La diplomatie européenne ne sait plus où donner de la tête. Trois jours après la publication par Washington de sa "stratégie de sécurité nationale", dans laquelle la Maison-Blanche prononce son divorce avec l'Europe, les dirigeants français, britannique, allemand et ukrainien ont tenté, ce lundi 8 décembre à Londres, de coordonner leur position dans les négociations de paix en cours. En marge de ces tractations, ils ont pu évoquer un autre dossier clé qui ne leur donne pas moins de maux de tête : celui des avoirs russes gelés.
Retour en arrière. Le 3 décembre, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a dévoilé son grand plan visant à assurer le financement de l’Ukraine pendant les deux prochaines années. Problème, parmi les deux options retenues, celle d’un "prêt de réparation" de quelque 137 milliards d’euros à Kiev, garanti par les avoirs russes gelés, se heurte à l’opposition farouche de la Belgique, où dort la majeure partie de ces fonds (la société belge Euroclear détient 210 milliards d’euros, dont 185 mobilisables). Sa crainte ? Devoir faire face seule à des représailles russes et un éventuel remboursement.
Dans une ultime tentative de sauver ce plan, le chancelier allemand Friedrich Merz s'est rendu en urgence en Belgique dans la soirée du vendredi 5 décembre pour un dîner avec son Premier ministre Bart De Wever. L'objectif : tenter de le convaincre de ne plus freiner des quatre fers.
Risque de débâcle
Depuis, l’affaire tourne à l’épreuve de force. Qui en sortira vainqueur ? Réponse lors du prochain Conseil européen, les 18 et 19 décembre prochains. Faute de parvenir à s’entendre, ce qui devait être une démonstration de force des Européens pourrait se transformer en terrible débâcle.
Le risque est bien réel. Lors du dernier sommet à Bruxelles en octobre dernier, les Vingt-Sept avaient déjà échoué à parvenir à un accord sur fond des mêmes réticences belges. Toute l’ingénierie juridique et financière déployée par la Commission, comme les garanties proposées à la Belgique depuis lors n’y ont rien changé. La proposition "ne répond pas à nos inquiétudes", a martelé mercredi son chef de la diplomatie Maxime Prévot.
Pendant ce temps, l’Ukraine - qui réclame à cor et à cri une utilisation des avoirs russes gelés depuis 2022 - continue de brûler. Et les options de secours sont minces. La seconde proposition, moins ambitieuse, proposée par la Commission consiste en un emprunt commun au profit de Kiev. Mais il sera difficile d'avoir l'unanimité dans un contexte de rigueur budgétaire, certains Etats membres comme la Hongrie de Viktor Orban s'opposant même frontalement à toute aide supplémentaire à l'Ukraine.
"Moment crucial et décisif pour l’Europe"
Pourtant, il y a urgence. Les dépenses de l'Etat ukrainien ne sont couvertes que jusqu'en mars 2026. Ensuite "si l’Europe échoue à fournir ce soutien financier, ce sera un immense signal de faiblesse envoyé à la Russie, ajoute Nigel Gould-Davies, ancien ambassadeur britannique en Biélorussie aujourd’hui chercheur à l’International Institute for Strategic Studies. In fine, elle pourrait n’en devenir que plus agressive." A l’inverse, doter l’Ukraine d’un financement stable et pérenne enverrait un solide message de détermination au Kremlin, tout en éloignant le spectre d’une victoire rapide pour les Russes.
L'occasion aussi pour les Européens de reprendre la main dans ces pourparlers dont ils ont été largement exclus jusqu’à présent. Le sujet est d’autant plus prioritaire que l’administration américaine lorgne elle aussi sur les actifs russes. Dans son plan en 28 points négocié avec Moscou, Washington envisage de capter 100 milliards de dollars d’avoirs gelés pour participer à la reconstruction de l’Ukraine.
A trop tergiverser, les Vingt-Sept prennent le risque que le match continue de se jouer sans eux. "C’est un moment crucial et décisif pour l’Europe, résume l’ancien ambassadeur Nigel Gould-Davies. Une défaite de l'Ukraine serait infiniment plus coûteuse pour les Européens que les efforts qui leur sont actuellement demandés." Pour les Européens, il est impératif de changer de logiciel.
La diplomatie européenne ne sait plus où donner de la tête. Trois jours après la publication par Washington de sa "stratégie de sécurité nationale", dans laquelle la Maison-Blanche prononce son divorce avec l'Europe, les dirigeants français, britannique, allemand et ukrainien ont tenté, ce lundi 8 décembre à Londres, de coordonner leur position dans les négociations de paix en cours. En marge de ces tractations, ils ont pu évoquer un autre dossier clé qui ne leur donne pas moins de maux de tête : celui des avoirs russes gelés.
