Le Quai d’Orsay attribue 77 opérations au groupe de désinformation russe Storm-1516
Orage sur l'info

Alors que le Quai d’Orsay « condamne fermement les activités destabilisatrices » de l’opération Storm 1516 dans l’espace informationnel français, VIGINUM en détaille le fonctionnement. C’est la deuxième fois, en une semaine, que la France attribue des campagnes de déstabilisation aux services de renseignement russes, ce qu’elle n’avait encore jamais fait jusqu’alors.
Une semaine après l’attribution d’une série de cyberattaques, dont les #MacronLeaks, à la Russie, c’est dans le champ de la désinformation que le Quai d’Orsay condamne cette fois les actions de Moscou. Dans un communiqué publié ce 6 mai, le ministère des Affaires étrangères dénonce les actions d’« acteurs russes » recourant au mode opératoire informationnel (MOI) Storm 1516.
La France « condamne fermement les activités déstabilisatrices de la Russie », qu’elle qualifie d’« indignes d’un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies », dans la mesure où elles constituent une « menace (…) pour le débat public numérique français et européen ».
Les opérations de déstabilisation se concentrent en effet autour de périodes électorales, que celles-ci se déroulent aux États-Unis, en Allemagne, ou encore en France, « lors des élections législatives anticipées en juin 2024 », souligne le Quai d’Orsay. Et de préciser : « aucune tentative de manipulation ne détournera la France du soutien qu’elle apporte à l’Ukraine face à la guerre d’agression russe ».
77 manœuvres informationnelles
Storm 1516 est détaillé plus avant dans un rapport de VIGINUM. Au total, le service du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a recensé 77 opérations informationnelles entre le mois d’août 2023 et le 5 mars 2025.
42 visaient à dénigrer des membres de l’opposition russe, ainsi que des personnalités politiques européennes ou américaines et gouvernements occidentaux, notamment durant des périodes électorales. Elles ont notamment accusé le prince Andrew d’avoir agressé sexuellement et enlevé des enfants en Ukraine, et Hunter Biden d’avoir vendu à Volodymyr Zelensky des peintures surévaluées.
Objet principal de ces manœuvres, comme dans plusieurs campagnes sur lesquelles nous sommes revenus au fil des mois : décrédibiliser le gouvernement ukrainien et tenter de saper le soutien que lui apportent les pays occidentaux.
Sur les 77 opérations, 35 étaient en effet destinées à porter atteinte à l’image de l’Ukraine, de ses dirigeants ou de leur entourage, en recyclant des narratifs employés par le gouvernement russe depuis la Révolution ukrainienne de 2014, ou en les adaptant à des faits d’actualité.
Aux États-Unis, les contenus employés se sont principalement focalisés sur des thèses conspirationnistes « visant principalement l’administration américaine en amont de l’élection présidentielle de 2024 ». En Europe, notamment avant les Jeux Olympiques, « les opérateurs du MOI semblent avoir privilégié des thématiques clivantes ou anxiogènes liées à l’immigration et au terrorisme ».
Au total, VIGINUM a détecté « au moins 20 opérations informationnelles visant différents scrutins » en Europe et aux États-Unis. Dans certains cas, les opérateurs ont eu recours à des acteurs, voire à des deepfakes – les traits d’une vraie personne semblent ainsi avoir été manipulés par IA pour créer une fausse accusation d’agression sexuelle contre Tim Waltz, le colistier de Kamala Harris.
Le fait de viser directement des dirigeants et proches de dirigeants, en particulier à l’approche de ce type d’échéances électorales, fait par ailleurs partie des modes opératoires de Storm 1516.
Réseaux imbriqués
Si une large part des contenus ne parvient pas à surnager dans l’océan des informations disponibles en lignes, certains parviennent à accumuler des « millions, voire des dizaines de millions de vues cumulées sur X », à la faveur de reprises « opportunistes (voire inconscientes et involontaires) » ou de certaines plus organisées, écrit VIGINUM.
Le rapport détaille d’ailleurs les étapes de création puis de diffusion des campagnes. Leur première publication se fait depuis des comptes « jetables » (ou « burner »), ou des comptes de tiers, « très probablement » utilisés « contre rémunération ».
L’étape suivante consiste à les reprendre dans des médias de « blanchiment », pour beaucoup implantés en Afrique et au Moyen-Orient, et dont VIGINUM « estime avec un niveau de confiance élevé » qu’ils sont, eux aussi, « rémunérés par les opérateurs » de Storm 1516. Enfin vient l’amplification dans les espaces informationnels visés, grâce à des comptes de médias d’État russes, d’ambassades, ou encore les réseaux d’autres opérations, comme Portal Kombat ou RRN/Doppelgänger.
Le service du SGDSN détaille d’ailleurs l’imbrication de Storm 1516 dans ce qui constitue désormais un vaste écosystème de manipulation de l’information. « Dans au moins deux cas », le rapport note que les contenus employés provenait du Projet Lakhta, les « fermes à trolls » et autres médias mis sur pieds par Evgueni Prigojine, le créateur désormais décédé de la société Wagner.
Près d’un quart des campagnes ont par ailleurs été promues par les réseaux de l’ancien shérif John Mark Dougan, dont la société Newsguard détaillait le modus operandi en amont des élections allemandes.
Selon des documents obtenus par le Washington Post, souligne encore VIGINUM, le ressortissant russe Youry Khorochenky, quelquefois nommé Youry Khorochyovsky, accusé d’avoir financé et coordonné ces opérations depuis leurs débuts, pourrait être un officier de l’unité 29155 du renseignement militaire russe (GRU).
Sans pouvoir confirmer l’implication de cette personne dans les opérations Storm 1516, VIGINUM souligne ses liens étroits avec les différentes opérations de désinformation pré-citées – il a, notamment, directement payé J.D. Dougan.
