Meta Ray-Ban Display : un prototype qui aura besoin de cinq ans pour devenir un vrai produit ?
Meta a englouti des dizaines de milliards de dollars dans toutes sortes de projets : casques de réalité virtuelle, intelligence artificielle, plateformes immersives. Pour beaucoup, les lunettes connectées représentent le successeur naturel du smartphone, et Mark Zuckerberg entend bien ne pas rater ce virage.

Meta lance les Ray-Ban Meta Display, premières lunettes intelligentes à écran intégré
Le patron de Meta rêve de bâtir sa propre plateforme : un écosystème complet où le matériel, les services et les données seraient intégrés. Résultat : la firme avance à marche forcée sur ce segment promis à un bel avenir. À côté, Apple donne parfois l’impression de temporiser, même si ses plans se précisent lentement, entre Vision Pro et le futur projet Apple Glass. Mais où en est précisément Meta avec ses Meta Ray-Ban Display ?

Vision Pro, Apple Glass, visionOS : Apple prépare un virage stratégique majeur
Pour en avoir une idée, il faut lire le témoignage de Dan Zeitman, un vétéran du secteur. Cet ingénieur a passé plus de six ans chez Bose, où il a participé à la création de la division Bose AR. À l’époque, la marque américaine explorait la réalité augmentée sonore : des lunettes audio à oreilles ouvertes et des casques truffés de capteurs de mouvement capables de suivre les gestes et l’orientation de la tête.

Impatient de découvrir la vision de Meta, Dan Zeitman s’est rendu à une démonstration publique pour tester les nouvelles lunettes comme n’importe quel consommateur. Et son verdict tranche avec l’enthousiasme habituel : entre ambitions démesurées et exécution bancale, il rappelle que, pour Meta comme pour Apple, le chemin menant à un produit grand public susceptible d'être vendu à des millions d'exemplaires reste encore très long.

Des gestes qui donnent mal au poignet
Première déception : le bracelet Neural Band, censé interpréter les mouvements du poignet pour contrôler l’interface. D’après Zeitman, le système s’est montré capricieux, peu précis et surtout fatigant à l’usage.
Il explique avoir dû forcer ses gestes au point de ressentir une tension dans le poignet : "si c’était mon mode d’interaction quotidien, je serais en route vers le canal carpien", résume-t-il.

La comparaison avec Apple Vision Pro est sans appel : le suivi des mains chez Apple lui paraît naturel et fluide, là où la solution de Meta lui a rappelé "un vieux capteur Kinect" mal calibré.
Et lorsque les démonstrateurs ont expliqué que les contrôleurs étaient tombés toute la journée, Zeitman est resté sceptique : un produit censé démocratiser la réalité mixte devrait au moins survivre à quelques chutes. Et d’enfoncer le clou : il se demande si un simple mini-caméra Wi-Fi à 10 $ sur Amazon ne ferait pas un meilleur suivi gestuel
Un design léger, mais un style "Big Bang Theory"
Zeitman reconnaît tout de même à Meta un design plutôt réussi : les lunettes sont fines, légères et évitent la disgrâce esthétique qui accompagne souvent les produits de ce genre.

Elles plairont sans doute à ceux qui assument un côté "geek cérébral", ce style popularisé par la série américaine The Big Bang Theory, où les héros — physiciens passionnés de science et de technologies — portent leurs lunettes comme d’autres arborent un badge d’intelligence.
Autrement dit : des lunettes qui feront sourire les amateurs de gadgets, mais qui n’ont rien de véritablement séduisant ou grand public.
Un affichage qui regarde vers le bas
Là encore, l’expérience n’est pas au rendez-vous. Le HUD (affichage tête haute) est jugé terne et peu lumineux, et surtout mal placé : trop bas dans le champ de vision.
Un comble, quand Mark Zuckerberg promettait un produit pour “garder la tête haute” : on se surprend finalement à regarder vers le bas, comme sur un smartphone.

Des verres correcteurs… partiellement utiles
Les inserts de prescription sont une bonne idée, mais leur exécution laisse à désirer. Zeitman a testé la version adaptée à sa vue : les verres étaient impeccables, mais l’affichage lui a donné une vision double, sans doute à cause de son astigmatisme.
Selon plusieurs témoignages, les utilisateurs astigmates risqueraient de ne jamais bénéficier d’un support correctif complet. Pour lui, ce serait un échec majeur en matière d’accessibilité.
Des apps sans inspiration
Côté contenu, la déception continue. Les démonstrations proposées se limitaient à un jeu de type Snake (clin d’œil aux Nokia des années 90) destiné à apprendre les gestes.
Impossible de tester autre chose : les appareils n’étaient pas connectés à Internet, ce qui excluait toute démonstration “réelle”, comme un appel WhatsApp ou la traduction instantanée mise en avant par Meta

Pour cette dernière, Zeitman s’attendait à une démo phare. Or, la seule langue préchargée sur le prototype était… l’italien, que le démonstrateur ne parlait pas.
Résultat : ils ont dû bricoler une solution en utilisant Google Translate sur smartphone. Le démonstrateur a parlé anglais dans le téléphone, qui a ensuite transmis la traduction italienne aux lunettes Meta. Et, contre toute attente, ça a marché — avec un décalage de 5 à 8 secondes. Une conversation hachée, loin encore de l’immersion promise.
En somme, un concept brillant, mais une exécution ratée, d’autant plus ironique que l’application gratuite Google Translate s’en sort déjà mieux… et sans le délai
Zeitman juge les apps "plates et fermées" : le kit de développement annoncé est réservé aux partenaires de Meta, pas aux studios indépendants. Une fermeture à rebours de la culture ouverte qui anime habituellement la communauté XR.

Vie privée : le sujet qui fâche toujours
Un simple voyant lumineux pour signaler l’enregistrement ? Pour Dan Zeitman, c’est tout sauf un garde-fou. Meta reste fidèle à sa réputation : une entreprise peu encline à la transparence, obsédée par la collecte de données et la captation de l’attention — y compris celle de ceux qui n’ont jamais consenti à être filmés.
Mais au-delà des questions de vie privée, c’est le modèle même qui inquiète : celui d’une plateforme fermée, verrouillée à double tour, où seuls les partenaires triés sur le volet ont le droit de créer.
Le kit de développement est réservé aux alliés de Meta, les API sont sous embargo, et les développeurs indépendants n’ont qu’à regarder depuis la barrière.
Cette fermeture, estime-t-il, étouffe l’innovation avant même qu’elle puisse éclore. Car la magie de la XR ne naîtra pas dans les laboratoires verrouillés, mais dans les idées libres, celles des développeurs qui expérimentent, qui bricolent, qui repoussent les limites.
Un prototype déguisé en produit fini
Au final, Dan Zeitman estime que ces lunettes tiennent plus du prototype que du produit grand public. L’idée est séduisante, la vision ambitieuse, mais la réalisation n’est pas au niveau. D’après lui, il faudra au moins cinq ans pour que Meta atteigne la maturité technologique nécessaire.

La comparaison avec Apple Vision Pro est inévitable. Chez Apple, la technologie est certes coûteuse, mais elle est cohérente et ouverte aux développeurs.
N’importe quel créateur XR peut acheter le casque, expérimenter, publier. Le produit existe, imparfait mais concret. Chez Meta, au contraire, la plateforme reste fermée, sous-dimensionnée et inaccessible à ceux qui pourraient justement la faire progresser. Il reconnaît toutefois la difficulté du chantier : inventer l’avenir de la XR n’est pas une tâche aisée. Et malgré sa sévérité, il se dit prêt à revoir son jugement si Meta améliore sa copie.