Retour en arrière. Le 3 décembre, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a dévoilé son grand plan visant à assurer le financement de l’Ukraine pendant les deux prochaines années. Problème, parmi les deux options retenues, celle d’un "prêt de réparation" de quelque 137 milliards d’euros à Kiev, garanti par les avoirs russes gelés, se heurte à l’opposition farouche de la Belgique, où dort la majeure partie de ces fonds (la société belge Euroclear détient 210 milliards d’euros, dont 185 mobilisables). Sa crainte ? Devoir faire face seule à des représailles russes et un éventuel remboursement.
Dans une ultime tentative de sauver ce plan, le chancelier allemand Friedrich Merz s'est rendu en urgence en Belgique dans la soirée du vendredi 5 décembre pour un dîner avec son Premier ministre Bart De Wever. L'objectif : tenter de le convaincre de ne plus freiner des quatre fers.
Risque de débâcle
Depuis, l’affaire tourne à l’épreuve de force. Qui en sortira vainqueur ? Réponse lors du prochain Conseil européen, les 18 et 19 décembre prochains. Faute de parvenir à s’entendre, ce qui devait être une démonstration de force des Européens pourrait se transformer en terrible débâcle.
Le risque est bien réel. Lors du dernier sommet à Bruxelles en octobre dernier, les Vingt-Sept avaient déjà échoué à parvenir à un accord sur fond des mêmes réticences belges. Toute l’ingénierie juridique et financière déployée par la Commission, comme les garanties proposées à la Belgique depuis lors n’y ont rien changé. La proposition "ne répond pas à nos inquiétudes", a martelé mercredi son chef de la diplomatie Maxime Prévot.
Pendant ce temps, l’Ukraine - qui réclame à cor et à cri une utilisation des avoirs russes gelés depuis 2022 - continue de brûler. Et les options de secours sont minces. La seconde proposition, moins ambitieuse, proposée par la Commission consiste en un emprunt commun au profit de Kiev. Mais il sera difficile d'avoir l'unanimité dans un contexte de rigueur budgétaire, certains Etats membres comme la Hongrie de Viktor Orban s'opposant même frontalement à toute aide supplémentaire à l'Ukraine.
"Moment crucial et décisif pour l’Europe"
Pourtant, il y a urgence. Les dépenses de l'Etat ukrainien ne sont couvertes que jusqu'en mars 2026. Ensuite "si l’Europe échoue à fournir ce soutien financier, ce sera un immense signal de faiblesse envoyé à la Russie, ajoute Nigel Gould-Davies, ancien ambassadeur britannique en Biélorussie aujourd’hui chercheur à l’International Institute for Strategic Studies. In fine, elle pourrait n’en devenir que plus agressive." A l’inverse, doter l’Ukraine d’un financement stable et pérenne enverrait un solide message de détermination au Kremlin, tout en éloignant le spectre d’une victoire rapide pour les Russes.
L'occasion aussi pour les Européens de reprendre la main dans ces pourparlers dont ils ont été largement exclus jusqu’à présent. Le sujet est d’autant plus prioritaire que l’administration américaine lorgne elle aussi sur les actifs russes. Dans son plan en 28 points négocié avec Moscou, Washington envisage de capter 100 milliards de dollars d’avoirs gelés pour participer à la reconstruction de l’Ukraine.
A trop tergiverser, les Vingt-Sept prennent le risque que le match continue de se jouer sans eux. "C’est un moment crucial et décisif pour l’Europe, résume l’ancien ambassadeur Nigel Gould-Davies. Une défaite de l'Ukraine serait infiniment plus coûteuse pour les Européens que les efforts qui leur sont actuellement demandés." Pour les Européens, il est impératif de changer de logiciel.
Le chancelier allemand Friedrich Merz, le Premier ministre britannique Keir Starmer, le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le président français Emmanuel Macron lors d'une rencontre au 10 Downing Street, le 8 décembre 2025 à Londres.
Avant même d’atterrir sur le sol indien ce jeudi 4 décembre, Vladimir Poutine peut se frotter les mains. Pour sa première visite dans la capitale indienne depuis le début de la guerre en Ukraine, à l’occasion du 23e sommet annuel Inde-Russie, le chef du Kremlin peut espérer signer de juteux contrats. Au programme : des discussions sur l’achat éventuel de davantage de systèmes antiaériens russe S400 et d’avions de chasse modernes Su-57 sur lesquels lorgne New Delhi alors que la Russie reste son principal fournisseur de matériel militaire. Egalement au menu, la question des approvisionnements russes en pétrole. Et pour cause : le vide laissé par les Européens a ouvert grand les vannes pour le sous-continent.
