L'IA n'est pas la téléphonie mobile ou le monde des modems 5G : Apple peut construire ses propres modèles sans risquer de guerre de brevets avec les autres acteurs, puisque les fondements de ce domaine sont libres. Je vois donc davantage Apple progresser par petits pas, parfois avec des accords avec d'autres acteurs, parfois avec ses propres solutions, jusqu'à ce qu'on oublie qu'un jour elle avait pédalé dans la semoule pour démarrer.
Est-ce qu'Apple va réussir à faire quelque chose de l'IA ? Pour le moment, elle s'intègre dans nos objets du quotidien : Mac, iPhone… Beaucoup misent sur des objets pensés dès la base pour l'IA. Les lunettes de Meta, l'iPod shuffle d'OpenAI… Comment tu vois tout ça ?
Il y a plusieurs aspects à prendre en compte. Si l'on regarde son aspect de révolution dans la manière de programmer l'ordinateur, l'IA va infuser partout dans nos logiciels. Elle va prendre la main sur le montage vidéo, la retouche photo, la rédaction de texte, la programmation elle-même, bref, on aura de plus en plus de fonctions animées par des modèles d'IA et non plus par des lignes de code rédigées par des programmeurs. Bien sûr, Word ne va pas taper à votre place, Photoshop ne va pas perdre ses outils manuels, mais tout cela sera enrichi par des fonctions IA dont chacun fera l'usage qu'il souhaite. On pourra sans doute faire un diaporama Keynote en prononçant deux phrases, un tableur Excel en donnant quelques consignes, mais on pourra toujours créer des formes ou des formules avec nos petites mains.
Si on s'intéresse plutôt à la capacité qu'apporte l'IA de dialoguer en langage naturel avec la machine, alors non seulement on verra ce type de fonction devenir de plus en plus courant sur macOS ou iOS, mais on verra aussi très sûrement la machine s'effacer, puisque l'interface graphique, le clavier, la souris, les fenêtres, les boîtes de dialogue, deviendront inutiles dans de nombreux usages. Pas tous, je le répète, on aura toujours un clavier et une souris quelque part sur un bureau ou un écran tactile dans la poche, mais de plus en plus d'interactions ne les nécessiteront plus.
Dans cette vision, je pense que les lunettes sont les meilleures candidates au titre d'informatique du futur. Du premier ordinateur personnel à l'iPhone, on a toujours cherché à faire disparaître l'objet et à laisser toute la place à l'écran. Les lunettes permettent de libérer les mains tout en occupant tout le champ visuel. Placées devant les yeux, elles peuvent disposer de caméras qui voient ce que l'utilisateur voit, de micros et de haut-parleurs très proches des oreilles… Je ne crois pas beaucoup au casque VR façon Vision Pro, trop lourd, trop encombrant, trop enfermant.

Le Vision Pro, c'est bien pour l'immersion, ça sera un super remplaçant de la télé du salon pour regarder des films ou visiter des châteaux lointains sans prendre l'avion. Mais pour tout le reste, je crois beaucoup à l'idée d'une paire de lunettes capable d'afficher une interface en surimpression. Imaginez une recette de cuisine qui s'affiche en bas de votre champ de vision et qui suit en même temps vos gestes : « Non, j'ai dit d'ajouter d'abord le lait, pas les œufs, là ça va faire des grumeaux ». Ou bien une notification pour un rendez-vous, avec les petites flèches de Google Maps pour vous y rendre.
Vous diriez « C'est quoi cette plante ? » et les lunettes vous l'indiqueraient avec des informations visuelles en plus de la réponse orale. Vous diriez « Envoie un message à mamie pour lui dire qu'on est arrivés » et les lunettes vous confirmeraient l'envoi du message puis afficheraient ou liraient la réponse. L'Apple Watch en prendra un sacré coup, quand Apple sortira ses lunettes. Ça sera comme l'iPod à la sortie de l'iPhone. Si j'ai l'heure, les notifications et le suivi de santé sur mes lunettes, ma montre finira sur Leboncoin !
