« Far West » des réseaux sociaux selon Macron : le constat est là, mais quelles solutions concrètes ?
Emmanuel Macron a remis une pièce dans la machine en dénonçant une nouvelle fois le « far-west » des réseaux sociaux. L’expression n’est pas nouvelle, la préoccupation non plus, mais elle revient dans un contexte où l’espace numérique continue d’évoluer à une vitesse que la politique peine à suivre. Entre ingérences, désinformation et protection des mineurs, le Président veut afficher une fermeté retrouvée. Reste que le numérique d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec l’Internet des années 2010 : les problèmes ne se situent plus seulement dans les contenus, mais profondément dans la mécanique des plateformes elles-mêmes.

C’est là que le discours présidentiel semble marquer le pas. Parler de « loi du plus fort » et de dérives incontrôlées a une force symbolique, mais réduit un écosystème extraordinairement complexe à un western de série B. Les grandes plateformes ne fonctionnent plus comme des places publiques avec quelques énergumènes à maîtriser ; ce sont des usines à données, propulsées par des algorithmes qui optimisent avant tout l’attention, parfois au détriment du bon sens. À ce niveau-là, ce n’est pas un shérif qu’il faut, mais une équipe d’ingénieurs capables de comprendre ce qui se passe dans les entrailles du monstre.
La question de la désinformation illustre parfaitement ce décalage. Macron y voit un défi démocratique majeur, ce qu’il est, mais il le présente encore comme un problème de contenus nuisibles circulant librement. La réalité est plus sournoise : la désinformation est devenue une conséquence structurelle du modèle même des plateformes. Quand un système de recommandation valorise la provocation parce qu’elle génère plus de temps d’écran, quand la modération repose pour l’essentiel sur des filtres automatisés dont personne — pas même leurs concepteurs — ne maîtrise totalement les effets secondaires, on ne peut pas espérer régler le problème avec un simple serrage de vis réglementaire. Ce serait comme demander à une plateforme vidéo de moins promouvoir le sensationnalisme tout en conservant un modèle publicitaire qui en dépend. Le cœur du système pousse dans une direction ; la politique lui demande d’aller dans l’autre.
Le Président revient aussi sur la protection des mineurs et la fameuse « majorité numérique ». Là encore, l’intention est difficile à critiquer. Mais l’efficacité réelle reste sujette à caution. Les plateformes ont inventé depuis longtemps l’art de la contournabilité : inscription via comptes tiers, accès par VPN, serveurs privés, tout concourt à rendre ces garde-fous largement théoriques. La vraie dépendance, celle qui joue sur la dopamine et les boucles de recommandation, ne disparaît pas parce qu’on fixe une limite d’âge. Et d’ailleurs, elle ne concerne pas seulement les adolescents ; les adultes s’y font happer avec la même facilité.

Au chapitre de la souveraineté numérique, le discours affiche de l’ambition, mais les matériaux manquent. L’idée de reprendre le contrôle sur les géants du numérique revient régulièrement, mais sans politique industrielle cohérente derrière. L’Europe fabrique peu de matériel, n’opère pas de grandes plateformes sociales, ne possède pas d’alternative solide aux infrastructures publicitaires américaines, et accuse encore un retard notable sur les LLM destinés au grand public. On peut toujours imaginer une Europe pesant réellement sur le numérique mondial, mais le chemin pour y parvenir n’est jamais évoqué concrètement dans ces interventions politiques.
Ce qui frappe, au final, c’est le décalage entre la gravité du constat — réel — et la nature des réponses proposées, qui donnent parfois l’impression de s’attaquer aux symptômes plutôt qu’à l’architecture de fond. Le débat public est saturé, les campagnes électorales sont parasitées, la polarisation augmente : tout cela est vrai. Mais il devient difficile de prétendre résoudre ces dynamiques sans toucher aux mécanismes qui les fabriquent, à savoir les modèles de recommandation, les algorithmes d’amplification ou les systèmes de modération automatisée.
La croisade présidentielle a le mérite de remettre le sujet sur la table. Mais si l’on veut sortir du « far-west », il faudra peut-être accepter que le vrai travail se situe très loin des tribunes politiques, dans les logs, les datasets et les architectures des systèmes qui façonnent — bien plus qu’un discours — ce que voient des millions de citoyens chaque jour.
