"L’Inde veut profiter de la décote sur le brut russe provoquée par les sanctions occidentales pour acheter du pétrole au-dessous du prix de marché international, pointe Julien Vercueil, économiste spécialiste de la Russie à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). La conséquence est tout à fait spectaculaire pour les exportations russes vers l’Inde : si l’on compare à 2021, elles ont au total été multipliées par plus de sept en 2024." Résultat, la Russie est devenue le premier fournisseur de brut de l’Inde, allant jusqu’à représenter près de 40 % de ses approvisionnements en 2025. Une manne que Moscou espère inscrire dans la durée, à l’heure où les pressions américaines sur New Delhi menacent de réduire ces livraisons.
Mais au-delà des contrats, ce voyage offre surtout une exceptionnelle vitrine au chef du Kremlin pour montrer qu’en dépit des sanctions occidentales, il continue d’entretenir, photos officielles à l’appui, des relations cordiales avec toute une partie du monde. "Le fait est que les sanctions contre la Russien’ont pas réussi à porter un coup fatal à ses relations commerciales, note Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie-Eurasie de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Bien que la Russie soit isolée par rapport à l’Europe, ce n’est pas le cas avec les pays du Sud global, avec lesquels les liens se sont même renforcés ces dernières années."
Relation avec le Sud global
L’Inde n’est pas seule sur la liste. Selon une étude publiée en novembre par l’Ifri, le volume des échanges commerciaux entre la Russie et plusieurs pays du Golfe, Emirats arabes unis et Arabie saoudite en tête, ou d’anciennes républiques soviétiques comme l’Arménie et la Géorgie, a augmenté depuis le début de la guerre. Entre 2019 et 2023, les échanges commerciaux entre Moscou et Abou Dhabi sont ainsi passés de 3,5 à 9,5 milliards de dollars, sur fond d’importation de technologie à double usage (civil et militaire) et d’implantation d’entreprises russes dans ce pays "dont les infrastructures et les services développés minimisent les risques juridiques et logistiques liés aux sanctions".
"Du point de vue économique, la Russie a maintenu des liens internationaux avec de nombreux pays du Sud global, souligne Julien Vercueil. Cela a été un facteur clé de l’adaptation à court terme de son économie à l’effet repoussoir de la guerre et des sanctions. Mais elle peine à aller plus loin que les échanges commerciaux et à attirer des investissements." "De nombreux pays se trouvent sur la corde raide entre l’envie de profiter de la situation et d’acheter des matières premières à bas prix, et dans le même temps la volonté de ne pas aller trop loin, pour éviter de s’aliéner l’Occident, qui reste le partenaire commercial principal", résume Tatiana Kastouéva-Jean.
"Une levée de son isolement"
Sur le front diplomatique, Moscou est toutefois sorti de son isolement. En témoignent les visites officielles effectuées en Russie par plus d’une soixantaine de chefs d’Etat ou de gouvernement depuis le début de la guerre en Ukraine. Si une majorité provient de pays du sud ou de l’espace post-soviétique, on y trouve aussi également quelques Européens. Comme le Premier ministre hongrois Viktor Orban, à trois reprises, dont la dernière fois le 28 novembre pour consolider ses approvisionnements en pétrole et gaz russe. Ou le Premier ministre slovaque Robert Fico, seul dirigeant d’un pays de l’Union européenne à avoir assisté aux commémorations du 80e anniversaire de la victoire contre l’Allemagne nazie, à Moscou le 9 mai 2025.
Encore mieux pour le président russe, le retour au pouvoir de Donald Trump a entériné un réchauffement inédit des relations avec Washington après la présidence Biden, avec en point d’orgue le sommet en Alaska en août dernier - la première visite de Vladimir Poutine aux Etats-Unis depuis 2015.
Poutine "a bénéficié d’une levée de son isolement, il a obtenu des photos avec le président Trump, il a obtenu un dialogue public, avait critiqué Volodymyr Zelensky un mois plus tard en interview. Et je pense que cela ouvre la voie à Poutine pour d’autres sommets et formats." Les multiples rencontres organisées depuis au Kremlin avec l’émissaire de Trump, Steve Witkoff, ne sauraient lui donner tort.