À ce titre, ce n'est pas tant l'IA qui est bloquante, mais le matériel. Intégrer une interface visuelle dans une paire de lunettes ou de lentille, c'est une vraie gageure d'un point de vue technique. Suivi du regard, surimpression d'une image, correction des micromouvements… C'est encore plus compliqué que l'interface entièrement virtuelle du Vision Pro ! Là, il s'agira de faire cohabiter le vrai monde et une interface, pas de recopier le vrai monde dans l'interface elle-même !
À titre personnel, qu'est-ce que tu attends de l'IA ? Tu as des rêves pour le futur ? Ou des cauchemars peut-être ?
Je pense qu'on est au tout début d'une nouvelle révolution dans le monde informatique. Ce n'est pas pour rien que les milliards pleuvent actuellement, ce n'est pas juste un effet de mode. Cela fait vingt ans que cela se prépare au fond des labos et voilà, on touche du doigt les premières applications concrètes, et elles dépassent de loin ce qu'on aurait pu espérer. J'ai hâte de voir comment on utilisera un ordinateur dans dix ou vingt ans. Cela sera sans doute bien différent de ce que l'on fait aujourd'hui, qui ressemble encore beaucoup à ce qui se faisait dans les années 80. J'espère qu'on pourra toujours utiliser une souris et un clavier quand on le voudra, mais j'espère aussi que l'IA pourra finir d'intégrer l'informatique qui nous entoure dans un ensemble plus cohérent.
Je suis conscient aussi que l'IA servira à toutes sortes de choses horribles, comme toutes les autres inventions humaines avant elle. Bien sûr qu'on peut craindre le rôle de l'IA dans la guerre. Mais le problème n'est pas l'IA, c'est la guerre. Bien sûr qu'on peut craindre le rôle de l'IA dans la surveillance de masse, mais le problème ce n'est pas l'IA, c'est la surveillance de masse. C'est là que le politique reprend tout son rôle. Je suis pour la régulation, pour les limites posées, pour les sanctions. Il en va de l'IA comme du génie génétique, de la vidéosurveillance, des armes, de la finance, de la justice, et de tant d'autres choses. La société doit se fixer des limites et les faire respecter. Il y aura toujours des abus et des drames. On peut se servir d'un couteau pour tuer, mais c'est interdit. Et pour autant, on ne regrette pas l'invention du couteau. N’oublions pas que cela fait cinquante ans que l’on nous fait peur avec les ordinateurs et leurs algorithmes, qui sont déjà partout. Ce n’est qu’une nouvelle étape.
Je le répète : l'IA est là, et elle ne partira plus. Ce n'est pas un gadget, ce n'est pas la nouvelle télé 3D ou le nouvel iPod, c'est un nouveau paradigme dans la relation entre l'homme et la machine. Je suis persuadé que nous allons observer des progrès phénoménaux, à toutes les échelles de cette technologie. Certains rêvent d'une superintelligence qui pourrait nous surpasser, j'attends de voir. Tant qu'on peut tirer sur la prise pour la faire taire, tout me va. En revanche, je sais qu'on constatera bientôt une infusion de l'IA dans notre quotidien. Des modèles tournant en local, des petits systèmes, optimisés, ultrarapides, économes en énergie, quasiment transparents, mais qui rendront l'informatique moins bête, plus personnelle, plus pertinente. C’est très compliqué — ce n’est pas pour rien qu’Apple a du mal à améliorer Siri —, mais au final, je parie qu’on va adorer les nouvelles fonctions qui ne manqueront pas d’arriver.
La série « L’IA est là » est désormais disponible au complet pour les abonnés au Club iGen. Vous pouvez aussi trouver les livres de Jean-Baptiste (C’est décidé, je me mets à l’IA !, 1000 questions à poser à ChatGPT (et aux autres IA), 21 secrets pour utiliser ChatGPT comme un pro…) sur Amazon. Bonne lecture !
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