Qui a remis une pièce dans la machine ?
Air France indique avoir déjà équipé 30 % de sa flotte d’une connexion à très haut débit Starlink et promet que la totalité de ses avions le seront d’ici fin 2026. Ce qui devait n’être qu’un simple point d’étape a relancé la polémique : Air France aurait-elle pu, ou dû, opter pour une solution européenne de type Eutelsat ?
Les communicants d’Air France ne s’attendaient probablement pas à un tel engagement. Jeudi 18 décembre, la compagnie aérienne a diffusé sur son compte X une petite séquence de 27 secondes illustrant la pose d’un module de connexion satellitaire Starlink sur le dos d’un Airbus A220. Quatre jours plus tard, le message d’origine affiche plus de 11 millions de vues, sans sponsorisation.
Sa visibilité a notamment été dopée par un retweet d’Elon Musk, patron de SpaceX (maison-mère de Starlink), qui l’a saluée d’un « très bon » en français dans le texte. Elle a aussi profité de commentaires nettement plus négatifs, dénonçant une erreur au regard des enjeux de souveraineté.
Starlink sur toute la flotte Air France d’ici fin 2026
« Nous poursuivons l’installation du wifi très haut débit à bord de nos avions, permettant de profiter gratuitement d’une qualité de service stable, rapide et sécurisée. En cette fin d’année, déjà 30% de notre flotte est équipée et la totalité le sera fin 2026 », écrit Air France.
La sélection de Starlink comme fournisseur d’accès, destiné à la fourniture d’une connexion Wi-Fi haut débit à destination des passagers, n’est pas précisément un scoop. Air France avait fait part de son projet en septembre 2024.
La compagnie expliquait alors que la constellation de satellites en orbite basse de Starlink allait lui permettre de proposer « une qualité de service de connectivité en très haut débit » à tous ses passagers, avec une structure de coût lui permettant d’envisager la gratuité pour les passagers, et ce « dans toutes les cabines de voyage ».
Avant cette annonce, Air France disposait déjà d’offres de connectivité à bord de certains de ses appareils, mais le service était payant pour l’utilisateur final, limité en bande passante, et fragmenté d’un point de vue industriel. La compagnie recourait en effet à des solutions différentes selon les appareils et le type de ligne, avec des contrats IFC (In-flight connectivity) passés chez Anuvu (ex Global Eagle), Panasonic Avionics (qui s’appuie en partie sur les capacités d’Eutelsat) ou Intelsat.
Starlink, sélectionnée en 2024 à l’issue d’un appel d’offres, présentait dans ce contexte l’intérêt d’offrir une solution à la fois intégrée et performante. « Nous avons consulté de nombreux acteurs et l’offre de Starlink est actuellement, de loin, la plus attractive du marché. Elle constitue une nette rupture en termes de qualité et de compétitivité. C’est une révolution », illustrait Alexandre Groshenny, responsable du projet dédié chez Air France, auprès de l’Usine Nouvelle. À l’époque, l’annonce du choix de Starlink n’avait pas particulièrement provoqué de réaction politique.
« Choisir Starlink plutôt qu’Eutelsat n’est pas acceptable »
Le point d’étape du 18 décembre a quant à lui suscité quelques commentaires ouvertement désapprobateurs. « Voir Air France choisir Starlink plutôt qu’Eutelsat n’est pas acceptable. Les entreprises européennes doivent comprendre qu’il s’agit désormais d’un enjeu majeur de souveraineté. Pour ma part je limiterai dorénavant mon usage de cette compagnie », a par exemple déclaré samedi Gilles Babinet, ancien coprésident du conseil national du numérique (CNNum).
« Air France, entreprise française historique, confie l’échange de données de ses voyageurs aux US et à Musk. À quand une véritable politique de souveraineté ? », s’interrogeait dès vendredi Cyprien Ronze-Spilliaert, chercheur associé au Centre de recherches de la gendarmerie nationale.
Le sujet a également ému plusieurs élus LFI dans le week-end, jusqu’à Jean-Luc Mélenchon, qui s’est exprimé dimanche soir, lui aussi sur X. « Air France choisit Starlink de Musk pour ses connexions Wi-Fi en vol plutôt que l’entreprise française et sa liaison géostationnaire plus écologique et aussi sûre. Le grand patronat de ce type n’a pas de patrie. Sauf pour les subventions et les aides sans contreparties. L’assistanat des très grandes sociétés doit cesser. »
Air France avait-elle le choix ? En réponse à ces critiques, plusieurs internautes rappellent que la fourniture d’un Wi-Fi performant est un enjeu de compétitivité commerciale pour la compagnie nationale. Or, Starlink dispose de sérieux atouts concurrentiels, notamment face à Eutelsat.
Au dernier décompte (non officiel), la constellation de SpaceX dispose en effet de plus de 9 000 satellites en orbite basse (LEO, pour low earth orbit) à environ 550 km de la Terre. Ils offrent une latence réduite, des débits conséquents et une couverture virtuellement mondiale.
Le leader européen dispose quant à lui d’une offre hybride qui associe ses satellites géostationnaires à une flotte récente d’environ 600 satellites en orbite basse (1 200 km), la constellation OneWeb LEO d’Eutelsat. L’opérateur vient justement de lever 1,5 milliard d’euros pour renforcer ses ressources en orbite basse, mais aussi préparer la future constellation européenne souveraine IRIS².
Une longueur d’avance pour Starlink
En attendant que ces investissements programmés portent leurs fruits, Starlink conserve une longueur d’avance, autant sur les capacités disponibles que sur l’accessibilité tarifaire. C’est d’ailleurs ce qui explique que François Bayrou, alors Premier ministre, avait annoncé recourir à la solution d’Elon Musk fin 2024 à Mayotte pour rétablir en urgence les communications sur l’archipel après la tempête Chido. Une décision vertement critiquée par Orange, dont le responsable des affaires publiques estimait qu’elle laissait « pantois sur le terrain de la souveraineté numérique ».
Remise sur le devant de la scène cette semaine avec Air France, la question de la souveraineté des accès et la bataille commerciale sous-jacente entre Starlink et Eutelsat pourraient bientôt connaître un nouveau rebondissement. La SNCF préparerait en effet son propre appel d’offres en vue d’équiper les TGV d’une liaison satellitaire, et l’entreprise d’Elon Musk semble déjà bien placée.
Une société de droit américain… et Elon Musk aux manettes
Au-delà du patriotisme économique, pourquoi le choix de Starlink soulève-t-il la question de la souveraineté ? SpaceX a son siège à Hawthorne en Californie. L’entreprise est de ce fait soumise aux lois des États-Unis, et plus particulièrement aux textes à dimension extraterritoriale (dont le Cloud Act et le FISA), qui ouvrent une possibilité d’accès, par l’administration ou les agences fédérales américaines, aux données des utilisateurs finaux. Difficile enfin de ne pas prendre en compte l’identité du dirigeant de SpaceX, particulièrement quand ce dernier multiplie, sur son réseau social, les attaques contre l’Europe, allant jusqu’à appeler au démantèlement de l’Union européenne.