Renforcement des alliances traditionnelles
Moscou a en parallèle élevé à un niveau sans précédent ses partenariats avec ses alliés traditionnels. Au premier rang desquels la Chine, qui est aujourd’hui de loin son premier partenaire commercial et représente 30 % de ses exportations et 40 % des importations - notamment de semi-conducteurs et composants à double usage essentiels à la machine de guerre russe. Signe des temps, le chef du Kremlin était assis à la place d’honneur, à la droite du président Xi Jinping, pour assister en septembre, à Pékin, au défilé militaire commémorant la fin de la Seconde Guerre mondiale.
A ses côtés sur le tapis rouge, le leader nord-coréen Kim Jong-un, autre soutien crucial, avec lequel Poutine avait signé un partenariat stratégique un an plus tôt lors d’un voyage à Pyongyang. Rouage essentiel dans l’effort de guerre russe, le régime nord-coréen lui aurait fourni pas moins de 4 à 6 millions d’obus depuis 2023, ainsi qu’environ 12 000 hommes pour reprendre le contrôle de la région de Koursk l’an dernier. Tout comme l’Iran, avec qui Moscou a conclu en janvier de cette année un autre "traité de partenariat stratégique global" et dont les conseillers ont été cruciaux pour produire en masse des drones Shahed - envoyés quotidiennement en salves de centaines d’engins sur l’Ukraine - dans l’usine russe de Ielabouga. Malgré sa guerre inique, la Russie continue d’engranger des soutiens.
Deux semaines après la démission de deux ministres soupçonnés d’être impliqués dans le détournement de 100 millions de dollars dans le secteur énergétique, nouveau séisme au sommet de l’Etat ukrainien. Ce vendredi, le bras droit et puissant chef de cabinet de Volodymyr Zelensky, Andriy Yermak, a remis sa démission après la perquisition menée un peu plus tôt à son domicile par l’agence anti-corruption (NABU) et le parquet spécialisé anti-corruption (SAPO). En cause, sa possible implication dans cette affaire tentaculaire qui empoisonne la présidence ukrainienne au pire moment, alors qu’elle est engagée dans d’âpres négociations avec les Etats-Unis autour d’un plan pour mettre fin à la guerre avec la Russie.
"Sa destitution par le président offre néanmoins au pays une chance de se renforcer, de repenser sa gouvernance et de la rendre plus résiliente, en nommant des personnes intègres et compétentes aux plus hauts postes", juge Daria Kaleniuk, directrice exécutive de l’Anti-corruption Action Center (AntAC), l’une des ONG les plus en pointe en Ukraine dans la lutte contre la corruption. Entretien.
L’Express : Andriy Yermak a été limogé ce vendredi à la suite des perquisitions menées à son domicile. Était-ce inévitable ?
Daria Kaleniuk : C’est à mon sens une décision très positive. Je regrette simplement qu'elle ne soit pas arrivée avant. Volodymyr Zelensky s’appuyait beaucoup trop sur Andriy Yermak, tant en matière de politique intérieure que de politique étrangère. Il était ainsi devenu une sorte de directeur des ressources humaines pour tous les postes clés : ministres, vice-ministres, directeurs d’entreprises publiques, et même pour la nomination de certains responsables des forces de l’ordre. En cela, Andriy Yermak disposait de pouvoirs supérieurs à ceux d’un Premier ministre.
Mais l’enquête Midas a démontré que ce type d’approche ne fonctionne pas. Cela s’est traduit par le détournement d’au moins 100 millions de dollars, rien qu’en 2025, dans le seul secteur énergétique ukrainien. On peut supposer que d’autres cas de corruption à grande échelle ont eu lieu dans des secteurs clés de l’économie ukrainienne. Et cela, au beau milieu de la guerre. Par conséquent, Andriy Yermak aurait dû être démis de son poste bien plus tôt. Sa destitution par le président offre néanmoins au pays une chance de se renforcer, de repenser sa gouvernance et de la rendre plus résiliente, en nommant des personnes intègres et compétentes aux plus hauts postes. Rien n’est encore acquis, mais le départ d’Andriy Yermak nous donne des raisons d’espérer.
Pouvait-il ignorer la corruption révélée dans l’affaire Midas ?
C’est impossible, car toutes les décisions relatives à la gestion du pays - au niveau des vice-ministres, mais aussi à celui des dirigeants des entreprises publiques -, étaient filtrées par lui. Cela signifie qu’Andriy Yermak, à la position qui était la sienne, ne pouvait pas ignorer cette corruption à grande échelle. Et même dans l’hypothèse où il n’aurait pas eu connaissance de ces détournements de fonds, le fait d’avoir choisi des personnes qui s’y adonnent pour occuper des postes aussi importants le discrédite. Pour ces deux raisons, son limogeage est largement justifié.
Par ailleurs,lorsque la NABU et le SAPO effectuent des perquisitions, cela signifie généralement qu’il existe déjà des preuves qui ont été examinées par le tribunal et que celui-ci a autorisé ces investigations. Cela signifie donc que des éléments importants pour l’enquête pouvaient se trouver chez Andriy Yermak. Pour l’heure, il n’y a pas eu d’inculpation, mais nous en saurons davantage dans les jours ou semaines à venir.
Volodymyr Zelensky se retrouve-t-il dans une position particulièrement précaire après ces nouveaux développements ?
Il est toujours le président élu de l’Ukraine. Et je pense qu’il peut maintenir sa légitimité après ce limogeage. A vrai dire, le fait d’écarter des personnes dont l’intégrité faisait défaut me semble le placer dans une bien meilleure position. A l’issue de l’enquête et de ce type de décision, il pourra s’entourer de professionnels honnêtes et compétents, et ainsi renforcer sa présidence. J’applaudis donc sa décision de limoger Andriy Yermak. Mais j’espère aussi qu’il tirera les leçons du passé et qu’il ne reproduira pas les erreurs commises.
C’est en tout cas le plus grand scandale de corruption de sa présidence à ce jour…
Je dirais même que cela ne se limite pas à la période de la présidence de Zelensky. C’est l’enquête la plus complexe et la plus marquante menée par les organismes anticorruption ukrainiens depuis l’indépendance de l’Ukraine. L’Ukraine, en tant qu’État, n’a jamais connu d’enquête d’une telle ampleur au sein de l’entourage du président. Mais je tiens à souligner que cela signifie que les organismes anticorruption ukrainiens fonctionnent bien malgré la guerre. Et c’est un grand succès pour eux.
Volodymyr Zelensky a-t-il commis une erreur en tardant autant à limoger Andriy Yermak ?
C’est ce que je pense. Il aurait pu le limoger plus tôt, dès la révélation de l’enquête Midas. Cela fait deux semaines. C’était à mon sens le moment pour Zelensky de prendre la bonne décision. Mais mieux vaut tard que jamais. Du reste, d’autres personnes seront peut-être impliquées dans cette enquête, car NABU a souligné qu’il existe mille heures d’enregistrements audios, et ils n’en ont probablement reconstitué que dix pour cent, voire moins. Il est donc probable que l’enquête ne s’arrête pas là.
Cette crise survient en tout cas à un moment critique pour l’Ukraine, alors que Kiev est engagé dans des négociations très difficiles avec les États-Unis concernant le plan russo-américain pour mettre fin à la guerre. Cela ne risque-t-il pas d’affaiblir sa position dans les négociations ?
Je pense qu’en réalité, il n’y a que l’état de nos forces armées et de nos institutions qui puissent affaiblir la position de l’Ukraine dans les négociations. Et en bâtissant des institutions intègres, nous renforçons nos positions et nous devenons plus forts. La Russie n’a de toute façon aucune intention de faire la paix. Son intention réelle est de nous rayer de la carte. Par ailleurs, ce n’est pas à Washington et à la Maison Blanche de décider comment mettre fin à cette guerre, mais au peuple ukrainien, avec l’aide de ses partenaires européens. Et nous sommes très reconnaissants envers l’Europe pour son soutien, et espérons qu’il se poursuivra, afin de gagner cette guerre et empêcher toute capitulation. Car toutes ces discussions sur un accord de paix ne consistent en définitive qu’à vendre l’Ukraine à la découpe. Or nous ne sommes pas prêts à cela. Ce n’est pas la paix, mais l’anéantissement du pays.
Craignez-vous que la Russie n’essaie d’exploiter la situation ?
La Russie diffuse constamment un narratif selon lequel l’Ukraine est le pays le plus corrompu du monde. Et elle continuera de répandre ce type de message quoi que nous fassions. Mais peu importe ce que dit la Russie, car elle n’est autre que l’Etat agresseur. Ce qui m’importe, c’est de savoir que nos institutions sont capables d’enquêter sur la corruption à grande échelle, même en temps de guerre. Et elles ont prouvé qu’en Ukraine, nous disposons d’un système de contrôle et d’équilibre des pouvoirs. Il existe des institutions démocratiques capables d’identifier la corruption et de la sanctionner pénalement. En Ukraine, des individus ou des institutions ont la capacité de contester le président, et c’est une bonne chose. Et la réalité, c’est que la Russie ne peut pas en dire autant.
Pensez-vous que NABU et SAPO puissent être la cible de nouvelles attaques du pouvoir après ces récents développements ?
Ce risque me semble limité aujourd’hui, parce qu’ils n’ont plus d’ennemis clairement identifiés. Je crois qu’il est donc peu probable que des attaques, telles que celles de l’été dernier, lorsqu’une loi sapant l’indépendance des instances anticorruption avait été votée, avant que le pouvoir ne fasse marche arrière sous la pression, se reproduisent. A mon sens, ce type d’attaque portrait la marque d’Andriy Yermak, mais il n’est plus en poste aujourd’hui.
Que devrait faire Volodymyr Zelensky pour renforcer la lutte contre la corruption en Ukraine ?
Il doit suivre les recommandations du rapport d’adhésion à l’UE. A cet égard, il me semble nécessaire de restructurer le Bureau du Procureur général et le Bureau d’enquêtes d’État. Les responsables de ces services de police doivent être sélectionnés dans le cadre d’une procédure concurrentielle et rigoureuse. Jusqu’à présent, le Procureur général, Ruslan Kravchenko, obéissait aux ordres illégaux d’Andriy Yermak et lançait des attaques contre les organismes anticorruption en fabriquant des accusations contre eux. Il doit donc démissionner, tout comme Andriy Yermak.
De plus, le Parlement doit voter une loi en bonne et due forme, prévoyant la nomination d’un nouveau Procureur général. C’est ce que prévoit le rapport d’adhésion à l’UE. Il devrait en être de même pour le Bureau d’enquêtes d’État. Ce service menait également des persécutions, notamment politiques, contre des agents de NABU et SAPO, ainsi que contre notre organisation, et en particulier contre notre président, Vitaly Chabounine. Il est donc essentiel d’assainir tous ces services.
Comment la lutte contre la corruption s’inscrit-elle dans le combat plus large que mène l’Ukraine contre la Russie ?
La lutte contre l’agression russe et celle contre la corruption sont étroitement liées. Pour le comprendre, prenons l’exemple de l’affaire Midas. Lorsqu’il y a détournement de fonds dans les infrastructures énergétiques critiques, cela signifie que ces mêmes infrastructures ne seront pas aussi bien préparées qu’elles devraient l’être pour faire face aux attaques régulières de missiles et de drones russes. Et que par là même, cela entraînera davantage de coupures de courant aux conséquences graves et parfois mortelles dans certaines situations.
De même, s’il y a détournement de fonds dans le secteur de la défense, cela signifie que l’Ukraine ne produira, par exemple, pas autant d’armements et d’équipements qu’elle le pourrait. Et que l’armée ne recevra de facto pas tout le matériel qu'elle aurait dû avoir en temps voulu. Ce qui, là encore, peut se traduire par davantage de morts au sein de nos forces. La lutte contre la corruption et celle contre l’envahisseur russe sont donc étroitement liées. La corruption, comme l’incompétence au sein de nos institutions étatiques, est une chose que nous ne pouvons pas nous permettre. Cela contribue à notre affaiblissement. Toutes nos décisions doivent reposer sur le professionnalisme, l’intégrité, le patriotisme, et la volonté de servir le peuple en temps de guerre. Pas sur l’intérêt particulier d’une poignée d’individus.
Avec la révélation du plan en 28 points concocté par Washington et Moscou pour mettre fin à la guerre, revient sur la table l’épineuse question de l’organisation d’élections en Ukraine. Vieille antienne de Donald Trump, qui, un mois après sa prise de fonction, avait traité le président ukrainien de "dictateur sans élection", cette clause, également réclamée par le Kremlin, soucieux d’éjecter Volodymyr Zelensky du pouvoir, prévoit ainsi l’organisation d’élections "dans 100 jours". Un délai très court, remplacé dans la contre-proposition européenne par la formulation plus vague "dès que possible". Initialement prévue en avril 2024, la dernière présidentielle a été ajournée depuis lors en raison de la loi martiale. Problème, dans un pays où près d’un million de personnes sont toujours mobilisées sous les drapeaux et 7 autres millions ont fui à l’étranger, cet appel aux urnes relève du casse-tête. Est-ce pour autant impossible ? "Il faut tout reprendre à zéro, juge Olha Aivazovska, présidente du conseil d'administration de l'ONG Opora, une organisation de référence chargée de la surveillance des élections et du processus électoral en Ukraine. La législation actuelle n’est plus adaptée pour conduire ces élections à court terme, car la guerre a modifié en profondeur les conditions d’exercice du vote." Entretien.
L’Express : Le plan en 28 points dévoilé la semaine dernière prévoit la tenue d'élections dans les 100 jours suivant la signature potentielle d'un accord de cessez-le-feu. Est-ce réellement possible en si peu de temps ?
Olha Aivazovska : Pas du tout. Malheureusement, l'Ukraine n'a pas eu la possibilité d’organiser d’élection depuis le début de l’invasion russe, et nos capacités à y parvenir sont plus réduites que par le passé. Cela s’explique par les très nombreux défis que représenterait l’organisation d’un scrutin dans le contexte actuel. Tout d’abord, il nous faut mettre en place une législation électorale spécifique, qui permettra de garantir la sécurité du vote dans ses multiples composantes. Actuellement, par exemple, près de 30 % du territoire ukrainien est miné, ce qui rend la logistique extrêmement problématique, ne serait-ce que pour l'acheminement des bulletins de vote et du matériel pour le jour du scrutin. Cette même législation devra par ailleurs mettre en place les instruments permettant de déterminer là où le processus électoral est possible, car de nombreuses communes ont été partiellement ou totalement détruites.
C’est particulièrement le cas pour les élections locales, car certaines zones ne comptent plus que 10 % d’électeurs, ce qui compromet la représentativité des instances qui seraient élues. En parallèle, de nombreuses infrastructures physiques, comme les bureaux de vote, ont été détruites pendant la guerre. Et nous manquons par ailleurs des ressources humaines pour s’occuper de l’organisation du scrutin. Il va donc être nécessaire de former de nombreux personnels, afin qu'ils acquièrent les compétences nécessaires et soient en mesure de faire face aux risques potentiels qui pourraient survenir. A l’heure actuelle, rien ne garantit que le processus électoral pourra se dérouler normalement si la Russie tente d'interférer dans les élections, à travers des attaques, ou de la désinformation. Le processus électoral sera donc très différent de ce qu’il pouvait être avant le début de la guerre, et nécessitera de facto des investissements supplémentaires.
Le système électoral doit donc être revu en profondeur…
Absolument. La protection physique des candidats, des bureaux de vote, la mise en place de protocoles de cybersécurité suffisamment développés pour les bases de données électorales d'État, nécessitent des moyens et du temps. Or, l'Ukraine n'a pas encore lancé le processus. Pour l’heure, personne ne sait à quelle élection fait précisément référence le plan de paix russo-américain. S’agit-il d’une élection présidentielle dans un délai de 100 jours ? Si c’est effectivement le cas, cela signifie que nous n’aurions que 10 jours pour organiser tout le processus électoral, dans la mesure où les campagnes présidentielles s’étalent habituellement sur 90 jours. C’est bien sûr impossible.
Encore une fois, il faut tout reprendre à zéro. Certaines circonscriptions qui étaient auparavant utilisées lors des législatives se trouvent par exemple aujourd’hui en territoire occupé. La législation actuelle n’est donc plus adaptée pour conduire ces élections à court terme, car la guerre a modifié en profondeur les conditions d’exercice du vote. Organiser des élections protégées et préparées de manière adéquate exigera des ressources considérables, dont l'État ukrainien est totalement dépourvu.
De combien de temps l'Ukraine aurait-elle besoin pour organiser des élections en cas d’arrêt des combats ?
Selon notre feuille de route, si la situation ne s’aggrave pas, ce serait impossible avant au moins six mois voire un an. On peut regarder les exemples du passé pour établir un point de comparaison. Après la guerre dans les Balkans, un délai de neuf mois avait été prévu avant de nouvelles élections. Pourtant, le pays n’était pas aussi vaste que l’Ukraine, et les infrastructures n’avaient pas subi autant de dégâts que les nôtres.
Les migrations engendrées par la guerre compliquent également la donne…
Effectivement, le registre électoral national n'a pas été mis à jour ces quatre dernières années. Il a été fermé après l'invasion à grande échelle, et les informations sur les électeurs ne sont plus valides compte tenu de l’ampleur des migrations aussi bien internes que dans d’autres pays. Or il est indispensable de prévoir suffisamment de temps pour que les personnes concernées puissent déposer une demande de changement d'adresse électorale. Et cela représente des millions de personnes. Actuellement, plus de 10 millions d'électeurs vivent hors des territoires contrôlés par le gouvernement ukrainien où ils sont inscrits. Cela représente plus de 30 % du corps électoral total. Pour mettre à jour le registre électoral national, une campagne de mobilisation et de sensibilisation est nécessaire, ainsi qu'un délai suffisant pour permettre à chaque électeur d’actualiser ses informations.
Justement, au moins 7 millions d'Ukrainiens ont fui à l'étranger depuis le début de l'invasion à grande échelle. Comment garantir leur droit de vote ?
C’est un enjeu primordial, car il serait extrêmement préjudiciable que les Ukrainiens résidant actuellement à l'étranger – soit plus de 20 % de la population ukrainienne – n'aient pas la possibilité de voter. En Pologne, par exemple, il n’y aurait actuellement que quatre bureaux de vote disponibles, alors que près d'un million d'Ukrainiens y vivent. Cela s’explique par le fait que, selon la législation actuelle, seules les ambassades ou les consulats peuvent participer au scrutin pour le vote à l’étranger. Il est donc important de faire en sorte qu’un nombre suffisant d’infrastructures situées en dehors des frontières ukrainiennes puissent offrir la possibilité de voter.
Dans le cas contraire, si 20 % de la population n'a pas la possibilité de voter physiquement, ces élections ne seront pas suffisamment inclusives pour être qualifiées de démocratiques, libres et équitables. L'Ukraine doit donc signer des accords bilatéraux avec chaque pays, comme la France, l’Allemagne, la Pologne, et tous les autres, disposés à soutenir ce processus et à installer davantage de bureaux de vote hors des ambassades. De plus, nous pourrions compléter ce dispositif avec un système de vote anticipé, pour permettre aux citoyens de se rendre aux bureaux de vote tout au long de la semaine. Ce type de méthode existe et est utilisé dans de nombreux pays, mais pas en Ukraine.
Près d’un million d’Ukrainiens servent actuellement au sein de l’armée. Est-il vraiment envisageable qu’ils puissent tous participer à un scrutin ?
C’est une autre difficulté, et il n’y a malheureusement pas de solution miracle. Cela dépendra de leur lieu de déploiement et de leurs missions au moment du vote. S'ils se trouvent près des lignes de front, il est peu probable qu'ils seront en mesure de voter - ce qui pose un problème de représentativité. Pour ceux qui seront un peu à l’arrière, on pourrait en revanche ouvrir des bureaux de vote spéciaux, ou leur accorder des créneaux horaires leur permettant de voter dans des bureaux civils classiques. L'exercice du droit de vote pour tous les groupes de population doit constituer un principe fondamental pour les premières élections d'après-guerre, car la légitimité des représentants élus dépendra de la qualité de la participation au scrutin.
L’autre enjeu, en ce qui concerne les citoyens qui servent actuellement sous les drapeaux, est de leur permettre de se présenter comme candidat s’ils le souhaitent - en particulier en ce qui concerne les élections législatives ou locales. Ce qui est actuellement impossible si vous êtes en service actif. Il faut en effet se rappeler qu’il y a cinq ans, 95 % des militaires actuels étaient des civils, et nous devons donc leur offrir une chance de participer. Un processus inclusif serait un outil efficace pour prévenir les conflits au sein de la société, car tous ceux qui investissent aujourd'hui leur vie et leurs ressources dans la sécurité et la défense du pays doivent avoir la possibilité de se faire entendre.
Quel serait le risque d'ingérence russe si des élections se tenaient en Ukraine après un cessez-le-feu ?
Le risque d'ingérence russe est de 100 %. La Russie a systématiquement instrumentalisé le processus politique en Ukraine, pour s'assurer la loyauté de certains groupes au pouvoir. On peut citer l’exemple de l’ancien député Viktor Medvedtchouk, qui a été l’une des grandes courroies de transmission de Poutine sur la scène politique ukrainienne. A la suite de l’invasion à grande échelle, la Russie investira encore plus de ressources pour tenter d’occuper politiquement l’Ukraine. De la même manière qu’elle le fait en Géorgie.
Moscou cherchera à polariser la société au maximum et à attiser les tensions entre différents groupes de la population. On peut donc s’attendre à tout un éventail d’actions contre l’infrastructure électorale, voire à des attaques directes contre certains candidats dans le but de saper la confiance dans le bon déroulement du processus électoral.
Concrètement, de quelle manière pourrait-elle s’y prendre ?
Au-delà de cette seule application, nous avons également vu en Roumanie comment elle avait utilisé l’ensemble des réseaux sociaux pour interférer dans les élections. Ces tentatives ont été stoppées de manière très difficile par la commission électorale roumaine. L'Ukraine doit donc tirer les leçons des dernières campagnes électorales dans les pays voisins et mettre en place un système de défense contre ces risques potentiels. La protection du processus électoral contre toute ingérence russe sera une question absolument cruciale.